On était à
Mythos : les vingt printemps du festival rennais

Après une 19e édition particulièrement réussie, le festival citadin rennais fêtait dignement sa deuxième décennie. Fidèle à ses fondamentaux et son identité, le Mythos a déployé sur dix jours une programmation ambitieuse et largement plébiscitée par un public venu massivement à ce premier rendez-vous printanier.

Jour 1. 19h14, le Thabor pris d’assaut pour Cantat

Il fallait se battre cette année pour avoir accès à certains spectacles, littéralement pris d’assaut et rapidement complets. Victime de son succès, le festival a ainsi démarré avec à la fois un collectif d’intermittents invitant le contexte social au pot d’ouverture, et une file d’attente pour le premier spectacle qui couvrait intégralement le périmètre entre les portes du chapiteau et l’entrée du parc du Thabor. Et on peut dire que ça se bousculait au portillon pour aller voir, entendre et célébrer la lecture musicale de Bertrand Cantat (photo). Incantatoire, psalmodiant de sa voix unique un texte sombre et presque psychédélique parfois sur la dictature chilienne, l’ex leader de Noir Désir a donné à entendre une création inspirée et habitée, habillée du talent musical de ses acolytes Marc Sens et Manusound. Une belle entrée en matière avec de la grosse pointure qui ne déçoit pas.

Jour 2. 18h38, premières lueurs du week-end avec Alex Beaupain 

Tandis que la soirée proprement dite allait retentir notamment aux sons de General Elektriks, nous nous sommes cantonnés à une découverte curieuse de l’univers d’Alex Beaupain (photo), ses mélodies mélancoliques et son ironie discrète. Dehors, le week-end prenait ses droits, et le parc du Thabor accueillait des habitués du festival, tout en décontraction tandis que, la première soirée passée, Mythos prenait son rythme de croisière.

Jour 3. 16h53, le bal des enfants

Il est toujours difficile d’embrasser la totalité d’un festival à la palette si large. Cette année, nous avons pu goûter à la bonne idée si bien menée qu’était le bal d’après-midi des enfants. Ambiance dominicale et familiale, joie de vivre et gros son “comme pour les grands”, avec deux salles, deux ambiances : une pour les bouts de chou, une pour les ados, avec partout la même tendance au sourire et l’envie de faire gentiment la fête. Un chouette moment, gratuit qui plus est, qui contribue à garder à Mythos un caractère de rendez-vous pour tous les Rennais qui en auraient envie. Et en plus, oui, on pouvait même demander ses titres préférés.

21h32, rendez-vous manqué avec Thiéfaine

Avec le soir cependant, les choses sérieuses reprennent. Nous n’avons pas pu voir Dyonisos, exemple parmi tant d’autres d’une billetterie braquée en peu de temps. Une autre grosse tête d’affiche est particulièrement attendue en la personne d’Hubert Félix Thiéfaine (photo). C’est là encore l’occasion de souligner le cadre privilégié qu’offre un festival comme Mythos. Les places ne sont pas spécialement données, mais où ailleurs voir dans un cadre aussi chouette que le Cabaret Botanique et avec une jauge à taille humaine, un artiste comme Thiéfaine ? En l’occurrence, ce qui aurait pu être un moment de choix fait un peu flop. Peut-être est-il exagéré d’attribuer la déception ressentie à la place désormais laissée à son fils Lucas à la barre du navire, mais on est en reste de fièvre devant ce rock un peu conventionnel, où un guitariste aussi inspiré qu’Alice Botté se voit relégué au rôle de sideman presque effacé. Il y aurait beaucoup à dire, y compris des bonnes, et du reste le public, comme toujours avec Thiéfaine, a célébré une oeuvre et un artiste culte, un animal rock unique mais ce soir, comme il le disait lui même, “c’était cool”, mais pas magique et encore moins teigneux.

