Interviews
Faada Freddy : "Festivaliers, écoutez votre folie !"

C’est l’une des sensations musicales de 2015. Aucun instrument sur scène pour un live unique et totalement désinhibant. Rencontre singulière avec Faada Freddy, personnage à l’allure rayonnante, et où amour et partage règnent dans son idéal artistique.

Tous les Festivals : Salut ! Tu es depuis plus d’un an sur scène en tant que Faada Freddy, après avoir tourné pendant très longtemps avec le groupe de rap Daara J. Qu’est-ce que cela change pour toi  ?

Faada Freddy : Dans Daara J, je suis un chanteur soul, et si on me met juste à part, cela donne mon album Gospel Journey et moi en solo. C’est vrai que certains m’ont connu avec une guitare, mais là j’ai choisi de partir sans aucun instrument. Je suis passé de compositeur classique à compositeur de musique organique. La différence, c’est que tout l’album est intégralement sans instrument, et tout est basé sur la percussion corporelle et les voix. Je pense que c’est ce qui fait la distinction majeure avec Daara J Family. Mais le plus important était de rester moi-même, par rapport à mes ambitions musicales, c’est-à-dire faire une musique de partage, une musique qui soit le dénominateur commun des différentes cultures qui m’ont influencé, de la Nouvelle-Zélande à l’Inde, jusqu’aux USA et à l’Europe. Le dénominateur commun, c’est le corps, c’est donc pour cela que je me suis focalisé dessus.

C’est une musique que t’arrives à partager en festival ? Tu trouves facilement ce dénominateur commun avec les festivaliers ?

Ce qui est drôle, c’est qu’on ne sait jamais ce qu’il va se passer. En festival, tu peux venir devant un public qui ne te connaît pas du tout, et qui se pose pendant cinq minutes des questions. Où sont les instruments ? Mais j’entends du son ? Il y a une magouille quelque part ? Ca peut donc prendre du temps pour rentrer dans le concert. Le plus important est de montrer au public que ce concert lui appartient, qu’il lui est destiné, que c’est simplement un moment de partage pour qu’il prenne sa partition, car à chaque fois le public possède sa partition dans mes concerts. Et à chaque fois, il assure, et c’est ce qui fait la beauté d’une scène. Je ne suis pas un artiste qui fait de la scène pour être sous les projecteurs, mais je suis un artiste pour être un canal de transmission d’énergie. Si cela se termine en transe, ou dans le métro comme lors d’une de mes dates à Paris, c’est tant mieux. L’important est que tout le monde parte avec la banane, et avec le sentiment d’avoir été en famille.

Dans quel type de festival tu te sens le mieux pour faire passer cette énergie ? Dans un festival intimiste, style jazz, ou dans un festival plus grand et populaire ?

Quand j’ai joué devant le public de Johnny Hallyday aux Francofolies, c’était un public rock, et quand j’ai fini le concert les gens criaient “encore !”. Je me demandais si j’étais en train de rêver... car les rockeurs disaent encore ! (rires) On ne sait jamais à quoi s’attendre, le plus important est de donner de l’amour, et on ne se pose pas de questions. C’est vrai que souvent je suis surpris après les concerts, cela fait plaisir. Je pourrais faire mes concerts toute la nuit ! Heureusement qu’il y a des horaires en festival pour me calmer. Je suis bien avec tous les publics, tant qu’il ont envie de partager.

Tu as un souvenir qui t’a particulièrement marqué en festival ?

Un jour, je jouais aux Etats-Unis avec Daara J, et une fille au premier rang à retiré sa culotte et son soutien-gorge et me les a jetés à la figure ! (rires) J’ai rien compris, et j’ai regardé mon frère qui était à côté de moi, il m'a dit surtout de ne rien montrer, de continuer à chanter… mais j’avoue que des choses comme ça ce n’est pas fréquent !

Et donc tu as réussi à garder ton calme ?

Oui mais avant de garder mon calme, il y avait beaucoup de questions dans ma tête, comme savoir combien de litres de bière la fille s’était envoyée avant. C’est quand même une des histoires les plus drôles que je garde en souvenir !

