On était à
Les 3 éléphants : trois jours d’immersion en grande profondeur

Découvert l’année dernière, le festival lavalois présente de vraies singularités dans ses choix artistiques comme dans l’identité de ses lieux et son ambiance. Retour sur les terres des 3 éléphants pour une plongée festivalière de trois jours.

Jour 1. 19h40, découverte du site 2015

La soirée a déjà un peu commencé quand nous franchissons les barrières donnant accès à l’espace central du festival, articulé autour de deux grandes scènes, le Patio sous un chapiteau et l’Arène. Mais avant de rejoindre cette dernière pour un premier concert, nous prenons le temps de voir à quel point le site a été soigné. L’année dernière nou avons été séduits par le soin porté à l’ambiance, la déclinaison tous azimuts de l’identité visuelle de l’affiche et l’aménagement de lieux conviviaux malgré la proximité du gros son qui faisaient de chaque soirée une bulle cohérente et sympa. En 2015, l’ambiance est aquatique et si, de prime abord, tous les détails visuels ne sont pas évidents, à la nuit tombée tout prendra une toute autre dimension.

20h32, manque d’enthousiasme pour Laetitia Sheriff

Premier concert pris en cours pour des retrouvailles avec Laetitia Sheriff (photo), pas revue sur scène depuis un bon paquet d’années. Et là, grosse surprise : malgré un concert beau, électrique à souhait et plein de sensibilité, de rage, de rèche, bref un très bon concert, le public est d’une apathie sidérante, au point de laisser le groupe dubitatif et injustement douché. Trop de personnalité pour un public qui est venu pour s’amuser et entendre des choses plus consensuelles ? Il y avait pourtant de très belles choses dans le set de l''artiste qui a su mûrir, clarifier son propos, tout en restant spontanée et généreuse. Tout ça donne envie de la revoir dans un contexte plus enthousiaste et porteur.

21h15, badbadnotgood not so good

Quittant l’intérieur de l’Arène pour se rendre sous le grand chapiteau du Patio, nous découvrons le trio canadien Badbadnotgood. Démarrage en trombe, virtuosité d’emblée, grosse énergie, mais le propos nous échappe, au bout d’un moment, on ne voit pas trop où tout ce brassage très maitrisé nous emmène. Alors nous arpentons à nouveau les recoins d’un site conforme à la configuration de l’an dernier, avec sa petite scène tournant le dos aux grandes, dans l’herbe et près d’un bar moins grand. Ce Club Grand Ecran est une position de repli idéale.

22h22, l’hystérie Christine

On comprend vite à quel point l’attente de la soirée se concentre sur une seule artiste quand on constate la densité de population croissante à mesure que se rapproche l’heure du début du concert de Christine & The Queens (photo). Véritable phénomène du moment, l’artiste qui avait déjà déclenché une fièvre enthousiaste une semaine plus tôt à Art Rock rencontre ici un succès tout aussi systématique et inconditionnel. Dans un show décicément très maîtrisé et un art de la décontraction complice qui fonctionne manifestement, la dame offre un contraste saisissant avec l’accueil tiède réservé à celle qui l’a précédée dans l’Arène, tant le concert vire à la célébration… à vrai dire, ça finit par être lassant, voire de nature à susciter une fuite épidermique.

22h28, pendant ce temps là, une ville fantôme ...

Ville fantôme, c’est l’image qui vient à l’esprit quand on ressort de la salle, tant on se rend compte que TOUT le monde communie devant Queen Christine. En tout cas, c’est le bon moment d’aller acheter des tickets, à manger, à boire, aller aux toilettes… L’endroit nous appartient, et les bénévoles derrière les différents stands de restauration, qui d’une blague, qui d’une choré sur du Donna Summer, qui d’un sourire disponible, montrent à quel point ce festival reste un moment chaleureux et bien plus qu’une simple proposition culturelle.

Jusque là, on est donc loin de l’extase. Le virage de la soirée s’effectue à notre sens avec l’entrée en scène de l’improbable chanteuse danoise Alo Wala, avec ses visuels qui piquent les yeux, ses rythmiques entre hip-hop, danse indienne et drum’n’bass, et surtout cette voix incroyable, complètement extraterrestre, ce flow unique aussi. Une grosse machine à danser en tout cas, et enchante la jeunesse lavaloise.