Jour 4. 21h15, Tindersticks ou l’esthétique du triste

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne paie pas de mine, Thomas Belhom. Physique sage et gestuelle faussement gauche, effacé derrière sa musique, il convoque malgré tout des moments suspendus et en une demi heure de set fait de ce début de lundi soir un voyage inattendu. Boucles, bric à brac sonore toujours empreint d’élégance et de retenue, avec son compère saxophoniste il ose des équilibres indistincts entre improvisation et écriture ciselée, humble et lumineuse. Après cette belle découverte, on constate qu’il est parfois bon de rester obstinément ouvert à la surprise. Avec le concert des Tindersticks (photo), là encore très attendu et très chaleureusement accueilli, on découvre comment un groupe jadis épidermiquement détesté peut avoir gagné en maturité, gommé le maniérisme et les postures complaisantes pour se recentrer sur une écriture et une interprétation toutes en justesse et en nuances. Allez, on pourrait presque parler de réconciliation.

23h25, ambiance de soir printanier au bar et sur les pelouses

Encore peu de monde en ce lundi soir, mais déjà à la sortie du concert il est évident que les bonnes vieilles habitudes sont de retour. Les pelouses du Thabor, investies avec goût par une déco qui en jette, à la faveur des beaux jours et des soirées clémentes d’un printemps qui s’affirme, invitent chaque année les Rennais à venir baguenauder, boire un coup ou deux, discuter ou simplement faire un tour. Ainsi même sans voir de spectacle, chacun peut vivre le festival et son ambiance unique, d’autant qu’après les concerts le site reste ouvert jusqu’aux environs de 2h du matin.

Jour 5. 18h36, comme à la Maison

La soirée de mardi commence à l’heure de l’apéro avec la Maison Tellier (photo), avec une bonne humeur tranquille et des musiciens qui donnent, visiblement contents d’être là. Devant un public qui ne demande pas mieux, ils distillent des compositions aux couleurs légères et acérées à la fois, servies par des arrangements aux timbres chaleureux et variés. Peut-être un peu trop pop, mais bon à l’heure de l’apéro la musique supporte un peu de sucre.

20h53, Mansfield Tya, obscur à vif

L’ambiance est bien différente ensuite, avec d’abord un très bon concert, intense, sur le fil, sans concession, des filles de Mansfield Tya (photo), qui offrent une musique assumant sa noirceur tout en gardant un sourire en coin. Très belle présence scénique, une vraie complicité entre les deux musiciennes, bref de la musique vivante, vibrante.

22h55, retrouvailles fiévreuses avec Jeanne Added

On avait découvert la mue de Jeanne Added (photo) en début d’année au festival du Schmoul, mais le retour de la demoiselle sur la terre rennaise, qui a largement contribué à son éclosion, avait quelque chose de particulier, et on était en droit d’espérer que le cadre du magic mirror offrirait un écrin spécifique à ce concert, par ailleurs très attendu. Comme on pouvait le prévoir, ce fut d’ailleurs une célébration sans ambiguïté, avec une chanteuse en forme, impliquée, portée par un set désormais bien rôdé (trop?) et un groupe très en place. Les Trans l’avaient révélée dans toute sa sensibilité, Mythos l’accueille en pleine explosion, affamée et solide.

Jour 6. 23h43, champ libre fantasque, galop d’essai et Elvis juvénile

La journée commence aux Champs Libres, avec la lecture malicieuse et décalée de la délicieuse Claire Diterzi, égrenant un journal intime fantasque et débridé, aussi acidulé et rock’n’roll que la personnalité de sa rédactrice et qui, à bien des égards, propose des clés pour décrypter paroles et musique de la diva de la rue Poulet. Un moment drôle et original comme peu de mercredis midis savent en offrir. A 17h, direction le Théâtre de la Parcheminerie, pour Au Galop!, “maquette” d’un spectacle en construction autour de l’exploration sans pathos de tout ce qu’un accident peut provoquer dans une vie comme soubresauts et conséquences. Une idée intéressante, portée par une mise en scène qui ne l’est pas moins. Le soir, retour à la case concert avec un triple plateau à l’Antipode. Se succèdent ainsi Tim Dup, Pain Noir et les jeunes fougueux de Radio Elvis, déjà venus l’an dernier et que nous avions ratés. La rencontre se fait bien cette année, et elle est convaincante. Une identité originale, des textes qui ont toute leur place et une belle énergie à partager.

