On était à
Les Escales : l’esprit ouvert pour une grande fête populaire

Déjà la 24ème édition pour ce festival unique en son genre, qui a pris sa vitesse de croisière depuis un bon moment et reste sur ses fondamentaux d’ouverture sur le monde, d’exigence et d’envie d’une grande fête populaire. Avec la scène chilienne en tête de proue, on embarque à nouveau pour un voyage aux saveurs multiples dans le port de Saint-Nazaire.

Jour 1. 18h40, nouvelles couleurs, nouvelles senteurs

Chaque année, l’arrivée sur le site portuaire porte une vraie part d’excitation à l’idée de découvrir sous quels atouts cet endroit va se présenter à nous. Car c’est peu dire que de souligner l’effort fait dans l’appropriation des lieux. Tout l’espace des Escales, des scènes aux espaces conviviaux occupés par les associations, prend les couleurs de la thématique choisie. Cette année, c’est Valparaiso et la bouillonnante scène chilienne qui sont à l’honneur. Cela promet une ambiance des plus colorées auquel un beau soleil donne déjà des airs de fête.

19h12, Premières rencontres chiliennes avec Pascuala Ilabaca

Belle et douce entrée en matière avec la fraîcheur et l’énergie souriante de Pascuala Ilabaca (photo). La jeune chanteuse et accordéoniste emmène son monde avec générosité, montrant comment, au fil des voyages et des retours au pays, on se réapproprie son patrimoine en lui insufflant des influences revigorantes. Baguenaudant avec curiosité dans les allées du site par la suite, nous retrouvons les repères inchangés qui font la réussite de ce rendez-vous estival, aux contours sudaméricains quand l’année précédente était turque. Proues de navire, parapluies colorés, fresques murales et, à la nuit tombée, projections numériques sur les façades des bâtiments portuaires, l’endroit est une bulle à l’identité marquée qui immerge avec légèreté. Du reste, la vie du festival se passe aussi largement en marge des concerts, dans les espaces de restauration, dans les multiples endroits où se poser, avec la proximité de l’eau comme indéniable bonus de ce joli soir d’été. Autant de facteurs qui expliquent, en cohérence avec la programmation, que la fréquentation des Escales demeure celle d’une fête populaire. On sort en famille, entre amis, dans un cadre à la fois nouveau et familier.

20h02, aux rythmes du Vaudou togolais

Parmi les changements de cette année, nous notons la nouvelle orientation de la scène qui longe l’entrée du festival, auparavant de côté et cette fois tournée vers l’intérieur du site. Cela change pas mal la donne pour les espaces de restauration et de boisson de ce côté là, où on ne  profite plus vraiment des concerts même de loin, assis sur une table ou au comptoir. D’un autre côté, ça ouvre un grand espace entre les deux grosses scènes qui facilite la circulation et donne sans doute un peu d’air au public. Sur scène, Vaudou Game (photo) séduit par son mélange afuté d’afrobeat, de funk et de soul vintage, de chants et percussions portant avec sourire et le déhanché qui va bien une musique très dansante. Peut-être un peu trop de blabla mystique par moments, mais l’accueil du public est enthousiaste, plus même qu'à Art Rock il y a quelques mois. Ici, entre vrais amateurs de musique du monde et néophytes complets, c’est l’ouverture bienveillante qui préside à l’ambiance.

20h46, à l’intérieur de l’Ascencor

Rebaptisé El Ascensor (photo) , l’espace intérieur au centre du site est toujours un endroit plus calme, où des concerts plus intimistes loin des grands raouts de plein air peuvent offrir de beaux moments. Là encore, nous découvrons des modifications dans l’agencement de l’espace, un peu vide par endroits à ce moment de la soirée mais qui permettront sans doute plus tard d’éviter l’engorgement constaté les années précédentes à ce point de passage. Là aussi, la déco est soignée et l’offre en boissons et restauration propose de nouvelles senteurs, des saveurs qui font voyager autant que la musique, finalement. A noter, tant qu’on y est, la propreté des sanitaires sur l’ensemble des deux jours, particulièrement appréciable en contexte de festival.

20h52, nourritures spirituelles aux saveurs chiliennes

Une des particularités des Escales est la multiplicité des approches dans cette invitation au voyage. Outre la cuisine et les concerts, le site accueille aussi une librairie avec des propositions de lectures là aussi au diapason de la destination choisie cette année. Pas sûr qu’on ait le temps de lire du Neruda au milieu de la foule mais il est possible de prolonger l’immersion chilienne en achetant ou découvrant de beaux ouvrages ou une sélection littéraire large et soignée.

