On était à
Les Eurockéennes de Belfort dignes de leur nom

Foals, M83, Tame Impala, Beck… L’affiche des 28e Eurockéennes était alléchante et bien chargée. Au coeur des montagnes de Belfort, le célèbre festival a tenu sa réputation de garant du bon rock et de découvreur de talents avec brio.

Jour 2. 19h00, une intro tout en reggae

On arrive le deuxième jour comme des fleurs, au bout de six heures de route à travers les plaines et collines de l’Est. Après avoir trouvé une place aux côtés des 14 000 autres campeurs et suivi d’anciens rails dans les bois, on pénètre enfin dans le temple du rock tant rêvé, tant fantasmé, tant attendu: les Eurockéennes. Mais on commence déjà par s’enfiler un énorme et délicieux sandwich aux petits oignons (littéralement), au prix honnête de 6€. On se pose pour manger tranquillement au son reggae de Mellow Mood. La foule récupère à peine de la prestation des Insus la veille, et des Québecois de Chocolat, dont on nous a dit beaucoup de bien.

19h40, The Inspector Cluzo, l’hybride à deux têtes

Rassasiés, on roule jusqu’en bas de la colline de la Grande scène pour atteindre la Plage et attraper au vol la fin du set de The Inspector Cluzo. Véritable coqueluche du public et de l’équipe de programmation, le duo de rockers s’occupe d’une vraie ferme, quand ils ne se perdent pas dans des riffs déjantés sur scène. Au départ, on se laisse tromper par une chanson aux faux airs de The House of the rising sun, avant que ça ne dérape sur du metal un peu barge qui surprend jusqu’aux cygnes faisant trempette dans l’étang du Malsaucy juste derrière. Inconventionnels, bruts de décoffrage, malpolis sur les bords, on sent toutefois que le duo gascon cache un grand coeur, sans doute derrière la barbe du chanteur. Leur reprise de It’s all right de Curtis Mayfield achève de nous en convaincre.

20h10, deux artistes pour le prix d’un

Armés d’une pinte de bière à 6€, on découvre la pop rock des Allah Las qui capte les derniers rayons du soleil. Les moustiques commencent à partir en chasse et les camel bags se multiplient. Une guerre sourde semble se dérouler entre les bandanas des années 90, d’un rouge à faire pâlir d’envie Axl Rose. Puis, dans un sursaut, on se rend compte qu’on n’est pas devant Pokey LaFarge comme on le pensait depuis le début. On file donc écouter les trois dernières chansons du chanteur de country-blues, qui nous gratifie même d’une reprise de You never can tell de Chuck Berry, à la Pulp Fiction.

21h00, Beck, le plus British des Américains

C’est sans aucun doute un de nos coups de coeur de cette édition des Eurockéennes. Beck (photo), très british dans sa chemise à rayures verticales noires et blanches, nous paraît un peu perdu sur scène. Malgré un public un peu mou, il réussit à nous convaincre de son expérience et nous rappelle les mots du programmateur Christian Allex, qui cherche “des spectacles calibrés pour tenir des [grandes] scènes”. Beck mène sa foule par le bout du nez, la réveille avec une reprise de Billie Jean, la cajole avec Lost Cause et la retourne avec les célèbres Loser et Sexx Laws. Perso, on est remontés pour la soirée.

23h00, Louise Attaque en terrain conquis

Notre énergie retombe un peu devant Air. Il est 23 heures, il fait dix degrés au bord de l’eau, il y a des gens bourrés un peu partout et on est dans le creux de la soirée. Les Versaillais de la French Touch, qui fêtent cette année les vingt ans du groupe, nous transportent quand même avec leurs sons psychédéliques et leur set tout doux. On finit quand même par aller se réchauffer dans la foule surmotivée de Louise Attaque, sur la Grande scène. 2016 est l’année du retour du mythique groupe français, avec leur premier album depuis dix ans, Anomalie. Là, les paroles sortent toutes seules, et tout le monde braille joyeusement que notre amour est éternel, et pas artificiel.

0h15, l’élégance Foals

On suit la grande migration qui se dirige tranquillement vers la Greenroom, pour accuellir Foals (photo). Très attendus par les festivaliers, les Britanniques mènent avec brio un set décrit par beaucoup comme “fou”, tout simplement. L’énergie monte, morceau après morceau, pour progressivement exploser dans une apothéose de riffs déjantés. Yannis Philippakis ne tarit pas de mots d’amour pour son public français et joint l’acte aux paroles, le récompensant d’un rare Cassius.

Jour 3. 11h00, atterrissage au camping

 

Il y a ceux qui sont restés pour Disclosure la veille et les autres. Nous, on fait partie des seconds et on se réveille doucement au camping, attablés devant un petit-dej’ complet de produits frais, pour 4,50€. Au son des Ramones et de I’m a believer, les festivaliers matinaux jouent au ping-pong, au rugby, au foot ou font la queue pour la douche: on se croirait presque à la plage. Comme sur le site des concerts, le stand surveillé de recharge Deezer sauve la vie de pas mal de monde. On jette un coup d’oeil au line-up de la journée: le programme s’annonce chargé, avec pas moins de neuf groupes qui attirent notre attention.

