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Daniel Gélinas : "On est passionné par la satisfaction de notre public et des festivaliers"

C’est l’événement musical extérieur le plus important au Canada. Du 6 au 16 juillet, le festival d’été de Québec organisait sa 50ème édition avec des noms tels que Metallica, Lamar ou The Who qui en disent long sur son envergure. Nous avons pu échanger avec Daniel Gélinas directeur général du FEQ depuis 15 ans. Voici la FAQ du FEQ, spécial 50 ans.

Tous Les Festivals : Salut Daniel, on va mettre les pieds dans le plat de suite et parler de la 50ème édition du Festival d'été de Québec qui vient de terminer. 50 ans pour un festival c’est énorme, pourriez-vous résumer ces 50 ans en quelques mots ?

C'était les 50 ans d’un événement musical qui a connu ses hauts et ses bas, comme n’importe quelle organisation. Ça a commencé tout petit avec l’idée de créer au Québec une activité qui stimulerait l’économie, qui amènerait les gens en ville pour animer les commerces. Au départ c'était un événement culturel plus large avec du théâtre, du chant, de la sculpture... et avec un tout petit budget à l’époque, environ 10 000 euros. A partir des années 70 jusqu’à la fin des années 90 le festival était axé essentiellement sur la chanson francophone avec des artistes de l’Europe, de l’Afrique du Nord, beaucoup de musique du monde et des artistes québecois du devant de la scène musicale. A la fin des années 90 il y a eu un questionnement sur l’événement. Les jeunes l'avaient un peu déserté, la population locale était plutôt indifférente, les médias étaient plutôt critiques... En 2003 on a vraiment fait une analyse globale de ce que devrait être cet événement pour le futur, des axes ont été déterminés après une vaste consultation auprès du public et trois éléments centraux ont été privilégiés : d’abord une programmation plus jeune, puis l'intégration à la programmation de vedettes internationales et enfin plus d’events concepts qui faisaient le succès de l’événement il y a quelques années comme des cartes blanches. 2004 était la première édition de ce virage et on a senti un premier élan de retours : plus de jeunes, plus de revenus de billetterie... Le but ultime à ce moment là c’était de faire du festival un événement musical de calibre international, on ne le disait pas très fort mais c’est là où on voulait aller et lentement mais sûrement à partir de 2007-2008, les gens ont commencé à sentir qu’il se passait quelque chose. Les années 2008 à 2012 ont fait plaisir : grosse consolidation de notre présence auprès de l’industrie de la musique nord américaine pour atteindre des sommets en ventes de billets en 2012 à 167 000 billets vendus, un record.

La cinquantième édition exprime bien le festival : un événement avec beaucoup de grand artistes internationaux de tous les genres musicaux que ce soit la country, l'électro, le rap, la pop, les trucs les plus trendy comme Gorillaz qu’on a invités cette année et qui ont connu un gros succès... Le multigenre est la clef de notre succès et notre modèle d’affaire avec un pass à 90 dollars pour avoir 11 jours de grandes vedettes. Le gros avantage c'est qu'on a un espace qui nous permet d’accueillir 90 à 100 000 personnes. Notre pass est transférable d’une personne à l’autre, ça garantit toujours des foules devant les artistes, les gens peuvent prendre des risques car ça ne coûte pas cher. Donc et maintenant on voit le résultat de toute cette analyse dans les médias québecois : la dernière semaine, on a parlé de nous plus que de n’importe quoi d’autre.


Crédit photo : Sébastien Dion

Comment construisez-vous votre programmation ?

En fait, on ne travaille pas sur la programmation en fonction de nos passions. La passion ne fait pas partie de notre travail, on n’est pas des passionnés de musique. On est passionné du succès d’un événement et on est passionné par la satisfaction de notre public et des festivaliers. On démarre avec la prog' de la scène principale et après ça tout le reste de la programmation découle, parce que chaque soir on vise des clientèles différentes. Chaque scène respecte une ligne de conduite. Sur la grande par exemple, on va avoir 3 ou 4 spectacles rock, qui vont aller du vintage au plus contemporain, après ça, de la musique country, de la musique électronique qui est tendance depuis quelques années, deux grandes soirées francophones, une case ou deux pour la pop mainstream, une soirée hip-hop et une case pour quelque chose de plus trendy qui va faire parler de nous dans les médias. Pour les autres scènes, on essaye de diversifier les styles soir par soir. L’industrie québecoise de la musique a toujours fait partie évidemment de notre ADN, ça continue à l’être. On a également une scène pour les artistes émergents qui permet à plusieurs jeunes artistes de pouvoir se faire voir. On profite de cette plateforme-là pour permettre à des artistes québecois d'être vus par des quantités importantes de gens et ça souvent, ça permet de lancer la carrière de l’artiste s’il y a une bonne réceptivité du public qui est présent.

50 ans, ça fait une sacrée expérience. Qu’est-ce qui reste pour vous le plus difficile dans l’organisation générale de l’événement ?