Tu peux nous parler des festivals qui existent au Sénégal ? Tu en aurais à nous conseiller ?

Les festivals commencent à renaître au Sénégal, des choses qu’on n’avait pas vu depuis les années 60. Il y a un festival qui s’appelle les 72 heures, et un autre, le festival de Jazz de Saint Louis que j’adore. Saint Louis est une ville magnifique avec des gens magnifiques, des sourires sur tous les visages. Je pense que c’est un espace parfait pour des festivaliers. Récemment, il y a aussi eu le festival de jazz de Goré, il y a de belles choses à voir.

Selon toi, comment on fait venir des festivaliers européens en Afrique ? Certains festivals existent, mais ils sont organisés par des européenns pour des européens. Comment faire pour qu’un festival puisse exister et plaire tout en gardant l’identité du pays africains qui l’organiserait ?

Je pense que cela peut se faire. Ce n'est plus aussi simple qu'avant pour organiser un festival, même en France ou aux Etats-Unis. Les moyens manquent. Ce qui est important à savoir, c'est que souvent les investisseurs ont besoin de lobbys pour faire confiance aux festivals et s’investir, et les organisateurs de festivals ont besoin de recourir à des subventions, africaines ou d'ailleurs, mais à condition de garder leur autonomie culturelle. Les festivals aident à stabiliser le pays, et à encourager le tourisme et la culture. Dans des coopérations entre Europe et Afrique, il est intéressant de voir que des pays alliés ou frères pourraient contribuer à enrichir leurs festivals dans les deux sens, que cela soit en matière économique ou artististique, avec des échanges d’artistes. Je pense qu’ainsi on pourrait trouver un équilibre.

Aujourd'hui, on part une semaine au Sziget en Hongrie, un week-end en Floride pour Coachella. Un jour peut-être on ira une semaine en festival à Dakar ?

Personnellement, je rêve d’un festival qui ressemblerait à ce que je vis ici, au festival du Bout du Monde. Un festival qui n’est pas centré dans une capitale, où les gens ont le temps de découvrir la nature, comme le lac rose au Sénégal qui est très très beau, et aussi de pouvoir manger des poissons grillés devant la plage, et être dans la simplicité, dans la nature, où il n’y a pas beaucoup de voitures. Mais même si c’est en Afrique, je ne me déconnecte pas, et comme musique veut dire universalité, et musique veut dire toutes couleurs confondues, et même si j’organise un festival avec un nom africain, j’inviterais toujours des gens d’un peu partout pour pouvoir permettre aux cultures de se mélanger.

Une dernière question qui concerne nos amis festivaliers et campeurs …

J’ai déjà reçu quelques invitations pour aller dormir dans des campings !

… On aimerait que tu donnes quelques conseils. Nous avons lu dans ta biographie que tu avais construit dans ta jeunesse une guitare avec un pot de colle. On s’est dit que tu pourrais nous aider car beaucoup de festivaliers tentent de faire de la musique en tapant sur des poubelles avec quelques grammes dans le sang...  Quels conseils tu pourrais donner à ces musiciens en herbe ?

J’aurais deux conseils. Le premier, c’est de faire des percussions corporelles, cela tue l’ennui, et où qu’on soit on peut faire de la musique, parce que nous sommes en nous-mêmes des instruments. Le deuxième, c’est qu’on n’est pas obligé de suivre les instruments qui ont déjà été créés. On peut partir de n’importe quoi pour créer un instrument, c’est de faire preuve d’imagination. La nature nous offre tout ! Les guitares sont faites avec du bois… deux bouts de bois et cela fait un son, des seaux retournés et tu as la batterie. On n’est pas obligés de jouer avec les instruments standard. Chacun possède en lui un Mozart qui dort.

Tu encourages donc les festivaliers à faire de la musique sur des poubelles ?

Je leur demanderais d’écouter leur folie, car le jour où ils vont échanger leur folie contre les produits de consommation qu’on nous impose, ils perdront leur liberté. Yeah !

Propos recueillis par Morgan Canda et Victoria Le Guern
Photos : Morgan Canda