On était à
Le Château Perché, diablerie ésotérique dans les jardins d'Avrilly

Un festival à la description aussi mystérieuse qu’alléchante et poétique le tout dans la cour d’un somptueux château du XVe dans l'Allier, il ne fallait pas nous en dire plus pour nous appâter. Ici pas de têtes d’affiche, les artistes nous sont tous inconnus et le line-up n’est pas encore affiché sur les réseaux du festival quand nous décollons de chez nous. C’est donc sans (re)connaître un seul musicien qu’on fera des découvertes pendant deux jours, plus perchées que le chat d’Alice. 

Jour 1. 19h30, le chaos perché

C’est surmotivées que nous arrivons dans la petite bourgade de Trévol en ce vendredi après-midi lorsque nous nous retrouvons coincées dans d’improbables bouchons sur les routes de campagne en amont du festival. C’est donc pas moins de 1h45 plus tard que guidées par des bénévoles déjà déguisés nous nous posons sur le camping 3, les autres étant complets à ce stade, et qui est en fait... un terrain vague. Pas d’accès à l’eau, pas de toilettes et pas de douches sur place. Alors que les tentes se montent tout autour de nous à quelques mètres seulement de l’espace de stationnement, nous enfilons nos costumes pour cette première soirée déguisée au Château Perché sur le thème de l’oeuvre photographique de Charles Fréger. Devant l’entrée du domaine une immense queue se déploie en amont de la première fouille. Chants footballistiques, râleries et mouvements de foule, la sécu débordée perd un peu les pédales et nous projette finalement assez violemment dans l’enceinte du festival. Etape n°2, queue sur un stand au bout du premier chemin pour se faire poser les bracelets puis deuxième fouille à l’entrée du festival. Décidément, pour être perché ce weekend, il va falloir d’abord être patient. 

23h30, la fête au bois dormant

On pénètre un bois mystique, sombre et à la fois illuminé de mille lumières féeriques. Au bout d'un premier chemin de cailloux, quelques panneaux fantasques nous indiquent comment nous rendre sur les différentes scènes du festival : l’Attrape Rave, le Bout du Canal, le Bois Mesdames, l’Orée de la Clairière… tout est encore si mystérieux et si excitant. Nos premières déambulations nous mènent devant une scène avec magnifique vue sur une étendue d’eau avec le reflet du splendide château d’Avrilly en fond, illuminé. Des ombrelles accrochées aux arbres et des CD collés aux troncs… Mais qu’est-ce que cet endroit ?

01h30, les monnaies du temps passé

Il nous faudra nous perdre dans tout le festival pour enfin trouver les toilettes, auxquelles nous rêvons depuis les bouchons de l’après-midi. Il faut avouer que dans la pénombre totale, il est assez difficile d’avoir un quelconque repère géographique tant le site est grand et grouille de petits coins aménagés pour des sets ou du chill. En revanche, on n’est décidément pas convaincu de ce nouveau système de toilettes sèches avec son tapis roulant de caca qu’on a également croisé au Printemps de Pérouges au début de l’été. L’odeur est insupportable et en plus la fumée des étrons qui défilent sous nos fesses sont plus que répulsives. Peut-on revenir à ce bon vieux système de copeaux de bois par pitié ? 
Bon point, juste à côté des toilettes se trouve le stand d’achat de tokens (photo). Au Château Perché, on n’est pas encore à l’ère du cashless et pour être servi sur les bars gérés par l’organisation du festival il faudra compter 1€ pour chaque token. Nos petits jetons plastiques en main et une pinte de blonde sans nom à 5€ empoignée nous repartons découvrir les recoins de cette cour royale. 

3h15, God save the techno

Nichée dans un sous-bois, à la décoration asiatique, nous tombons sur une scène munie d’un tapis devant laquelle on est priés d’enlever nos chaussures pour entamer nos premiers pas de danse sur une musique légère et transcendante mêlant machines et violon. Derrière nous, accrochée à un arbre, une balançoire lance des festivaliers déguisés de petites lumières dans les airs, telles de petites fées. Un peu plus loin, de l’autre côté du pont-levis, nichée dans une partie du château, La Salle à Colombages, une scène aux couleurs de la Grande-Bretagne (photo) balance du gros son à mi chemin entre le punk et la techno. L’ambiance est explosive, des plumes et boas se trémoussent de toutes parts et certains festivaliers, emportés par un élan excessif de convivialité et de percherie, nous font des massages de dos et des câlins tout en dansant. 

