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Le harcèlement sexuel en festival : autopsie d'un phénomène invisible

Si les cas de plaintes pour agression sexuelle et viol ont bouleversé l'actualité des festivals mondiaux en 2016, la situation des festivals français sur le sujet reste une grande inconnue. Chiffres inexistants, couverture médiatique sporadique et prévention parcellaire... Où en est-on ? 

Même si les médias n’en font pas toujours grand étalage, les festivals sont touchés par une réalité moins joyeuse que “sex, drugs and rock’n’roll”, celle des cas d’agression sexuelle et de viol. Chaque année, souvent dans le silence, de nombreux cas d’agressions sexuelles sont rapportés à la suite de festivals. En 2016, l’actualité a été particulièrement secouée par un grand nombre d’agressions en Suède, avec 38 jeunes filles victimes d’agressions sexuelles au We Are Sthml et 15 plaintes pour viols doublées de 40 plaintes pour agression sexuelle déposées à l’issue du Bravalla Festival. Un cas qui a choqué la communauté médiatique et festivalière, mais qui n’est, malheureusement, pas si rare… A l’étranger, le phénomène prend des airs de panique générale, mais en France, il se passe quoi au juste ? Entre absence de chiffres et couverture médiatique parcellaire, autopsie d’un sujet flou.

Festivals français et agressions sexuelles : un phénomène difficilement quantifiable

On a beaucoup entendu parler des cas d’agressions sexuelles qui ont eu lieu dans des festivals à l’étranger et eu la part belle dans l’actualité. En Suède, les autorités ont rapporté, en 2016, que le cas d’agressions sexuelles au We Are Sthml avaient doublé en un an malgré le renforcement nécessaire de la sécurité pendant le festival. Un mois plus tôt, toujours en Suède, le plus gros festival du pays, le Bravalla Festival, s’est terminé avec un triste de bilan de 40 plaintes pour agression sexuelle. En Allemagne, 14 femmes portent plainte pour agressions sexuelles à un festival à Darmstadt en mai 2016.  Un an plus tôt, un homme est arrêté au V Festival, suspecté d’y avoir violé une femme. Et on est encore loin du compte...

En France, et comme ailleurs, les chiffres et les témoignages concernant les agressions, le harcèlement sexuel et les viols en festival de musique sont rares, voire inexistants. Quantifier ce genre de phénomènes est en effet particulièrement compliqué. Tout d’abord, on sait que le nombre d’agressions commises chaque année ne colle pas avec le nombre de plaintes déposées. Entre 2010 et 2012, selon le Haut Conseil de l’Egalité entre les Hommes et les Femmes, 83 000 femmes ont subi des agressions sexuelles chaque année. En comparaison, le chiffre des plaintes déposées entre 2011 et 2012 varie entre 20 et 30 000 dépôts par an. Soit environ quatre fois moins que le nombre d’agressions subies, ce qui biaise d’emblée les statistiques possibles. Honte, culpabilité, incompréhension… Le même genre de problème se pose lorsqu’il s’agit de mesurer les agressions sexuelles en festivals, et il serait plutôt hasardeux de se baser sur la couverture médiatique de ces agressions pour établir une quelconque tendance. Et pour cause : en novembre 2013, Ouest-France rapporte que deux plaintes pour viol ont été déposées au commissariat de Morlaix pour des faits “qui se seraient déroulés en marge du festival” Panoramas. Et puis, plus rien. Aucune suite n’a été donnée par les médias pour cette affaire. De même en 2014 pour une autre agression sexuelle sur le même festival. Même chose en 2012 à Garorock, lorsqu’un homme a été accusé de tentative de viol et un autre d’agression sexuelle. Les médias donnent rapidement les premiers éléments mais se gardent bien ensuite de donner suite aux affaires. Pire, ils les minimisent parfois. C’est le cas du Républicain, un hebdomadaire d’actualité de Sud-Gironde et Moyenne-Garonne, qui titre son bilan pour Garorock 2016 “Départ des festivaliers en toute quiétude”. Pourtant, on apprend à la fin de l’article qu’un “individu fait l’objet d’un suivi pour viols, peut-être même tentative de viol…”. Vu le ton très positif de l’article, on est en droit de douter de l’implication du journaliste, qui précise qui plus est que l’agresseur ne représente qu’ “un sur 120 000 festivaliers”... De façon plus indirecte, le Sud-Ouest a préféré mettre l’accent sur les incarcérations pour vol plutôt que sur l’agression sexuelle qui a eu lieu en 2016. Après avoir rappelé dans un article du 6 juillet la condamnation de deux hommes pour vols, dont l’un était aussi accusé d’agression sexuelle, plus aucun article suivant ne mentionnera l’affaire concernant l’agression sexuelle présumée.

