Interviews
Massilia Sound System : “Si les festivals veulent de nous l'année prochaine, on sera encore là !”

S’il y a un groupe qui squattait les scènes des festivals en 2015, c’est bien Massilia Sound System. Depuis 30 ans, ils voguent de scène en scène pour balancer leur reggae, rock, dub, ragga, et surtout leur bonne humeur et messages solidaires venus de Marseille. Rencontre avec Papet J, l’une des voix du groupe, en rythme et avé l’accent.

Tous les Festivals : Salut Papet J ! Avec Massilia, vous avez remporté en 2015 le titre de “squatteur des festivals”. Comment vous avez reçu cette distinction ?

Papet J, chanteur : Ca me donne une idée : on devrait l’année prochaine se présenter devant les festivals et dire “salut, c’est nous les squatteurs! faut nous faire jouer ce soir !” Débrouillez-vous ! C’est marrant parce que les 10 ou 15 plus gros, si ce n’est le Bout du Monde ou Garorock, ne nous ont pas fait confiance. Pourtant, ils ont été démarchés par notre équipe, nos tourneurs. Mais ils n’ont pas voulu de nous car pour eux on était un peu has-been, des vieux cons. Sauf qu’ils l’ont dans le dos, car arrivé au mois d’avril, on était le groupe qui avait été booké le plus dans d’autres festivals. Ils étaient sans doute un peu amer. Après j’en ai rien à foutre de ce qu’ils pensent. Mais si les fesitvals veulent de nous l’année prochaine, on sera encore là ! (rires)

Vous avez quand même eu du succès avec cette tournée, plus d’une vingtaine de festivals pour un album sorti 7 ans après l’autre …

Que ce soit devant 7000 spectateurs ou 25 000, on fonce. On a fait le plein partout, on fait passer un bon moment au public. Mais on avait quand même fait des concerts depuis. On fait toujours 10-15 dates minimum par an. On aime bien se retrouver, d’abord avec Massilia, puis dans d’autres projets, on se perd jamais de vu plus de quelques jours. On arrête jamais en vérité. Après on n’est pas dans l’actualité. Mais est-ce qu’un groupe qui a 30 ans d’existence a besoin d’actualité ? Je ne crois pas. On fait un album quand on a envie, quand on estime d’avoir le temps, qu’on puisse se libérer 1 an voire plus. Et surtout quand on estime que Massilia a quelque chose à dire dans le paysage médiatique.

Quand tu as des chansons avec des messages, ils sont compris en festival ? Le public est réceptif ?

Oui ceci dit on fait pas des grands discours. On essaye de faire passer de l’émotion, de la joie, si possible un peu d’amour. Et voilà, et tout ça fonctionne. On essaye de rester simple.

Depuis vos début il y a 30 ans, au milieu des années 80, est-ce que vous avez senti des changements dans le monde des festivals ?

Ah oui ! Énormément ! Sur les dernières années, c’est devenu catastrophique. Cela fait déjà longtemps que des options ultra marchande de la musique sont passés devant. On se rend compte qu’au fur et à mesure des festivals qui étaient d’abord à l’initiative d’association locale se sont fait rachetés par des sociétés privées. Egalement, dans les années 90, tous ces festivals étaient subventionnés, ce qui faisait qu’ils gardaient une autonomie. C’est peut-être contradictoire, mais on arrive toujours à se débrouiller avec un politique qui essaye d’influencer les choses. Pas avec une multinationale. Les crises depuis 1999, et fortement depuis 2008, ont fait le beau jeu des multinationales. Elles ont investi massivement dans le divertissement, l’entertainement, et tous ces festivals sont devenus leurs proies. Les grandes structures qui organisent des concerts toute l’année, Live Nation et un autre dont je ne me souviens plus, se partagent le gâteau, et rachètent à coup de millions ce qui marche, et les formatent. Ce qui fait que tu te retrouves comme l’année dernière avec 52 fois Stromae. La tête d’affiche qui va bien tu la retrouves partout, c’est pire que d’allumer la tété avec TF1. J’aurais que du mal à dire de cette évolution ...

En France, il reste quand même énormément de festivals associatifs. Live Nation n’a pas  autant réussi à s’implanter que dans d’autres pays …

Heureusement, heureusement ! Grâce à une certaine politique culturelle, il y a pas mal de festivals qui restent vivant, autonomes et conséquents en terme d’affluence et de programmation. C’est plutôt cela qui on fait confiance à Massilia cette année

Y’a pas mal de festivals à Marseille ?

Pas assez à mon goût !

