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De Bouche à Oreille : loin des berges, ancré au grand large

Si vous êtes déjà venu au Bouche à Oreille (BàO), vous associez forcément le festival aux berges du Thouet, tant son identité tient aussi au site lui-même et aux belles soirées d’été partagées le long de cette rivière qui traverse Parthenay. Quand on a appris que cette année l’événement changeait de lieu, sans paniquer tout de suite non plus, on s’est quand même demandé dans quelle mesure ça allait tout changer.

Jour 1. 14h42, changement de décor et premier bal

Dès l’arrivée dans la ville poitevine, débarqués à l’accueil du festival au début du premier bal d’après-midi, on en apprend davantage sur ce déplacement du site historique. Nullement dû à un choix des organisateurs (mis devant le fait accompli un peu tardivement d’ailleurs), il s’est trouvé imposé par des travaux prolongés de manière imprévue. Reste que le festival a décidé de faire contre mauvaise fortune bon coeur et de jouer le jeu d’investir intelligemment et joyeusement le jardin des Cordeliers, proche de la chapelle du même nom, en amont des berges délaissées par la force des choses. Premier constat : le nouveau site semble conforme à ce qu’était l’ancien : convivial, joliment décoré et même, en cette semaine caniculaire, pourvu de brumisateurs. Deuxième constat : on ne va pas avoir à dévaler et remonter à longueur de journée cette fameuse pente qui piquait tant, à 3h du matin, les années précédentes… Pendant ce temps, regroupés sous l’ombre chiche du seul arbre penchant vers le plancher, de courageux danseurs s’élancent au son de Badegoule, premier groupe à s’exprimer dans cette 32e édition.

17h20, amphi, rêves et cagnard

Alors bon, tout n’a pas changé non plus, au niveau géographique : il y a toujours des concerts dans le bel amphithéâtre de plein-air qui borde les bâtiments de l’UPCP-Métive, asso organisatrice du BàO. Mais l’accès se fait par les ruelles tortueuses, pentues et ombragées de la vieille ville médiévale. Bref, de nouveaux repères à intégrer, de nouveaux itinéraires pour nos migrations journalières. Et un concert de 17h sous un soleil de plomb, placé sous le signe du voyage onirique le plus complet, porté par des structures ondulantes, des tessitures fantomatiques et une rencontre en prise directe entre saxophones et machine, avec le duo Saxabourdon.

19h16, apéro post-trad futuriste en mode contrebandier breton

Les fondamentaux du festival restant inchangés, le programme quotidien comporte un apéro concert à 19h et les premiers à s’y offrir en pâture sont les jeunes bretons de Castor & Pollux. D’abord fanfare de rue avec costume post-trad déjanté et baskets dorées, la formation présentait là la première de son spectacle “Contrebandes”, destiné à la scène. Les 5 musiciens ont ainsi déployé, avec une belle musicalité et un sens aigu du groove chanmé, leur capacité à intégrer à leur patrimoine régional une myriade d’influences, de l’afro-beat au jazz éthiopien en passant par des musiques urbaines plus occidentales et même un détour par l’Indonésie.

22h02, Aronde = Simca ou hirondelle

Autre collision d’univers musicaux à une échelle moins globale, la rencontre entre des Auvergnates et des Béarnais au sein du quartet Aronde, au crépuscule. Moment suspendu, puissant, puisant dans des traditions qui se fréquentent là avec cohérence et sensibilité. Un partage joyeux et impliqué autour d’une musique à la fois rêche et généreuse. Une bien belle manière d’accueillir la nuit ici-bas, en tout cas.

00h46, premier bal nocturne

Faire des contraintes une richesse et se saisir de ce qu’offre la nouveauté imposée : tel a dû être le credo constructif de l’équipe du BàO. Ainsi, à la nuit tombée, on découvre un site particulièrement agréable. Pas vraiment de fraîcheur encore (mais ça, on n’y peut rien), mais une scène et surtout un plancher plus grands que les années précédentes, un environnement enchanteur qui domine la vieille ville et est bordé par la chapelle aux vitraux éclairés de l’intérieur. Mettez de la bière en plus dans la négociation et on arrête de se poser des questions, on profite. En l’occurrence, des deux duos à officier pour ce premier bal nocturne, d’abord les violons complices de Carbone 14, puis les énergies imparables de Longskateurs. Des répertoires trad et folk, ancrés et ouverts, qui clôturent idéalement cette première journée.

