On était à
Saveurs Jazz Festival, la cerise sur le gâteau

Pionnier des festivals initiés par le réseau SPEDIDAM, Saveurs Jazz fête cette année ses dix ans, sur un site pour l’occasion complètement ré-agencé. Deux raisons au moins d’aller tester ce festival situé à 30 minutes en voiture d’Angers et précédé d’une réputation de convivialité. On vous raconte.


Jour 1. Mercredi 3 juillet. 16h30, sieste musicale

Le bruissement des saules pleureurs, le chant des oiseaux, des coussins et chaises longues mis à disposition sur les bords de l’Oudon : en guise de préambule Saveurs Jazz aménage un petit paradis bucolique à 15 minutes à pied du site du festival. On y profite du solo que nous a préparé avec bienveillance Céline Bonacina (photo) et de ses clés d’écoute sur le prélude de la première suite pour violoncelle de Bach : « Le sax baryton et le violoncelle partagent une tessiture proche. Orientez votre écoute sur le son fondamental qui se répète - la terre - et les phrases qui s’égrènent au-dessus - le ciel ». S’ensuit un thème de Michael Brecker puis de courtes improvisations jazz, délicates et enjouées, jusqu’à une Gymnopédie de Satie revisitée. Quatre heures seulement après avoir quitté Paris, on est plutôt pas mal, Place du Moulin Sous la Tour à Segré, un bourg de 7.000 habitants. La cerise, par avance, sur le gâteau d’anniversaire du festival.


21h00, première carte blanche au Carreau

Changement de décor pour une autre spécificité des dix ans du festival : la carte blanche à un saxophoniste de Segré, Julien Behar, ce soir en duo avec le vibraphoniste Illya Amar. A quelques minutes en voiture du site du festival, on découvre la friche des anciennes Mines de fer, le Carreau de Bois de Nyoiseau. Les mines de fer furent pendant un siècle un des deux moteurs de l’économie du pays segréen, employant jusque 700 personnes. L’autre employeur ? Les Ardoisières de Trélazé, dont la couleur donne son nom au Pays de l’Anjou Bleu. Alors que l’ancienne Maire nous apprend que ce patrimoine minier a été sauvé de la destruction et réinvesti par des collectifs de créateurs, on lui dit que cela nous passionne, ayant consacré une partie de nos études précisément au réinvestissement artistique du patrimoine minier de la Ruhr en Allemagne ou de Frameries en Belgique. Un moment extraordinaire, au sens propre, dans les épis et herbes folles, à l’écoute des deux types de sonorités qui se détachent comme se découpent les contours du bâtiment au coucher du soleil (photo).


Jour 2. Jeudi 4 juillet. 11h30, Balade au marché

Une bonne demi-heure en voiture est nécessaire pour atteindre Pouancé – Ombrée d’Anjou, où l’on poursuit le off du début du festival. La « Saveurs Jazz en Balade » installée sur la place du marché (photo) permet à un jeune quartet issu du conservatoire d’Angers de se produire devant entre autres un public de bambins encadrés par leurs instits. Myosotis – c’est le nom du groupe que forment la chanteuse Nona Mcelem avec Baptiste Renou, Fabien Blondet et Jeff Robin - a été à cette fin sélectionné par Robin Godicheau, le coordinateur du festival. Nona chante en anglais dans une veine soul. Ce n’est que leur deuxième date mais c’est frais, en place, sans minauderie, avec déjà la volonté de se créer un petit univers à eux, un univers couleur pastel, tie and dye.


18h00, deuxième carte blanche en terre noire

Un nouveau rendez-vous est fixé sur le parking de la friche industrielle du Carreau pour découvrir un autre duo de Julien Behar, cette fois-ci avec le saxophoniste Pierrick Menuau. On nous guide à travers un parc de terre noire, noire comme le minerai de fer dont des billes agglomérées recouvrent le sol. Ce parc, c’est le terrain de création grandeur nature investi par l’artiste Jimmix, un des sculpteurs de pièces géantes du Hellfest. C’est dans ce décor d’urbex, face au mur tagué d’un ancien bâtiment d’exploitation des mines, que l’on écoute le duo de saxophonistes (photo). On en sort les pieds noirs jusqu’aux chevilles !


20h25, Carine Bonnefoy trio

Il est 18h30, nous y sommes, Saveurs Jazz ouvre le festival in au Parc de Bourg-Chevreau. Il s’agit du parc d’un lycée, ce qui permet à l’organisation d’avoir sur place des infrastructures déjà existantes : sur la partie du site non ouverte au public, l’internat loge l’équipe du festival tandis que le gymnase est divisé en loges pour les artistes et en catering commun pour l’équipe et les 115 bénévoles. Sur la partie ouverte au public, deux scènes sont aménagées, mais pour cette première soirée de jeudi où une jauge de dimension familiale est attendue, seule la première scène dite Scène de la Marmite est ouverte. Sous un chapiteau semi-couvert, face aux tables de pique-nique (photo), Carine Bonnefoy (piano) présente le trio qu’elle forme avec Julie Saury (batterie) et Felipe Cabrera (contrebasse) : « c’est un collectif, on compose tous ». De fait, les compositions de chacun s’enchaînent harmonieusement. Un jeu lyrique au piano, une batterie extrêmement mise en avant, et un contrebassiste qui emprunte une citation des « Danses Polovtsiennes » de Borodine dans sa balade « Desde Abril ».


