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Last Train : «C’est un peu magique de passer de festivaliers à acteurs et d’acteurs à festivaliers.»

Entre deux cafés, on a discuté avec Jean-Noël, chanteur et guitariste du groupe Last Train. Alsaciens d'origine mais installés à Lyon depuis plusieurs années, c'est aussi le lieu qu'a choisi le groupe pour implanter leur agence de booking et de production, Cold Fame. C'est dans les studios du 6e arrondissement que nous avons échangés sur la cornemuse des Eurocks, la musique organique et le studio norvégien immergé. 

Tous Les Festivals : Beaucoup de choses se sont passées depuis la première interview réalisée avec vous en 2016, vous aviez déjà deux ans de tournée dans les pattes, deux EP, mais vous n’aviez pas d’album sur scène. Qu’est ce que ça change pour vous d’en avoir un à défendre sur scène ? 

Jean-Noël : Ça change un paquet de trucs. C’est vrai qu’à l’époque on était super contents d’avoir peu de contenu, parce que si les gens voulaient venir découvrir avec le format EP ils découvraient plein de choses sur scène. Il se passait plein de choses nouvelles, y’avait des nouveaux titres qui étaient joués et tout, alors qu’avec les deux albums tu prends le truc dans le sens inverse : les gens connaissent les paroles, ils réagissent avec les titres et c’est hyper plaisant. On était en tournée en Europe de l’Est, en Hongrie, en Serbie, en Bulgarie, Roumanie, etc. et c’est trop ouf de voir les gens qui connaissent les paroles, ça fait vraiment quelque chose. 

Dans la précédente interview, vous disiez que vous deviez défendre votre musique. Est-ce que vous avez encore la sensation de devoir défendre votre projet musical ? 

Je sais pas si on est dans la même dynamique, avant il y avait quelque chose d’assez incisif, assez réac’ dans ce qu’on faisait parce qu’effectivement il fallait qu’on prouve tout à tout le monde. On était super jeunes à l’époque, 18-19 ans... Il y avait un sentiment de vouloir tout niquer quoi qu’il arrive. Je pense qu’aujourd’hui c’est surtout les valeurs de ce que nous on considère être le rock, qui est mis en avant : le fait que ce soit un concert relativement spontané, le fait qu’il y ait pas d’ordinateur sur scène… C’est quelque chose de très simple finalement, deux guitares, une basse, une batterie : comment on arrive à construire un show de qualité, qui envoie, avec simplement quatre instruments, quatre mecs, quatre copains sur scène ? C’est surtout ça qu’on a envie de mettre en valeur, le fait qu’on peut faire beaucoup de choses, donner beaucoup d’émotions, créer un moment qui est réel sans avoir pour autant tous les artifices autour, parce que les gens sont habitués à ça. Tu vois par exemple, ce soir y’a Angèle à Bercy, c’est un show qui est immense, et nous on propose absolument pas un truc comme ça, on propose quelque chose de beaucoup plus simpliste et qui du coup est recentré sur l’émotion. Et je crois que c’est ça la différence : avant on voulait tout niquer et maintenant on veut procurer de l’émotion. 

Vous avez fait un Trianon complet en novembre, c’est quoi la différence pour vous de jouer devant une salle de concert complète et un gros festival comme les Eurocks ? 

C’est vrai que ça n’a rien à voir. On a toujours adoré les deux, je pense que quand on est en festival on a hâte que les tournée de salles arrivent, et inversement. En festival, les gens sont pas forcément là pour toi, donc c’est un pari, un peu cette sensation que y’a beaucoup de choses à prouver. T’es un nom parmi tant d’autres, parfois en face d’un gros headliner par exemple ou alors tard ou très tôt. Il y a cette volonté en festival de jouer devant un maximum de personnes pour leur montrer ce que ça peut être le rock. Et aussi peu attirant que soit le rock aujourd’hui on se rend compte que y’a plein de jeunes qui écoutent du hip-hop, de la pop qui peuvent être séduits par le rock parce que il y a ce truc un peu organique, un truc réel qui se passe sur scène, et c’est ça qu’on aime bien aller chercher en festival.

Pourquoi tu dis que c’est peu attirant aujourd’hui ? 