04h30, créatures légendaires, totems féériques

La bière ne nous faisant pas assez d’effet, nous optons pour un cocktail bio à base de banane-coco et de rhum fait maison sur un stand de jus de fruits et nous arrosons le tout de quelques shooters à 2€, mais dont personne ne nous dit la composition. Perchation réussie ! Et si on suivait le totem lumineux de ces deux étranges créatures devant nous (photo) ? Ce dernier nous guide plus loin dans les bois où on tombe sur une scène en contrebas décorée de part et d’autre de la régie par des tipis pimpés. Le son tabasse de la grosse techno bien rude et les effets de lumière sont hypnotisants. “Mais vous n’êtes pas perchées ? Vous voulez des trucs ?” - nos compères festivaliers s'inquiéteront de nos pupilles non dilatées tout le weekend. Au Château Perché, un festivalier à sec est considéré comme une personne en détresse, de toute évidence. 

Jour 2. 11h17, descente en format groupe 

Sur le camping la chaleur tape très fort. Au vu de l’absence de sanitaires on prendra l’habitude comme nos concitoyens perchés d’aller faire nos besoins dans la forêt à côté tout en faisant bien attention à ne pas marcher dans le cadeau de la nature d’un précédent usager. Le site du festival étant sans explications fermé de 11h à 17h, alors qu’étrangement la musique à l'intérieur continue à entonner, on se rabat sur le camping 1, celui-ci équipé et même plutôt bien : douches, toilettes, stands de nourriture, de boissons et de prévention, et même un grand coin chill, des sessions de yoga-vodka et deux stands de tatoueurs. 

17h45, le carrosse de l’élégance

Quand les barbacanes du site s’ouvrent enfin, nous prenons une nouvelle claque en pleine face. De jour c’est un tout autre conte de fées qu’on découvre. On tombe tout d’abord nez à nez avec une carte des lieux qui nous permettra de comprendre l’improbable parcours labyrinthique effectué la veille. Derrière nous arrive un petit train, comme celui des petites villes touristiques du sud. On embarque joyeusement à bord de ce carrosse qui nous fait faire le tour du propriétaire sur fond de garage rock, telle une vraie petite famille royale en compagnie de nos compères perchés déguisés tout comme nous en accord avec thème de la soirée : la belle époque. 

18h30, la potion du bonheur

Terminus ! Tous les pérchés descendent ! La visite guidée nous aura en tout cas permis de trouver enfin la main stage du festival surnommée Le Hall de Gare et nichée dans une impressionante cour d’écuries que nous n’avions pas du tout repérée la veille, perdues dans le noir. Et là, comme dans un vrai conte de fées, un panneau nous indique la direction du bar à vin. Planches de charcut’, fromage et végé, quelques larmichettes de la cuvée spéciale du Château Perché (photo) et nos voisins de palette qui passent du Brassens sur leur téléphone, définitivement, on vient de trouver notre happily ever after. 

00h30, quand le château prend vie

Les vapeurs de la potion de Dionysos encore en tête, nous passons un long moment à flâner sur les escaliers en dessous du château en admirant les fantastiques mappings vidéo projetés sur sa façade (photo). Posé à côté de nous, un téléphone gît abandonné. Son propriétaire viendra le récupérer un peu plus tard dans la soirée et ravi de retrouver son précieux nous demande comment il peut nous récompenser de l’avoir précieusement gardé : “ah bah on dit pas non à une bière !”. "Une bière ?", s’exclame-t-il  perplexe. “Mais il faut des tokens pour ça, non ? Moi j’en ai pas… Vous voulez pas du LSD à la place ?”. Un sourire, ça ira aussi bel inconnu. 

1h30, le rendez-vous des ménéstrels

Dans un recoin décoré par de longues guirlandes à franges métallisées et petites ampoules de guinguette, nous tombons sur une joyeuse fanfare (photo) qui joue la bande originale de The Mask illuminée par un jeu de lumières totalement chimérique. Voilà donc les troubadours du château ! A ce rythme de déambulations, on ne réussira jamais à tenir toute la nuit et le lendemain matin. Car la fête au Château Perché ne s’arrête jamais vraiment. On adopte donc la stratégie d’Aurore et on opte pour une sieste réparatrice entre 2h et 5h du matin de retour sur notre matelas gonflable royal. A notre relative surprise, une jeune femme occupe déjà notre tente, visiblement bien douillette dans les bras de Morphée. En cherchant la sortie, elle oublie quelques effets personnels dans notre manoir, et ô bonheur, il s’agit d’une bouteille d’eau. Cette intrusion était donc une réelle bénédiction de milieu de soirée pour nous qui avions besoin de rafraîchir nos esprits. 

