On était à
Mythos festival, nos premiers plaisirs printaniers

Festival urbain ambitieux ancré dans le paysage rennais depuis plus de 20 ans, Mythos a su muer en un événement qui se déploie avec succès sur dix jours d’un printemps culturel tous azimuts. Avec cette année comme étendard le slogan “#trop de plaisirs”, on se sentait prêts à relever le défi d’une orgie débonnaire au long cours.

Jour 1. 18h45, mise en bouche avec l’accent savoureux des rêves fondateurs

Quoi de mieux pour débuter ce festival historiquement pétri dans les arts de la parole, que de se mettre en bouche à l’heure de l’apéro par un spectacle de conte facétieux et onirique? Avec le Québecois Fred Pellerin, on part à la rencontre de son (désormais fameux) village de Saint-Elie-de-Caxton, cette fois pour en visiter les origines quasi mythologiques. Ponctué de parenthèses musicales, le récit est traversé d’une galerie truculente de personnages forts en goût, de moments durs ou drôles, tendres et irrévérencieux à la fois, avec une légèreté qui n’empêche aucun fond, des pirouettes et des détours en toute liberté. Un vrai beau moment de fraîcheur en partage.

23h20, demi-teinte hype et embrasements convenus

En attendant les concerts de la soirée, on reprend ses marques dans un espace convivial où, en ce printemps qui arrive enfin, les gens viennent volontiers boire un coup, manger, s’asseoir sur l’herbe et passer un moment ensemble. Comme le site est ouvert à tous, on peut venir même sans billet pour les spectacles et participer à l’ambiance de cette semaine particulière. Premières bières à la buvette (kro, blanche ou bonnets rouges, 3€ ou 3,5€), premières retrouvailles avec les têtes connues, avant de s’engouffrer à nouveau sous le chapiteau. La soirée débute avec la coqueluche Eddy de Pretto, très attendue mais en ce qui nous concerne très décevante, voire franchement horripilante. Malgré une vraie belle voix et une plume alerte, le côté répétitif des mélodies, de la construction des morceaux, le caractère convenu des sujets autour des affres de l’homme moderne et l’indigence des arrangements lassent d’autant plus que sur scène il ne se passe pas grand chose : un batteur décoratif jouant sur un playback (activé par un ipod, c’est tellement plus 2.0…). Nettement plus convaincants, les autres chouchous que sont Feu! Chatterton, découverts ici il y a deux ans montrent ensuite, un répertoire tout frais sous le bras, une belle maturation dans l’écriture et une implication qui ne faiblit pas sur scène.

Jour 2. 22h53, deuxième soirée généreuse

Bon, on est partis pour dix jours, donc autant planter le campement tout de suite. On arrive comme d’autres avant les concerts de ce samedi soir, pour manger sur place. En dehors de la richesse enthousiasmante de l’offre gastronomique des “Toqués” nichés dans le chapiteau du “Cannibale resto”, on trouve aussi une offre plus abordable avec un effort qualitatif et financier qui est à souligner par rapport aux éditions précédentes. Du reste, l’accès libre au site en plein coeur de ville permet à chacun de venir avec son manger et son boire, voire d’aller se restaurer pas loin avant de revenir pour les spectacles. En l’occurrence, le groupe sénégalais Daara J Family, au répertoire festif, conscious et dansant, a séduit le public. Quel plaisir, aussi, de retrouver Faada Freddy dans un lieu marqué par son concert mémorable il y a trois ans. Il s’agissait aussi de retrouvailles avec Gael Faye, d’emblée acclamé et pour qui la soirée a été portée par une ferveur sans temps mort. C’était d’ailleurs la première bonne surprise du festival. On craignait un bonhomme un peu lisse et bien pensant, on se retrouve avec un enthousiaste, généreux, impliqué, avec des textes qui savent taper là où ça interpelle et une formule scénique qui fonctionne à fond. Concert court mais chaud du début jusqu’à la fin.

