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Cédric Huchet, Scopitone : « Le grand défi est de s’ouvrir au grand public et de le sensibiliser. »

Depuis le mercredi 20 septembre, Scopitone revient pour sa 16ème édition à Nantes. Le festival propose un voyage alliant musiques électroniques et culture numérique, amenant le festivalier à se déplacer dans des lieux atypiques de la ville, entre expositions, concerts et performances. Cédric Huchet, en charge de la production artistique nous parle plus en détails de cette belle balade.

Tous Les Festivals : Salut Cédric, avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu pourrais te présenter, nous parler de ce que tu fais pour le Scopitone ?

Cédric Huchet, je suis en charge de la production du festival Scopitone et de tout le volet arts numériques, expositions et performances qui se déroulent sur le festival.

Est-ce que tu peux nous parler de l’ADN du festival ?

Le festival en est à sa 16 ème édition. C’est un ADN mouvant qui s’est un peu construit au fil des années et qui sous l’intitulé "culture numérique, culture électronique et art numérique", traite du vaste sujet de l’art qui croise le numérique, les technologies, les arts médias. C’est quelque chose d’assez global qui se déploie sous la forme d’expositions, de performances, de formes artistiques un peu hybrides et aussi de nuits électroniques car on est aussi très imprégnés de culture électronique.

Justement, pourquoi avoir voulu associer l’art numérique aux musiques électroniques ?

Ce sont des choses qui sont assez poreuses. Le festival créé en 2002 se penchait un peu à l’époque sur le croisement d'artistes de musique électronique et les arts visuels. Il y avait sans doute une recherche qui visait peut-être à contrebalancer une dimension scénique assez pauvre et uniforme dans la musique électronique. Par extension, dès la première édition, on a été amené à travailler avec des gens qui se révelaient plus être du domaine de la danse, du théatre, des performances… Peut-être par le champ de la culture électronique au sens large, ces croisements se sont opérés entre des artistes qui pour certains étaient plus des plasticiens, d’autres plus des vidéastes, des musiciens et par extension, des artistes qui maîtrisaient très bien la programmation, l’informatique, la technologie, la robotique et même à la science parfois. Ce sont des choses très transversales et ouvertes.

Qui s’occupe de la programmation du festival ?

Il y a une personne qui va s’occuper de tout ce qui est rencontres professionnelles, ateliers, workshops, en lien avec un service ici à Stereolux qui s’appelle le laboratoire d'art et technologie. Une autre qui s’occupe de toute la partie scolaire, ateliers pour les enfants et visites à destination d’un jeune public, il y a une personne qui s’occupe de la programmation on va dire "musicale" et tout ce qui n’est pas exclusivement de l’ordre de la musique c’est ma partie. Mais il y a beaucoup de porosité entre ces 4 éléments parce qu'il y a pas mal d’ateliers qui sont menés avec des artistes qui par ailleurs proposent un projet artistique pour le festival. Il y a pas mal de projets qui peuvent être pris ou envisagés par le spectre de la musique, de la scénographie ou l’art numérique et qui finalement selon leur entrée ou la façon dont ils sont identifiés, vont pouvoir être proposés à la fois par moi sur le plan des arts numériques ou d’autres personnes sur le plan de la musique. Les frontières ne sont pas claires mais c’est justement ce qui est intéressant.

Comment vous construisez la programmation ?

Une programmation comme celle-là c’est une équation à plein de variables. A mon sens il n’y a pratiquement aucun artiste qu’on n’apprécie pas vraiment. On essaie quand même au mieux, à titre personnel et professionnel, d’ouvrir les regards que l’on peut avoir sur la création du moment. Le but du jeu est à la fois d’être sur une vision assez globale et panoramique, d'équilibrer les références un peu plus affirmées avec des choses moins connues et qui sont de l’ordre de la découverte. On essaie aussi d’avoir une démarche un peu, je le dis très modestement, de prescription avec une intention d’essayer d’afficher les talents ou les courants du moment qui peuvent annoncer des choses d’une plus vaste ampleur. Et puis l’idée est quand même aussi de pouvoir avoir un positionnement à l’échelle nationale et internationale c'est-à-dire de faire en sorte que l’événement soit connu et reconnu pour ce qu’il fait et cité par des gens. Tout ça doit au final parler au public parce que le grand défi de ce festival est de s’ouvrir au grand public et de le sensibiliser. Et ça sur des formes artistiques comme celles-là qui sont des niches à la base, ce n’est pas forcément évident. Avec ce contenu, il faut allier qualité, exigence, originalité et accessibilité. Quand on est en face de tous ces critères, ce sont des choses très contradictoires mais l’enjeu est d’arriver à mettre tout ça ensemble et que ça soit à peu près harmonieux.

