On était à
London Jazz Calling, le festival qui met le jazz sur le dancefloor

On n'as pas hésité une seconde à remettre ça. L’an dernier le festival London Jazz Calling faisait son apparition avec ses trois soirées, son ambiance, son choix d’un lieu unique à La Maroquinerie à Paris. Et le moins que l’on puisse dire, c'est que nous avons fait le bon choix. On vous raconte la deuxième édition du festival.

Jour 1. Jeudi 5 avril. 20h11, un public du même âge que les artistes

Cela commence plus fort que l’an dernier à La Maroquinerie, avec plus de monde dès le premier soir et un public attentif aux jeunes britanniques du Vels Trio. Dans la fosse à nos côtés, le public a majoritairement le même âge que le trio sur scène : c’est la première marque de fabrique de ce style de jazz hybride, infusé à d’autres genres musicaux, que London Jazz Calling met en avant durant trois soirées. Et c’est une différence essentielle avec le public des autres festivals de jazz que l’on fréquente. Verre de bière à la main et attitude aussi cool que celle des trois musiciens, les festivaliers balancent la tête sur les basses ultra lourdes, les mélodies du claviériste et le jeu du batteur. C’est certes encore très jeune comme groupe mais tout est fluide. Le trio conclut par une des pièces de leur EP Yellow Ochre, multipliant les ruptures rythmiques. Pintes de bière et cigarettes en profitant pendant le changement de plateau de la cour intérieure de La Maroquinerie : le Parisien est à la cool, le Parisien a le sourire (photo).

21h30, un public qui danse et qui en redemande

Pas besoin de tour de chauffe pour Zara McFarlane (photo), le groove démarre au quart de tour avec Peace begins within, un des morceaux de son dernier album. La chanteuse anglaise de Brownswood, le label de Gilles Peterson, se met à chalouper direct, avant de nous présenter son quartet : Peter Edwards au piano, Max Luthert à la contrebasse, Sam Jones à la batterie….et surprise, Binker Golding au saxophone : Binker, le saxophoniste de Binker & Moses qui ouvrait le London Jazz Calling l’an dernier. Zara souligne la chance de l’avoir parmi la bande car Binker est “such a busy man” sourit-elle, avant qu’il nous gratifie d’un solo énergisant. Les morceaux de l’album Arise, hommage à son héritage jamaïcain, s’enchaînent : on part dans le roots avec Freedom Chain. Zara nous fixe dans les yeux et son charisme est évident, on réagit au quart de tour lorsqu’elle elle nous fait chanter et bouger des hanches: “Hips, Hips !”. Le public est si réceptif que lorsqu’un problème technique menace le show d’interruption, il continue à chanter sans elle. Elle se tourne vers son quartet : “The public wants it !”, divise la fosse en deux pour nous faire danser et nous félicite : “Paris is on it !”. Elle est là, l’essence de ce renouveau du jazz : de la musique qui parle autant au corps qu’à l’âme.

22H45, un groupe qui s’éclate avec nous

Le souci technique étant réglé le temps de la balade Allies and Enemies, les cinq artistes démontrent à nouveau une joie manifeste à performer ensemble. Délaissant l’album Arise le temps d’une ancienne chanson, ils s’amusent sur Angie La La … Where have you been all my life, notre chanson préférée de jazz-soul datant d’un album de 2014. Zara laisse toute leur place aux solos et aux digressions de chaque musicien. Il fait très chaud dans la salle, Zara s’éponge tandis qu’autour de nous les vestes tombent. Sa voix ronde remplit l’espace sur In Between. La scène est ensuite laissée tout entière au contrebassiste, dont le solo est ponctué des “Ahouuuu” trop drôles du public en connection, qui nous font éclater de rire à chaque fois. Le public n’est pas dans l’analyse compassée des performances des musiciens mais dans le plaisir immédiat. Cette forme de jazz, en connectant les spectateurs entre eux, nous fait ressentir le potentiel d’énergie d’un lieu: c’est encore une des caractéristiques de cette génération britannique. Evidemment le groupe est rappelé et conclut avec All Africa : “Last chance to dance!” nous sourit Zara (photo).

Jour 2. Vendredi 6 avril. 20H16, pas de frontière dans l’hybridation des genres

Zara McFarlane est a priori la seule chanteuse du festival, les soirées suivantes du festival s’annoncent purement instrumentales. Et on commence dans une salle pas encore remplie avec quatre garçons chevelus de Bristol. Saxophone, guitare électrique, basse et batterie forment The Evil Usses. Pour de l’hybride, c’est vraiment barré : on est dans du rock psyché mélangé à des passages de free jazz énervé. Bières en main, les spectateurs quittent leur réserve des premiers instants et s’avancent dans la fosse où les filles les plus pêchues balancent les bras à la façon des chorés des années 70s. Passé l’effet de découverte, on trouve le style du groupe répétitif. Il faut dire qu’avec la température improbablement douce à Paris, c’est plutôt la cour de La Maroquinerie qui fait le plein (photo).