Jour 3. 18h32, douceur acidulée et révoltes facétieuses

Une fin de dimanche après-midi à écouter Anne Sylvestre, plus de 80 ans au compteur, n’est probablement pas l’idée qu’on se fait généralement d’un moment rock’n’roll… et on a bien raison. Pour autant, bien servie par des accompagnatrices de talent (piano violoncelle clarinette), la dame donne à entendre un répertoire qui mérite d’être découvert et qui a toute sa place dans un festival célébrant les arts de la parole. Beaucoup de têtes chenues dans le public, forcément, mais pas que, et tant mieux. Des textes à la métrique ciselée, un esprit facétieux voire acidulé qui bouscule avec gentillesse sur nombre de sujets, le tout porté par une voix toujours en place et un caractère bien trempé. Même si l’esthétique générale est parfois un peu datée et malgré quelques trous de mémoire récurrents, on passe un moment réjouissant, frais et souvent drôle.

22h15, ailleurs avec Camille

Pour ce concert unique du dimanche soir, la foule se presse pour la venue de Camille, attendue à la faveur d’un album très réussi. Là où on craignait de subir une personnalité fantasque, exubérante et perchée, on découvre un spectacle juste beau, très musical, emmené par des musiciens et chanteurs composant avec précision et intention un ensemble aussi groovy que touchant. On ressort de cette bulle enchanté, conquis, reconnaissant. Et, aussi, on boit des coups, après, dans le fourmillement nocturne de Rennais profitant d’un beau temps incroyablement bienvenu.

Jour 4. 19h25, fantaisies fiévreuses à l’heure de l’apéro

C’est lundi, vous sortez du boulot et, sans prendre le temps de vous poser, vous filez au Thabor, et bien vous en prend : ce qui va suivre est le remède improbable et salvateur à une journée de reprise forcément pénible. Double plateau en ce lundi ensoleillé, avec d’abord la création échevelée du contrebassiste et chanteur Fantazio et du violoniste Théo Ceccaldi. Un voyage musical et raconté qui coupe les amarres, se barre loin, on ne sait où et on s’en fout, fulmine bruitiste sans jamais brouillonner, et puis prend le temps de se poser dans des moments très accessibles et justes. On guette l’agacement de la facilité free jazz, mais rien, c’est débridé mais pertinent, et inclassable comme le sera, du reste, le groupe qui prend la suite. Les néerlandais de The Ex, une petite légende de groupe culte 40 ans d’âge, débarquent en toute simplicité et balancent une musique très acérée, rêche et riche, baignée de riffs entremêlés et de rythmiques concassées. Un premier vrai moment rock qui fait du bien, avec des musiciens pétillants de complicité jouant sur des instruments qui en ont vu des vertes et des pas mûres.

22h36, fièvre indéfectible pour Cantat

Le festival a ses fidélités et nombre d’artistes sont des invités récurrents du Cabaret Botanique. Convié il y a deux ans pour des lectures musicales, Bertrand Cantat venait cette fois présenter le répertoire de son album Amor Fati, sorti l’année dernière. Évidemment archi complet, le concert se joue sous un chapiteau bondé et acquis, tout entier happé par une voix à nulle autre pareille qui vient s’incarner vibrante dans ce cadre si privilégié. Quand on ressort, on est toujours lundi, mais quand même, il s’est vécu des choses qui donnent une couleur différente à ce début de semaine. Et puis, l’avantage avec Mythos, c’est que ça finit tôt, malgré tout, et que la perspective du boulot le lendemain demeure humainement supportable. Mais on n’est que lundi et c’est comme ça tous les jours...

Jour 8. 21h53, reprise en douceur sombre avec Pierre Lapointe

Ceci dit, pour une fois on a choisi cette année de la jouer tranquille au niveau programmation, et on laisse passer les concerts de Selah Sue, Arthur H et autres Hyphen Hyphen pour s’en garder sous le pied pour le deuxième week-end. Qui débute, en ce vendredi soir, par une première excursion loin du Thabor. Car, si le Cabaret Botanique reste l’épicentre du festival, ce dernier se déploie dans bien d’autres lieux, et notamment l’excellente Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande. Ce soir, c’est le Québecois Pierre Lapointe qui officie, comme la veille. Une très belle voix, des textes sensibles et des mélodies bien arrangées pour une formation toute en sobriété (piano et marimba). De l’humour et de l’élégance, en prime. Un peu trop onctueux quand même finalement, et même si le public semblait conquis/acquis, ça manquait un peu de poil et de sueur. Et ça tombe bien, on devait partir avant la fin parce qu’on avait rendez-vous au thabor pour une deuxième partie de soirée autrement moins feutrée et spleenée.