Jour 8. 23h36, le plancher du Cabaret brûle

Après un jeudi soir consacré au théâtre avec la pièce “retour à Reims”, le vendredi est placé sous le signe de deux sensations attendues et qui n’ont pas déçu, en l’occurrence Feu! Chatterton (photo) et La Femme. Dans des registres et avec des ressorts très différents, ils ont fait de cette soirée un des temps forts du festival. Beaux textes portés par une musique énergique et très arrangée à la fois pour les premiers, gros bordel foutraque, dark pop synthétique et performance autant que concert pour les seconds, mais à chaque fois avec un propos qui sait où il va, une identité bien dessinée, qui ne laisse pas indifférent. Deux groupes avec le vent en poupe en tout cas, chaude ambiance dans le public.

Jour 9. 23h27, un samedi entre filles

Dernière soirée pour nous d’une semaine bien chargée - alors que le festival se prolonge jusqu’au lendemain avec notamment un grand bal de clôture -, nous finissons sur un ton bien différent de la veille à bien des égards. Pas de groupe hype chez les happy few, mais une programmation grand public qui, à l’instar de Charlie Winston ou Yael Naïm l’an dernier, s’attache à proposer des artistes qu’on n’a guère l’occasion de voir dans ce cadre privilégié. Il fallait d’ailleurs s’accrocher (ou s’y être pris très tôt) pour avoir une place. Sensation de cette année pour beaucoup, Jain démarre avec une belle présence, une identité bien trempée et un rapport sain au public et à la musique ; malgré les boucles et le côté one-woman band, le set est chaleureux, sympa, énergique, tout sauf décevant. Izia navigue elle tout en frontal, jurant comme une charretière, ruant dans les brancards, donne, en fait trop bien souvent mais ça marche.

01h35, on se finit sur la pelouse

C’est en ressortant qu’on se souvient que l’essentiel de Mythos réside, au-delà de la programmation, foisonnante et variée, tous azimuts, dans l’ambiance si particulière qu’on y retrouve d’année en année. Les gens sont là, les soirs de printemps aussi, même dans le froid parfois c’est un endroit où on se retrouve, on commente ou pas ce qu’on a vu dans la semaine, on fait une pause dans un petit univers à part entière, intelligemment cultivé par de multiples détails de décoration, d’organisation. C’est aussi à ça qu’on a est attaché et qui fait que les soirées se prolongent ou que certains passent y faire un tour alors qu’ils ne viennent à aucun spectacle.

Le Bilan

Côté concert

La découverte
Thomas Belhom, et son univers bien à lui.

La déception
Hubert-Félix Thiéfaine, simple rendez-vous manqué ou le vieux tigre rentrerait-il dans le rang ?

Les retrouvailles réussies
Mansfield Tya, justes et intenses, et Bertrand Cantat bien dans son rôle

Le petit coup de fraicheur
Jain, petite nouvelle avec du tempérament et Radio Elvis, à suivre de près.

La confirmation
Jeanne Added, décidément.

Côté festival

On a aimé :
- La programmation hybride autour des arts de la parole, mêlant théâtre, lectures, conte, concerts, le tout dans une cohabitation assez heureuse;
- L’ancrage au Thabor autant que la multiplication des autres lieux sur Rennes et ses environs
- La diversité des publics touchés, pointus ou mainstream, familles ou étudiant
- L’aménagement du site, toujours aussi propice aux rêveries nocturnes

On n'a moins aimé :
- L
’offre de restauration toujours limitée à deux sandwichs chers (7€) et pas végétariens et un restaurant gastronomique à la carte originale et quotidiennement renouvelée mais inaccessible aux bourses modestes.

Conclusion

Avec plus de 30 000 entrées payantes et pas loin de 50 000 spectateurs en tout, Mythos est au nombre des grands festivals rennais, bien que fondé sur une dynamique et une démarche bien différentes des Transmusicales, par exemple. Le pari de la programmation étendue à 10 jours a été remporté haut la main, si on en juge par la façon dont nombre de rendez-vous ont très vite affiché complet. Démultipliant les entrées possibles, se jouant des codes et osant des soirées composites, l’événement maintient son identité au coeur de la vie rennaise, auquel il contribue très concrètement, en divers lieux et sous diverses formes. Un rendez-vous dont il est bon d’envisager le retour quand le printemps arrive.