00h37, fièvre angolaise et italienne

Indéniablement le moment le plus jouissif de la soirée. Voici Batida, le projet de Pedro Coquenao, alias DJ Mpula. L’homme, pourtant tout le contraire d’une bête de scène, passe tout le concert assis ou à genoux en train de bidouiller, de bricoler, s’effaçant derrière son propos, à savoir la musique angolaise des années 1960-70, servie par les enregistrements et les musiciens, batteur et chanteurs, de façon impeccable. Le tout est renforcé par les vidéos documentaires ou musicales, et par la présence effarante de grace d’un danseur hallucinant. Avec pédagogie, humilité, simplicité, le Portugais ayant monté le projet Batida à partir d’une émission de radio propose un concert porté par la fièvre d’un pays, d’une époque, d’une musique complètement irrésistible. Ovni improbable, le set justifie à lui seul la soirée.

L’appel à la danse continuera avec Ninos du Brasil, qui commencent cash à fond les ballons dans une formule ultra efficace. Le duo italien enfonce les clous sans prendre de gants, tout dans les percussions brésiliennes dignes des batucadas les plus enfiévrées, et ce sans jamais fléchir. Une grosse claque en termes d’énergie, et une belle manière de finir ce premier soir éléphantesque et éminemment festif.

Jour 2. 17h31, peinture musicale au soleil

N’ayant pas pu l’année dernière, faute de temps, profiter du festival en dehors du vaste espace payant où s’offrent les têtes d’affiches des deux soirs, nous voulions cette fois découvrir les autres facettes d’un événement inscrit dans la ville, le long des remparts, dans les rues, dans de multiples approches : musique, danse, concerts, spectacles de rue en tout genre. Nous commençons en ce samedi ensoleillé par la performance de deux artistes qui se cotoient et de connaissent depuis un moment, le peintre Paul Bloas et le guitariste Serge Teyssot-Gay. Dans une cour d’école, assis par terre ou sur un siège en carton estampillé “Laval”, le public découvre une oeuvre qui se crée en direct, dans un dialogue entre guitares et peinture également acérées. Déroutant, envoûtant.

18h20, musique et catch

Un peu plus tard, sur l’esplanade du Chateauneuf, la compagnie 100 Issues offre elle aussi un spectacle original, mêlant match de catch et beatboxing avec un franc succès. Les gens se pressent écouter et assister aux “combats” verrbaux et acrobatiques de ce ring éphémère.

20h34, la Mayenne terre cubaine : Ibeyi

Entamée avec le rock des Canadiens d’Ought, la soirée sur le site principal continue avec les deux soeurs d’Ibeyi (photo). Comme la semaine passée à Saint-Brieuc, cette fois dans un cadre nettement plus grand, les deux soeurs déploient un répertoire suave, porté par des voix complémentaires et une vraie complicité. Expliquant leurs morceaux, faisant preuve d’une apparente spontanéité qui fait plaisir à voir, le duo s’accompagnant ou non de piano et de percussions laisse une belle impression qui donne une saveur cubaine des plus bienvenues à ce samedi soir mayennais.

Déambulant à la recherche d’une bière ou de quelque chose à manger (pour des tarifs assez raisonnables et avec une variété culinaire satisfaisante), nous ne pouvons que confirmer l’impression d’un festival jovial, populaire, porté par des bénévoles qui savent sourire, se montrer disponibles, jouer le jeu et accueillir. Et ça fait du bien, forcément. Merci à eux!

22h05, Public Service Broadcasting : l’ethno funk classieux made in UK

Nous étions intrigués et alléchés par la proposition du duo anglais, mêlant musique électronique, enregistrements vintage et instruments directs, et leur prestation a été complètement à la hauteur. Le mélange de musique organique et électronique, l’attitude faussement “gentil garçon un brin geek coincé”, tout est convaincant et, pour tout dire, assez atemporel dans ce set ludique et dansant, une vraie réussite!

00h01, Shamir, shamir, shamir !

Il est des redondances de programmation qu’on supporte mieux que d’autres, voire qu’on appelle de nos voeux. L’occasion de revoir Shamir une troisième fois cette année, même à une semaine d’intervalle, avait tout pour nous enthousiasmer. Et sur une plus grosses scène, la fièvre dansante du jeune prodige à la voix si singulière emporte tout sur son passage. Dans un savant syncrétisme de genres, avec une présence scénique vraiment séduisante, il confirme ici tout son potentiel affolant

00h53, cinq mages belges enfin arrivés à destination

Ayant interverti leur horaire de passage avec celui des anglais de The Horrors - par ailleurs assez peu convaincants - pour cause de soucis sur la route, les belges Balthazar ont montré à quel point ça valait le coup de les attendre en ce samedi soir. Jolies mélodies, rythmes efficaces, un son bien rock porté par des guitares et des voix bien en place, le groupe a donné un concert plus qu’enthousiasmant, qui donne envie de se replonger dans sa discographie à tête reposée pour revisiter les compositions offertes sur scène. Par ailleurs peu emballés par le hip-hop des Little Simz, nous avons quitté la ligne de front avant la dernière ligne droite électro de la soirée, misant sur un dimanche pachidermique et sympa.

