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Soviet Suprem : “On adore faire les dictateurs sur scène”

Tu ne connais pas encore Soviet Suprem ? Au goulag ! Des beats balkaniques et un flow hip-hop, bienvenue dans l’URSS remodelée façon groupe de musique. Des références rouges pour une ambiance de feu, on a rencontré R-Wan, ancien chanteur de Java, désormais nommé Sylvester Staline chez les Bolchoï.

Tous les Festivals : Salut Erwan. Tu as déjà fait pas mal de festivals, d’abord avec ton ancien groupe Java, puis en solo. Quel goût cela a pour toi de reprendre une tournée des festivals avec Soviet Suprem ?

R-Wan : Le déroulé d’un festival est toujours le même, mais j’ai changé de projet. En festival, on a toujours des conditions différentes en fonction des projets que l’on mène. Quand je tournais avec Java, ça marchait bien, c’était tour bus. Puis j’ai fait des projets solo, et là on venait en voiture, ou en train.

A chaque nouveau projet tout repart de zéro ?

Ouai à chaque fois je remets mon titre en jeu, et ma condition sociale repart de zéro. L’artiste c’est les montagnes russes. Après, t’as des gens ils font une carrière sur un même groupe pendant 40 ans, c’est leur choix.

Et dès le début, Soviet Suprem a plutôt été bien accueilli ?

Cela marche plutôt bien, oui ! Au début, c’était un projet en parallèle de nos groupes respectifs, avec Thomas de la Caravane Passe. On se connaît depuis longtemps. Thomas faisait le MC dans des soirées balkaniques, à Paris ou en Europe, et il m’a invité pour animer ses soirées. On s’est alors dit qu’on voulait faire un projet de club. Au départ, c’était avec deux MC et on ne voulait pas forcément faire un groupe. Le projet a tout de suite marché, et c’est devenu pratiquement notre activité principale. On a commencé à chanter sur un mélange de hip hop et musique de l’est, et tous les folklores dans lesquels on avait puisé nos idées viennent d’ex républiques soviétiques. Donc quand il a fallu trouver le nom du groupe, on s’est dit on allait s’appeler Soviet Suprem.

L’URSS, le communisme, cela fait partie de votre histoire ?

Pour nous c’était marrant, parce que l’arrière grand père de Thomas était déjà au Parti Communiste, moi j’ai grandi dans une banlieue rouge. On a connu la chute du mur. On a connu le monde divisé en deux, et on trouvait ça marrant de réveiller ces fantômes là, et puis surtout de pouvoir imaginer ce que serait la musique mondialisée si l’URSS avait gagné la guerre froide. Ca ne s’appelerait pas la World music, ça s’appelerait l’internationale, d’où le nom de l’album. A partir de là, on a choisi des noms de personnages, Sylverster Staline et John Lénine, pour un show assez théâtrale. Ce qui était intéressant était de prendre tous les clichés de la publicité et du marketing, qui ont récupéré toutes les idéologies du punk et du rock. Nous on s’est dit qu’on allait faire le contraire, prendre le marketing et le détourner vers le communisme. On a créé toute une imagerie, avec par exemple Air Marx, et la virgule à l’envers, dans un esprit un peu Hara kiri. Et en musique, ça part dans tous les sens.

Du coup votre concert est théâtre ?

Oui. En se mettant dans la peau de dictateurs, on utilise tous les clichés du rock. Le gars arrive et dit “on va lever les bras en l’air, on va faire si, on va faire ça”. Ca fait complètement dictatorial ! Et la foule s’exécute. C’est marrant de le faire au second degré.

Tu prends plaisir à être un dictateur sur scène ?

On adore faire les dictateurs sur scène. C’est comme les acteurs, ils préfèrent toujours jouer les méchants que les types biens. C’est toujours plus jouissif ! (rires) Bien sur je prends beaucoup de plaisir, je suis même armé. On a tous un côté un peu nazi en nous (rires)

Cela aurait quand même été plus compliqué de faire un groupe satirique autour des nazis, non ?

On aurait plus s’appeler la Wehrmacht mais c’était déjà pris ! (rires) Comme souvent, cela dépend de l’histoire du pays. Il y a des pays de l’est, en Lituatie ou en République Tchèque, où l’on a été refusé. Parce que pour eux l’URSS équivaut aux nazis pour nous. On a aussi eu des soucis en France. C’est marrant pour un projet avec vachement de second degré. Au mois d’août, on a joué à Carpentras, et on a eu une bagarre avec des mecs du FN qui nous ont lancé des bières dessus, qui sont allés sur scène. J’ai mis deux trois patates ! (rires)

Mais derrière ce projet tu n’as pas la volonté de faire de la politique ?