Il y a plusieurs défis sur plusieurs fronts, qu’on essaye d'ajuster chaque année. La question des foules, la sécurité… Aujourd'hui c’est un enjeu mais avec l'expérience c’est pas quelque chose qui est lourd à porter.
Côté prog', on a la chance et l’opportunité que notre festival soit couru et espéré même par les artistes, donc on a un peu l’embarras du choix dans une grande catégorie d’artistes. Il faut juste demeurer bon, être égal à soi-même en termes de production. Des grosses productions avec des gros artistes ça demande également une capacité technique d’accueil et ça c'est quelque chose que les gens ne voient pas : faire venir les gens en backstage, avoir les bonnes équipes techniques, être capable d’installer la prod de l’artiste, de faire du démontage dans les temps... C’était au début de grands enjeux mais on a pris les moyens pour réussir à le faire et ça marche bien, les artistes sont très contents, les managers heureux. Cette année on a eu foule, une avalanche de messages de remerciement par rapport à notre capacité d’accueillir des équipes de production, ce qui n’est pas le cas de tous les festivals. On nous dit souvent, « oh j’ai fait plein de festivals et chez vous c’est parfait ». Ca pour nous, c’est des beaux messages, c’est la démonstration que l’on fait bien les choses.

En 50 ans, le meilleur artiste sur scène ?

Pfou... C’est trop relatif ça, trop personnel. Il y en a eu plusieurs pour toutes sortes de raisons différentes. Disons qu’en 2015, The Rolling Stones c'était un événement important pour l’organisation, pour la reconnaissance du festival.


Crédit photo : Philippe Ruel

Le meilleur souvenir du public ?

Il y en a énormément. Des connexions exceptionnelles entre un artiste et le public : Lionel Richie qui pleure sur scène, Lady Gaga qui pleure sur scène, tellement ils étaient émus de la foule, du concert. Mais si ne je pouvais en amener qu'un seul ce serait évidemment Stevie Wonder qui a enlevé ses verres et a pleuré en disant que plus jamais il n’allait jouer dans l’Etat de la Floride parce que ce jour-là ils avaient acquitté le policier qui avait tué un noir. Il pleurait vraiment, il a enlevé ses lunettes et tout le monde a vu ses yeux et ça c’était un moment marquant où tout le monde a fait comme «oups, il vient de se passer quelque chose là.». Ca a tourné partout ces images là, aux Etats-Unis... C’était un moment important.

Un petit côté moins marrant, le pire souvenir d’organisation ?

Les Béruriers Noirs en 2004. Pas à cause d’eux, mais parce que il y a eu une avarie climatique importante juste avant le show. Un orage incroyable avec de la grêle. A ce moment là on était encore sur de la pelouse. Il y avait comme 10 000 punks qui étaient arrivés à Québec qui sont tombés dans un bain de boue complet. Ca a été un état de crise car il y a des tours qui sont tombées, un de nos deux écrans qui est tombé aussi. Il y a eu une grosse évacuation, les bars avaient été pris d’assaut. On avait été obligés de fermer. Finalement le show a été replacé et les Béruriers l’ont mis dans le DVD qu’ils ont fait cette année-là comme moment assez spécial. Il y avait de la boue après le show le soir, c’était la catastrophe, le lendemain matin avec des camions on a dû mettre du gravier… ça a été un moment assez stressant. 

Comment on propose un festival à 95 dollars les 11 jours ?

En fait on a deux sources de financements : on vend entre 140 et 145 000 billets. Ca génère suffisamment de revenus pour pouvoir investir dans nos contenus de programmation. Evidemment ça vient se lier au commandite privé qui représente à peu près 20% de nos revenus et après 65% en revenus autonomes à savoir la vente de bières, la billetterie... Enfin le financement public représente 12%. C’est donc le volume de vente qui fait la différence, c’est pour ça qu’on peut vendre un billet si peu cher. Notre organisation est sans but lucratif avec un conseil d’administration donc la recherche de profit pour les actionnaires n’est pas un objectif. L’objectif est de donner le meilleur événement possible et s’il y a des surplus on les investit l’année suivante. 

Parlons d'Europe, si vous pouviez voler un festival pour le ramener chez vous, lequel choisiriez-vous ?

C’est sûr que les Vieilles Charrues sont un exemple qui nous a déjà inspiré, car la structure est un peu comme la nôtre, c'est fait par des gens de la place, c’est pas un truc artificiel. C’est celui qui nous ressemble peut-être le plus.

On parle des Vieilles Charrues qui est également un festival mature, mais auriez-vous un conseil pour les jeunes festivals qui se lancent, comme vous il y a 50 ans ?

C’est de démarrer humblement surtout. Essayez d’être comme la grenouille et la bœuf et de ne pas jouer le rôle de la grenouille (rires). Car ça va éclater à trop vouloir en faire au départ. Il faut y aller step by step, c’est la façon la plus sécuritaire de pouvoir grandir. Etre capable de voir les erreurs et de les réparer. Si l’erreur est trop grosse, elle n’est pas réparable.

Enfin, pour vous, c’est quoi la définition d’un bon festival ?

Un bon festival c’est un festival qui est capable de détonner, surprendre et faire plaisir.

Crédit photo de couverture : Radio Canada
Propos recueillis par Camille Mazelin