21H24, une génération qui met en avant les artistes féminines

Celle que nous attendons tous c’est la saxophoniste Nubya Garcia (photo), considérée à 26 ans parmi les leaders avec Shabaka Hutching et Moses Boyd (vu au festival l’an dernier) de cette génération de jazzmen londoniens. Génération qui met en avant des jeunes femmes issues de la diaspora africaine : Zara, Nubya et d’autres. Dans la salle encore plus remplie que la veille, environ 300 personnes, la température est brûlante. Le morceau d’ouverture Fly Free donne le style du groupe : du jazz métissé de rythmes afro-caribéens pour un plaisir immédiat et communicatif. Nubya danse sur scène et s’accroupit régulièrement pour laisser l’espace à des solos vibrants et enlevés des jazzmen. Dès le deuxième morceau le quartet explose : Joe Armon-Jones au clavier, Femi Koloeso à la batterie et Daniel Casimir à la contrebasse déclenchent sifflets admiratifs et cris de joie du public. Leur énergie se transmet dans la fosse: ça danse, ça jumpe. On sent que le groupe joue pour partager cette joie. Ce qui nous marque le plus ce sont les versions sans fin des morceaux, qui donnent toute la valeur à l’expérience du moment présent, du live par rapport aux disques: Source qui débute en broken beat et évolue en afro-caribéen, Hold réinterprété ici sans le tuba de Theon Cross présent sur le disque, et pour finir When We Are. Nubya nous conseille de revenir le lendemain au festival...parce que eux, ils y seront.

Jour 3. Samedi 7 avril. 20H32, une bande d’artistes qui mise sur la collaboration

Et oui, on retrouve Nubya le lendemain pour la soirée dédiée au label Brownswood qui nous présente en primeur l’album de Joe Armon-Jones qu’on attend pour mai. Les jeunes Londoniens misent sur en effet un fonctionnement en bande et sur la collaboration: le pianiste joue sur l’album de Nubya Garcia et réciproquement, la saxophoniste intervient sur l’album de Joe. Dès l’intro, le groove est immédiat en quintet avec Joe au piano, Oscar Jerome à la guitare, Mutale Chashi à la basse, Dylan Jones à la trompette, et un batteur dont on se saisit pas bien le nom. Nubya au saxophone se joint à la bande qui dégaine également leur Horace Andy à eux, un chanteur reggae à dreadlock du nom de Asheber. Impossible de rester passif, la fosse est compacte (photo), il fait à peu près 72 degrés dans la salle et tout est immédiatement dansable. Les styles se croisent entre soul-jazz puis fusion de funk et de musiques latines dans l’imparable titre London’s Face sur lequel chante Oscar Jerome, mais les codes du jazz sont toujours présents avec des solos des musiciens. Sous les cris de joie du public, Joe conclut par son morceau phare du moment, Starting Today, chanté par Asheber sur une mélange irrésistible de dub, d’afro, de broken beat.

21H43, une fusion de styles musicaux qui porte la salle à ébullition

Le paroxysme de tout le festival en termes d’ambiance est atteint avec Ezra Collective. Poursuivant dans l’hybridation des styles et dans la danse, le groupe co-fondé par Joe Armon-Jones et Femi Koloeso, joue un combo jazz afrobeat qui met le feu à la salle. On conserve donc sur scène le même pianiste Joe, le même batteur Femi et le même trompettiste Dylan Jones. Ils sont rejoints par le saxophoniste James Mollison et par le frère de Femi, le bassiste TJ Koloeso (photo). “We wrote this music for people to dance and party” : le message de Femi après leur premier titre, The Philosopher, est on en peut plus direct. Space Is The Place, leur version du titre de Sun Ra, déclenche des houras dans la salle. Le rythme nous rentre dans le ventre et les hanches et ne nous lâche plus. Sur King of the Jungle, la basse est si tellurique que TJ Koloeso joint le geste au ressenti et s’accroupit tout en jouant. On est en nage des pieds à la tête en vibrant avec eux. On ne quitte pas des yeux notre nouvelle idole, le batteur Femi Koloeso, qui saute comme un ressort de son siège lorsqu’il conclut des séquences de folie. “You need to dance like you never dance before” conclut-il sous les acclamations.

Le bilan

Côté concerts

La leader saxophoniste
Nubya Garcia dans ses projets en leader et ses collaborations sur les projets des autres artistes, est une des figures féminines de cette mutation du jazz londonien, passant des clubs de jazz à un jazz de dancefloor.

Le nouveau prodige du piano 
Joe Armon-Jones dans ses compositions personnelles et en tant que co-leader de Ezra Collective, malaxe toute une palette de styles musicaux entre soul jazz, hip-hop, dub, afro.

La révélation du festival
Incontestablement le batteur Femi Koloeso est notre révélation du festival. Epoustouflant dans ses collaborations avec Nubya Garcia et Joe Armon-Jones, et carrément showman en leader de Ezra Collective. On va suivre tout ce qu’il fait.

Côté festival

On a aimé :
le choix de la salle de La Maroquinerie
-  l’ambiance
- le graphisme de l’affiche, la com’ en temps réel (facebook live)

On a moins aimé :
le festival n’en est qu’à sa deuxième édition mais quand il grandira on aimerait encore plus de com’ (un programme avec le line-up des groupes, un espace pour le merchandising...)

Infos pratiques

Prix de la bière
3,50 euros le demi de Jupiler

Prix de la nourriture
15 euros le burger ou la planche

Prix du festival
Pass trois soirées à 50 euros

Transports
Métro ligne 2 à Paris

Conclusion

Lorsque l’on retracera plus tard le renouveau du jazz au sens d’un renouvellement en âge de son public, le festival London Jazz Calling aura valeur de document, dans la lignée du travail du label londonien Brownswood. Un public jeune qui danse autant qu’il écoute : le futur du jazz est là. Le festival, en se consacrant encore pour cette édition à la jeune génération d’artistes britanniques, témoigne du moment présent qui met en ébullition les salles. Cela s’est passé près de chez vous, et on pourra dire qu’on y était. Et vous ?

Récit et photos Alice Leclercq