En parlant du public, comment on l'ouvre à ces expérimentations ?

La plupart des festivals de ce genre ont fait le choix d’une orientation plus marquée, soit sur la musique électronique  soit sur le volet art numérique. Nous on a quand même essayé d’être sur un équilibre pas simple mais un peu plus juste entre ces deux tiraillements. C’est aussi la forme du festival aujourd’hui, réparti sur un peu plus de 15 lieux de l’agglomération nantaise et qui propose des contenus artistiques dans des endroits où on ne les attend pas. Amener de l’art numérique dans le château historique des ducs de Bretagne à Nantes qui est un endroit patrimonial, historique et géographique, ce n'est pas forcément quelque chose d’attendu ou d’évident.
Le contexte spatial, architectural, l’identification d’un lieu et sa confrontation avec les contenus du festival, est une façon d’aller surprendre les gens et les chercher là où ils ne s’y attendent pas. C'est aussi une façon de les provoquer peut-être un peu, de faire en sorte de croiser le public et finalement amener des festivaliers qui viendraient plus exclusivement pour les soirées électroniques sur les lieux d’exposition et inversement. C’est une question de génération aussi. On a tout un volet qui est destiné au jeune public et on voit quand même avec beaucoup de plaisir des ribambelles de familles, de petits enfants avec leurs grands-parents. Le festival a quand même une petite notoriété donc il y a une certaine confiance avec le public. Les installations posent des visions d’artistes assez peu connus par le public mais il sait qu’il y a une expérience, un moment à vivre, quelque chose à découvrir qui va l'étonner, le surprendre. 

Est-ce qu’il y a des œuvres à ne rater en aucun cas cette année ?

Je vais commencer par la fin. Le dimanche, c’est vraiment une belle journée car on a un condensé de tout ce que veut montrer l’événement. Il y a une proposition très jeune public puisque c’est des séances de rêverie électronique en forme audio et vidéo pour les enfants de quelques semaines jusqu’à 2 ans. C’est vraiment destiné aux tout petits, aux bébés dans les bras de leurs parents. On est sur quelque chose d’assez singulier. Et puis peut-être deux pièces… on va dire Guillaume Marmin qui est un nantais et nous amène à traverser un couloir plongé dans le noir total et qui est transpercé de 120 rayons de lumières qui viennent dessiner une espèce d’architecture virtuelle dans cet espace avec vraiment une lumière travaillé comme de la matière.

Et à côté on a l’œuvre de l’anglais Alistair McClymont qui est éminemment contemporaine et actuelle. C'est une installation qui recrée juste avec de la fumée une tornade à une petite échelle avec tous ses aléas qui représentent à la fois des lois physiques et à la fois des lois de la nature et ses aléas qui viennent perturber le déroulement. On montre avec cette pièce-là comment on peut vouloir tout prédire et que cela nous échappe quand même. Finalement les lois de la nature ne sont pas forcément celle que l'on croit et elles reprennent souvent le dessus et ça fait assez malheureusement écho à l’actualité. C'est intéressant parce même si on ne s’impose pas de thème,on a cette année une réflexion autour d’une ère post-numérique et c’est un peu le contrepied que l’on souhaite prendre en terme de regard critique d'une époque où le numérique est quand même omniprésent, peut-être trop. On est nous-mêmes des acteurs pro-actifs du numérique donc c’est toujours compliqué de prendre cette posture. C’est plus un regard critique qu’une critique pure et l’œuvre d’Alistair illustre bien je trouve, l’opposition du numérique  avec ce qui est naturel et qui peut parfois reprendre le dessus. Elle nous montre qu'on n’est pas maîtres de tout et à la fois responsables du chaos.

Le mot de la fin, c’est quoi pour toi un bon festival ?

C’est un festival qui je pense allie plusieurs choses, qui prête attention à son public. C’est quelque chose qui est très marquant et qui peut faire la différence. Qui prête attention aussi aux artistes qu’il invite et à la façon dont il va composer ou mettre en avant les propositions artistiques et y prêter suffisamment attention pour qu’elles soient bien montrées ou bien présentées. Et puis après je dirais que c’est un festival qui arrive à allier des choses que le public attend, soit des tendances, soit des mots, soit des formes mais aussi à le surprendre, dans le bon sens ou dans un sens un peu plus rugueux. En tout cas l’amener aussi vers quelque chose à laquelle il ne s’était pas préparé. C’est comme ça que le festival arrive à aller un peu plus loin que la simple venue d’un spectateur qui vient, qui voit ce qu’il voulait et qui repart.

Et pour ne rater aucune performance, retrouvez le programme riche ici.

Propos recueillis par Camille Mazelin
Crédit photo : Digitalarti