On était à
Les Inrocks font remuer la capitale

Casino de Paris, Cigale ou Boule Noire : ces prestigueuses salles parisiennes accueillaient pendant une semaine le festival du magazine les Inrocks. Dur d'y retrouver l'ambiance festival qu'on aime, même si on a apprécié pendant plusieurs jours une programmation exigeante et recherchée. 

Jour 1. 20h03, chic et paillettes au Casino

Les deux premières soirées du festival Inrocks Philips se déroulent au Casino de Paris. Ambiance lustre au plafond, tapis rouge bordeaux et serveurs costume trois pièces. Les prix vont avec : une quarantaine d'euros la place pour  les deux soirs, et 5€ le demi. On opte pour la sobriété. Ocean lance sa dernière note alors qu'on entre dans la salle.

20h34, l'heure des femmes

La deuxième "première partie" de la soirée s'appelle Women's Hour (photo). De la douce electro pop avec une voix qui cherche à caresser les spectateurs. Un public attentif et concerné sans être à fond. Un concert qu'on aurait préféré vivre allongé dans l'herbe, encore que l'acoustique du Casino de Paris est au top. 

21h12, Lykke Li en sous-régime

Star de la soirée, le public est venu pour elle. Noir, fumée, raisonnement de la batterie et voila Lykke Li (photo) sur scène. Une grosse heure de live, et un public qui avait signé l'armistice avec l'ambiance. On nous avait plutôt dit du bien de cet artiste, et son tube I follow you, mais on a du mal à rentrer dans la danse. Une voix électronique, parfois sublimée par ses choristes, un concert monotone avec trop peu de moments où les instruments prenaient le dessus. 

Jour 2. 19h30, la sensation Ibeyi

Cette deuxième soirée commence par une belle rencontre musicale : Ibeyi (photo), deux jumelles métissées, entre français et cubains pour deux voix qui se mélangent à merveille. L'une est au piano, l'autre aux percussions, ou parfois totalement à capella. Le public est très vite emporté dans leur flow. On les imagine bien dans quelques années avec un petit groupe sur une grande scène. 

20h27, ce bizarre et bon Moodoid

Pas de nouveauté par rapport à la veille, si ce n'est que la soirée semble deux ou trois tons au dessus. Le deuxième groupe le confirme : Moodoid (photo). On ne sait pas vraiment où situer le groupe, et c'est ce qui nous plaît. Un mélange de Soupe aux Choux, d'un twist des Forbans et du week-end à Rome de Daho. C'est plus punchy que sur les ondes, avec un gars à la voix spécial - et une cithare électrique - entouré de quatres musiciennes manteaux et masques pailletés. C'est bizarre, et on aime bien. 

21h35, on mouille pour Damon

On en tomberait presque amoureux. Il faut dire que Damon Albarn (photo) nous a dragué pendant plus de deux heures. Des ballades rock de son dernier album, des détours chez Gorillaz, Blur ou The Good, the Bad and the Queen, on entre dans son univers comme si c'était chez nous. Oxmo Puccino passe même pour checker Clint Eastwood. Damon va lui, chercher du regard un par un ses spectateurs, s'amuse à nous balancer de l'eau et tente quelques dicussions improvisées. On se dit qu'on était vraiment au bon endroit ce soir. 

Jour 3. 19h20, Cigale vs. Boule Noire

C'est l'heure des choix. Le festival Inrock Philips s'installe comme l'année dernière pour quatre jours à Pigalle, à la Cigale (photo) et la Boule Noire. Des pass étaient dispos pour aller d'une salle à l'autre, avec un bracelet à 40€ la soirée, 100 pour trois. On arrive sur la fin du premier live, Seinabo Sey, où l'on a juste le temps d'entendre sa belle voix. 

19h45, le calme avant la douceur

Environ 15 à 20 minutes de pause et c'est reparti avec Glass Animals (photo). La salle est encore clairsemée et statique pour de la pop assez douce, aux rythmes lents et appuyés. Direction la Boule Noire : la salle est beaucoup plus petite et intimiste, une centaine de places debout contre cinq fois plus à la Cigale. On se retrouve devant Vault, avec un public absorbé par les basses et les synthés du groupe. Seulement une trentaine de personnes sont là. 

20h41, Chet le charmeur de public

Ca y est, la Cigale est pleine. Chet Faker (photo) a ramené la foule. Parfois accompagné, on le préfère seul à son clavier. Une voix frissonante, des ballades electro entraînantes, un son qui raisonne dans les tripes, et un public à ses pieds. De l'autre côté du mur, la Boule Noire a pris des couleurs avec Bipolar Sunshine, avec sans doute beaucoup d'origan dans les loges. 

21h54, de l'action pour le final

C'est la queue pour les filles aux toilettes. On se croirait presque en festival. On peut enfin commander des pintes, 7€ à la Cigale, 6 à la Boule Noire. Tarif concert parisien. On arrive sur la fin de la soirée : le public est resté pour The Shoes (photo) pour un live très varié, entre dubstep rock et electro pop plus calme. De quoi remuer un peu la salle. Avant de repartir, on fait un coucou à Rosie Lowe. Un flow de R'n'B' sur fond pop rock, un son intéressant qui fait du bien, et nous porte jusqu'à la fin. 