Mais direction la grande scène dévolue aux grosses têtes d’affiche : le public est déjà nombreux à attendre Yael Naïm (photo). Dans un contexte moins intimiste qu'au festival Mythos, le répertoire et la prestation sont surprenants de constance et d’efficacité. L’impression de maturité et de maîtrise est la même, l’affect un peu trop prononcé aussi, mais la sincérité de la dame est manifeste et le public fait un bel accueil à cette artiste en mue.

22h20, le grand bal de l’Afrique enchantée

Avec une durée de set importante (une heure et demi) qui sied bien à sa démarche de bal festif, le concert proposé par Soro Solo et Vladimi Cagnolari se révèle un prolongement jouissif de leur émission de radio “l’Afrique enchantée” (photo), tout les étés depuis X ans sur France Inter. Comme ce petit bijou radiophonique qui fait découvrir toutes les richesses musicales et culturelles du continent africain, le bal est à la fois parfaitement servi par des musiciens très bons et par les interventions didactiques et souriantes des deux compères. Voyager dans l’histoire de ces musiques en dansant, pari impeccablement réussi. C’est aussi un signe parmi d’autres qu’au-delà des thématiques propres à chaque édition, l’ADN des Escales reste imprégné d’un rapport très proche à l’Afrique, au moins aussi présente dans la programmation que la scène chilienne.

22h24, Dans la fournaise de Jungle By Night

Autres retrouvailles avec le retour en terre bretonne des Hollandais de Jungle By Night (photo), claque à la fois au Bout du Monde et aux Nuits Secrètes la semaine dernière. Là encore, nous sommes impressionnés par la puissance de feu, la générosité et la pertinence de ces jeunes musiciens enjoués, inventifs, mixant toutes les influences avec un sens confondant du groove et du jouer ensemble. Du reste, le public ne s’y trompe pas, énorme enthousiasme pour ce qui restera une des claques de ces Escales, haut la main.

Le projet Caribbean Dandee Block Party porté par Joey Starr et ses complices se révèle, lui, bien décevant. Beaucoup de gens étaient pourtant, comme nous, très curieux de découvrir ce concert qui pouvait être quelque chose d’énorme. Finalement, on ne peut que constater la très grosse présence scénique de Joey Starr et à quel point les différents DJ connaissent leur affaire, mais la sauce ne prend pas. Reste l’impression d’une grosse machine qui tourne à vide, et sollicite sans arrêt une énergie du public, sans véhiculer quoi que ce soit de clair. On ne sait pas trop où on veut nous emmener et, comme beaucoup, on finit par descendre à quai.

00h11, dj corner et fin de soirée

Obligés de partir tôt, nous nous résignons à rater le punk chilien des Lafloripondio mais pas sans aller faire un tour vers la dernière scène du site. En bout de quai, chaque année les amateurs de dj set viennent goûter à l’écart de la foule un espace confié à des dj venus des pays invités. C’est un endroit tranquille, au bord de l’eau, où l’on vient danser ou se poser, avant de retourner (ou pas) dans le coeur du festival ou, pour ce qui nous concerne, quitter le port pour mieux remettre ça le lendemain. Pas de camping officiel pour un événement en coeur de ville, donc soit on dort sur place comme on peut, soit on fait la route pour retourner à notre chaloupe.

Jour 2. 19h13, nouvel embarquement à l’heure de l’apéro

Dans une foule déjà plus fournie que la veille, mais un peu moins dense que les années précédentes, nous allons écouter Dhaffer Youssef avant de déambuler dans les multiples allées du site. Outre l’espace de jeu pour enfants et adultes qui offre une autre position de repli en marge des concerts, nous arpentons les stands tenus par de nombreuses associations locales qui, chaque année, proposent une offre de restauration très diverse, à des tarifs généralement très abordables. Cuisine chilienne, créole, bretonne ou bien simple barquette de frites merguez, menus bio et local ou tout venant qui remplit, à l’assiette ou en sandwich, l’ensemble représente une offre d’une incroyable variété, mine de rien. Idem pour les boissons, du champagne à la bière bio, le vin ou les cocktails exotiques.

19h55, les atours débridés de Dakhabrakha

Quel plaisir de retrouver ces quatre Ukrainiens! Avec beaucoup de retenue mais tellement de générosité, sans artifices, Dakhabrakha (photo) inventive enthousiasme à raison partout où elle passe. La preuve que même en restant assis, on peut davantage mettre le feu qu’en gesticulant dans tous les sens, et que s’imprégner d’une culture traditionnelle (ceux là l’ont collectée et l’enseignent) ne génère pas du repli sur soi mais un enracinement qui rend confiant dans ses ouvertures sur d’autres identités. Les Escales ont également par le passé vu se produire tout ce que l’Afrique a de grands noms de stature internationale, aussi bien de la scène actuelle que des formations mythiques. Cette année la grande scène accueille les Ambassadeurs Internationaux, groupe phare de l’Afrique de l’Ouest du tournant des années 1970-80. Emmené par Salif Keita et notamment Cheick Tidiane Seck et Amadou Bagayoko (Amadou et Mariam), le collectif offre un show plaisant mais un peu lisse, comme ceux, il y a quelques années, d’autres formations world internationales (Cesaria Evora ou Alpha Blondy, pour ne citer qu’eux).

