On était à
Mythos, onirisme printanier dans la ville

C'est déjà la 19ème fois que Mythos prend possession de Rennes une semaine durant. Il convoque et fait cohabiter des propositions artistiques variées dans un cadre enchanteur, celui du Cabaret Botanique, un Magic Mirror établi au parc du Thabor. L'événement, jadis ancré dans le conte et les arts du verbe, s'affiche désormais comme un « festival des arts de la parole » où la musique est reine. Il reste un rendez­-vous annuel au coeur de la ville, avec son identité unique et ses moments privilégiés.

Jour 1. 20h10, bienvenue au Thabor

Bien que proposant des spectacles en périphérie de Rennes, le ventre du Mythos est bien ancré dans les jardins du Thabor, avec autour du Cabaret Botanique, tout un espace voué à la détente dans une ambiance nocturne des plus chaleureuses. Planchers, guirlandes lumineuses, transats, bulbes lumineux géants, c'est un endroit convivial où se retrouvent tous les soirs de la semaine des tas de gens qui ne viendront même pas au spectacle mais partageront la soirée autour d'un verre.

20h42, retrouvailles impeccables avec Miossec

C'est au Brestois d'ouvrir les hostilités de cette première soirée avec un concert qui marque lui la fin d'une belle tournée. De fait, Miossec (photo) et ses musiciens, déjà vus à Rennes au début de celle-­ci, se montrent ce soir avec toute la maturité et l'aisance d'un gang qui a bien rôdé son répertoire et le laisse respirer, vivre, s'offrir. Un très beau concert, où l'on retrouve un artiste humble désormais moins rêche et rock, plus maîtrisé et arrangé, mais qui chante de nouveau, qui véhicule des choses et met de l'intention dans son verbe, sans la ramener. Seule déception : les « invités » à qui Miossec a laissé les clés de la scène le temps d'un titre chacun, sans aucune interaction avec eux.

Jour 2 . 20h50, les contes débridés de François Lavallée

La spécificité de Mythos : faire se succéder dans le même lieu et dans la même soirée concerts et spectacles autour de la parole. Revenus ce mercredi soir sur les pelouses du parc, nous écoutons d’abord le Québecois François Lavallée (photo) qui conte, avec truculence et originalité, ses histoires d'outre­ Atlantique, histoires de famille, bribes de chansons, sons et mots de là­ bas. Nous aurons eu le plaisir de la découverte, simple et joyeuse, d'une personnalité et d'un propos qui sait tenir son monde et emmener là où il veut, d'une ferme au fond de la mine, de la sinistre condition d'un homme qui a tout perdu au délire le plus fantasque.

22h55, Arthur H et nous, dans la soucoupe volante à facettes

Artiste en mutation permanente depuis quelques années, Arthur H (photo) était d'emblée chez lui au Cabaret Botanique : un cadre convivial et qui nous emmène tout de suite ailleurs, dans une bulle qui ne demande qu'à prendre les contours de l'univers sonore qu'elle accueille. De fait, très à l'aise, le musicien livre un concert sûr de lui, généreux et terriblement groovy, sans en faire de trop. Avec un naturel désarmant, il emmène tout le monde dans sa soucoupe volante et ses compositions protéiformes, sans qu'aucune outrance ne semble autre chose que ce qu'elle est : l'expression d'une personnalité souriante et décomplexée.

Jour 3. 18h25, Apéritif et découvertes

Dans cette fin d'après midi printanière, le Thabor accueille Cabadzi, un groupe assez inclassable et porteur d'une fraîcheur qui fait plaisir à voir. Des musiciens très complices, impliqués, bien en place, qui osent aller piocher partout de quoi faire un tout, servi par le propos plutôt convaincant du chanteur/slammeur. Un bonus en acoustique sur la fin, jolie découverte en guise d’apéritif.

Changement de lieu pour le théâtre de la Paillette, avec la pièce Münchhausen, portée par la performance très convaincante de Benoît Hattet. Nous prenons le temps de boire une petite bière, seulement une bière car l’offre culinaire est chère, si ce n’est deux sandwichs non végétariens à 7€.

23h10, Charlie Winston à l'aise dans l'arène

La principale déception de la soirée restera qu'aucun Rennais n'ait pensé à amener une pancarte « Je suis Charlie ». Une fois le deuil fait de cet espoir puéril, on se demande ce que fout un artiste aussi mainstream que Charlie Winston (photo) dans la programmation d'un festival comme Mythos. Mais les premières minutes du concert effacent tout doute. On l’attendait électro, le voilà en trio avec un set aux arrangements dépouillés, directs, et une vraie proximité avec le public. Les titres s'enchaînent, le bonhomme est convaincant, spontané, loin du côté « sympathique » tellement professionnalisé qu'on connaît chez tellement d'autres. Voix séduisante, jeu de guitare percutant et efficace, il rend anecdotique le caractère consensuel des compositions. Et ça marche dans un cadre aussi chaleureux que celui du Cabaret botanique.

