On était à
Solidays, la passion retrouvée

Ce festival et nous, c’est comme un vieux couple. Cela fait plus de dix ans que nous nous connaissons : un amour certain, une passion délicate, quelques infidélités, puis finalement, on y revient. 2017, l’année d’une frénésie reconquise ? On vous raconte nos trois jours de festival aux portes de la capitale.

Jour 1. 20h, Herbe haute et tour du propriétaire

On se dirige vers Porte Maillot dans l’idée de prendre les navettes jusqu’au festival, bien sûr à cette heure-ci on est nombreux à avoir eu la même idée ! On opte donc pour une solution plus douce, sans queue ni piétinement : une balade dans les bois de Boulogne, bière à la main, sous le soleil couchant. Mises à part les fréquentations plus ou moins douteuses des alentours on a quand même fait la rencontre d’un jeune garçon qui nous demandait des conseils pour entrer dans le festival sans payer. Bon courage à lui, on espère qu’il a pu passer par dessus les grilles. Une heure plus tard, nous voilà arrivés. Ayant choisi de faire un break, nous avions laisser le festival buttiner avec d’autres l’an dernier. Et Solidays avait avancé dans notre dos : 5 hectares en plus, des scènes repensées, des espaces de détente supplémentaire et quoi retrouver laisser penser facilement dès maintenant à des retrouvailles réussies.

21h25, retrouver nos premiers émois

Après avoir repris nos marques, on se rend compte que le temps est passé très vite : les concert de La Femme et Boulevard des Airs sont déjà finis, mais on profite de quelques rythmes entrainants de Rocky et de la voix grave de leur chanteuse pour commencer à se trémousser. On continue notre chemin direction la grande scène pour assister à notre premier vrai concert de la soirée, Wax Tailor. Un peu trop rodé à notre goût, on aime, mais on s’en lasse un peu, déçu face à ce moindre effort. Non, nous ne sommes pas une conquête déjà acquise. Avide d’être désiré, on se lâchera totalement sur le concert electro-oriental d’Acid Arab, à la fois intimiste et musclé, fédérateur et itinérant.

23h52, comme un air de déjà-vu

Après ce bel échauffement musculaire, on continue avec The Prodigy. Avec eux, c’est un peu la même chose depuis toujours : après la découverte de la violence jouissive des premiers concerts, on se contente d’un bon missionnaire, d’aller-retours calibrés entre anciens et nouveaux titres, appréciant par moment quelques touches bien placées pour pimenter l’exercice. C’est bon, mais pas assez : les gars ont pourtant les moyens de nous en mettre pleins les dents. Suivra Vitalic sur la scène Bagatelle, pour un set pas assez tonique à notre goût, style demi-molle, et nous laisse sur notre faim. On tope une bière sur le chemin - 6,5€ la pinte d’HK, 3,5 le demi -, nous arrêtant quelques instants pour apprécier Lucille Crew.

02h04, danser et respirer

On se cale au fond de la scène Domino pour DJ Pone (photo), l’un des cadors des platines du moment. C’est plutôt chill et dansant, sans trop de folie. Les deux scènes du programme nuit étant côte à côte, les sons se mélangent parfois au milieu en créant un sympathique brouhaha. Mais rien ne vaut d’avoir des scènes ouvertes comme celles-ci, beaucoup moins étouffantes que les anciens chapiteaux.

02h54, nourrir notre corps

Il est tard, et nos ventres souffrent le martyr. De nombreux food trucks sont alignés non loin de là, aux odeurs plus qu’alléchantes : on se laissera tenter par un souvlaki au poulet citronnée, alors qu’on ira toper un savoureux grilled chesse le lendemain. Il y a des burgers classiques, gourmets, mais pas mal d’autres propositions : foccacia, fish and chips... Le seul soucis, c’est cher : 10 euros voire plus pour un sandwich. Le ventre plein, retour vers Paris grâce aux navettes, pour un service toujours aussi efficace.

Jour 2. 17h12, faire front commun

Faire battre le coeur de notre couple est une chose, celui de notre société en est une autre. C’est le rôle que se donne le Forum Café tous les ans. Après avoir “repensé la démocratie” avec la philosophe Cynthia Fleury, c’est la moustache la plus célèbre de France qui arrive sur la petite scène pour 18 minutes de speech, top chrono. Edwy Plenel (photo) est venu nous parler de nous, de ne pas céder devant la crise d'identité qu’on cherche à nous imposer, et de se rappeler de l’Histoire pour ne pas hésiter à aller vers l’autre. Facile d’être d’accord, important de le rappeler et de le formuler si limpidement. Juste à côté, le stand de la région Ile-de-France propose coiffure et maquillage minute par des lycées pro. Belle initiative.

