On était à
Nouvelle(s) Scène(s), cartographie des tendances musicales

Qui se lance dans l’aventure Nouvelle(s) Scène(s) doit accepter de débarquer en terre inconnue. En guise de road-map, un line up dans lequel aucun nom n’est familier, ou presque. Et pour tout bagage, la promesse de croiser le chemin du prochain Thylacine, Radio Elvis, La Femme ou Jain, tous révélés par le festival au fil des années. Mais c’est surtout l’assurance de repartir avec une cartographie fine des tendances musicales à venir qui suffit à prendre la route de l’Ouest de la France. Retour sur notre itinérance sonore de trois jours du côté de Niort.

Jour 1. 21h02, quitter le sol familier

Cela fait maintenant trois ans que l’on s’échappe de notre quotidien pour aller défricher la jungle musicale dans cette petite ville de l’ouest. Histoire de donner le ton du voyage sans plonger trop vite dans l’inconnu, la mission est confiée à de véritables têtes d’affiches d’équiper le public pour la découverte du nouveau monde sonore qui les attend. Pour préparer l’expédition de l’hémisphère Nord, Vanessa Wagner et Murcof (photo) plongent leur audience dans l’univers frais, minéral et texturé du minimalisme électronique. L’espace d’une heure trente, la scène nationale Le Moulin du Roc se mue en Palais de l'Électro et les marteaux du piano interrogent, répondent et fusionnent avec le rythme des boucles sonores et synthétique.

22h30, direction l’Atlas Moutain

Quelques instants plus tard, c’est au tour de François and The Atlas Mountains (photo) d’arnacher leur audience pour un virage vers l’hémisphère Sud. Inspiré du côté pêchu de la scène punk de L.A. comme des sonorités intenses et fiévreuses du Moyen-Orient, leur set ouvre grand le bal d’une huitième édition chaleureuse et festive.

Si la soirée est une check-list, alors nous embarquons avec un bon bagage. On le réalisera plus tard, mais cette nuit d’ouverture de la huitième édition contient déjà en elle l’annonce de toute la richesse du festival : hybridation du traditionnel et du moderne, rencontres sonores et humaines, brassage culturel et musical. On est prêts, on embarque !

Jour 2. 22h30, exploration à l’aveugle et nouvelle grammaire

Découvrir un continent - même musical - ça se fait progressivement. Une première étape au bar L’Entr’acte avec Nicolas Michaud - ils sont en fait quatre sur scène - nous téléporte en l’espace d’un instant dans un univers tout droit sorti d’un road trip. Fichées dans leurs bottes de cow boy, leurs jambes enchaînent les pas de danse country-rock, au son nuancé des guitares électriques. Le mariage est aussi improbable que parfait et ce jamais-vu attise un peu plus notre soif de découverte.  

Direction le Bistrot Carmen où une foule compacte stoppe net notre exploration : qu’à cela ne tienne, on opte pour la découverte à l’aveugle. L’oreille tendue, on essaie de mettre des images sur nos sons : voix cristaline, pulsations lourdes et douces… on se représente déjà un duo avec une chanteuse, lovés dans le coin rougeoyant du bar. La vérité est ailleurs : en se frayant un passage, on découvre Malik Djoubi (photo) deux gaillards, casquette et cicatrice sur le front en prime. On pense aussitôt à Olivier Marguerit (dit O) découvert l’année dernière à ce même festival et sa voix elle aussi si androgyne et singulière. Honnêtes et limpides, on a vite la sensation de lire en eux comme dans un livre ouvert : on y découvre une nouvelle grammaire, un singulier langage, pour une histoire unique.

23h02, carnets de voyage

Un stop au Pilori, et l’on rejoint un public absorbé par le folk sableux de Palatine. Ca sent la mer et la nostalgie, un peu comme un carnet de voyage dont on feuilleterait les pages pour raviver des souvenirs grandioses. Au micro, le groupe invite à se laisser porter, parce qu “à Niort c'est sans filet, c'est la devise de la ville non ?”. On les croit, et on se laisse porter par le roulis de coquillages qui sort de la caisse claire.

C’est le moment de retraverser la ville pour retourner au vaisseau mère. On a bien entendu parler du super concert de Pogo Car Crash Control qui s’annonce à L’Alternateur, mais on décide de prolonger l’escapade solaire de Palatine par un punch maison (4 euros) à siroter devant Pi Ja Ma. Dans son look digne de The Do, la jeune femme secoue ses 19 printemps avec une malice attachante ; le public est à fond et l’accompagne dans sa balade sonore. On est bien, et c’est elle qui le dit : “La semaine dernière, personne ne dansait, mais ici c’est Niort !”.