Faire de la musique c’est déjà faire de la politique. C’est cliché ce que je vais te dire, mais au final tout est politique. Je suis né là dedans, parce que j’avais un père journaliste (Ndlr : Pierre-Luc Séguillon), je lis les journaux, mais j’ai décidé de faire le saltimbanque. Mais mon rôle est de divertir les gens, et je déteste les groupes qui te font la morale, qui te disent de penser comme ça. Ce n’est pas non plus anodin de faire un groupe comme ça, ça permet de poser des questions, le second degré et l’humour permettent aussi de toucher à quelque chose, et on réveille un truc que les jeunes générations n’ont pas connu, il y a toute une esthétique soviétique assez belle. L’idée de départ, contrairement au nazisme, était une belle idée. Finalement, je ne m’attendais pas à ce que ça marche comme ça. On a sans doute touché à un point sensible pour que cela fonctionne au delà de la musique

Ca fait quelques années que la musique balkanique a vraiment le vent en poupe, surtout en Europe de l’ouest …

Oui c’est sur, vu que c’est né dans les clubs le but est de faire la fête, on veut faire danser les gens. Après Thomas, qui a monté le groupe avec moi, joue ça depuis 20 ans, c’est pas arrivé comme ça. Ce n’est pas une musique que je connais très bien au départ, et ce que j'ai aimé là dedans c’est qu’il y a un côté club où les gens viennent faire la fête, mais tu n’as pas ce côté froid et individualiste où chacun danse dans son coin, et ce n’est pas la salsa où les gens doivent savoir danser pour être ensemble. Il y a un côté bordel, et j’ai retrouvé l’énergie que j’ai connu à la fin des années 80 avec le mouvement punk et alternatif, avec Les Wampas, Berruriers Noirs, un mouvement complètement en dehors qui n’avait pas été recupéré par le marketing. J’ai retrouvé ça dans ces soirées.

En vérité, l’objectif de Soviet Suprem était de jouer à la Fête de l’huma ?

Oui, c’était un de nos buts quand on a monté le groupe ! Jouer à la Fête de l’Huma. Et on sera sur la grande scène, même si cela a pris un peu de temps dans les négociations. Il y a des gens au Parti Communiste qui n’ont pas forcément un grand sens de l’humour ! (rires) On est super content. Thomas il y va depuis tout petit, moi aussi j’y allais enfant. Je l’avais déjà fait avec Java, et on en a fait une en province avec Bordeaux. Et il y avait pas mal de vieux cocos qui étaient là, et il y avait pas mal d’émotions, avec les références au rideau de fer et autres.

Et pas de dates du côté de la Russie ?

Et non, en fait en Russie, le problème est d’avoir des visas. Thomas y est allé l’année dernière avec la Caravane Passe, moi une fois avec Radio Cortex. On essaye de passer par des centres culturels français. Et quand on a proposé Soviet Suprem au Centre culturel français de Saint Petersbourg, ils nous ont dit vous “vous foutez de nous, il est hors de question !” (rires)

Vous n’avez pas eu des réticences du côté des festivals français ?

Pas pour les mêmes raisons. Il y a un truc très français : les médias sont réticents quand tu mets de l’humour dans la musique, tu es tout de suite cataloguer “festif”, parce que ça sent le foin. C’est très snob ça, comme à Rock en Seine ou aux Eurocks, il faut qu’il y ait des anglais avec des slims et des bottines ! (rires)

Tu en as fait comme festivaliers ?

J’ai honte de ça, j’ai commencé à vivre de la musique à 25 ans, et je suis jamais allé sur un festival. Bon si j’allais à la Fête de l’Huma. Et vu que je tournais, ça me rappelait le travail, et je ne voulais pas y aller. Je suis un peu agoraphobe, donc j’aime bien voir la foule depuis la scène, mais pas forcément être dedans

Tu as le temps d’en profiter quand tu es en tournée, entre deux concerts ?

Je préfère d’abord m’occuper de mes enfants !

En festival cet automne : le 12 septembre à la Fête de l'Humanité, le 18 septembre au Sugar Festival, le 19 septembre au Ze Fiestival, le 25 septembre au Festival de la Rue du Bizeou, le 26 septembre au Big Bag festival, le 4 octobre au festival des Vendanges de Suresnes, le 16 octobre au Festi'val de Marne, le 13 novembre aux Z'ecclectiques collection automne

Propos recueillis par Morgan Canda, Victoria Le Guern et Quentin Thomé