Le bilan est donc maigre. Entre les médias français qui se dépêchent de mettre ce genre d’affaires sous le tapis, les festivals qui n’en parlent pas -les rapports et déclarations sur les agressions de Garorock et Morlaix ne viennent pas des organisateurs mais toujours des gendarmeries locales, et aucun communiqué de la part des festivals à ce sujet- et la difficulté que représente la quantification d’un tel phénomène, on est très loin de pouvoir dresser un bilan de ce qu’il se passe vraiment en France. A l’étranger, c’est un peu la même chose, et dans le doute, de nombreux festivals ont par conséquent préféré réfléchir à divers dispositifs à mettre en place pour prévenir les agressions pendant le déroulement des festivités.

Harcèlement : vade retro satanas

Même si les chiffres sont difficilement quantifiables, la multiplication des initiatives de prévention ne laisse aucun doute quant à l’existence du problème. Ces initiatives ont pris bien des formes selon les pays : en Suède, suite aux nombreuses plaintes de viol déposées en 2016, le Bravalla Festival a modifié les bracelets distribués à ses festivaliers. En juillet 2016, la police a distribué des bracelets sur lesquels était inscrite la formule “don’t grope” - “ne pas peloter”. Un bon moyen pour sensibiliser les festivaliers aux agressions sexuelles. Un moyen qui semble être anodin, mais prévenir les festivaliers que les agressions sexuelles ne sont pas acceptables, c’est prendre en compte l’une des polarités du problème : les potentiels agresseurs. La deuxième polarité à prendre en compte dans ce genre de cas est celle du personnel présent sur le festival, et des dispositifs qui sont mis en place par les festivals pour prévenir les agressions sexuelles ou pour soutenir les victimes d’agressions sexuelles. Ainsi, dans la région Victoria, en Austalie, le gouvernement a fait ce qu’il fallait pour former les équipes des salles de concert et de festivals pour gérer ce genre de situations. Un groupe de campagne a ainsi été convoqué à la mi-2015 pour faire campagne afin de rassembler plus de ressources dans le but de contrer le harcèlement sexuel lors des concerts. Plusieurs suggestions ont été proposées, de la mise en oeuvre d’un modèle stratégique pour que les équipes puissent identifier et répondre de manière adaptée aux cas d’agressions sexuelles, au forfait de formation pour les lieux de festivals et de concerts. Ces initiatives vont être mises en application à la fin de l’exercice dans plusieurs lieux victoriens pour permettre de mieux gérer le problème des agressions sexuelles. Toujours dans un souci de prévention, le dirigeant d’une société de sécurité Hobart a récemment suggéré que les drones pourraient être un bon moyen de prévention pour éviter tout “mauvais comportement” lors des festivals de musique. En Autriche, on préfère laisser les femmes s’occuper de leur propre prévention. Contre les vagues d’agression sexuelle, les autorités autrichiennes ont distribué plus de 6000 alarmes de poche anti-agressions auprès des femmes. Si une femme appuie sur son alarme, celle-ci émettra un son strident qui devrait avoir pour but d’alerter l’entourage de la potentielle victime et faire fuir l’agresseur. Une initiative qu’il serait intéressant de diffuser dans les festivals puisqu’elle permettrait une prévention multi-dimensionnelle.

