Allez, cette fois on ne vous emmène pas dans une usine à gros son, saturée en basses et en frites grasses, mais dans une merveille de petit festival qui fête cette année sa 29e édition. A la rencontre d’un lieu, d’un état d’esprit aussi, et d’une programmation qui montre avec talent à quel point les scènes issues des musiques dites traditionnelles ont pleinement leur place au sein des musiques actuelles.
Jour 1. 18h54, arrivée dans le Poitou, découverte du site
C’est sur les bords du Thouet, au pied des murailles médiévales, que s’établit le coeur du festival De Bouche à Oreille. Porté par une équipe particulièrement motivée, l’événement déploie sur une petite semaine une masse impressionnante de propositions artistiques autour des musiques traditionnelles d’aujourd’hui, loin des clichés folklorisants et en faisant la part belle à une jeunesse bouillonnante et pleine d’idées. Par ailleurs, le cadre déjà superbe est particulièrement bien aménagé, pour en faire un endroit convivial, beau et serein, populaire et unique en son genre. Bon, ceci dit, quand nous arrivons le ciel est bas et lourd, la pluie menaçante et la température plus que modérée. On ne peut pas tout maîtriser...
22h32, premiers concerts aux saveurs colombiennes et suédoises
De fait, les concerts d’ouverture ont sagement été déplacés vers le palais des Congrès tout proche. C’est donc dans des fauteuils confortables et loin des nuages gris et gras que débute le festival. Le jeune duo colombien Charangamente ouvre la soirée avec d’emblée l’esprit d’ouverture qui présidera à l’ensemble de la semaine, invitant des amis musiciens poitevins à partager la scène avec eux. Puis vient une autre duo, suédois celui là. Symbio (en photo) propose une musique assez envoûtante, des atmosphères toutes en nuances, avec générosité et inventivité. Par moments, on pense aux Ecossais de LAU, en tout cas aux lumières bordant les mers du nord, et on voyage. Et puis, déjà, dans le public, on sent l’enthousiasme, la simplicité et la bonne humeur. Pour une mise en bouche, ça promet.
Jour 2. 14h28, début des stages
Le rendez-vous était donné le lendemain en début d’après midi à la guinguette, le bar du festival établi sur les berges. Sous un soleil de retour, des stagiaires sont venus avec leurs instruments, ici on finit de régler son inscription, là les profs discutent entre eux en buvant un coup. Et puis chaque groupe se met en route pour la première des trois demi-journées proposées dans le cadre du festival. Danses du Poitou, musique d’ensemble, chant monodique et polyphonique, accordéon, guitare ou violon, mais aussi prise de son et mixage, débutants ou confirmés pourront ainsi s’immerger dans la pratique concrète, souvent guidés par des intervenants de renom et de qualité, artistes par ailleurs programmés durant le festival.
18h25, boeuf permanent à la guinguette
Au bout du site, au pied d’une tour médiévale, après avoir longé les transats, le bac à sable et autres dispositifs qui accueillent les festivaliers au bord de l’eau, le point de chute est spontanément la guinguette. On y boit vins, bières, sirops, cidre, jus de fruits, thé ou café, on discute, et souvent on joue. De quelques musiciens à parfois une vingtaine de participants, ces boeufs animent quasiment en permanence les lieux, et il n’est pas rare de voir le bénévole qui nous avait servi notre bière se révéler musicien ou, à l’inverse, retrouver tel ou tel instrumentiste (voire artiste du festival) officier derrière le comptoir. Tout un état d’esprit, on vous dit. Et comme le site est en libre accès tout au long du festival, la fréquentation est éminemment populaire, à l’image de la culture qu’il entend mettre à l’honneur. Festivaliers, touristes et gens d’ici se retrouvent à boire un coup, et ce n’est pas la moindre des réussite du BAO.
19h32, Bel Air de Forro, premier apéro concert
Chaque soir, un apéro concert est proposé sur la scène qui accueillera plus tard le grand bal nocturne, donc devant un plancher qui n’attend que les danseurs. Même quand ils ne connaissent pas les danses associées aux musiques jouées, comme c’est parfois le cas ce soir avec Bel air de Forro et ses mélodies et rythmes du Nordeste du Brésil, les gens n’hésitent pas à délaisser tables et chaises pour aller guincher. L’ambiance est familiale, décontractée.