18h00, ne pas mélanger le blanc et les couleurs

Dans un joli désordre, la Color Party (photo) explose sur la grande scène. On reste pour regarder le spectacle. En parcourant quelques stands, on se retrouve piégé à ne pas pouvoir acheter certaines choses, tous les stands ne prenant pas la carte bleue. Ne serait-il pas temps d’avoir un compte commun cashless, Solidays ? Sous le Dôme, on retrouve Féfé qui balance sa joie de vivre comme à son habitude. L’ambiance est plus paisible, assis dans l’herbe, aux sons du groupe accompagnant Ibrahim Maalouf. Enième aller-retour, on échoue devant Isaac Delusion après un passage à la Beer Factory pour toper une IPA goût Heineken. Le groupe français trace quand à lui sa route après le succès de sa première tournée : pour nous, la frénésie de la première fois n’est pas là, mais la beauté d’une belle relation musicale est plutôt bien engagée.

22h12, se parler franchement

Après un tour au bar Métal, on tente House of Pain. On n'a plus trop le courage d’aller jusqu’à la grande scène pour Archive. Comme l’impossibilité de zapper devant sa télé, de changer de chaîne même quand le programme ne vaut pas vraiment le coup, ce qui fut le cas avec House of Pain. On attend tranquillement la prochaine étape : tel un boxeur sous le regard de Mohamed Ali, Kery James (photo) entre sur le ring du Dôme. Direct du gauche dans nos tripes, le rappeur saisit la foule nombreuse et compacte prête à en découdre. Nous voilà totalement galvanisés, tête en mouvement, poings et mains en l’air, le coeur saignant et saigné par ces textes puissants et criant de vérité. Sans doute l’une des plus belles plumes du moment, avec l’ambiance qui va avec : se dire les choses clairement ne nous a jamais fait autant de bien.  

23h52, rouge comme des betteraves

Après l’incontournable hommage aux bénévoles au son de Gloria Gennor, The Bloody Beetroots (photo) entre en scène. Le groupe masqué propose une en version live, guitare et batterie chauffées à blanc, pour un son sans fioriture, à la frontière du hard rock et de l’électro. Un pari de vérité réussi pour leur retour après quelques années d’absence. Les nuits sont froides après le soleil rouge de ces derniers jours, et nous sommes bien contents de nous blottir tous ensemble dans ces danses païennes qui nous défoulent.

01h28, juste une dernière danse

Après le défoulement, le repos. Que de mieux qu’un verre de vin rouge pour continuer l’aventure ? Direction la guinguette (photo), endroit rétro hors du temps du festival, dans une grande halle en bois, au coeur d’une forêt illuminée de lampions rassemblant lieux de détente et tables de ping-pong en palettes. La journée, une petite scène pointe son nez à l’entrée. Apaisés, nous sommes prêts à tout lâcher pour la fin de la soirée : après quelques ballades de Clément Bazin, Dirtyphonics balancent tout simplement du gras. Reste plus qu’à sauter dans tous les sens, avant de (presque) redevenir plus calme devant Boris Brejcha.

Jour 3. 14h31, nous faire respirer

Dernier jour. Dernières graines d’énergie disponibles, que l’on commence à aller disséminer au village des solidarités. Il y a deux ans, cet espace était sous un chapiteau au coeur du festival. Un peu trop excentré pour symboliser toujours autant le coeur du festival, il n’en reste pas moins incontournable pour nous. Des conséquences sur sa fréquentation ? Peut-être. On y retrouve quand même toutes les associations habituelles, proposant des activités ludiques pour lutter contre les discriminations, pour les droits de l’homme ou encore l’accueil des réfugiés. Juste à côté, le Kiosque propose quelques réjouissances musicales dans une atmosphère détendue, familiale et intimiste.

15h45, partir très loin

Aux sons révolutionnaires des Bella Ciao et Hasta Siempre de la troupe des Motivés, on s’installe sous les tentes berbères du bivouac, voyage onirique avec poufs, petites tables et chicha sur le sable chaud, quand d’autres se permettent d’y ajouter des cônes d’herbe qui sent bon l'origan. Pour nous, ce sera pastèque, sieste et thé glacé. Après un passage à l’expo Happy Sex, on ira ensuite découvrir Lyre le Temps, suivant la route classique de l’électro-swing fonctionnant plus que bien en festival.