Jour 4­. 21h23, Nicolas Rey et Mathieu Saïkaly, récits parmi nous

Installés au milieu d'un public assis en rond autour d'eux, un duo improbable (photo) pour des lectures musicales : l'écrivain Nicolas Rey et l’un des derniers vainqueurs de la Nouvelle Star, Mathieu Saïkaly. Ennuyeux ? Convenu ? Lisse ? C'était compter sans la malice et la complicité de ces deux là, et la pertinence dans le choix des lectures comme des chansons ornant ou illustrant par petits bouts des extraits de nouvelles, romans ou successions d'aphorismes percutants. Sur des musiques aux teintes folk empruntant au répertoire anglosaxon et francophone qui jouent la carte de la madeleine instantanée dans le public, on entend du Bukowski, McLiam Wilson, Carver... L'ensemble est drôle, très sexué, faussement désinvolte et très bien emmené. Une belle réussite qui, comme d'autres moments de ce type, apportent de la fraîcheur et un côté très accessible et joyeux à cette approche des « arts de la parole » que se propose de valoriser Mythos.

23h20, Yael Naïm princesse d'un soir

Comme la veille, le public était nombreux à venir retrouver une artiste bien connue. Un cadre intimiste pour une heure et demi de concert, loin des formats courts de nombreux festivals. En l'occurrence, pour quelqu'un comme Yael Naïm (photo), dont le répertoire et le registre a beaucoup évolué, et dont la personnalité s'accommode bien de prendre le temps d'expliquer, de dire, ça laisse de l'espace pour inclure tout le monde dans sa bulle. Souriante, pleine d'une maturité et d'une palette agrandie, la chanteuse et son groupe offrent un concert plein d'une identité à part, porté par une voix splendide et affirmée.

Jour 5. 20h56, les tribulations verbales d'Arthur Ribo

Dans l'après midi, dans la ferme de La Touche à Ercé­-près-­Liffré, balade onirique dans l'univers mental d'un boucher de campagne. Déambulation surprenante et petits moments poétiques comme une parenthèse bienvenue avant le retour à la ville prévu en soirée.

Un festival en semaine, c'est à la fois étrange et agréable. On s'y donne rendez­-vous après sa journée de boulot et on s'offre ainsi un moment agréable pour ponctuer la fin de journée. La soirée commence bien, avec là encore une expérience attrayante et convaincante dans le registre de l'oralité : Arthur Ribo (photo), accompagné d'un camarade musicien complice et très inspiré, donne dans la chanson/slam d'improvisation. On écrit en début de spectacle un mot sur un bristol, tout est mis dans une corbeille et le gars en sort trois, cinq, sept mots et se lance. Il développe des compositions spontanées sur le fil, toujours au bord du bricolage mais souvent avec humour et, ce qui est plus surprenant, malgré tout du fond, des choses à dire. De même, on pourrait craindre de se lasser de l'exercice mais Arthur Ribo a aussi le sens du rythme dans la conduite du spectacle et à aucun moment on ne se lasse, tant il varie les approches, joue et rebondit. C'était une des découvertes que nous attendions, et c'était tout sauf décevant.

22h46, Faada Freddy et la fièvre soul

La suite de la soirée accueille une programmation labellisée « Saturday magic fever ». Faada Freddy (photo) ouvre le bal : rien que des voix et des percussions corporelles. Là où on pouvait s'attendre à un rebrassage de Bobby McFerrin avec le spectre du syndrôme « Pow Wow », on découvre un chanteur sénégalais absolument époustouflant. Et avec, mine de rien, une armée de cinq chanteurs/percussionnistes derrière lui. Un sens du groove et des voix magnifiques, puissantes, une belle présence scénique, des compositions et une implication physique impeccables, et le public est littéralement emporté, enthousiaste et en redemande. Impressionnant.

Les suivants usent d’artifices beaucoup moins convaincants : VKNG mériterait d'être revu tant il a pâti du ressenti du groupe précédent, utilisant les grosses ficelles du groove imparable et du gros son qui balance les hanches quand d'autres ont su taper juste sans avoir recours à ce modus operandi. S'en est donc suivi un retour prématuré au bar, où l'on s'est étonné du prix faramineux des softs (2,50 euros pour un gobelet de coca...) et de la tentation d'en revenir au programme bière initial.

