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Molécule : « Les festivals, cela fait partie du dépucelage d’un ado »

Molécule - alias Romain Delahaye - est le genre de personne qui aime la prise de risque, du genre à embarquer plus d’un mois sur un chalutier en haute mer pour enregistrer son album électro, 60°Nord 43’. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour susciter notre curiosité et c’est donc posés sur les bords de la Meuse, à quelques heures de son concert au Cabaret Vert, que nous avons rencontré celui fait un grand écart tout en souplesse entre Thalassa et les scènes de festival.

Tous les Festivals : Pour commencer, quel rapport entretiens-tu avec les festivals ?

Molécule : Je suis festivalier dans l’âme, j’ai surtout des souvenirs de Bretagne, comme la Route du Rock ou les Vieilles Charrues. J’ai des origines bretonnes vers Saint-Malo et quand je repense aux festivals, je repense à la tente, aux copains, à tous ces périples, cela fait partie du dépucelage d’un ado ! Parce que c’est assez intense, c’est 3 jours dans des conditions dantesques en Bretagne avec la pluie, les orages… Et quand je suis passé de l’autre côté du miroir en tant que musicien, j’ai trouvé ça chouette aussi car on rencontre plein de groupes, et il y a souvent une identité forte, chaque festival donne de la tonalité à l’accueil et à l’atmosphère qu’il créé. Pour moi c’est un vrai lieu de rencontre, d’une part avec le public car il y a toujours la base de fans qui est là, et aussi avec ceux qui découvrent ta musique, c’est assez génial. Et puis il y a du monde, c’est l’été, il y a un bon cadre et c’est toujours des beaux moments.

C’est différent de jouer en club ?

C’est très différent. En festival, les gens viennent pour la fête mais l’esprit est différent : il y a un esprit de camaraderie, d’amitié, quelque chose de plus humain, et c’est une vraie expérience pour les festivaliers d’être là pendant 3 jours et de dormir dans les alentours. Je pense que les festivaliers sont beaucoup plus curieux. En club, les gens viennent avant tout pour faire la fête et parfois ne sont pas soucieux de ce qu’ils voient ou de ce qu’ils entendent. Evidemment ce n’est pas toujours comme ça, mais c’est ce que je ressens. En festival, il y a une vraie bienveillance.

Tu pourrais aussi avoir des gens qui ne sont pas là pour toi et qui attendent le groupe d’après…

Exactement, mais les festivaliers sont là et ils sont plus ouverts ! Je les trouve en général plus en jambe malgré le fait que ce soit parfois une découverte pour eux. L’atmosphère du festival les porte vers un esprit de fou qui entraîne tout le monde.

Là on est au bord de la Meuse, c’est bien plus tranquille que quand tu es allé enregistrer ton album sur un chalutier en pleine mer, est-ce que tu peux nous expliquer ce qui t’a motivé à faire ça ?

C’était avant tout un rêve d’enfant l’expérience de vivre en pleine mer. La musique était presque un prétexte. L’idée de partir comme ça plus d’un mois sur un chalutier industriel avec tous les instruments, c’était pour me mettre un peu en danger. D’une part dans mon processus de création, pour créer de manière différente et puis en tant qu’homme, parce que je suis allé dans une région assez hostile où la tempête est assez puissante et peut être ravageuse, où l’on se rapproche de ses peurs, où l’on s’impose des contraintes. C’est un projet que j’ai mis en place pendant presque un an, et créer comme ça de la musique dans des conditions extrêmes, j’y ai pris goût ! C’est une expérience que je suis en train de remettre en place, cette fois ça sera plutôt dans les airs...

Tu as fait de belles rencontres sur ce chalutier ? Comment les marins ont réagi en te voyant débarquer avec tout ton attirail ?

Ils ne comprenaient pas trop ce que je venais rechercher ici mais ils m’ont accueilli de manière extraordinaire. Ils ont tout fait pour me mettre dans les meilleures conditions et heureusement d’ailleurs ! Ce sont des gens qui peuvent paraître un peu fermés mais qui sont en fait très chaleureux une fois que la première barrière est tombée. Si je devais parler d’un personnage, je pense que je parlerais du capitaine qui est la personne qui pose le cadre de l’ambiance qui se passe sur un navire. C’est très hiérarchisé, un peu comme à l’armée, entre les matelots, les pêcheurs, les mécanos, les officiers et le capitaine en haut de cette pyramide. Et la manière dont il gère ça dans des conditions complexes, dangereuses… c’était une personne très calme, très respectueuse de son équipage, un grand bonhomme.

Il y a un souvenir qui t’a particulièrement marqué en festival ?

Je reviendrais à Massive Attack, et leur concert aux Vieilles charrues, dès les premières notes… A l’époque ils défendaient l’album Mezzanine et la puissance de la basse et du pied de batterie très hypnotique a posé une atmosphère qui a presque fait taire le public et imposé quelque chose de fabuleux. C’est quand même 40-50 000 personnes les Vieilles Charrues, c’est assez imposant, c’était extraordinaire ! J’ai aussi un très bon souvenir d’un groupe de rock new-yorkais qui s’appelle Interpol à la Route du Rock : j’avais trouvé ça très moyen la première fois mais ils sont revenus l’année suivante et ça a été l'un des plus beaux concerts que j’ai vu…comme quoi on peut changer d’avis. Archive aussi à la Route du Rock c’était très très beau.

Et si toi tu devais créer ton propre festival ? Un festival sur la mer ça ne serait pas possible ?

C’est vrai que tu me coupes un peu l’herbe sous le pied… Je pense que je ne serais pas loin de la mer, voire sur une île. Je reviens là d’un festival qui s’appelle Belle Île On Air, un petit festival qui est dans sa 9ème année avec une superbe atmosphère. J’ai découvert aussi la Douve Blanche, pas très loin de Paris vers Auxerre, un festival dans un Château qui fête sa 2 ème édition avec des idées de déco géniales et un bon accueil. Je ferais un mix des deux ! Je prendrais ce qu’il y a de bon à la Douve blanche et je le mettrais au bord de l’eau.

Un dernier mot à ajouter ?

Que tous ces activistes qui permettent à tous ces festivals d’exister continuent de faire la richesse du paysage musical. Les festivals c’est aussi ça, c’est proposer des artistes qu’on ne voit et n’entend pas forcément à la télé et à la radio. Cela montre vraiment le réservoir de talents et la vie culturelle qu’il y a hors de ces gros réseaux médiatiques qui ne sont pas des porte-voix pour nous. Ce n’est pas évident, c’est beau de voir que le public est au rendez-vous et qu’il y a une vraie effervescence autour de ça !

Propos recueillis par Josselin Thomas
Crédit photo : Alexandre Gosselet