Jour 2. 15h01, sur site à la coule

Comme d’habitude, la journée commence ici par un bal et, comme hier, sous un cagnard terrible. Pas d’ombre, plancher brûlant, il faut en vouloir mais on ne se décourage pas facilement, dans les parages. Le collectif angevin Bulles d’airs ouvre ainsi les hostilités, les plus indolents des festivaliers préférant s’alanguir nonchalamment dans les transats et autres sièges à flemme tout ce qu’il y a de plus légitime en cette heure de fournaise. La buvette tourne gentiment, et on prend le temps d’arpenter un peu le périmètre du festival. Les stands restauration disposés auparavant le long des berges sont moins nombreux et installés sur la place bordant la chapelle. On y retrouve des incontournables à prix abordables, variés et goûtus, avec au centre des tables où s’installer. Un peu plus loin, une seconde buvette qui restera périphérique tout le long de la semaine. C’est aussi dans cet espace que se planteront la plupart des boeufs musicaux, impromptus incontournables du festival.

17h24, à travers moi

Autre lieu habituel pour les spectacles d’après-midi, le petit théâtre du palais des congrès. L’endroit idéal, feutré et souterrain, pour accueillir la création “à travers moi”, des musiciens Gweltaz Hervé et Stévan Vincendeau. Accordéon diatonique et saxophones composent ensemble un univers qui se fond dans les autres composantes du spectacle, à savoir une scénographie, des éclairages et des images d’animation qui tissent un voyage sans paroles, tout en dialogue entre les musiciens, entre les images et les sons, pour un périple en forme d’immersion globale. Une belle réussite, douce et rêveuse.

20h33, finesse et force des goûts dans le palais

Après avoir pris le temps d’un repas et d’un apéro concert avec Parkmetr, de nouveau sur les bords de plancher avec comme leitmotiv social de ne jamais se laisser déshydrater puisque la bière est bonne, on s’en revient vers le Palais des Congrès. C’est là que les concerts du soir convoquent des traditions et des mélanges venus parfois de loin. Dans la grande salle archi bondée aux fauteuils moelleux, on découvre d’ailleurs à la fois la population festivalière qui arpente le site des bals, et des gens qui ne viennent qu’à cette programmation de concerts avec beau son, belles lumières et public confortablement assis. Ce soir, on débute avec las hermanas Caronni, deux jumelles d’origine argentine (et italienne) offrant une jolie complicité et une parfaite harmonie dans les arrangements délicats et précis, les instruments (clarinette et violoncelle), les voix et les répertoires empruntant à de nombreux registres qui jamais ne se plaquent vulgairement. Un moment de grâce du début à la fin. Viennent ensuite les Corréziens de San Salvador, déjà découverts au festival Fisel de Rostrenen il y a quelques années. Ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent en préambule (“la polyphonie, traditionnellement, n’existe pas en Corrèze… on n’est pas assez nombreux”), ces six-là offrent un ensemble puissant et cohérent avec une identité propre et héritée à la fois, et ça marche du tonnerre.

23h50, bal breton poitevin

On se dépêche de rejoindre le parquet de danse, où le bal a déjà commencé. C’est d’abord un duo trans-régional qui officie, avec les excellents accordéonistes très complémentaires que sont le Breton Régis Huiban et le Poitevin Lucas Thébaut, avant que la soirée ne se poursuive avec le trio Planchée, de Haute-Bretagne. Avant-deux, ridées, tour, maraichines, ronds de Loudéac, passe-pied, valse, scottiche, mazurka, autant de moments portés par une musique ancrée, que les générations d’ici et maintenant incarnent et s’approprient librement.

02h50, fin de soirée sous les étoiles

La première soirée s’était terminée vers 2h, là il est 3h passées et on bute sur une des problématiques du nouveau site : autant, auparavant, on pouvait prolonger à la buvette sur les berges sans craindre de déranger, autant cette année il faut prendre en considération le voisinage, qui en est par ailleurs à son 3e festival consécutif… Le site est ainsi progressivement vidé, le temps pour les derniers furieux de se trouver un endroit approprié pour un dernier boeuf, une dernière bière, un dernier moment à partager. Ce sera finalement chose faite, et la nuit se terminera ce soir là sur les coups de 6h.

Jour 3. 16h25, vide chansons et promenade dans les ruelles

Déjà le troisième jour et une canicule qui commence à fléchir. Nouveau bal d’après-midi, des boeufs musicaux qui fleurissent dans les coins d’ombre, et l’occasion d’aller découvrir un rituel quotidien auquel on n’avait jusqu’alors pas assisté lors des éditions précédentes, à savoir le vide-chansons. Dans un jardin de la vieille ville, vient qui veut pour partager des chansons à la bonne franquette, autour d’un ou plusieurs thèmes choisis. Cette année : “petits meurtres en famille”, “menteries”, “retour de soldats”... Tout un programme, mais il en faudrait plus pour nous ôter le sourire.

