Interviews
Louise Delavier : « En festival il y a plein de témoins, plein de gens qui voient des trucs et qui ne disent rien. »

Depuis quelques semaines, les médias français se saisissent tout doucement de la problématique du harcèlement sexuel en festivals. Des associations de prévention et d'aide existent pourtant depuis très longtemps et sont de plus en plus présentes en festivals et autres événements de grande ampleur. Nous avons rencontré Louise, d'En Avant Toutes, sur le stand de l'association lors de notre passage à Rock en Seine pour parler d'un combat qui devrait devenir celui de tous les festivaliers. 

Tous Les Festivals : Hello Louise, peux-tu nous présenter l'association En Avant Toutes ? 

Louise Delavier : En Avant Toutes est une association qui lutte contre les violences au sein du couple et de la famille et qui s'adresse spécifiquement aux jeunes, entre 16 et 25 ans. Pourquoi les jeunes ? Parce qu'elles sont assez sous-représentées parmi les victimes de violences conjugales. Les violences conjugales c'est 1 femme sur 10 en France et ça passe à 1 femme sur 7 quand on parle des moins de 25 ans. Nous on a décidé de s'atteler au problème, on a fait toute une étude de terrain pour voir où étaient les manques. Les assos nous ont dit que les jeunes ne venaient pas les voir, qu'elles n'appellaient pas le numéro national qui est le 3919... Donc on a décidé d'agir sur 2 fronts : d'une part la prévention, dans les collèges du Val d'Oise par exemple ou en formant des professionnels qui sont en lien avec les structures jeunesse, et à côté de ça on a décidé d'investir le numérique. On nous a dit "les jeunes elles ne parlent pas", mais en fait les jeunes, elles parlent tout le temps, sur Internet, sur Facebook, sur Doctissimo... où elles sont conseillées par des pairs. Donc des femmes comme elles qui ne sont pas forcément formées : il peut y avoir des questions qui restent en suspens, beaucoup de jugement et de culpabilisation aussi. Nous on a décidé de créer un site qui parle des violences, dans un cadre très bienveillant et sans injonctions, et sur ce site on a mis un chat. C'est exactement comme le numéro national sauf que c'est sur internet et adapté à tout support. Ca permet d'écouter les femmes, ce qu'elles sont à dire, ça permet aussi de les conseiller, si elles ont des questions, sur les démarches à suivre et de les réorienter si elles ont envie. Sinon, on est de nombreux bénévoles de tous horizons car on organise régulièrement des réunions pour échanger nos idées ou des "Dansoké", c'est comme un karaoké sauf qu'on danse devant un écran géant. On passe que des clips avec des femmes, pour faire un truc qui représente toutes les femmes, qui change par rapport à ce qu'on voit sur MTV et ça permet de se réapproprier son corps, faire ce qu'on a envie et d'être bien ensemble. 

Vous êtes présents sur certains festivals depuis récemment...

Absolument ! Cette année on a fait Solidays et Rock en Seine et des festivals plus locaux, Comme Nous Brûlons en région parisienne, et Sur Les Pointes. Nous on voulait faire des festivals parce qu'on voulait toucher des jeunes. Et en fait à Solidays on s'est rendu compte qu'il y a beaucoup de femmes qui venaient s'exprimer. On a une animation qui s'appelle "Le Relou" qui propose aux gens de lâcher du lèste et d'écrire sur le Relou gonflable, s'ils ont envie de parler de situations difficiles. Et il y a pas mal de femmes qui sont venues nous dire que pendant le festival parfois, elles n'étaient pas tranquilles. Qu'elles se faisaient peloter, qu'elles se prenaient des insultes et qu'elles ne pouvaient pas allumer une clope sans qu'il y ait 15 mecs qui leur foncent dessus... Du coup on a décidé de continuer dans cette dynamique à Rock en Seine et d'être un lieu identifié où les femmes peuvent venir parler et où elles seront écoutées par des oreilles bienveillantes si elles en ont l'envie. Après c'est un travail beaucoup plus gros à faire à l'avenir. Solidays nous ont d'ailleurs appelé pour nous dire que maintenant ils allaient former tous les bénévoles, la sécurité, les agents de police autour, former tout le monde pour que ce soit enfin des questions prises en compte et qu'il y ait un vrai "arsenal" logistique, administratif et légal pour contrer ce phénomène qui est sacrément répandu. 

Comment explique-t-on le fait que ce types de dispositifs existent déjà dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne alors qu'en France on commence tout juste à aborder le sujet dans les médias ? 

