On était à
Les Femmes s’en Mêlent, festival aux voies multiples

Depuis 1997, Les Femmes s’en Mêlent met les voix féminines sur haut-parleur. A sa création, ce n’était (qu’)un rendez-vous sur la journée du 8 mars pour militer pour les droits des femmes… et remettre les musiciennes sur le devant de la scène. Aujourd’hui, le festival est devenu itinérant à travers toute la France, la Belgique et la Suisse, avec trente-cinq artistes dans vingt-neuf salles différentes. On a voulu nous aussi découvrir le rendez-vous qui a contribué à faire émerger Christine and the Queens et M.I.A. : on était de passage pour quelques dates à Paris, on vous raconte.

Jour 1. 19h45,  mélodie, tempo, harmonie

Alors que le festival entame sa troisième soirée parisienne, on attrape le train en marche direction le Divan du Monde. Ce soir pour ouvrir le bal, on retrouve Pi Ja Ma (photo, à droite) dont on avait déjà croisé le chemin à Nouvelle(s) Scène(s) quelques semaines plus tôt. Comme le festival, elle aussi n’a que la vingtaine, et pourtant son projet semble déjà bien mûri : un univers bien singulier à la fois pop, folk, mignon et sauvage. Un côté Cat Power, un côté La Femme, et même un quelque chose de Brigitte, quand elle et sa bassiste chantent en choeur. On salue aussi la présence de la batteuse qui remue sa crinière et son public dans le fond de la scène. A la fin du concert, on découvre le second talent de Pi Ja Ma : illustratrice, elle dessine sur ses vinyles en guise de dédicace.

20h45, une chanson (trop) douce

Pour continuer la soirée, on s’invite chez Madame Arthur, tout à côté du Divan du monde : le changement de salle se fait sans passer dehors, et le concert s’enchaîne sans attente pour notre plus grand plaisir. On se laisse emporter quelques temps par Itasca (photo) dans un road trip californien folk et doux, on se pique de curiosité pour la “steel guitar” qui accompagne les ballades hawaïennes, mais très vite on se dissipe. Le groupe reste assez passif, bien plus que le public dont le brouhaha couvre rapidement la voix de la chanteuse. On attrape une pinte à 7 euros et on s’éclipse dans le fumoir chic et rococo du bar. On rattrapera la soirée au Divan avec les danois Lowly. Voix aériennes boostées à l’auto-tune, sonorités très texturées, l’ambiance est aérienne et vaporeuse, presque christique. Tout est là pour nous envoyer dans les étoiles, même si on reste finalement un peu distants.  

22h10, la voix est libre

Après un crochet rapide chez Madame Arthur où le projet mi-electro mi-chanté de Vale Poher captive le public, on rejoint celle qui sera le coup de coeur de notre soirée. A première vue, rien ne l’annonçait : sur scène, deux claviers, deux voix et un guitariste en chaussettes. Mais quelques minutes suffisent à l’islandaise Soley (photo) pour nous propulser dans son univers nordique et nous faire frissonner de plaisir. Sur les claviers aux effets de reverb vient se poser la voix de la chanteuse au timbre singulier et à l’accent attachant. Entre deux chansons, elle nous raconte l’histoire de l’album, Endless Summer, entre anecdotes, expérimentations et invitation au voyage, le tout avec humilité et plaisir non dissimulé.

00h01, je veux juste une dernière trans

Alors que l’on croyait la soirée finie - d’après le programme en tout cas - on est invité à rejoindre la troupe de Madame Arthur pour une dernière danse. Notre billet d’entrée au festival nous offre une fin de nuit format cabaret-transformiste avec notamment Miss Morian (photo). Sur scène, un pianiste et ses trois groupies (dé)sappées comme jamais qui se succèdent en ré-interprétant des grands titres de la chanson française. Dans la salle, un public chauffé à blanc qui chante à tue-tête et frappe ses mains au rythme des mouvements de bassins des artistes. Plusieurs fois, les travestis viennent titiller un ou une heureux-se élu-e dans le public, grimpent avec leurs talons aiguilles sur les tables du bar : l’ambiance est franchement bon enfant et la fête bat son plein jusqu’aux dernières notes. On quitte les lieux des voix plein la tête.