17h13, le chant acidulé des femmes à barbe

“Conte polyphonique”, le spectacle Barbe Bleue s’articule autour des trois chanteuses de San Salvador et de la comédienne Martina Raccanelli. Ensemble, les quatre femmes donnent à voir une restitution du fameux conte avec beaucoup de facétie, de bonnes idées visuelles et une légèreté qui n’ôte rien au nuage noir de sauvagerie que recèle l’histoire. Le chant est ici un liant opportun qui cimente tant l’histoire que les personnages.

19h24, Djé Belti, l’afrobeat niçois chamanique

Le festival de Bouche à Oreille a cette spécificité de ne rogner sur rien : spectacles exigeants et convivialité primordiale des cultures populaires qui en forment le coeur multiple, variété des horizons musicaux et des approches, ancrage et liberté concrète dans la manière de s’approprier, stages de musique, de chant et de danse pour les passionnés, mais aussi gratuité et accessibilité des nombreux bals pour ouvrir à tout le monde. Ce soir, l’apéro concert est idéalement confié à un groupe hallucinant et néanmoins niçois, à savoir le trio Djé Baleti. Tenues tribales bricolées à partir d’une ethnicité mentale inventée et revendiquée, imprécations chamaniques et discours libertaires et fédérateurs en rupture avec les autoroutes de la société de consommation, et surtout un sens de la fête complètement débridé, servi par des rythmiques au groove inarrêtable. Afro-beat, highlife et autres incarnations africaines au service du déhanché du bassin. Au delà de l’emploi de la langue occitane ou de l’espina, ces gens-là composent une musique festive et électrisante, généreuse, furieusement contemporaine et se jouant des frontières comme des étiquettes.

23h42, de Gascogne en Palestine, tout ça pour finir dans le Morvan

Pour cette deuxième soirée au Palais des Congrès, deux groupes ancrés dans la musique à danser proposaient un répertoire concert. D’abord les Gascons de Laüsa, une jeune génération qui s’approprie son héritage sans complexe et en propose une visite baignée d’influences africaines, folk, rock, sans en faire trop ou donner dans le placage sans liant. Ensuite, Kharoub, la création du Hamon Martin Quintet, figure emblématique de la scène bretonne, fruit de la rencontre avec des musiciens palestiniens, Basel et Yousef Zayed. Portés par une complicité manifeste et des sourires qui en disent long sur le plaisir à jouer ensemble, ces musiciens de haut vol proposent un spectacle élégant, ambitieux et simple à la fois, très humain en tout cas. Le public en redemande et c’est très naturellement qu’on finit par danser un “tour” entre les rangées de sièges, en chantant un hymne à la lutte de Notre-Dame-des-Landes. Reste ensuite à redescendre vers les lampions du parquet de bal où se succèdent Triptyque, proposition originale de légendaire Hervé Capel entouré de deux jeunes pousses, puis du trio Durand-Millet-Raillard et ses bourrées infernales du Morvan.

Jour 4. 13h52, sieste musicale

Il y a trois ans, on avait apprécié les sieste musicales proposées par François Robin et, la fatigue accumulée aidant, on se laisse tenter par un doux moment digestif avant d’attaquer cette dernière journée de festival. Dans le même jardin qui accueille chaque jour les vide-chansons, on s’allonge ainsi dans l’herbe, profitant de l’ombre et d’un léger vent frais qui fait du bien. La canicule est globalement terminée, mais il fait bon se poser, porté par la contrebasse et la guitare de deux musiciens très à l’écoute, tout en retenue. Ne pas s’endormir, ne pas ronfler… Allez, c’est reparti.

15h54, Ratamouche et petites gambettes

Le dernier jour, le bal d’après-midi est volontiers à destination des familles, incluant les enfants dans une proposition musicale ludique et accessible, à la convivialité qui fleure bon le week-end. Et comme souvent, les enfants entraînent les parents qui, sinon, ne seraient pas allés danser et auraient raté une occasion de se rendre compte que c’est plaisant, en fait. En tout cas, c’est une vraie réussite que ce petit bal Ratamouche. Catherine Faure, Anne-Lise Foy et Jean-Pierre Sarzier savent emmener leur monde, ça gigote, ça se trémousse ça galope et surtout ça partage de beaux sourires.