Jour 4, 21h14 Soirée rétro à la boule noire

Pour cette soirée, on profite de la Boule noire (photo) : une boule magique, plutôt, qui vous plonge 15 ans en arrière. Les années lycée, ou l’on écoute ses copains s’essayer au rock dans le garage de papa et maman. Mais on prend plaisir à se la jouer « teenager ». On pose son manteau et son sac sur une banquette pour éviter de payer le vestiaire et on apprécie sa pinte dans un gobelet en plastique. On se laisserait presque tenter par un petit shot aromatisé à la fraise… trop tard. Les lumières s’éteignent. La salle paraît encore plus petite. Le concert commence. Pourtant, en tendant l’oreille, ce n’est pas votre vieux copain « Jo » qui massacre un morceau de Noir désir ou de Nirvana. Non, la programmation est brand New. Le son, hélas, un peu moins avec les Telegram.

22h03, Belle revanche sur la piste de danse

Les Bohicas (photo) n’ont pas fait qu’emprunter les perfectos de leurs aînés. La mélodie,  la gestuelle, les longues embardées de guitare : pas de doute, c’est du rock, du bon vieux rock, sans prétention. Sans nouveauté aussi. Mais qu’importe, le voyage dans le temps est plaisant et leurs minois aussi. On investit la piste de danse. Et il y a de l’espace. Un espace, qui nous pousse à tenter les mouvements les plus audacieux. Une revanche sur toutes ces fosses bondées où on peut à peine taper du pied.

23h42 , Décolage immédiat avec Gengahr

C’est finalement Gengahr (photo) qui nous propulse en 2014. Une belle surprise, qui a pourtant failli ne pas avoir lieu. Car le groupe londonien n’était pas prévu au programme. Ils ont remplacé Wolf Alice. Tant mieux !  Le son est rock, mais avec une pointe d’electro, de pop. Un mélange audacieux, porté  par la voix dérangeante mais envoûtante du chanteur. On est conquis. 

Jour 5. 17h59, les petits jeunes qui montent

La soirée commence presque aux aurores. Mais tant mieux, on tombe sur des gars qui ont le vent en poupe, Feu! Chatertton. Adulés par les critiques, voyons ce qu'ils ont dans le ventre. Le groupe est bon, ils font du rock, avec un chanteur habité par son personnage entre poésie et slam. Il a des faux airs d'un Brel sorti de sa tombe. Ils nous raconte leurs histoires, et on les écoute avec envie. La suite est plus compliquée, toujours à la Cigale. De la techno berlinoise à 19h, difficile d'accrocher. The Acid propose pourtant une vraie mise en scène vidéo et lumière. 

19h55, KulKulKul et sa guitare

La salle n'est pas pleine, mais le bar est souvent engorgé. Ca discute beaucoup dans les travées de la salle, et ça gêne parfois pendant les lives plus intimistes. Nick Mulvey (photo) saura les faire taire pendant son concert : un autre charmeur des temps modernes, avec sa guitare aux accords vahinés. Le public chantera en choeur son Kulkulkul. A la Boule Noire, on entend un refrain qui commence à nous être familier : electro lente et basses intenses. La mode du moment, on va dire.

21h20, pep's de Nimmo après le calme d'Asgear

On se prend une pinte pour un retour à la Cigale. On croise seulement une dizaine de personnes à faire le yo-yo entre les deux salles. Des pass trop souvent utilisés pour ne rester que là où s'enchaînent les têtes d'affiches, ce qui donne un effet de Boule Noire parsemée et de Cigale pleine à craquer. Asgear (photo) débarque sur scène : une belle voix, douce ambiance électrique, mais encore et toujours le même son qui nous endormirait presque. On nous rejoue la partition de Chet Faker. Ca bouge plus à côté, avec Nimmo pour de l'electro-rock un peu plus tonique.  

22h10, dernier round avec Baxter

Costard-cravate sur les épaules, Baxter Dury (photo) est attendu. Il nous montre fièrement le cygne gonflable géant au dessus de nos têtes. Ca se dandine mais ça ne décolle pas plus que ça, comme la plupart des concerts du jour. Il s'amuse avec le public et donne quelques sourires aux lèvres à la salle. Plaisant pour terminer notre aventure. C'est le dernier soir pour nous, même si on aurait aimé croiser le pur rock de Royal Blood le lendemain. 

Côté concerts :

La claque
Damon Albarn, un univers à lui qu'il a su partager avec le public.

Le gars sûr
Chet Faker, il envoûte une salle en une vibration de cordes vocales.

La confirmation
Feu! Chatertton, poète rock des temps modernes. 

La découverte
Ibeyi, deux jumelles franco-cubaine aux belles voix en devenir. 

Le service minimum
Lykke Li, monotone et peu accrocheuse. 

Côté festival :

On a aimé :

- Nouveau Casino, Cigale, Boule Noire : des salles prestigieuses à l'acoustique impeccable.
- Programmation recherchée et cohérente par soirée. 
- Des concerts dans plusieurs villes : Nantes, Caean, Strasbourg, Tourcoing, Toulouse, Lyon, Lille, et même Londres. 
- Les lives parisiens étaient retransmis en direct sur internet, qualité de tournage au rendez-vous.
- Des salles pratiquement toujours pleine.

On a moins aimé :

- Pas de cohésion de festival : pas de pass pour tout le festival, pas d'éléments communs pour se sentir dans un même mouvement, manque d'identité visuelle. 
- Places au prix peu accessible, tout comme les consommations au prix d'un concert parisien.
- Manque d'ambiance dans la fosse. Ca se regarde plus que ça danse. 

Conclusion

On aimerait tant que ce genre de rendez-vous d'hiver face l'effort de se donner une véritable identité festivalière. Pourtant, on y a passé de bons moments, avec des lives de qualité pour des artistes peu présents ailleurs, et un son presque parfait à chaque fois. A voir si le tout est compatible pour l'avenir. 

Un récit de Morgan Canda
Photos de Valentin Chemineau (Les Inrocks, Jour 1, 2, 4 et 5) et Morgan Canda (Jour 3)