22h55, Dans la fièvre groovy de Beth

Le temps de se garer dans le centre ville et de rappliquer sur les pelouses bondées du Thabor, on se faufile sous le chapiteau juste avant que démarre le concert de Beth Ditto. Curieux de voir ce que la dame avait à donner, on découvre une personnalité aussi forte que prévue, mais aussi très simple, sympathique et échangeant volontiers avec son public dans un français pas pire, entre deux morceaux emmenés par un groupe sévèrement affuté. Disco, soul, blues, rock, toutes les influences sont jetées dans le mixer et mises au service d’une voix au groove et à la puissance tranquille, confiante et généreuse. Pas d’outrance particulière, pas de rappel non plus. Il reste donc à se finir ce vendredi soir sur les pelouses, une écocup à la main.

00h43, la nuit vous appartient

Une des réussites de Mythos est d’être parvenu à ne pas s’enfermer dans un ghetto bobo cultureux. Vu l’ambition de la programmation et les jauges limitées, le prix à payer pour un cadre aussi privilégié est littéralement et nécessairement élevé. Entre 15 et 35 euros de moyenne selon les spectacles, ça grimpe vite et même en prenant un pass complet (169€), il faut à la fois pouvoir se l’offrir et pouvoir sortir tous les jours de la semaine et du week-end pour le rentabiliser, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Tout ça pour dire que ça aurait facilement pu générer un entre soi aisé un peu regrettable, surtout pour un événement niché en plein coeur de la ville. Le virage réussi a consisté à rendre l’accès au site principal complètement gratuit. Les gens viennent là comme ils veulent, consomment au bar, vivent leur soirée, en se faisant plaisir à un spectacle ou deux, parfois plus, mais parfois pas du tout. Certaines personnes rencontrées sont venues 5 ou 6 soirs de suite sans voir un seul spectacle. De fait, le public reste assez brassé et, détenteur d’un billet ou pas, tout le monde contribue à l’ambiance du festival. Le soir, comme les concerts finissent relativement tôt, la nuit se poursuit avec des DJ officiant en extérieur (les consommations sont majorées à partir de minuit). De quoi prolonger pour qui veut jusqu’à tard, dans un parc ordinairement fermé beaucoup plus tôt.

Jour 9. 23h27, une furieuse envie de Svinkels

La programmation du samedi démarre avec un autre groupe déjà vu à Mythos, mais qui revient sensiblement changé. Cabadzi avait légitimement rencontré un accueil enthousiaste lors de leur premier passage à Mythos mais, en ce début de soirée, le public est encore rare et c’est dommage car le groupe, désormais recentré sur duo au son très électro, livre un nouveau répertoire puisant dans les films de Bertrand Blier et c’est plutôt convaincant. Heureusement, le cabaret se remplit progressivement et plébiscite un concert ambitieux, original et plutôt bien troussé. Ceci dit, on sent que les gens sont surtout venus pour la suite. Et ils ne seront pas déçus. Après dix ans d’absence, les Svinkels sont de retour. C’est peu dire que la soirée fut dantesque. Accueil surchauffé à blanc, un public heureux de retrouver ces gars et leurs morceaux qu’ils connaissent par coeur, et lesdits gars touchés de cette ferveur bordélique, monstrueuse d’énergie. Mais surtout, ce fut un très bon concert : les rappeurs n’ont rien perdu de leur efficacité et DJ Pone était en grande forme, hissant encore un peu la puissance du groupe sur scène. De la rigolade, du pogo et de la bière qui vole tous azimuts, et de la jubilation en barre.