21h07, on mange quoi?
Le site a beau être dans la ville, il est un peu une bulle excentrée dont on ne repart pas toutes les 5 minutes (vu la pente à remonter!) pour aller chercher à manger, surtout en soirée. Bien sûr, il y a des restaurants pas loin, mais quand on est dans sa soirée on veut consommer sur place. L’offre de restauration est à la fois simple et de qualité, pour un prix abordable qui plus est : simples sandwichs charcuterie ou végétariens, salades, gâteaux maison ou pâtisseries orientales, galettes bien garnies, chacun y trouve de quoi se remplir le bidon, à condition de ne pas s’y prendre trop tard. Une promesse nous sera faite en fin de festival : “l’année prochaine, il y aura des frites!”.
23h40, bal poitevin
La danse prend pleinement possession des lieux à la tombée de la nuit, dans un bal populaire où les inconditionnels avertis côtoient les débutants enthousiastes ou même ceux qui ne dansent pas mais participent à la soirée malgré tout. Le premier soir fait la part belle au répertoire du Poitou avec le duo de l’Effet Dulogis puis les jeunes de Br!ndez!ngue (photo), avant de céder la place aux Auvergnats de Jericho, au son brut et envoûtant, qui emmène son monde jusqu’à 3 heures du matin … et ce sera comme ça tous les soirs. Les plus féroces retourneront ensuite boeufer ou boire un coup.
Jour 3. 09h35, reprise des stages
Autant dire que pour les stagiaires qui auraient eu envie de profiter pleinement de la soirée, le retour aux affaires le lendemain matin peut s’avérer laborieux. Pour autant, devant la qualité et l’intérêt des formations proposées, on regrette surtout de ne pas pouvoir en faire plusieurs. L’année prochaine, qui sait… A la pause, on échange entre ateliers, ou bien on discute davantage à bâtons rompus avec le prof. Avoir accès avec autant de simplicité à des discussions informelles avec des pointures dans leur domaine est aussi une des richesses de ces moments là.
17h33, le duo Montanaro/Cavez dans un cadre intimiste
Dans l’amphithéâtre de plein air baigné de soleil (photo), le public attend un duo belgo-provençal qui se joue des frontières. Balthazar Montanaro et Sophie Cavez déploieront, au fil des compositions où des airs traditionnels de tous horizons, une virtuosité et une générosité qui font plaisir à voir et à entendre. Le cadre intime se prête particulièrement bien à ce moment de partage, ponctué de l’humour et des sourires de ces jeunes artistes. Pour eux, comme pour d’autres, la question de la modernité des musiques traditionnelles ne se pose pas, tant sont manifestes le talent et le sens de l’appropriation contemporaine d’un patrimoine.
19h55, banjo(s)! barjots en liberté
Quel pari improbable que de proposer une création autour d’un quatuor de banjo! On aurait pu craindre le pire, mais ce fut une belle réussite qui a enchanté tout le monde. Sans se marcher dessus, sans que ça sonne brouillon, avec un grand sens de la pertinence de la place de chacun au service de l’ensemble, ces quatre gars là, avec leurs casquettes de rednecks et leurs gueules goguenardes ont, mine de rien, relevé avec brio le défi. Il faut dire que ce n’étaient pas n’importe quels banjoistes non plus...
21h10, dans les bois estoniens avec Maarja Nuut
Dans le cadre plus feutré et l’acoustique soignée du palais des congrès, nous avons découvert l’univers troublant et touchant d’une jeune chanteuse et violoniste estonienne, Maarja Nuut. Développant des paysages sonores notamment à la faveur d’une utilisation très judicieuse du looper, la demoiselle nous a emmené dans les campagnes et les villages de son pays, dans une bulle onirique et boisée, où les bruits de balançoire, de pas brossant le sol ou de cordes rêches en disent autant que les chansons populaires. Un joli voyage, qu’on gardera en mémoire davantage que la suite, une création jazz et danse contemporaine autour du patrimoine auvergnat qui nous a pour le moins laissé froids et dubitatifs.