On sait très bien ce qui se passe dans l’industrie musicale, les chiffres parlent d’eux même. Il y a un impact énorme du rap et il n'y a pas du tout de critique à ça, on écoute tous du hip-hop ici [dans les studios de Cold Fame, ndlr] et dans le groupe aussi d’ailleurs. Mais c’est vrai que finalement il y a très très peu de headliners rock en festival. Ca fait d’ailleurs plaisir cette année y’en a quand même quelques-uns : des Strokes et des Rage Against The Machine, mais c’est des retours, tu vois ce que je veux dire... C’est pas des nouveaux artistes qui prennent les devants. Quand t’es un nom rock, t’es un peu à la marge dans la programmation. Je pense qu'il y a un devoir qui est « tu dois défendre ces valeurs là », c’est important.

Tu parlais des émotions, est-ce que tu sens que le public d’une salle et celui d’un festival n’ont pas le même ressenti du concert ? 

Déjà y’a un cadre qui est différent, y’a quatre murs qui font qu’on est dans un endroit qui est clos dans une salle de concert avec des gens qui sont particulièrement là pour toi, ils ont acheté leur billet pour venir te voir donc il y a une attention et une tension particulières. En festival, on a des souvenirs magiques: aux Eurocks en tant que festivaliers, ou en tant qu’artistes quand on joue sur la grande scène des Vieilles Charrues, ou à Rock en Seine, au Main Square… On a ue gros été de festival qui arrive pour nous, on essaye de se rappeler les vieux souvenirs, ce que ça fait de monter sur une scène devant 30 000 personnes, c’est radicalement différent. 

Est ce que vous avez un festival qui vous a marqué en particulier ? 

On va parler des Eurockéennes parce que c’est de là où on vient, on est alsaciens. On est restés très proches des Eurockéennes, on y va encore tous les ans en tant que festivaliers, ou cette année en tant que musiciens. C’est un rêve d’enfants en fait. On est allés pour la première fois aux Eurockéennes vers 13 ou 14 ans et de pouvoir nous-mêmes être dans les backstages... On est en mode chiens fous quand on arrive aux Eurockéeenes, on a envie d’aller partout (rires) ! Et puis c’est chouette avec Cold Fame, on envoie régulièrement des artistes aux Eurockéennes de notre catalogue aussi, il y a une autre lecture aussi du projet. C’est un peu magique de passer de l’un à l’autre, de festivaliers à acteurs et d’acteurs à festivaliers. 

Vous allez faire la première partie des Red Hot Chili Peppers au Felyn. Ca fait quoi, c’est dingue ? 

Ouais c’est super chouette. C’est évidemment une super opportunité, et je pense que y’a énormément de groupes qui aimeraient faire ça. On a pas réfléchi longtemps, on a très vite accepté, même si on avait d’autres ambitions ici à Lyon. Je pense que les premières parties ça doit être des cerises sur le gâteau de tes tournées, et ça doit pas être quelque chose sur lequel tu te bases pour faire autre chose. C’est quelque chose d’un peu irréel, ça peut très bien se passer comme très mal se passer. Des fois on a des contacts avec les artistes qu’on ne rencontre absolument pas, des fois on est déçus des les rencontrer on aurait préféré conserver l’image qu’on avait quand on les écoutait. Là c’est dans un stade, c’est le Groupama Stadium, je suis pas convaincu que Last Train soit un groupe de stade, pour tout un tas de raisons. C’est des conditions qui sont particulières pour le son et tout ça. C’est évidemment une opportunité folle et on est ravis, absolument ravis. Mais finalement c’est juste une date de plus qui s’insère dans la tournée et c’est ça qui fait plaisir. 

Vous avez enregistré le dernier album The Big Picture en Norvège, pourquoi vous avez choisi la Norvège ? 

Pour tout un tas de raisons. On travaille depuis le début avec un gars qui s’appelle Rémi Gettliffe, qui est producteur et réal dans un studio en Alsace, White Bat Recorders. On a fait les deux EP chez lui et pour ce nouvel album on avait un peu envie de changer d’air pour des raisons de création et aussi techniques, parce que le fait est qu’il a une petite pièce de prise de son et on avait envie d’avoir quelque chose d’un peu plus grand, un peu plus ample. Et il a fait des recherches de différents studios en Allemagne, en Angleterre, et puis il est tombé sur ce studio, et on s’est rendu compte qu’il était perdu au milieu de la Norvège, perdu au milieu de rien à vrai dire, et puis y’avait la mer tout autour. Quand t’étais dans la cabine de prise de son t’avais vraiment l’impression d’enregistrer au milieu de l’océan. Ça s’appelait Ocean Sound Recording d’ailleurs. On s’est pas posé longtemps la question, on a vu le lieu on a dit « parfait ». On avait envie de faire un deuxième album un peu plus large, un peu plus cinématographique, ça collait bien avec nos ambitions sur l’album. On y est allés pendant deux semaines pour enregistrer le disque, ensuite on a ramené toutes les bandes en Alsace, et puis on a fait tous les re-re (réviser-remanier), tous les overdubs, tous les mixages en Alsace. 