18h05, solidaire, mais jusqu'où ?

Le patchwork des noms commencent, et le temps d’arrête. Plus aucun concert ne résonne. Une pause, une réflexion sur le passé pour mieux préparer l’avenir, se souvenir des morts du sida pour mieux s’attaquer et éradiquer le virus du VIH. Le leitmotiv de Solidays cette année était le “0,7”, prolongeant l’appel du Printemps Solidaire : avant chaque live, les écrans géants enchaînaient les discours de nos anciens présidents - souvent copieusement sifflés, surtout le plus petit - s’engageant à dépenser 0,7% du PIB de la France pour l’aide publique au développement. Une promesse jamais tenue depuis plus de 25 ans. Alors, Emmanuel, à ton tour… on va se mentir encore combien d’années ?

19h19, entretenir les articulations

Restez en forme dans un couple, c’est essentiel. Surtout quand l’un propose à l’autre de s’occuper de lui gratos. Nous avions fait un détour par la Greencorner quelques heures plus tôt pour nous réserver 20 minutes de soins : ostéopathe pour l’un et chiropracteur pour l’autre, le craquement de nos articulations accompagnent la douceur d’Imany sur la grande scène. Des bénévoles aux petits soins, s’intéressant autant à nos corps qu’à nos vies.

20h02, un dernier train nommé désir

Après une pause aux saveurs des Fatayas au boeuf au Sénégal et d’un verre de cidre, c’est Vald qui vient nous chatouiller les papilles. Du bon gros délire à base de punchlines saignantes : ca nous amuse 30 minutes, mais on préfère aller danser et partager quelques sons au Silent Disco. Malgré une demi-heure de retard, le duo belge Soulwax saura garder notre attention avec leurs mix innovants au milieu de trois batteurs. Un son singulier qui se distingue de la norme électro du moment. Moins envoûtés par Electro Deluxe, on avance vers le César Circus pour s'imprégner de la rage de Last Train. Enfin du rock, du vrai, du brut, un déchaînement de guitare et de cuir. En attendant une plus grande scène bien mérité.

22h55, le bal du Mali enchanté

C’est Lamomali (photo) qui est chargé de conclure. Jamais facile. Voilà Matthieu Chedid parti du côté du Mali pour nous compter son aventure rassemblant notamment sur scène Toumani et Sidiki Diabaté, maître de la chora et de la musique malienne. Un magnifique spectacle, beau, tendre, bienveillant, sans frontières, dansant et rythmé, superbe métaphore de ce que nous avons vécu à Longchamps. Ce bal de Bamako est enchanteur. On reprend notre route sur une reprise entonnée en coeur par tout le public de “sauver l’amour” de Balavoine. Sauver notre amour, Solidays ? Je pense que nous sommes sur la bonne voie.

Le Bilan

Côté concerts

La claque
Kery James, puissant et intelligent

L’amour pour tous
Lamomali de -M-, un final enchanteur

Les platines aux mains d’argent
Acid Arab et Soulwax, deux styles différents pour deux sensations du festival

Coeur brut
Last Train, une fougue juvénile toujours aussi puissante

Petits coups de mou
Wax Tailor et Vitalic, on attend plus de vous les gars, vous pouvez soulever les foules.

Côté festival

On a aimé :
- Une solidarité portée à chaque instant du festival
- Un choix pléthorique pour manger, même si beaucoup de propositions sont chères
- De nombreux endroits de détente au coeur du festival festival (Ginguette, bivouac, green corner, espace solidarité …), et un sentiment de ne jamais se sentir étouffé par le monde.  
- La déco sous forme de palette un peu partout dans le festival

On a moins aimé :
- Pas de cashless, et pas mal de stands n'acceptant pas la carte bleue.
- La bière totalement sous contrôle de Heineken. Pourquoi pas un peu de solidarité avec les micro-brasseries de la région parisienne ?
- Un village des solidarités trop excentré
- Une fréquentation en baisse. Et si au final, ce n’était pas tant une mauvaise chose ?

Conclusion

On s’aime, on ne s’aime plus, on se quitte, on se retrouve. Solidays sait toujours comment nous (r)attraper par les sentiments. Même si la fréquentation de cette année est largement en baisse, le festival sait garder et chouchouter ses fidèles, fier gardien de l’esprit solidaire et rebelle qui fait son ADN. La flamme est plus que jamais vive, à nous de l’entretenir, maintenant.

Un récit de Morgan Canda et Victoria Le Guern
Photos de Morgan Canda