Jour 2. 20h10, la corde sensible

Aujourd’hui, direction la Gaîté Lyrique pour une nouvelle soirée qui s’annonce d’un autre style. A peine montés quatre à quatre les deux étages de la Gaîté lyrique et pénétré dans la grande salle, que le changement s’amorce. Dans la salle, le public est enfin à l’écoute, et trépigne au rythme de l’électro soul et lunaire de Sônge (photo). Seule sur scène, elle occupe tout l’espace et assure un show sûr et mûr, entre électro et pop-RnB Alors qu’elle termine son show par une reprise de The Weekend, on regrette d’avoir manqué le début du concert : on redemande de son panache. Mais pas le temps de se morfondre, car la DJette Turn Tables, dans son t-shirt “Future is female”, prend le relai dès l’extinction des feux pour assurer la relève avant le prochain concert.

21h07, des lames dans la voix

Bien chauffées par la transition des platines, on accueille quelques minutes plus tard Little Simz (photo) plus survoltée que jamais. Déjà passée par le festival en 2015, elle incarne tout ce que le hip-hop britannique a de plus neuf à montrer. En quelques instants, elle fait montrer une transe terrible dans le public : la vingtaine elle aussi, elle montre pourtant les crocs comme quelqu’un qui aurait déjà tout vu, et fait résonner les lieux de ses uppercuts frontaux et de son rap aride et franc. Une soirée en net contraste avec les concerts de la veille : hier les voix étaient doucereuses, aujourd’hui les voilà fiévreuses.

22h30, une gaieté lyrique et militante

Comme un refrain bien huilé, on ressort de la salle à la recherche d’une bière, notre leitmotiv du festival. Nous rencontrons également le collectif associatif “52” (photo) qui nous chante les louanges de ses actions en faveur de l'empowerment et l’entraide féminine. Devant elles, quelques t-shirts en vente pour soutenir et financer une campagne d’affichage visant à faire pression sur l’ élection présidentielle de la fin du mois. Pas de chance, ils ne prennent pas la CB et on balaye l’idée de s’offrir un t-shirt militant : on se console alors avec une tourte (4 euros) et une pinte (7 euros). Nos ventres et nos oreilles sont repu-e-s.

Jour 3. 23h04, pop discoïde et départ vers les années 1980

Soirée de clôture du festival au Trabendo où nous arrivons un peu après 23h. Pas si évident de se motiver mais une fois sur place, le feu d’artifice disco et spatial de Corine nous emporte. La chanteuse et son groupe se démarquent par des combinaisons aérospatiales sorties tout droit de la NASA et une instru riche - djembés, saxo, deux claviers en plus des guitares, basses et batteries se sont incrustés sur la scène. Tout cela rend un son harmonieux aux accents parfois jazz qui enchante le public et contraste fortement avec les soirs précédents. Sans oublier la voix de Corine, rauque et vaguement vintage. Jusque là, le festival ne fait que nous surprendre. Tia Turn Tables, comme à la Gaîté lyrique la veille, est chargée des interludes entre les concerts mais son électro un peu facile ne convainc pas réellement.

00h02, départ en explo, zig zag dans les flaques d’eau

C’est le moment de profiter de la terrasse du Trabendo. La pinte est à 8€, à ce rythme le festival n’est pas donné. Un bar à l’intérieur et un à l’extérieur permettent de ne pas trop faire la queue - problème criant pour les toilettes et qui en a fait râler plus d’une (dont nous !). Le food bike “Les douceurs sucrées” (photo) est présent : sa tenancière est coutumière des festivals vegan. Cette fois, le menu est bio, sucré et salé, à prix doux. Le flux de la foule commence à se faire sentir. Cette soirée de clôture est un succès, teintée d’un militantisme féministe déterminé qui se déploie dans toute la salle.

00h15, Camden Trabentown, Londres in da place

Un tour au stand de l’association SOS homophobie (photo) qui vend des t-shirts portant l’inscription “la lesbophobie tue”, et nous voilà de retour en mode concert. Nova Twins monte sur scène : une fois encore, on perd le fil, on est projetées (violemment) à Londres avec les britanniques Amy Love et Giorgia South. Le chant de l’une et la basse de l’autre ont une urgence communicative. Musicalement, elles s’autorisent tout, ne gâchent rien avec un mélange d’hip-hop, dans la voix, et de rock, ô les riffs!, qui fait vibrer les tréfonds. Et qui marche ! Aucun doute, ces deux-là ne s'embarrassent d’aucun complexe. Elles expérimentent avec tout, y compris sur la voix : la chanteuse Amy Love chante dans deux micros simultanément, use et abuse des reverbs. La transgression est décidément au coeur du bouillonnement d’énergie qui a lieu sur la scène. Toute fatigue envolée, on recharge les batteries dehors. Sous la pluie fine, on se prend à rêver de bas-fonds londoniens et de plaisirs interdits… Signe des temps, rencontre avec une festivalière qui nous déclare, les yeux dans les yeux : “mon métier ? vendre des putes.” Premier ou second degré ? Difficile de juger. 