Vous êtes un groupe qui s’est vraiment fait connaitre par les festivals, par la scène, et puis y’a eu les Inouïs du Printemps de Bourges, qu’est ce que ça a changé pour vous ? 

C’est assez évident que Bouges pour nous a été une étape, une marche de plus vers la quête des tournée puisque c’est un énorme rendez-vous de programmateurs de festivals et de salles. Ce dispositif des Inouïs de Bourges, ce tremplin, il est assez bien foutu mais il est arrivé au bon moment aussi. S’il était arrivé six mois avant ou six mois après, ça n'aurait peut-être pas eu le même impact. C’est peut-être la part de chance qui appartient à cette histoire. Nous on avait monté une tournée de 20-25 dates en France sur un mois, on a fait une petite tournée suicide et il s’avère qu’on a avait laissé une place pour Bourges, si jamais on était sélectionnés... On est arrivé à Bourges dans aucune pression, plus aucune tension, c’était juste un concert de plus et je pense que c’est ça qui a fait la différence. Nous on envoie régulièrement des artistes sur les Inouïs de Bourges sur notre catalogue et on se rend compte que c’est la flippette à chaque fois, alors que l’idée c’est d’être naturel plus que jamais. Mais effectivement Bourges c’était une jolie étape. En tout cas une jolie mise en lumière sur le groupe, plus que jamais.

Qu’est ce que ça a changé concrètement ? 

Plus de dates (rires) ! Je pense que ça nous a permis d’accéder à un autre réseau. On faisait beaucoup de dates de concert avant qu’on montait nous même, mais c’était essentiellement dans des petits clubs, dans des caf’conc’, dans des bars, et Les Inouïs de Bourges ça nous a permis d’accéder à un autre réseau, avec des conditions d’accueil plus qualitatives, des vraies salles de concerts. Ça permet de tenir sur la longueur aussi, et puis des gros festivals, et puis l’un appelant l’autre ainsi de suite, effectivement les dates ce sont enchainées. 

Est ce que vous avez fait des festivals en tant que festivaliers ? 

On est passionnés de musique de base dont on fait plein de festivals, que ce soit en tant que festivaliers ou accompagnateurs pour nos groupes, juste parce qu’on aime voir des concerts, on aime le principe du festival. La dernière très très bonne expérience, c’est la Check In Party, qui a lieu à Guéret. C’est un nouveau festival, la première édition a eu lieu cet été. C’était un pari un peu fou parce que l’idée c’était d’installer un festival en Creuse là où il se passe absolument rien, et de faire un festival de rock indé. Ça rentre complètement dans la ligne éditoriale de ce que fait La Route Du Rock, This Is Not A Love Song, cette année il y avait Patty Smith, Balthazar, Black Midi, Lysistrata, Psychotic, pleins de groupes bien spé. Forcément Les Nuits Sonores, parce qu’on est basés à Lyon maintenant et que ça fait partie du paysage lyonnais, même si on préfère encore les extras au festival, au même titre que les Trans Musicales et les Bars en Trans. On préfère les Bars en Trans on trouve que c’est plus rigolo. Mais oui on est des grands grands grands amateurs de festival, on adore aller partout.

Vous allez voir les autres artistes quand vous jouez ? 

Ca dépend. On essaye toujours de respecter un temps d’échauffement et de concentration qui est hyper nécessaire pour nous et il faut bouffer encore avant aussi donc en général c’est 1h30 qui est pris par toutes nos occupations et notre focus concert. Mais sinon on reste tout le temps on va toujours voir les concerts. 

Il y a des concerts qui t’ont marqué ? 

This Is Not A Love Song l’année dernière on était sur le départ avec le groupe qu’on faisait tourner, et il y a It It Anita qui jouait dans le club, un groupe belge. J’étais juste allé voir sur du côté de la scène, et puis je regardais ce qui se passait et je disais « wow, c’était fou !». Le batteur il était torse nu, ç’avait l’air d’être un gorille derrière sa batterie avec des muscles je savais même pas que y’avais des muscles à ce niveau là, c’était juste absolument impressionnant. J’ai été beaucoup marqué par le concert de The Psychotic Monks sur la Messe de Minuit, le festival qu’on organise nous, cette année ou le concert de Bad Nerves, qui est un groupe anglais. 

Tu te souviens de ton premier festival ? 