5h20, la reviviscence du phénix perché

Le retour sur les lieux est plus fluide à l’aube, la majorité des châtelains perchés étant déjà à l’intérieur ou sur le point de se coucher. Nous, notre lever du soleil royal, on l’aura, et on l’aura sur la scène de l’Attrape Rave pour mieux sortir de notre sommeil de cent ans. Du côté de notre bar à vin merveilleux, nous empoignons quelques cafés et nous nous installons au fond de la scène de La Serre Agricole (photo) qui passe du Pink Floyd et qui est chamarrée et décorée par le collectif Camion Bazar. Un brun ténébreux tape quelques traces de poussière de fée devant nous sur son téléphone portable, nous on croque dans nos croissants, telle une chorégraphie insensée. La fatigue se lit sur toutes les paupières mais les aventuriers perchés tiennent encore le coup. 

9h20, la fuite de Trévol

Bien qu'omnibulées par les événements du weekend, nous avons tout de même la présence d’esprit de penser à rendre nos tokens inutilisés. Prises d’un élan perché de début de festival, et comme à notre habitude, nous avons été un tantinet ambitieuses sur l’affaire en achetant pour 100€ de tokens chacune alors que les stands de nourriture ne les acceptaient pas. Mauvaise surprise, les tokens ne sont pas remboursés. Comment ça ? 30€ dans le vent ? C’était sans compter sur notre persévérance. On se plante donc devant le kiosque en attendant de brader nos précieux aux derniers survivants dont la soif n’est vraisemblablement jamais étanchée. 

De retour au camping c’est une semblant d’apocalypse qui se déploie devant nos yeux (photo). Entre ceux qui cherchent leurs souvenirs de la veille et ceux qui ne cherchent pas du tout à ramasser leurs déchets, on est loin des commandements du festival qui prêchait la bienveillance et l’éco-responsabilité de tout un chacun. Il est l’heure pour nous de reprendre notre carrosse et de rejoindre notre lointaine contrée. C’est sur un nuage que nous redescendons du Château Perché et retournons à la (triste) réalité, des souvenirs plein la tête. 

Bilan 

On a aimé

- Des scénographies monstrueuses et un site époustouflant.
- Des artistes inconnus au bataillon et pourtant bourrés de talent. 
- Des panneaux de prévention (drogue, alcool, sexualité) funs et catchy.
- Des bouteilles d’eau distribuées gratuitement sur les bars du festival dès le 2e jour.
- Une bonne humeur généralisée et des festivaliers amicaux et amoureux. 
- Le respect du thème des dress code des deux soirées par les châtelains perchés qui mettent la barre très haut. 

On a moins aimé

- Des bouchons et des queues bien trop longues qui entachent notre enthousiasme.
- Deux campings totalement laissés à l’abandon, pour 8500 festivaliers sans eau et sans toilettes.
- Une bière fadasse à 5€, quand on a pas tout misé sur les cachetons on en a gros.
- Le système de tokens, non remboursables, contraignant et archaïque.
- La présence presque étouffante des gardiens de la paix qui scrutent le moindre mouvement à l’entrée.

Infos pratiques : 

Prix des boissons
5€ la pinte de blonde, 7€ la pinte de chouffe, 4€ le verre de Côte du Rhone, 6€ le verre de cuvée spéciale Château Perché

Prix de la nourriture
10€ le menu samossa, lentilles, salade avec boisson, 2€ la crêpe au sucre, 8€ la planche de fromages ou charcuterie

Prix du festival
100€ pour le festival complet

Transports
2h30 en voiture depuis Lyon, 3h depuis Paris, navettes au départ des gares de Clermont-Ferrand, Moulins, et Paris

Conclusion

Il faut l'avouer, nous n'avons pas totalement saisi l'expérience que nous avons vécu dans la cour du château d'Avrilly, tant tout semble encore emprunt d'allégorie, de rêve et d'obscurité... Si nous avons pris la décision de ne pas emprunter le chemin de la percherie chimique ce week-end, les différentes expériences sonores, lumineuses et sensorielles nous ont pourtant fait planer très haut. Mais si toute la conception du Château Perché laisse rêveur, l'expérience festivalière elle laisse cruellement à désirer. Et si on mettait un peu de magie dans le quotidien des châtelains, en installant des toilettes sur les campings par exemple, pour pouvoir se soulager comme des vraies princesses ? 

Récit et photos : Elodie Roy et Anja Dimitrijevic