18h42, sur site entre amis

Avant le dernier apéro-concert avec les Périgourdins de Moizbat’ qui fonctionnera à merveille, on prend le temps de profiter des amis et de l’ambiance de ce festival où, décidément, on se sent chez soi. Discussions sur les transats qui se prolongent tant et si bien qu’on rate le concert de guimbardes du monde de 17h, mais on baguenaude entre les derniers boeufs (le bal de clôture étant au Palais des Congrès, le site extérieur est fermé en début de soirée) et on se rend compte qu’une étrange fièvre se propage parmi les bénévoles, de plus en plus nombreux à passer sous la tondeuse et arborer une belle crête qui sent bon le craquage de fin de festival. Les vrais punks sont dans le trad, ça se confirme.

22h38, dernier bal

Comme de coutume (et c’est un peu dommage…), on quitte le cadre extérieur pour le seul bal payant du festival, dans une salle particulièrement bien décorée et joliment éclairée. Pas moins de quatre groupes s’y succèdent, pour un public de danseurs venu nombreux. Après les Dirty Cap’s, c’est le tour de Ma Petite, groupe récent et particulièrement prometteur. Groove toujours là, arrangements bien vus, de la place intelligemment répartie entre les musiciens. Dans la salle, ça marche bien, en tout cas, et les gens manifestement s’éclatent.

01h22, power trio en roue libre : on lâche les chiens

Le trio qui braque ensuite la scène n’est pas composé de lapins de six semaines : c’est du lourd, messieurs dames. Sur le papier, la rencontre entre Julien Padovani (accordéon), Grégory Jolivet (vielle) et François Robin (veuze) avait de quoi faire saliver. Sur le terrain, ça envoie direct en mode groove machine format B52. Des gars visiblement contents de jouer ensemble, très complémentaires et qui savent se relayer, faire monter la sauce, un vrai bonheur. Le répertoire est varié, accueillant l’identité de chacun, et à chaque fois ça fonctionne. Tandis que la fièvre de la tondeuse à crête continue de sévir à la buvette parmi les bénévoles, y compris les séniors, et qu’on brade les bières pour finir les fûts, on se termine avec joie et insouciance sur le délire groovy de Turfu et leur techno folk minimaliste débridé. Sur les coups de 4h, il faut bien se résoudre à l’idée que ça y est, il est fini, le festival.

Le Bilan

Côté concert

La claque festive
Djé Baleti, inclassable et on s’en fout.

Le groove qui bastonne
Le trio Padovani//Robin/Jolivet, qui renverse tout sur son passage.

Le coup de coeur fraicheur
Planchée, le trad juste comme il faut le faire.

L’ovni bienvenu
Les contrebandiers cosmique de Castor et Pollux (on veut habiter sur leur planète) et A travers moi, pour l’immersion profonde et très musicale.

La rencontre qui fonctionne
Aronde et Kharoub, dans des démarches et avec des ressorts complètement différents, mais également pertinents.

Côté  festival

Ce qu'on a aimé

- l’intelligence et le soin apporté à la reconfiguration du site, surtout en si peu de temps : ça reste un endroit où on se sent bien, ouvert et convivial
- une programmation toujours aussi bien foutue, avec des surprises, des poids lourds pas décevants, en prise directe avec ce qui se fait de novateur ou tout simplement de bon dans cet univers musical si riche ;
- la disponibilité et la gentillesse des bénévoles tout au long de la semaine
- la gratuité de la majorité des spectacles et bals, ce qui donne de belles occasions à cette culture populaire de montrer son potentiel à tout un chacun
- les tarifs très raisonnables tant pour les stages que pour les spectacles, la restauration ou les boissons
- l’état d’esprit général, très ouvert, souriant, simple et humain

Ce qu'on a moins aimé 

- la complication inhérente au changement involontaire de site, notamment pour les prolongations nocturnes
- le son pas toujours très bon sur la scène de bal, et (c’est pas souvent qu’on dit ça…) franchement pas assez fort sur nombre de concerts
- le fait que le bal de clôture soit dans une salle : ce serait tellement bien de finir en extérieur comme pendant le reste de la semaine...

Conclusion

Malgré un bouleversement géographique dont ils se seraient bien passés, les organisateurs ont su investir différemment la ville et s’en sortent avec une belle réussite. Les fondamentaux du festival sont maintenus, malgré l’éloignement des berges et la question se posera plus tard de choisir, cette fois, où s’implanter. Pourquoi ne pas doubler la mise ? Cette édition aura été l’occasion de découvrir un beau lieu à s’approprier et, si les abords du Thouet proposent un cadre aussi commode qu’agréable, avec lequel il est difficile de rivaliser, il serait sans doute dommage de ne pas intégrer dorénavant cet espace des Cordeliers à l’identité du Bouche à Oreille. En plus, c’est pas pour dire, mais c’est quand même plus facile à remonter, comme côte...