 00h30, le Agar fait bien les choses

Pour continuer notre virée, direction Bollywood avec Agar Agar (photo) qui a investi le “Club” - l'antre qui accueille chaque soir 3 lives entre minuit et 3h. Le duo connaît quelques petits couacs, très vite éclipsés par la puissance inattendue du set. On est très loin de la légereté minimaliste et atmosphérique qui imprègne leur premier EP : chez eux, le live lâche les tigres et rugit jusqu’au plus profond de nos cages thoraciques. En interview dans le journal local, le groupe promettait des pogos : on n’y croyait pas, et pourtant... Basses ultra lourdes, acid disco à plein tube, la diva soul Clara et le maître Armand nous extirpent de tout espace. Et quand se pose la voix sinueuse et de velours de la chanteuse, on semble atteindre un point de non-retour.

01h50, là où le sol tremble

Sur un sol inconnu, il faut parfois réapprendre à marcher. Ce soir c’est Super Parquet (photo) qui nous inculque une nouvelle gestuelle et de nouveaux pas. Leur méthode a de quoi surprendre : déjà surprenante aux Transmusicales en décembre, l’alliance de l’électro et des musiques trad’ auvergnates passent un nouveau cap à Niort. Sur scène des instruments plus curieux les uns que les autres : boîte à bourdon et banjo viennent se confondre avec les sons synthétiques des machines. Ca tape furieusement du pied, ça cogne dur dans les enceintes, et le sol vrombit sous nos semelles : ni une ni deux, on se trémousse sauvagement et on célèbre l’Auvergne comme jamais.

Juste derrière, le set tant attendu (et acclamé) d’Aufgang paraît presque trop familier. On les accueille comme un retour au pays bien mérité et on se réfugie dans la voix rocailleuse et profonde d’Aymeric Westrich.

Jour 3. 11h30, goûter aux spécialités locales

Après la nuit dernière, il en fallait de la motivation pour s’extirper de son lit direction la Villa Pérochon. Mais on a tellement entendu la veille le nom du nantais Voyov - prononcez “voyou” - (photo) que l’on navigue le coeur vaillant à travers la ville pour le rejoindre. Celui qui avait joué hier dans un bar est installé dans l’arrière-cour du musée et il semble avoir trouvé là son élément naturel : dans le cadre minéral, sa figure fraîche et ses sonorités cristallines prennent tout leur sens. Et parce que Niort semble être une ville où on sait recevoir, l’équipe du festival paye son combo huîtres-vin blanc : savourer des douceurs du terroir en se laissant guider dans des sonorités inexplorées, ça n’a pas de prix. Le monde de Voyov est plein d’innocence et sa voix juvénile bouleverse profondément. On pensait avoir fait le tour des promesses de la chanson française. On se trompait.

18h00, la possibilité d’une île

Dans sa conquête de nouveaux territoires acoustiques, Nouvelle(s) Scène(s) décloisonne aussi les hommes en bousculant les habitudes. Samedi après-midi, le festival déboule dans la médiathèque de la ville et y dépose Lambert, un homme masqué au style chimérique et son piano à queue. Une prestation aussi fantasmagorique qu’imprévue qui rassemble les publics dans un lieu incongru. Rebelotte une heure plus tard dans un autre cadre : c’est perchés sur un Îlot au coeur de la ville que Robot Orchestra (photo) inonde la ville d’un rock frontal et furieux. Bière à la main, fougue au corps, ils font secouer les têtes les plus brûlées et onduler les bassins les plus frileux. L’occasion de réaliser à quel point ce festival hybride les publics en plus de brasser les genres.

20h45, attraper la rage

S’aventurer dans des zones musicales non fréquentées comprend des risques. Ce soir c’est Lysistrata (photo) qui nous fait payer le prix de notre curiosité : on découvre rapidement que les trois gars ont la rage… et qu’elle est contagieuse. On nous avait pourtant prévenu à l’entrée du Camji qui les accueille : “attention, c’est un truc de fou”. Mais l’envie n’en a que redoublé, et une fois à l’intérieur on a compris : le math-rock que crachent Theodore, Max et Ben - tous les trois la vingtaine - est mûr, puissant et nuancé. Leur folie furieuse dérape vite, et quelques minutes plus tard ils sont torses nus, couchés à terre, la tête entre les jambes, comme secoués de spasmes. Dans le fond de la scène, le batteur tombe sur sa batterie, le bassiste se tient le bras comme victime d’une puissante crampe, la guitare à bout de bras. Dans le public, on a des hallucinations et on applaudit à s'en brûler les doigts les trois jeunes garçons.