00h55, Saturday Night finish 

Vus et adorés l'été dernier aux Escales de Saint­-Nazaire, l'orchestre national du Kadebostany revient ce soir dans un cadre nettement plus intimiste. Pop technoïdes teintés de rap, de rock et de fanfares, on retrouve avec plaisir l'outrance assumée des arrangements et les clins d'oeil aux codes des dictatures. Une prestation un brin en dessous, avec un public qui eu du mal a rentrer dans le délire, malgré l’impressionnante présence de la chanteuse.

Pour le final, nous attendions avec impatience la performance de Rebeka Warrior en formule DJ set pour Sexy Sushi (photo). Un peu trop. Pas vraiment d’identité, et une musique servie à un public capable de tout accepter à cette heure tardive. Conscients d'être peut­-être passés à côté du truc, nous sommes repartis de cette cinquième soirée avec la sensation amusée que décidément les attentes a priori sur une programmation sont parfois démenties par les faits.

Jour 6. 20h50, bagnards célestes et bals perdus pour Sanseverino

Dimanche soir, dernier jour du festival. Familles et amis occupent tranquillement le parc en attendant le début du concert. A l'intérieur, c'est dense et bon enfant, on attend manifestement avec sérénité ce qu'on devine être un moment à la hauteur. Et quand Sanseverino (photo) débarque avec ses musiciens, on sent d'emblée qu'il n'y aura pas de déception à l'arrivée. Le bonhomme n'a pas changé, sait s'entourer de gars qui lui ressemblent. De la première partie très cajun qui narre les (més)aventures de Papillon le forçat à la seconde, plus débridée et pleine de jolies reprises, on a droit à un concert généreux, où les musiciens font vivre et respirer leur répertoire.

23h47, le grand bal retrouvé

Finir la semaine par un bal populaire (photo) dans un festival qui ne l'est pas tant que ça - eu égard aux tarifs des concerts et de la fréquentation un peu bobo rennaise-, c'était une très bonne idée. Faire danser les gens sur des standards des pistes de danse avec un orchestre live, pour clore ces six jours de programmation, ça avait du sens. Reste que beaucoup de gens ne sont pas restés jusqu'au bout ou n'ont pas adhéré au truc. Il y avait de la place sur la piste de danse du Magic Mirror, où enfin la boule à facettes géante s'activait à plein régime. Plaisir spontané et immédiat de se déhancher sur un tube inscrit dans la mémoire collective, petites senteurs de bal d'été, dernières bières du dimanche soir... Allez, cette fois c'est fini, on rentre dormir. Demain, il n'y aura plus trace de tout cet univers temporaire.

Côté concert

La découverte
Cabadzi, un charme insolite, une identité en devenir.

La claque scénique
Faada Freddy, impressionnant de qualité et de groove.

La jubilation du jeu avec la langue
les beaux moments drôles et (im)pertinents offerts par Arthur Ribo d'une part, par Nicolas Rey et Mathieu Saïkaly d'autre part.

Le concert qui tient ses promesses
Miossec, juste, épanoui, rendu à lui même.

L'artiste qu'on ne se lasse pas de retrouver
Sanseverino, une identité qui se décline avec bonheur dans tous ses projets.

Côté festival

On a aimé :

- le cadre superbe et onirique installé dans le Thabor, et celui du Cabaret botanique plus particulièrement ;
- la programmation équilibrée, bien structurée pour proposer des rencontres et des découvertes à des gens qui ne viendraient qu'en terrain conquis, ainsi que le caractère très accessible de la plupart des spectacles ;
la cohabitation musique/spectacles autour de la parole sous toutes ses formes ;
-
 le temps et l'espace laissés à chaque artiste pour développer son univers et son répertoire ;

On a moins aimé :

- les tarifs : des spectacles, des boissons, de la nourriture. On dira ce qu'on voudra, ça crée tout de suite une sélection dans le profil du festivalier moyen et ça met hors de portée des spectacles pourtant capables de plaire au plus grand nombre. ;
- toujours dans le même registre, la proposition en restauration qui se limite au choix entre deux sandwichs chers (et pas végétariens) et un menu de restaurant gastronomique (et pas végétarien). A quand une offre plus populaire ?

Conclusion

Depuis ses débuts, Mythos a bien changé. D’un festival orienté arts de la parole on est passé à un évènement où les concerts se taillent la part du roi, mais font office de produit d'appel pour amener les gens à découvrir des propositions artistiques inédites et séduisantes autour du théâtre et de la poésie. Le festival est à la hauteur de ses ambitions et demeure avec intelligence un rendez-vous paisible et enthousiasmant d'un printemps dans la ville.