01h10, warrior is coming

Un peu déboussoulé par l’ambiance de cette soirée, décidément subversive et peu ordinaire, on se jette dans les bras de Rebeka Warrior (photo), porte-étendard de Sexy Sushi. Les mots nous manquent pour décrire le DJ set qui n’en est pas un, on hésite entre le bain de foule, la manif, la baston et la danse païenne. Un peu de tout cela à la fois. Place aux corps, aux corps fous, en transe. La salle est conquise, Rebeka plonge et replonge dans le public, déclare : “Ce soir, je suis hétéro !”, colle ses lèvres au public qui en redemande, monte et remonte sur la scène, tandis que des membres de la sécu pas vraiment tendres le chassent encore et encore. Est-ce encore Les Femmes S'en Mêlent ou la Place de la République un soir de Nuit Debout ? D’autant qu’une danseuse moulée de latex blanc et noir, au visage encagoulé - référence à Anonymous et aux hacktivistes, semble-t-il - occupe l’espace, munie d’une banderole reproduisant les premiers articles de la loi interdisant le port de la burqa dans l’espace public. Un autre danseur, en sueur et torse nu, exécute sur scène une danse tribale et breakdance. La musique s’interrompt brusquement, Rebeka passe aux aveux : “J’ai perdu le contrôle”. Une soirée hybride pas comme les autres, sans filtre, qui nous a transporté de manière brute dans sa joie et sa transgression. 

Regard dans le rétroviseur de notre festival : trois soirées pour trois ambiances. Le festival réaffirme, comme s’il fallait le prouver, que les femmes sont multiples et plurielles… Pas de "La Femme" qui tienne ! Tantôt joyeux et serein, tantôt plus militant, le festival réussit le pari de l’éclectisme et emporte avec lui ses publics, aussi divers et variés, que ses femmes qui font l’affiche.

Le bilan

Côté Scène

Voi(x)yage dans le turfu
Pi Ja Ma, la voix n’attend point le nombre des années.

Sometimes, it’s good to have feelings
Soley, son accent islandais, son intimité avec le public… Et son guitariste en chaussettes.

Capitaine Panache
Sônge !, impossible de lui résister, elle emporte tout sur son passage.

L’orchestre disco-rétro-chevelu
Corine,  l’imaginaire, jusqu’au bout.

Corps à corrida
Rebeka Warrior, est-ce qu’on doit vous réexpliquer ?

Côté festival

On a aimé :
- Le pari de l’éclectisme qui reflète la place des femmes dans la musique, car elles sont partout, dans tous les styles …
- Pas de vision stéréotypée des femmes
- Le public mélangé : des militants et engagés, mais pas que !
- Des affiches du festival un peu partout pour une identité bien marquée
- Les salles de concert : à chaque lieu ou arrondissement son ambiance !

On a moins aimé :
- Aucune réduc’ sur les prix des bières, après 3 jours de festival on est ruinées !
- Les agents de sécurité au Trabendo : stressés et stressants
- Impossible d’assister à tous les concerts parisiens sur une semaine : il faudrait être un-e warrior !

Conclusion

Dans un paysage musical où les femmes brillent encore trop par leur absence - en témoigne cette expérience intéressante sur les affiches de festival -, Les Femmes S’en Mêlent vient bousculer les habitudes. Et donner des voix à la diversité de la scène musicale féminine : angélique et naïve le premier soir, incisive et brutale le second, rauque et urgente le troisième. On repart des lieux en croisant les doigts : peut-être que, du haut de ses deux décennies, l’événement aura suffisamment d’écho pour exporter ses pépites jusque dans les tournées des festivals de l’été.   

Récit et photos : Millie Servant et Philippine Régniez (avec Mathilde Zerr)