On était à
Talents à portée d’oreille aux Primeurs de Massy

Au sud de Paris, un petit festival tient son rang depuis 17 ans : nous faire découvrir en live des groupes qui viennent de sortir leur premier album. Avec une programmation d’une qualité impressionante, la mission des Primeurs de Massy est plus qu’accomplie pour ces quatre jours dans une ambiance conviviale et attachante.

Jour 1. 20h23, retour au Paul B

On range notre bleu de travail vers 19h pour se presser dans le RER B. La descente se fait à Massy-Verrière, puis dans la fraîcheur de la nuit tombée, nous suivons un parcours fléché jusqu’au centre Paul B, caché au milieu de petites tours d’habitation. Une heure après notre départ, on y est. Les lieux n’ont pas changé, deux ans après notre premier passage : un espace d’accueil, un deuxième très chaleureux avec bar et restauration (photo), et deux salles, le “club” et la “salle” où les concerts s’enchaîneront à tour de rôle pendant quatre soirées. On profite des dernières notes du concert de Nach, qui a laissé sa famille Chedid de côté pour se retrouver entre filles sur scène.

21h12, la musique dans la peau

La transition d’une salle à l’autre est assez rapide. On patiente quelques minutes - le temps d’aller remplir son verre ou faire un tour aux toilettes - et le concert suivant commence, où s’agglutinent aux alentours de 150-200 personnes. Les quatre garçons de The Wanton Bishops débarquent : un son brut, un blues captivant dans la tradition américaine avec quelques accents libanais. Quelques passages à l’harmonica finiront de nous convaincre. On retrouve ensuite de vieilles connaissances, toujours autant possédé par leur musique. Feu! Chatterton (photo) s’avance pour un live beaucoup plus tranchant, plus incisif qu’il y a un an, pour un groupe en totalE progression, notamment grâce aux musiciens qui ont désormais plus de place dans le concert. Le chanteur est lui toujours totalement habité par son personnage de poète moderne au phrasé ravageur, et suant comme à marée haute.  

22h44, la primeur du rouge

On se pose dans la salle centrale de brique rouge, où une vingtaine de tables rondes sont disposées à côté du bar. Lumière chaude et tamisée, déco entre art moderne et abstrait, on s’y sent plutôt à l’aise. La pinte de Pelforth est à 6€, et le Paul B propose un vin “Primeurs” de Touraine à 2,5 le verre : on ira de l’un à l’autre pendant tout le festival. Deux concerts sont encore au programme. D’abord Forevert Pavot, pour un univers psyché à base de claviers désacordés et flûte traversière. Puis vient Songhoy Blues, déjà apprécié au festival du Bout du Monde : la chaleur de l’Afrique s'immiscent dans le festival, et le chanteur nous pousse à faire tomber les pulls aux sons d’un blues aux racines maliennes. Le public a tout de même du mal à se déchaîner. On est mercredi soir, on ne leur en voudra pas. Notre retour se fera avec le dernier RER vers Paris.

Jour 2. 20h45, une crêpe et c’est reparti

Le parcours est le même, et l’envie de découverte encore plus prééminente. On commence notre soirée par un repas. Comme la veille, et les 2 jours suivants, ca sera crêpe saléE pour nous ! (photo) Gruyère, jambon, tomates, chèvre, roquefort, oeuf … on a le choix pour des galettes entre 2 et 4€. Pour les bouches en sucre, nutella, banane, sucre et confitures sont bien sûr au rendez-vous; Pour les plus gourmands, le bar proposE des planches fromage-charcuterie, ou un “plat du jour” comme des lasagnes ou de la moussaka à moins de dix euros. Au programme culinaire également, des huîtres ! Avec son vinaigre à l’échalotte, évidemment. Côté public, le monde est bien présent, et sort du premier live de la soirée, Jambinai.