Jour 3. 14h05, retrouvailles avec Alsarah

Quel plaisir de retrouver la musique d’Alsarah! Pourtant, rien ne pouvait être plus éloigné du contexte nocturne et festif des Trans que ce début d’après midi pluvieux au “village” des 3 Elephants. Peu de monde à accueillir au début le groupe pourtant venu de Brooklyn, dispenser le meilleur de la musique soudanaise revisitée. Percussions, basse, oud et cette voix si claire et généreuse qui envoûte. Le public familial, non content de persister sous la pluie, a même fini par grossir, heureux et séduit.

Le festival prend vraiment un autre visage le dimanche. Gratuit, familial, disséminé dans la ville et nettement moins porté sur le gros son, il est aussi plus largement approprié par les Lavalois, qui ne le vivent pas comme une enclave subie le temps d’un week-end mais comme un événement qui leur est offert. Ainsi, l’espace du Patio accueille une fanfare joviale et singulière, le Zygos Brass Band mélange les saveurs de la Nouvelle-Orléans et de la danse hip-hop, sous l’oeil ravi de petis et grands.

15h40, du gros son pour les petits éléphanteaux

Autre grosse réussite de ce festival atypique, le “kidztival” qui programme, sous le chapiteau du Patio, deux concerts dédiés aux enfants mais ouverts aux plus vieux, le tout encore une fois gratuitement. Les Fills Monkey ouvrent le bal avec leur “incredible drum show”, très scénographié et maîtrisé, faisant du langage universel qu’est le rythme une occasion inépuisable de s’exprimer avec humour dans ce qui est bien plus qu’un concert de batterie.

16h28, à la poursuite de la compagnie Oposito

Le rendez-vous était précis : 16h28, rue des Déportés. La compagnie Oposito y présente une déambulation d’une vingtaine de danseurs/acteurs/promeneurs de chaises, accompagnés de musiciens. Joyeux parce qu’il entraîne les gens à marcher, courir, sourire à sa suite dans les rues de la ville, le spectacle est au milieu du public, dans ses lieux, laissant parler les corps et la musique, ponctuant le parcours de tableaux colorés qui font presque oublier les parapluies et les flaques d’eau sur les pavés.

17h12, Whakids

Nous terminons ce week-end lavalois au son rock old school et pourtant prépubère des Wackids, qui offrent aux plus jeunes les standards du genre avec un sens du jeu avec le public, de l’explication et du riff saignant, quitte à le jouer sur une guitare miniature, à beugler dans un micro Hello Kitty et de faire un solo de guitare en soufflant dans un toucan en plastique. Que rêver de mieux ou, en tout cas, de plus léger pour clore ce festival ? Un brin de soleil ou, au moins, la fin de la pluie qui nous a privés du spectacle “Cirque exalté” où se promettaient de convoler rock et arts circassiens électrisés, et qui a du être annulé. Alors bon, quoi… à l’année prochaine, alors?

Côté concert

L’inattendu séduisant
Batida, beau, et aussi dansant qu’enchanteur .

La découverte
Balthazar, une vraie identité et une grande implication scénique.

Nos bonnes retrouvailles 
Alsarah & the Nubatones et Shamir, enthousiasmants dans des contextes différents

L'ovni
Alo Wala, inclassable et irresistible.

Côté  festival

On a aimé :
- L'organisation bien huilée, l’efficacité, la jovialité et la disponibilité des bénévoles
- La qualité et la diversité de la programmation, même si ça impliquait de ne pas tout voir
- La façon dont le festival prend place dans la ville, avec des lieux pas trop éloignés les uns des autres
- L’offre relativement diversifiée, de qualité et raisonnable financièrement pour la restauration
- La propreté du site, et notamment des toilettes
- L’aménagement du site principal, aussi bien les installations visuelles que la configuration de l’espace, avec des “coins” pour se poser tranquille
- Les concerts gratuits, les spectacles “pas que musique” et le “kidztival”, tous de qualité

On a moins aimé :
- L
e peu d’offre en restauration le dimanche
- L
a frustration de ne pas tout voir

Conclusion

Le festival des 3 Eléphants a décidément beaucoup d’atouts et réussit un équilibre qu’il serait dommage de ne pas soutenir. Il oscille avec talent entre événement digne d’une attention nationale, et une disponibilité, une accessibilité aux habitants de la ville qui fait tout son charme. Varié, curieux, il se montre en 2015 radieux et en grande forme.