22h50, Thomas de Pourquery & Supersonic

Des verres de vin rouge d’Anjou bio, la lumière des guirlandes colorées : l’ambiance est douce en fond de scène, près du bar. S’il est plutôt incongru pour nous de revoir Thomas de Pourquery & Supersonic devant une petite jauge et des spectateurs pour certains assis en chaises longues, la générosité du groupe n’en semble cependant pas écornée (photo). Avec son talent de showman, le saxophoniste fait chanter ici aussi les Segréens sur « Simple Forces ». On ressent nettement le gros coup de cœur du public qui rappelle le groupe et investit enfin le devant de scène.


Jour 3. Vendredi 5 juillet. 18h30, Joel Hierrezuelo quintet

Le site ouvre aujourd’hui à l’heure de l’apéro – au vin d’Anjou bio bien sûr ! Trois food-trucks proposent des galettes, des fouées (de petits pains typiques cuits au feu de bois) ou des bagels frites faits maison (photo). Les tablées se constituent tandis que Nicolas Folmer, l’artiste référent et programmateur du festival avec Ronan Palud, présente le premier concert. Joel Hierrezuelo en quintet – labellisé artiste SPEDIDAM – nous conquiert par son répertoire jazz infusé au cubain, par les rythmiques enlevées de Yoni Zelnik à la contrebasse et Lukmil Pérez à la batterie et la virtuosité des solos de Julian Caetano au piano. Notre voisine délaisse son bagel pour danser sur « Llegando a Santiago », un hommage à la patrie du « Son » cubain. A nouveau on salue l’ingénieur du son de la Scène de la Marmite pour son boulot. Dommage que les musiciens se trouvent quelque peu encaissés au fond de ce chapiteau cubique : une piste d’amélioration pour l’an prochain ?


20h00, Seun Kuti

Le principe du réagencement du site pour les dix ans du festival repose sur le bar unique traversant qui forme une jonction (photo) entre la scène gratuite dite de la Marmite et la scène payante dite du Parc. Les concerts s’y jouent en alternance. De fait, même en restant dans l’espace en accès libre, les festivaliers peuvent profiter du son de la scène du Parc, mais sans la vue. Dans ce second espace, une fosse debout les pieds dans l’herbe sépare des gradins couverts d’une scène bien mise en lumière sur laquelle Seun Kuti et ses danseuses sont en train de dépenser un million de calories.


21h15, Delvon Lamarr trio

Parmi les nouveautés de cette édition, le stand d’un disquaire venu de Rennes (photo) propose les albums des artistes de la soirée, en dédicaces. C’est là qu’Amy, la compagne et manageuse de Delvon Lamarr, le guide à la fin de son set sur la scène en accès libre. Delvon Lamarr, un joueur d’orgue Hammond de Seattle, vient de présenter son trio soul-jazz, vintage à souhait, avec Jimmy James à la guitare et Grant Schroff « originaire de Washington » à la batterie. Le trio étire en longueur une version instrumentale réjouissante du « Move On Up » de Curtis Mayfield. Un autre rédacteur de Tous les Festivals avait entendu le trio quelques jours plus tôt à Strasbourg au Wolfi Jazz Festival, un autre des festivals SPEDIDAM qui se partagent une partie de leur programmation.


22h15, Emir Kusturica

Que dire d’Emir Kusturica & The No Smoking Orchestra qui investissent ensuite la scène du Parc ? Qu’on ne veut pas savoir à quoi ils carburent en loges ! Que leur mixture festive et costumée intègre entre chaque morceau le jingle amusant de la Panthère Rose. Que dans ce show ventilé façon puzzle, il y a quand même du violon, y’en a ! Et que lorsque la troupe descend dans le public (photo), l’ambiance reste familiale.


01h00, BCUC

Après un second set soul-jazz de 45 minutes du Delvon Lamarr Trio scène de la Marmite, avec oh joie une citation du « I’m a pusherman » de Curtis Mayfield, la nuit se conclut scène du Parc avec BCUC : « plus fort que de la soul, plus fort que du punk rock » introduit Ronan Palud. Alors certes les gradins de seniors se vident peu à peu, mais les clameurs des plus jeunes au-devant de la scène résonnent à 1h du matin. Une des réussites du Saveurs Jazz tient précisément dans sa mixité générationnelle. Dans le millier de festivaliers attirés par cette festivité implantée dans une petite ville, on peut témoigner d’un brassage, d’un mélange de tous les âges. Le festival a d’ailleurs bien pensé à mettre à disposition à l’entrée – contre caution - des casques pour enfants (photo).