22h10, la fièvre soul s’empare du port

L’album Milk & Green sorti en 2014 avait montré une belle rencontre entre l’excellent combo français Malted Milk et la légende soul américaine Toni Green (photo). Sur scène, c’est plus que convaincant : la grande classe. Impeccable, le groupe sert une chanteuse dans la pleine maturité de son art, avec une voix qui n’a rien perdu de son grain et de son phrasé claquant et sensuel. Le répertoire enchante entre classicisme et fraîcheur, avec un groove imparable et des arrangements soignés. Un beau moment, atemporel.

23h28, Groundation toujours impressionnant

Autre rendez-vous incontournable de cette édition, la venue des américains de Groundation (photo), que nous n’avions pas vus depuis un moment. Eh ben, c’est toujours aussi bon. Ce savant mélange de reggae roots matiné de jazz et de dub, emmené par un Harrison Stafford en grande forme et un groupe à la fois très pro et malgré tout impliqué, énergique, a une fois de plus fait ses preuves. Peut-être pas la grosse machine festive qu’on aurait attendue en ce coeur de soirée, et sans surprise pour les gens qui connaissaient déjà, mais un beau moment quand même.

23h52, et les Chiliens dans tout ça?

Pour un peu, on en aurait un peu oublié les invités de cette 24e édition. Moins de grands noms connus du grand public, mais de belles découvertes à faire, notamment sur la scène intérieure de l’Ascensor. S’y produisaient à plusieurs reprises pendant ces deux jours deux formations radicalement différentes. D’abord, La Isla de la Fantasia, groupe rencontre entre jeune génération et vétérans de la chanson populaire chilienne dont c’étaient les premiers concerts en dehors de leur pays. Ensuite, les détonnants Poder Guadaña (photo), combo hybridant toutes sortes d’influences (cumbia, salsa, hip-hop, électro, punk…) pour en faire une musique explosive, joyeuse et débordante d’énergie.

00h45, fiesta nocturne

Les deux derniers groupes que nous avons vus et entendus représentent, eux aussi, toute la vivacité et le foisonnement d’une scène chilienne des-inhibée, ouverte et curieuse. D’abord les Chico Trujillo qui, très attendus, n’ont pas déçu et mis le feu pendant plus d’une heure au son de leur cumbia chilombiana endiablée, devant un public en liesse totale. Leur a succédé la jeune garde de Lasmala Banda, composée d’une multitude d’individualités, d’origines et d’influences, sans la maîtrise de leurs aînés mais en en tout cas portée par une belle énergie sur scène. C’est d’ailleurs sur leurs compositions métissées et dansantes que nous avons quitté les lieux, dans une ambiance festive et sereine, à l’image de ces deux jours de voyage au large.

Le Bilan

Côté concert

La claque scénique
Jungle by Night, ils sont jeunes, beaux, et surtout très bons .

La déception
Caribbean Dandee, tout ça pour ça?

Le moment festif et dansant
Le grand bal de l’Afrique enchantée, généreux, enthousiasmant

L'envoûtement
Dakhabrakha, simple et efficace, touchant et joyeux.

Les classique convaincants
Malted Milk & Toni Green et Groundation, sans surprise mais tellement bien.

Côté festival

On a aimé : 
- Le changement dans la continuité dans l’identité du festival, fidèle à lui même et toujours renouvelé 
- L’ambiance populaire et tranquillement festive, l’aménagement des lieux convivial et propice au voyage;
- La grande diversité de l’offre de restauration ou de boissons, il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets
- La propreté du site, et notamment des toilettes

On a moins aimé :
- le son parfois approximatif sur certains concerts
la frustration de devoir “picorer” d’un concert à l’autre quand il y en a deux en même temps

Conclusion

Cette fois encore, pari réussi pour un festival qui n’en finit pas de se réinventer, à la fois très accessible et pointu. Le public a pu profiter de deux belles soirées aux accents des musiques du monde, avec davantage d’espace que les années précédentes, sans qu’il soit possible de dire si cela tient aux changements d’aménagement de l’espace ou à une baisse de fréquentation. Moins de découvertes ou de concerts étourdissants peut-être, mais toujours de beaux moments et une ambiance dont la qualité ne se dément décidément pas d’année en année.