En France le harcèlement existe beaucoup, comme partout. Je n'ai pas de réponse claire à cette question mais je pense qu'en France on a une espèce d'injonction au fun et à la fête qui fait que "là on s'amuse et il faut pas être rabat-joie" qui va aussi avec beaucoup de représentations sur la séduction à la française. Du coup une fille qui n'accepte pas que, quand même, on la touche un peu, c'est une meuf pas marrante. On préfère garder une vraie omertà sur ce sujet au lieu de prendre le taureau par les cornes. Du coup la conséquence pour les femmes c'est qu'il est hyper dur pour elles d'en parler, déjà parce que confier une agression sexuelle à chaud c'est pas simple, et en plus quand autour de nous on nous dit qu'on n'est "pas marrantes", ça rend le truc encore plus difficile. Il y a une vraie complicité entre les agresseurs et l'Etat sur ce sujet en France. 

Qu'est ce qu'on pourrait faire aujourd'hui pour améliorer les choses au niveau des festivals ? 

Je pense que c'est important premièrement de libérer la parole, qui s'est déjà bien libérée ces dernières années notamment grâce à internet. Je pense qu'il faut qu'il y ait des gens qui écoutent cette parole et à mon avis il faudrait que les organisateurs se responsabilisent sur cette question. Si tous les bénévoles d'un festival étaient formés à la question et veillaient au grain, ce serait un peu mieux. Ce serait intéressant aussi de jouer sur la solidarité. En festival il y a plein de témoins, plein de gens qui voient des trucs et qui ne disent rien. Ce serait bien qu'à un moment les gens réagissent et qu'on encourage ça. Ca pourrait même être une campagne d'information. Il faudrait que ce soit visible parce que pour l'instant c'est caché et le fait de cacher ça, ça ne profite qu'aux agresseurs. Mais c'est des changements à faire à n'importe quelle sphère de la société. C'est une question de volonté politique à beucoup de niveaux, comme c'est un système qui permet ça c'est tout le système qu'il faut changer. 

Comment devrait-on réagir face à ce genre de situations en festival ?

Avant tout je tiens tout de même à conseiller aux hommes de ne pas agresser ! C'est très important déjà d'avoir conscience que ce n'est pas normal, parce que c'est vrai que quand on en parle on essaye d'en parler de façon un peu légère et souvent on va entendre "c'est un mec relou, un mec un peu chiant", en fait non. C'est un agresseur ! Avoir conscience que nous en tant que femmes, on n'a pas à subir des choses comme ça, ça permet déjà de repousser la personne un peu plus clairement. Dire non plein de fois c'est aussi un truc qui marche, affirmer son non. On peut aussi s'appuyer sur les gens autour de nous, dire "là il m'arrive un truc pas cool". Il y a plein de réponses très créatives que les femmes peuvent trouver. Se mettre à hurler, faire n'importe quoi, dire "attends, excuse-moi, je suis avec mon ami imaginaire" quand on nous demande si on est seules (Rires)... Bref, dérouter l'agresseur c'est aussi un truc qui peut bien marcher. 

Pour pouvoir trouver la réponse qui nous convient il faut d'abord etre convaincue que c'est des choses qui ne sont pas normales et pas acceptées même si on a bu, qu'on fait la fête... Dès lors qu'on n'est pas d'accord je pense qu'il est important de le faire savoir d'une façon ou d'une autre. 

Et si ça arrive, que devrait-on faire ? 

Déjà, on en parle. Si on le sent. Ca peut prendre du temps parfois, c'est normal. C'est pas grave si c'est arrivé il y a quelques mois, il y a plein d'assos qui sont prêtes à écouter. On peut aussi en parler à des amis, des parents. On peut porter plainte, c'est pas facile parce que les policiers ne sont pas toujours formés à ces questions, mais quelques fois ça marche. Et plus les femmes le feront et plus les policiers seront formés. Et ensuite, militer ! C'est quelque chose qui peut être très "empowering". Ca peut aider d'être avec des gens qui sont bienveillants, qui savent ce que c'est, c'est quelque chose qui est inestimable et qui peut aider. 

Comment fait-on pour militer ? 

On peut aller à En Avant Toutes (Rires) ! On peut rejoindre des assos, écrire des articles sur internet, on peut dire au potes relou que là ils sont relou. Ca se fait à plein de niveaux. On peut défendre ses copines, parce qu'il y a dans ce genre de contextes hostiles toujours le risque de la misogynie intériorisée. C'est beaucoup plus facile de dire "elle c'est une pute, regarde moi je ne suis pas comme ça", c'est comme ça que fonctionnent les opressions. Si on était toutes un peu plus solidaires, ça irait déjà mieux, et après on sera tous solidaires, et ça n'arrivera plus. Je serais peut-être morte mais voilà (Rires) ! Mais pour l'instant ça existe encore donc on continue ! 

Propos recueillis par : Justine Devillaine et Anja Dimitrijevic
Photos : Anja Dimitrijevic