21h10, la tendance est à la perfection

Pour notre premier concert du jour, on prend une claque. On ne les connaissait pas, mais la performance de C’mon tigre (photo) nous laissera sans voix. Une sorte de session jazz hybride, teinté de funk et d’électro à minima. Un son réglé au millimètre, où chaque instrument vient jouer précisément son rôle dans des ballades oniriques, d’une cymbale qui scintille à un xylophone lointain. Nos tympans sont désarçonnés par cette expérience divinement musicale. On change de salle mais l’on reste dans le beau avec l’une des révélations de l’été, Jeanne Added. Elle est désormais rôdée, arrive en terrain conquis, pour des chansons presque parfaites, voire un peu trop. Ce qui n’enlève rien aux qualités scéniques des trois filles face à nous, et des désormais presques classiques War is coming et Look at Them.

22h35, l’énergie juvénile

On reprend une tournée de bières, et les discussions vont bon train. Plus une place n’est disponibles, avec un public assez varié. Après une belle tournée d’été des festivals pour eux aussi, les Kid Wise (photo) font salle pleine. Avec de l’électro-pop plus classique, la recette fonctionne bien. Ils savent y faire : les refrains sont entêtants, notamment avec Hope, et le chanteur viendra danser au coeur du public. Ils finiront cependant par un morceau de dix minutes montrant toute leur valeur. Fatigué de notre journée de boulot, et pensant à celle du lendemain, on laissera Husbands aux plus motivés pour rentrer tranquillement chez nous.

Jour 3. 20h35, Extravagance et lunatisme

A peine arrivés, nous sautons dans la salle pour découvrir la fin du live de Matthieu Sakaily, qui a fait du Paul B sa villégiature de répétition. Nous qui avions mis quelques #bleu lors de son passage victorieux à la Nouvelle Star en 2014, qu’est-il devenu ? Il nous raconte ses histoires, des ballades folk agrémentés de sonorités électroniques. Ses chansons sont un peu gnangnan, mais la personnalité "tête dans les nuages" du chanteur touche, séduit et emporte l’adhésion. On enchaîne dans le club un demi à la main pour une surprenante crooneuse, chapeau vissé sur la tête. Avec sa voix rauque et son allure sur des titres rock et blues, Betty Bonifassi (photo) nous raconte ses hommages aux esclaves afro-américains, et son expérience canadienne. Une découverte qui ne manque pas de punch et de bagou.

22h12, des concerts taille patron

Voilà qu’une chef d’orchestre débarque à Massy. Accompagnée de musiciens plus que talentueux, Ester Rada (photo) nous impressionne par sa présence et sa superbe voix. Trois cuivres donnent une puissance magique aux 40 minutes de show qui passent comme un éclair. On a l’impression que cela fait des années qu’ils sont ensemble sur scène tellement l’osmose est évidente. La salle s’anime, se déhanche enfin, et des ondes happy face se propagent sur ce public un peu plus jeune que la veille, notamment grâce à deux reprises de Nina Simone dont Feeling Good. Pour la suite, ceux qu’on avait découvert au Chien à Plumes confirment avec panache leur improbable mélange. The Summer Rebellion rassemble un batteur-chanteur et un accordéonniste, l’un à la voix rauque et l’autre à la virtuosité étonnante. De par leur originalité, et surtout grâce à leur énergie communicative, le duo captive très vite un public qui se dit qu’il ne s'est pas trompé d’endroit ce soir.

23h32, au plus près des jeunes pousses

Quelques minutes après la fin de leur concert, on retrouve les deux musiciens au petit stand merchandising à la rencontre de leur public d’un soir (photo). Beaucoup viennent les saluer, et discuter tranquillement. On aura pu croiser pendant le festival Nach autour d’un verre, Matthieu Sakaïly parler avec des jeunes fans, et pleins d’autres artistes venus dédicacer leur premier opus. On se sent vraiment complice avec ceux que l’on vient de voir sur scène, un sentiment déjà éprouvé pendant les lives où la proximité est le maître mot. On finira en douceur notre soirée avec Moh! Kouyaté, qui saura nous séduira grâce à son sourire et sa musique finement groovy aux saveur africaines. Notre retour se fera cette fois-ci en noctilien, direction le centre de Paris.