01h40, Dour/Le Pottier quartet, la Bretagne tribale toutes cordes dehors
De retour sur le plancher et à l’air libre de la nuit, c’est d’abord avec le jeune duo limousin Lacouchie/Rivaud que nous avons pu danser. Ambiance joyeuse et festive, on est bel et bien dans un festival à taille humaine, avec sono raisonnée et de la place pour les échanges. Avec l’arrivée du groupe breton de la soirée, Dour/Le Pottier quartet (photo), tout prend une tournure plus furieuse. Aux accents tribaux des percussions et du violoncelle répondent les riffs et les thèmes des deux violons. Dans la ronde, les danseurs crient, martèlent le sol. Devant la scène, ceux qui ne dansent pas secouent la tête en rythme. Le groupe, parmi les plus novateurs de la scène fest-noz, aura ce soir montré que les tripes n’empêchent pas la finesse et l’à-propos.
Jour 4. 15h35, allons consulter l’oracle Tradooveij
Parmi les friandises proposées par le festival, on trouve l’initiative originale et amusante du musicien breton Erwan Burban, qui cette année revêt les atouts de l’assistant d’un oracle électronique délivrant ses conseils divinatoires sous formes de collectages de chants traditionnels. Amour, santé, travail, réussite aux examens, on entre dans la cabine sans trop savoir à quoi s’attendre. On en ressort avec une mélodie traditionnelle qu’il reste à interpréter, ce à quoi s’attelle brièvement le sémillant assistant, avec un sourire en coin. Inutile de dire que certain(e)s se sont pris au jeu, quitte à se départir du second degré qui pourtant préside au dispositif.
16h15, La circulaire au Carré Noir
Les organisateurs du festival sont avant tout des acteurs de la vie culturelle tout au long de l’année. En résidence à Parthenay au printemps, les trois musiciens du projet La Circulaire, figures reconnues de la scène bretonne, présentent aujourd’hui à deux reprises leur création. Autour du son continu qui caractérise la veuze et plus largement la famille des cornemuses, se déploie un spectacle mêlant samples, machines, projections vidéo et, au-delà des outils technologiques, une démarche cohérente et poétique servie par le chant, la flûte traversière et, donc, la veuze. L’ensemble montre avec brio à quel point toute cette culture est en prise avec son époque, s’empare et s’approprie ce vocabulaire dit traditionnel pour en faire une proposition particulièrement “actuelle”.
21h25, concerts enthousiasmants entre Suède, Ecosse et pays d’Oc
Après un apéro concert au son des chansons tantôt frivoles tantôt sociales des cabarets parisiens du début du 20e siècle, la soirée débute au palais des Congrès avec deux concerts d’une grande qualité. D’abord, le duo formé par Simon Thoumire et Ian Carr (photo), époustouflant de virtuosité mais aussi de complicité et d’ingénuité. Puis avec le trio Sirventès, généreux et décapant voyage dans le monde des troubadours du pays d’Oc, revisité par trois musiciens inspirés. Avec, en prime, la bonne humeur pour fil rouge.
21h25, un petit bal avant d’aller dormir?
Un brin fatigués, nous profitons malgré tout des beaux instants de danse et de musique des deux chanteurs de Nhac! (photo), accompagnés de leur shruti-box et d’une bonne dose de caractère. Les sonorités folk du trio Ballsy Swing prennent le relais, et nous rentrons à la tente quand d’autres poursuivront la danse et les festivités une bonne partie de la nuit.
Jour 5. 15h23, le bal d’après-midi qui décape
N’ayant pu arriver à temps pour la sieste musicale proposée par François Robin, nous débutons cette dernière journée de festival par le bal d’après-midi, que le programme indique comme animé par un groupe énigmatique, Golden Balls, sans en révéler le line-up. On découvre en fait un joyeux paquet d’artistes empruntés aux différents groupes programmés au festival, qui dans leurs gilets Adidas vintage et leurs lunettes de soleil offrent un bal populaire qui se fait plaisir, quitte à jouer la surenchère et les clins d’oeil. Le truc, c’est que c’est quand même très bon, rigolard, et assez jouissif. Merci les gars!