Jour 10. 15h35, lettre d’amour à une langue qui meurt

Dimanche, on s’est mis au vert en allant voir un des spectacles de la programmation accueillis dans d’autres communes que Rennes. Yannick Jaulin, qui jouait les deux jours précédents au théâtre de la Parcheminerie, présentait à Comper, en pays de Brocéliande, “ma langue maternelle va mourir et j’ai du mal à vous parler d’amour”. Un spectacle découvert l’été dernier à Parthenay, et qui a depuis su mûrir avec bonheur. Déclaration d’amour aux cultures minoritaires, à la langue régionale, à toutes ces identités constitutives écrasées par l’injonction au creuset républicain ou à la norme dominante, cet objet conté est un petit bijou de bout en bout. Drôle, touchant, éclairant, il travaille au plus près ce qu’est le rapport éminemment affectif à la langue maternelle, celle qui construit, et à cet égard l’inclusion de moments musicaux admirablement servis par Alain Laribet est plus que pertinente. Un vrai plaisir à vivre, et des prises de conscience qui infusent ensuite durablement.

22h26, bouquet final avec le grand orchestre de Stéphane Eicher

Comme on avait séché la boom des enfants, dans l’après-midi, on se devait de clôturer dignement cette édition 2018. Le dernier rendez-vous n’était pas le moindre, avec Stéphane Eicher dans une formule survitaminée avec une douzaine de musiciens sur scène, en l’occurrence une fanfare balkanique et une chanteuse beat-boxeuse. Mise en scène travaillée, ambiance joyeuse et festive, avec machine à bulle, jets de confettis, complicité et jeu entre musiciens et avec le public, autant de qualités qui auraient dû composer une soirée enflammée, mais le public, très content mais trop calme, n’a pas fait décoller le concert. Dommage, parce qu‘Eicher et sa bande étaient bons, revisitant des standards de manière originale et dévoilant des nouveaux morceaux. C’était malgré tout un beau moment de clôture, idéal avant de tirer le rideau sur une grosse semaine de spectacles en tous genres. Dont nous n’aurons, comme d’habitude, vu qu’une partie, mais chacun sait qu’il vaut mieux repartir frustré que déçu.

Le bilan

Côté concert

La découverte
Anne Sylvestre, tant son répertoire riche et savoureux demeure désormais méconnu.

La déception
Eddy de Pretto, sensation du moment surévaluée ou juste rendez-vous raté?

La bonne surprise
Gael Faye, dont on n’attendait rien et qui a tout cramé

Les Anciens qui assurent
The Ex, tranchants et délicieusement soniques.

Les retrouvailles qui tabassent
Svinkels, jouissifs de présence survoltée

Le coup de coeur
Yannick Jaulin, aussi touchant que férocement interpellant

La confirmation
Camille, plein de maturité et de pertinence dans ce nouveau spectacle

Le petit coup de fraicheur
Fred Pellerin et son voyage aux origines d’un village Québecois

Côté festival

On a aimé :
- La programmation foisonnante et plurielle autour des arts de la parole, sans jamais d’impression de composition hétéroclite ;
- L’ancrage au Thabor, point de rendez-vous ouvert à tous, autant que la multiplication des autres lieux sur Rennes et ses environs
- La diversité des publics touchés, pointus ou mainstream, familles ou étudiants
- L’aménagement du site, convivial et poétique
- L’effort fait pour trouver un équilibre raisonnable dans les tarifs des boissons et de la nourriture

On a moins aimé :
- le prix global des spectacles qui reste élevé, obligeant à “picorer” des moments choisis (et à s’y prendre très tôt, avant que ce soit complet) plutôt qu’à s’ouvrir à tout comme dans la plupart des festivals
- ça a beau se dérouler sur 10 jours, il y a une telle profusion de spectacles qu’à moins de ne pas travailler, ça devient compliqué de faire tout ce qu’on veut, quand bien même on aurait investi dans le pass complet

Conclusion

Mythos est désormais un festival qui s’est installé dans un équilibre précaire, mais qui le fait bien : maintenir un cadre privilégié et une programmation de haut vol implique des prix qui, même avec des efforts tarifaires, pourrait couper l’événement de son côté populaire, mais les événements gratuits et l’ouverture du site au public non festivalier composent finalement un rendez-vous festif qui fonctionne bien. En ce début de printemps, c’est une vraie réussite qui fait venir du monde et marque l’entrée dans la saison des festivals avec une identité propre, ouverte et foisonnante.

Un récit de Matthieu Lebreton
Photos de Bruno Bamdé