Mais comme la prévention ne suffit malheureusement pas toujours, certains festivals ont commencé à envisager un accompagnement plus complet pour les femmes. En inaugurant en 2016 “The Sisterhood”, un espace entièrement réservé aux femmes -du personnel de sécurité, aux artistes en passant par les festivalières-, le festival Glastonbury a enfoncé en Europe une porte déjà ouverte aux Etats-Unis - comme au Michfest festival. Ce genre d’environnement permet de créer un espace de soutien rassurant et sécurisant pour la communauté, et représente ainsi un bon moyen de lutter contre de potentielles agressions sexuelles. Au Canada, le Shambhala Music Festival a, de la même façon, créé un tipi spécialement conçu pour les femmes qui ont perdu leurs amis de vue, qui se sont retrouvées dans une situation délicate avec quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas… Un refuge pour les femmes qui peuvent même décider d’y rester dormir si elles ne se sentent pas en sécurité sur le campement. Si les experts considèrent la plupart du temps que la prévention la plus efficace reste celle qui s’adresse directement aux potentiels agresseurs, ce genre d’espaces permet au moins aux femmes de ne pas se sentir seules ou illégitimes si elles rencontrent un problème quelconque. Mais encore une fois, si de nombreuses initiatives voient le jour à l’étranger pour essayer de contrer cette problématique difficilement quantifiable, la France reste en berne.

Comprendre pour mieux prévenir

En France, le sujet est encore trop peu traité par la communauté. En quatre ans de couvertures intensives de festivals, il ne nous a jamais été donné la possibilité de voir de telles initiatives déployées. Pas de prévention des festivals, mais surtout une omission du problème. Festivals, médias, festivaliers ...  Ne ferait-on pas l’autruche ? Les premières préventions mises en place en Autriche, Australie, au Royaume-Uni sont un premier pas pour légitimer la question de l'existence des agressions sexuelles en festival.

Car ce phénomène devient un problème que si l’on accepte de le qualifier ainsi et de prendre les mesures nécessaires pour s’en défaire. En omettant de proposer des initiatives à ce sujet, en refusant d'essayer de comprendre et de quantifier ces actes, d'en discuter avec leurs festivaliers, c’est comme si les festivals français refusaient de voir que le sujet ne touche pas que l’étranger. Le nuage toxique ne s'arrête pas toujours aux frontières de notre beau pays. La réalité des faits a pourtant déjà prouvé que les agressions ont aussi lieu chez nous, et ce n’est pas parce que l’actualité en France semble moins dramatique que les dizaines d’agressions reportées au Royaume-Uni, en Suède ou en Allemagne qu’elle n’en est pas moins légitime. Qu’il y ait 2, 4, ou 350 agressions pendant un festival ne change rien au problème : les festivals mais aussi le public se doit de prendre en main cette problématique, et à défaut de pouvoir prévenir toutes les agressions, permettre au moins de reconnaître leur existence et celle des femmes et des hommes qui ressentiront peut-être, à un moment ou un autre, le besoin d’un soutien extérieur.

Car les préjugés sur les victimes d’agressions sexuelles et de viols ont encore la dent dure, comme le montre une enquête de l’association “Mémoire traumatique et victimologie” réalisée avec l’institut IPSOS, publiée le 2 mars 2016 et intitulée “Les représentations des français-e-s sur le viol et les violences sexuelles” . L’enquête révèle que 40% des personnes interrogées considèrent que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante en public et 41% pensent que l’on peut faire fuir le violeur si l’on se défend vraiment. Autrement dit, sur un échantillon de 1001 personnes, un peu moins de la moitié considère que la victime peut avoir une part de responsabilité dans son viol. C’est pour ça que le rôle tenu par les festivals est si important : mener des campagnes dans les festivals, non plus pour apprendre aux femmes comment se protéger, mais plutôt faire comprendre aux potentiels agresseurs que les abus sont intolérables, c’est lutter contre les agressions, contre les préjugés, contre une culture violente qui touche tous les domaines. Et tout le monde a son rôle à jouer : au même niveau, les artistes qui participent peuvent avoir une influence majeure. Le nombre de réactions qui ont suivi un tweet d’Harry Koisser, frontman du groupe Peace, dénonçant le harcèlement des femmes à l’un de ses concerts en est la preuve : 

Et tant que la réalité dans laquelle on baigne tous les jours ne sera pas faite d’arc-en-ciels, de happy endings et de “tout le monde s’en sortit sans se faire agresser”, les festivals se doivent de prendre en compte cette réalité, malgré ses contours très incertains, pour y adapter leur offre. Qu’il s’agisse de prévention ou d’accompagnement, la France des festivals devrait commencer à se sentir concernée par le sujet.