22h56, expédition en terres tribales

A peine guéris de la rage, on choppe la fièvre tropicale. Après avoir fait des pieds et des mains - bon en fait on a surtout joué des coudes - pour rentrer dans l’enceinte Pilori, un immense spasme collectif nous agite dans tous les sens. Leska (photo) a concocté pour les Niortais une mixture à base de batucada-électro qui décoiffe. En fait on est pris au dépourvu : deux types qui percutent leurs pads à toute puissance pour créer des sons mi-électro mi-percus, c’est nouveau. C’est tribal, c’est pêchu, et en même temps c’est pointu. La fin de leur set les plonge dans la foule avec leurs percussions, et on quitte les lieux avec l’impression d’avoir couru un marathon.

01h00, coup de chaud-froid et problème de climat

Changement de température, coup de froid. Un peu (trop) remis de nos émotions par le set plus calme et moins nuancé de Requin Chagrin, on s’échappe vers le Club avec la ferme intention de faire à nouveau monter la fièvre - du samedi soir. On n’en demandait pas tant que ce qui nous arrive : le public est seulement en train de rentrer dans la salle que Ïtrema balance déjà des uppercuts très techno-club. Coup de chaud-froid, on a du mal à s’acclimater aux changements d’hémisphères musicaux. Le set reste de qualité, mais peut-être aurait-il fallu alterner avec celui de Il est Vilaine qui le succède. Plus instru et festif, eux propulsent la danse-machine à toute allure : le public est ravi et danse sous les étoiles de la boule disco format king size (photo) qui trône au dessus de leurs têtes.

03h02, voyage à l’épicentre du festival

 

Pour la dernière étape de notre périple, nos compagnons de route s’appellent Red Axes. Tirés de toutes parts vers des influences aussi variées que l’italo-disco, la house, le post-punk et l’underground arty des 70s et 80s, ils viennent achever de dévoiler les recoins de la nouvelle cartographie musicale qui se déroule sous nos yeux depuis trois jours. On sort de la salle pour profiter quelques derniers instants de la nef centrale où grouille la population festivalière : ça boit, ça chante et ça rit.

3h30, on retraverse la ville déserte comme on traverserait un pays tout entier : on sait que ci-et-là, dans un bar ou un monument local, se sont nichées le temps d’un weekend de véritables villes sonores avec leur culture à part entière. On repart du festival avec le sentiment d’avoir un nouveau tampon sur notre passeport musical.  

Le Bilan

La terre électro-tribale  
Leska, ils frappent fort et juste !

Le roc(k) neuf et brut
Lysistrata, ça bastonne sec.

La plage claire et cristaline
Voyov, dans nos coeurs, ça fait “pop !”

Le bled tradi-futuriste
Super Parquet, le sol s’en dérobe sous nos pieds.

La ville secrète et magique
Malik Djoubi, la voix à suivre.

On a aimé :
- La richesse de la programmation : on sait qu’on va être surpris et les découvertes sont uniques !
- Un effort sur la restauration cette année: sandwichs, croques monsieur et pâtes à petit prix au centre du festival, ainsi que deux foodtrucks pizza et crêpes du côté du Camji.
- La quantité et la variété de personnes gravitant autour du festival : étudiants, scolaires, bénévoles, etc.

On a moins aimé :
- La ville sombre et éteinte entre deux spots de concert, normal mais ça refroidit
- Certains lieux toujours plein à craquer : c’est la rançon du succès !

Conclusion

Défricheur de talent dans la jungle musicale, Nouvelle(s) Scène(s) fait émerger tout un continent musical avec une simplicité déconcertante. Tout en relief, en singularité et en nuances, un nouveau monde se dévoile dans nos oreilles ébahies. Cet univers, on le partage avec des inconnus, dans une diversité de public rare en festival : on voit des choses qu’on n’aurait jamais pensé voir, on fait chemin commun avec des individus dont on n’aurait pas songé croiser la route. Finalement, Nouvelle(s) Scène(s) est une boussole sonore qui nous guide vers les sons de demain. Un instantané de la création musicale qui s’annonce.

Récit et photos Millie Servant