17h12, p’tit gus
En ce dernier jour, dans l’amphi de plein air se joue le spectacle d’un sonneur breton reconnu, Jean-Louis Le Vallégant, qui depuis plusieurs années explore l’intime au travers de ses Confidences sonores. Cette fois c’est à son propre parcours qu’il s’intéresse, à la jeunesse pas simple d’un fils de boucher qui veut sonner de la bombarde. Le tout est livré avec humour et tendresse, avec de la place pour lire entre les lignes d’un récit justement non linéaire, ouvert.
00h23, La foule des grands soirs pour le bal de clôture
Seul bal payant de cette semaine où la danse est reine, la soirée de clôture affiche pourtant une fréquentation particulièrement importante. Toute la semaine, on ne peut être que frappé par l’importante représentation de la jeunesse, tant dans la foule que sur scène. Et si ce soir ce sont des artistes confirmés qui conduisent le bal, la grande mixité du public en termes d’âge, de provenance sociale et géographique montre à quel point ces danses qu’on considère un peu rapidement comme relevant du passé peuvent être fédératrices. Après un excellent passage solo de François Robin, armé de sa veuze et de ses machines, ce sont d’autres bretons qui entrent en lice, Hamon Martin quintet (photo) pour un set toujours aussi impressionnant de maîtrise, d’inventivité, de justesse et de sensibilité
03h32, la claque Ciac Boum pour terminer
Qui aurait pu mieux terminer la soirée et le festival que ces héros locaux ? Ciac Boum (photo), unanimement plébiscité par le public, est une des figures de proue d’une scène trad qui, loin des clichés du bal folk ou des spectacles folkloriques, se réapproprie un patrimoine pour en livrer une lecture cinglante de fraîcheur et d’énergie. Christian Pacher et ses compères ont pendant plus de deux heures donné à voir, entendre et danser une musique joyeuse, généreuse, qui groove et qui claque. La jubilation des danseurs a duré jusqu’à plus de 4h du matin, avant que l’on ne résigne à laisser les rives du Thouet retrouver un début de calme, en attendant l’année prochaine...
Le Bilan
Côté concert
La découverte
Maarja Nuut, singulière, sensible, onirique.
La bonne dose de fraîcheur
Br!ndez!ngue, “merveilleuse jeunesse poitevine” comme le disait si bien le programme.
La transe
Jericho, hypnotique et atemporel, et Dour/Le Pottier quartet, tribal et modal.
La valeur sûre qui ne ronronne pas
le duo Simon Thoumire/Ian Carr, impressionnant de connivence et de maîtrise.
Les indépassables
Hamon Martin Quintet et Ciac Boum, combo idéal et affiche impeccable pour le dernier soir.
Côté festival
On a aimé :
- Le soin apporté à l'aménagement des lieux pour en faire un cadre vraiment agréable, accueillant et porteur d’une identité ;
- La grande qualité de la programmation, cohérente, variée, enthousiasmante;
- La disponibilité et la gentillesse des bénévoles
- La gratuité de beaucoup d’événements et, de fait, le côté très populaire et convivial de l’événement
- Les tarifs très raisonnables tant pour les stages que pour les spectacles, la restauration ou les boissons
- L’état d’esprit général, très ouvert, souriant, simple et humain;
On a moins aimé :
- l’insuffisance de l’accès aux toilettes, trop peu nombreuses sur le site.
- l’impossibilité de tout faire (on a, par exemple, du rater la programmation jeunesse et famille, qui avait l’air bien, pour faire les stages)
Conclusion
Le festival de Bouche à Oreille prouve depuis 29 ans comment les cultures traditionnelles font naître très naturellement une grande diversité de propositions, du théâtre au bal, en passant par le concert ou des performances et installations. Encore faut-il avoir l’occasion de se faire un avis là-dessus, et ce festival a l’énorme mérite de proposer un cadre agréable et décontracté, une ambiance populaire et conviviale, une programmation accessible et de qualité. Bref, un petit bijou aux antipodes des grosses machines un peu convenues ou des événements pointus pour mélomanes élitistes. Pour les 30 ans l’année prochaine, venez vous faire une idée !