18h00, la frustration Frank Carter

On arrive tout pile pour la fin du set de Frank Carter and the rattlesnakes, écourté d’une quinzaine de minutes. Grosse frustration, on a l’impression d’avoir juste pu goûter à ce qu’on a attendu tout le festival: du punk bien énergique qui secoue la foule habituée au rock/electro, avec insultes, sourires et remerciements dans un même package.

18h30, des sets grignotés

On n’accroche pas trop à Kurt Vile & the Violators à deux pas d’ici, au club Loggia. Dans d’autres circonstances, on aurait sans doute apprécié le rock indé de l’auteur-compositeur-interprète américain, mais là l’écart avec le set précédent est trop grand, et on est toujours frustrés. On ne s’attarde pas et on file manger une glace devant Action Bronson : le rappeur américain déménage proprement la Greenroom. On est un peu déconcentrés par notre délicieuse glace, mais on apprécie cette respiration hip-hop de l’après-midi. Là aussi, le set est écourté de quinze minutes, à notre grandissante frustration.

19h15, des châteaux de sable devant Mac DeMarco

Qu’est-ce qui est plus sympa qu’un musicien canadien ? Pas grand chose. Pendant qu’un quator d’architectes nous propose de construire avec eux des châteaux de sable, Mac DeMarco se déchaîne sur scène et invite quelques spectateurs à venir boire des coups sur scène, attablés dans un coin. Du haut de ses 26 ans, le rockeur assure comme s’il en avait autant de carrière derrière lui. Son concert est un petit bijou de rock parfois psyché et entre parfaitement dans la visée du festival, qui veut aussi révéler et propulser les gros noms de demain.

20h00, Nekfeu l’ambianceur

Franchement, on allait voir Nekfeu par curiosité plutôt que par affinité musicale. Dans une posture un peu “vieux con”, on se laissait dire que le rappeur était là pour ramener du sang neuf parmi les festivaliers et qu’on s’éloignait quand même un peu du rock. Bon, pour la moyenne d’âge, on ne s’était pas trompés: beaucoup fêtaient le bac, peut-être même le brevet. Mais le rappeur français sait comment parler à une des plus grosses foules du festival, et faire danser toute la colline sur son dernier album Feu. Tout le monde saute dans tous les sens, avec plus d’énergie que les trentenaires devant les groupes de rock du festival. On est touchés par l’apparente sincérité de l’artiste, qui donne vraiment l’impression de quitter à regret sa bande de potes à la fin du concert. Ca nous en bouche un coin.

20h30, quarts de finale ou concert ?

Le programme se charge nettement en début de soirée: The Kills chevauche France-Islande qui chevauche Tame Impala. Le choix est cornélien, l’organisation décide de diffuser la première mi-temps du match sur la grande scène, avant Tame Impala. Pas sûr que The Kills apprécient. En tout cas, notre binôme se sépare pour 45 minutes, chacun ses priorités. Quand Tame Impala monte sur scène, il y a déjà 4-0 pour la France et le public est bien chauffé. Le kaléidoscope australien souffre un peu de la deuxième mi-temps, même si les rangs clairsemés se laissent séduire par les confettis, les couleurs et le son psyché. Le spectacle est propre, on danse tranquillement, mais l’ambiance est trop particulière pour y être à fond.

23h00, le retour de l’ère glaciaire

La fatigue commence à se faire sentir devant M83. On s’affale dans des transats en tentant d’écouter les petits français, à côté des petits lycéens un peu éméchés qui nous hurlent dans les oreilles. On a un coup de coeur lointain pour cette BO electro de fin de soirée, qui serait tombée à pic avec une dizaine de degrés en plus et quelques kilomètres dans les jambes en moins. Sans doute attirés par leur nom, on va faire un tour du côté de Sleep. Le “stoner doom metal américain” ne parvient par à nous réveiller et on s’asseoit devant la Grande scène, en priant pour ne pas être en hypothermie pour le concert de ZZ Top.

On n’avait pas prévu que ce serait le cas du groupe texan, un peu fatigué, un peu lent, un peu décalé sur certains morceaux. On écoute avec respect les barbus, on fronce les sourcils devant les drapeaux confédérés et patriotes de leurs fans. On n’atteint pas le niveau de certains campeurs qui se baladent avec une canne à pêche et un saucisson au bout, mais on n’est plus très loin. Sur cette note un peu amère, on fait tranquillement nos adieux au festival, fatigués mais repus de musique en tous genres.

Le Bilan

Côté concert 

Le coup de coeur 
Beck, une humilité touchante aux accents British.

La frustration
Frank Carter & the rattlesnakes, un set écourté au goût de trop-peu.

Le coup de fouet
Nekfeu, ça nous apprendra à faire nos vieux cons

Côté festival 

On a aimé :
Le stand de recharge Deezer, où on peut laisser son portable et aller se balader
La nourriture variée à un prix honnête
La scène de la Plage, faire des châteauc de sable devant Mac DeMarco, c’est quand même classe

On a moins aimé :
La pinte à 6€
La colline de la Grande scène, gravie 367 fois

Conclusion

On attendait beaucoup de la programmation et du festival en lui-même, temple du rock devant l’éternel. On n’a pas été déçus, et même agréablement surpris par des artistes en marge des styles qu’on a l’habitude de suivre. Electro, rock, punk et hip-hop peuvent bien se marier, quand ils sont bien agencés. On valide cette 28e édition des Eurockéennes.

Reportage et photos de Liv Audigagne