Jour 4. Samedi 6 juillet, 16h30, ANTILOOPS

Ouverture du site à 16h30 : la table de jeux pour enfants ne désemplit pas (photo), dans un parc où l’on note un effort de décoration, entre arrosoirs et bouquets champêtres. ANTILOOPS, le groupe de jazz electro funk hip-hop (oui tout ça) porté par la flûtiste Ludivine Issambourg, est certainement plus habitué aux ambiances clubs nocturnes, mais le son du groupe s’adapte aussi parfaitement à la langueur ambiante, due à l’horaire et la chaleur. Dans la veine de Chlorine Free mais sur un répertoire purement instrumental, le groupe nous emballe carrément avec « Luna », un morceau atmosphérique, lumineux, sur une rythmique d’n’b, puis avec « Eza », une pièce plus sombre et technoïde, introduite par Timothée Robert à la basse.


20h00, Line Kruse septet

L’ambiance est douce à 20h du côté de la scène du Parc où l’on a la place de s’asseoir dans l’herbe pour écouter le septet de Line Kruse (photo). Line intègre son violon en section avec les soufflants et avec le batteur Arnaud Dolmen que l’on a la bonne surprise d’entendre puisqu’il remplace le batteur annoncé sur le livret. La violoniste déroule majoritairement son album Hidden Stone : un chacha d’inspiration cubaine « Bearded », puis un rythme afro péruvien « Festejo », suivi par « Hidden Stone » où l’on profite du solo de Pierre Bertrand, puis « Kleine’s Nachtmusik », « Tango », « Comme Bach ». Certes on est dans un style de jazz très écrit, orchestral, très arrangé – les pupitres devant les musiciens en témoignent – mais il nous semble que le septet nous ouvre un espace vaste, soyeux, luxuriant.


22h30, la tête d’affiche

Au couchant du soleil côté scène de la Marmite, le brass band Bad Fat envoie du gros son, gras, tellurique, sur lequel rappe Napoleon Maddox. Le ciel en rosit comme s’il en était émoustillé. A 22h30 la scène du Parc est investie par la vingtaine de musiciens du Haïdouti Orkestar, avec en solistes un jeune saxophoniste un accordéoniste d’une autre génération, emmenés par Ibrahim Maalouf. Un show de musiques nomades voyageant des Balkans à l’Orient, une danseuse en longue robe rouge, un chanteur turc, une chanteuse kurde. Effet « bankable » de Maalouf : gradins et fosse sont remplis, 1.500 personnes environ soit la jauge la plus importante jusqu’alors (photo). Le festival se poursuit encore dimanche mais se termine là pour nous.

Le bilan


Côté concerts

La grâce
Le solo de Céline Bonacina

Le jazz métissé cubain
Joel Hierrezuelo quintet

Le jazz electro
ANTILOOPS


Côté festival

On a aimé

- L’ambiance conviviale, la mixité des générations, la météo idyllique
- L’organisation globale : bar, food trucks, conversion des euros en jetons remboursables, effort de décoration, disquaire, jeux pour enfants, équipe de secours, toilettes sèches et entretenues au fil des soirées, prévention auditive, petit journal papier quotidien, prestataire vidéo pour réaliser un aftermovie
- La découverte du patrimoine minier du Carreau de Nyoiseau
- Le vin rouge d’Anjou bio Château du Breuil
- L’ingénieur du son de la scène de la Marmite
- La présence des deux programmateurs qui introduisent les concerts

On a moins aimé

- Le manque de lumière sur la scène de la Marmite avec de artistes relativement encaissés en fond de chapiteau
- La nécessité de s’organiser en voiture pour aller aux Saveurs Jazz en Balades et au Carreau


Infos pratiques

Prix des boissons

Prix du vin rouge d’Anjou bio : 3 jetons (1 jeton = 1 jeton)
Prix de la pinte de bière blonde Paulaner : 4,5 jetons
Prix de la pinte de bière bio des Fontaines : 5,5 jetons

Prix de la nourriture

Fouées, galettes, bagels frites : 5 à 8 jetons

Prix du festival

Pass 4 jours : 110 euros

Transports

Gare SNCF la plus proche Angers-Saint Laud puis à 42 km soit 30 minutes de voiture d’Angers. Ou à 80 km soit 1h de trajet de Nantes ou de Rennes.

Conclusion

Dans un cadre champêtre, avec un public intergénérationnel, qu’elle fut douce à vivre l’ambiance du Saveurs Jazz Festival #10 ! Une famille accueillante dans laquelle on se sera immergée une semaine, animée par un coordinateur dont le remplacement constitue l’un des défis de la 11ème édition.

Récit et photos Alice LECLERCQ