Le premier gros festival c’était les Eurockéeennes. Ensuite, on a tous grandi dans un coin paumé en Alsace et y’avait les fêtes de la musique du bled dans lequel on habitait ou dans lequel on était au lycée, et vu qu’on a créé le groupe à ce moment là quand on avait 12-13 ans, on essayait de choper toutes les opportunités. Il y avait un festival qui s’appelle Festival Fracass, qui existe encore et qui m’a marqué à vie. Et un groupe qui s’appelle Dead Duck, un groupe de punk qui n’existe absolument plus et qui a changé ma vision de la musique et c’est dans doute ce groupe là qui m’a donné envie de faire de la musique. 

Est-ce que vous avez vécu des choses improbables en festival ? 

Bah tout le temps ! On est quand même bien con tous, donc on fait plein de choses un peu ridicules. Surtout que les festivals, c’est souvent l’été, c’est la fête... Mais je pense que les plus gros souvenirs de n’importe quoi c’est encore une fois les Eurockéennes de Belfort, où on finit toujours au camping quoi qu’il arrive, même quand on y joue, parce que c’est une zone de non-droit où il se passe plein de choses improbables. Je me souviens de l’année où on a joué, et on est allé au camping derrière. Il y a ce fameux rituel qui est de jouer de la cornemuse sur les coups de 4h-5h du mat'. Y’a un mec qui prend une cornemuse, paf il se met sur un tas de je-sais-pas-quoi, de ce qu’il trouve, et y’a tous les festivaliers autour de ce mec-là et ils chantent et lui il commence à faire une ronde dans tout le camping. Il est 5h du mat’ et il passe dans toutes les tentes en jouant de la cornemuse avec peut-être 500/600 personnes qui gueulent derrière… Ouais, ça fait partie des très bon moments, la cornemuse du camping des Eurocks. 

Si vous pouviez imaginer un festival rêvé avec tous les moyens possibles, il ressemblerait à quoi ? 

On s’est posés la question et on s’est dit qu’on allait déjà commencer par monter le nôtre, donc c’est ce qui a été fait avec La Messe de Minuit. Je pense que si on partait du principe qu’on avait des moyens illimités et que l’échec n’existait pas, on serait probablement dans la même ligne artistique de ce qu’on fait aujourd’hui : on défendrait probablement les guitares et la musique organique spontanée, les valeurs dont on parlait tout à l’heure. On aime beaucoup les principes de festivals où y’a différentes ambiances qui peuvent s’enchainer très vite, les festivals qui sont outdoor/indoor comme TINALS [This Is Not A Love Song], avec une partie en salle, une partie à l’extérieur. Je trouve que ça permet de casser vite des choses, plutôt que d’être tout le temps dehors, de cramer au soleil, de galérer à trouver des points d’eau, d’avoir un lieu en dur, de pouvoir passer aux toilettes... C’est con mais pour les festivaliers c’est super important et pouvoir accueillir des artistes dans des vraies loges aussi. Donc il y aurait plein de petites scènes différentes... Pourquoi pas un lac avec une scène sur le lac ? Et puis énormément de groupes découvertes parce qu’on découvre des groupes tout le temps qu’on adorerait faire jouer mais c’est très compliqué. Une partie qui serait peut-être axée sur les musiques qui sont pas rock d’entrée de jeu mais sur lesquelles y’a des énergies rock qui transpirent : un chanteur solo qui fait n’importe quoi. L’année, dernière on a accueilli sur une Messe Hubert Lenoir, un chanteur canadien. Le propos musical n'est pas rock, mais son attitude et son énergie... Et puis forcément des headliners. On s’amuserait, on en profiterait pour se faire plaisir mais pas pour faire n’importe quoi, parce que certains cachets de certains headliners je trouve que ça n’a plus de sens, et je trouverai ça stupide de claquer de la thune, autant de thunes pour ce genre de headliner. Donc ce serait plutôt un festival modeste mais avec plein de groupes et plein de scènes. 

Quand on vous avait posé la question la dernière fois vous vouliez faire un festival...

Sur la lune ouais ! Bah on aime bien les défis donc un jour que ce soit un concert ou un festival sur la lune, pourquoi pas… 

Vous avez passé un an sans jouer, vous devez avoir des fourmis dans les pieds. 

Oui et puis là on a enchainé beaucoup de scènes, on en est à, je sais pas... peut-être une soixantaine de concerts sur 6-7mois, donc on a hâte de retourner en tournée sur les fest, c’est vraiment une toute autre ambiance ! 

Propos recueillis par : Manon Chapuis
Crédit photo : Non2Non