Jour 4. 21h02, la roue des caries

Nous arrivons à nos dernières heures du côté de Massy. Notre samedi commence avec Flavien Berger, qui avait déjà croisé nos oreilles à We Love Green. Orgues sous-marines et rock des abysses, le public en apnée est ressorti toutes choses des profondeurs de cette pop poétique et sophistiquée. Un coup de coeur pour beaucoup le monde, à en juger les conversations animées qui ont suivi le concert. Dans le hall d’entrée, une roue multicolore nous intrigue derrière un comptoir d’information (photo). On nous propose de la faire tourner : la chance peut nous offrir deux places pour l’un des concerts programmés pendant l’année. En cas de défaite, il faudra faire une offrande à la tête de bronze de Paul Baillard, ancien maire de Massy, et qui a donné son nom à l’endroit. Au final, prix intermédiaire, ça sera bonbons et sourires pour tout le monde.

22h32, jeu, set et match

C'est évident, la plupart sont venus ce samedi écouter We Are Match (photo), et c'est un public conquis d'avance qui les accueille dans la salle principale. Comme en extérieur et malgré toute une saison de festivals, on note qu'il semble toujours difficile de rendre la complexité de leur son en live - basses puissantes mais voix un brin en retrait -, un défaut largement compensé par l'énergie débordante dont ils font preuve sur scène. Après un début en douceur et de nombreux morceaux présents sur leur premier EP, ils terminent en transe par un Speaking Machines dément qui a laissé tout le monde sans voix. Et un peu sur sa faim.

23h10, il manquait un peu de rap …

Ça tombe bien, le samedi il y a encore plus d'huîtres à Massy, et toujours autant de bonne humeur du côté des crêpes, préparées selon nos informations depuis la fin de la matinée. On apprécie toujours autant le rapport qualité-prix imbattable du vin, notamment du pinot noir. Choc des cultures ensuite : c'est un public rajeuni mais toujours clairsemé qui est venu samedi soir écouter le rap bavard de Kacem Wapalek (photo) Très bon sur scène, il a réussi à entraîner son monde malgré un public clairement pas connaisseur : "Ca me rappelle IAM" glisse une serveuse à une autre. Le vin est bon, mais évitons d'en abuser. Superpoze terminera la soirée par ses sonorités planantes en nous accompagnant doucement mais sûrement vers la fin du festival.

Le Bilan

Côté concerts

La chef d'orchestre
Ester Rada, un concert riche et maîtrisé avec envie.

Le mélange ébouriffant
The Summer Rebellion, un duo qui ira conquérir le coeur de nombreux festivaliers.

Le voyage intemporel
Flavien Berger, direction l’au-delà

La folie poétique
Feu! Chatterton, qui trouvent au fil des concerts leur parfait équilibre

Le perfectionnisme musical
C’mon Tigre, un concert d’une complexité jouissive

Côté festival

On a aimé :
Des places au tarif abordable et qui n’ont pas augmenté : de 18€ la soirée jusqu’à  52 le pass 4 jours.
Un lieu convivial, avec tout le nécessaire pour boire et manger sans trop se ruiner.
Une programmation riche, éclectique, mais qui n’en est pas moins cohérente sur l’ensemble du festival.
Un festival qui rapproche les artistes du public : une proximité face à la scène, et un échange plutôt facile en dehors des concerts.

On a moins aimé :
Pas facile de rentrer à la maison sans voiture. Pourquoi pas des petites navettes à l’avenir ?
Des éco-cup pour les bières, mais assiettes, verres et couverts en plastique pour la nourriture et le vin.

Conclusion

A l’inverse de beaucoup de festivals urbains d’hiver, on se retrouve au Paul B à Massy pendant quatre jours au coeur d’un évènement à l’identité marquée, à l’ambiance chaleureuse et au choix musicaux de qualité. Pas étonnant que le concept des Primeurs se soit exporté cette année à Castres pour une édition jumelle.

Un récit de Morgan Canda et Arthur Emile
Photos de Morgan Canda