Tu veux pas en monter un ?

Si les pouvoirs publics nous en donnent la mission, on pourrait le faire. J’ai quelques idées ...

Ah, intéressant ! Tu peux nous en dire plus ?

Un beau festival à Marseille, avec tout ce qui compte parmi nos amis, qui sont talentueux, qui sont aimés du public, et il y aurait de très beaux endroits pour ça. Mais je ne vous les donnerais pas parce que j’ai pas envie qu’il y en ait un autre qui me les grille ! (rires)

Il y a une date en festival dont tu te souviens particulièrement depuis le début de votre tournée ?

Cette année évidemment, ça va paraître chauvin, mais la Fiesta des Suds a été énorme pour nous. C’était à la fois super agréable, super fort et super stressant. Ce n’était que le troisième concert de la tournée avec le nouvel album, avec un tas de chansons qu’on ne connaissait pas assez bien ...

… T’avais un prompteur devant ?

Non, oui ... bon un peu ! (rires) T’arrives sur scène avec plein de doutes. C’est assez dur mais 18 000 personnes dans ton quartier, dans ta ville, où tu n’as pas joué depuis un moment. C’’est émotionnellement intense. Catherine Ringer est même venu chanter et danser avec nous sur scène (vidéo). C’était extraordinnaire. Après je me suis éclaté hier soir, je me suis éclaté il y a une semaine, Garorock c’était super. On a passé du bon temps cette année, on a retrouvé cette dimension là. Il ne faut pas cracher dans la soupe, même avec ce côté industriel, ça va vite, ça s'enchaîne, mais on a énormément l’occasion de jouer partout.

Ca n’a pas arrêté, presque tous les week-ends depuis avril ?

Oui, on enchaîne vendredi, samedi … tiens ça aussi c’est quelque chose qui a changé ! Avant on arrivait à jouer des lundis, mardis, mais c’est fini ça ! Les grosses boites ont tout rationalisé, et c’est plus que le week-end. De plus, avec cet espèce de petit con qui un jour nous a dit “Travaillez plus pour gagnez plus”, qui a culpabilisé la France qui se couche tard par ceux qui se lèvent tôt… Le con de sa mère, il a fini par faire flipper tout le monde. Je suis vraiment en colère quand je parle de ça. Ce qui fait que les gens le dimanche soir ils sont fatigués en pensant au lundi matin. Même s’ils ont dormi tout le week-end ! Les gens stressent, ne pensent qu’au travail, pour consommer ce qu’on leur dit de consommer, au tarif qu’on leur dit de consommer, aux heures où on leur dit de consommer. Voilà ce qui a fondamentalement changé dans notre société. On sort plus le dimanche, le lundi, le mardi … Alors voilà on ne tourne plus que les week-ends, et moi quasiment tous les mardis, mercredis, je fais des apéros, je monte mon petit soundsystem

Quand tu as le système contre toi, tu montes un soundsystem ! Tu n’arrêtes effectivement jamais …

Oui, ca devient un peu fatiguant d’ailleurs, surtout à nos âges. J’aime pouvoir faire les deux dimensions. Si tu passes ta vie devant 25 000 personnes qui sont toutes acquises, et que tu te remets pas au contact des petits trucs, tu perds ton âme, tu perds l’essence de ce que tu es.

Au festival du Bout du monde, c’était la dernière date de la tournée de Massilia. Si on vous avait proposé des dates en août vous auriez dit oui ?

Non ! J’ai refusé 10 dates en août sur mon projet personnel. Mais tu peux très bien passer ta vie en tournée. C’est confortable, on s’occupe de toi. Tu as deux heures sur scène, quand tu veux dormir, tu dors, sauf quand on nous appelle pour des interviews ! (rires) Tu es assez rythmé, tu t’adaptes. Le maçon se lève tous les matins pour bosser. C’est pour la tête que c’est pas bon de jamais s’arrêter. En rentrant, on aura du boulot en octobre. J’ai sorti mon nouvel album il y a deux mois, il faut le jouer, le défendre sur scène. Les autres membres du groupe ont aussi fait leurs projets, comme Gari avec Collectif 13.

Une dernière question. Vous faites des tournées de pastis dans vos concerts, raison de plus de venir vous voir. C’est quoi le budget pastis de Massilia Sound System ?

C’est secret. On ne peut pas dévoiler ça, on aurait des problèmes avec le ministère de l’intérieur ! (rires) C’est un certain nombre de litres !

Propos recueillis par Morgan Canda et Victoria Le Guern
Photos de Morgan Canda