Pour sa 40ème année d'existence, le désormais incontournable festival du printemps en Seine-Saint-Denis offrait 22 dates de concerts, dans 18 lieux des 14 villes partenaires et avait programmé pas moins de 40 groupes. Loin d’être une édition nostalgique des premières années et des légendes jazz qui s’y sont produites, Banlieues Bleues a su évoluer avec son temps en proposant un éventail musical toujours plus riche et avant-gardiste. Nous sommes donc partis à l’aventure, entre Montreuil et Pantin en passant par la Flèche d’Or, pour vous raconter notre Banlieues Bleues.
Jour 1. Samedi 25 mars, 20h, l’étrange, l’imprévu et le silence
Nous n’avons pas pu assister au concert d’ouverture du festival le vendredi, prévu à l’Université Paris 8 et déplacé au dernier moment à la Dynamo de Pantin suite aux grèves contre le projet de loi de réforme des retraites, mais nous avions hâte de revenir à la Dynamo pour cette deuxième date pleines de surprises. Le parti pris de ce soir c’est l’expérimentation sonore au féminin. Dans la salle se joue déjà la première partie du Pollution Opera (photo), un projet musical électronique hors cadre mené par un duo gallo-égyptien, accompagné d’une projection vidéo à propos mais pour le moins anxiogène : un poisson en décomposition, des images de fumées noires, des modélisations 3D en nuance de gris... C’est un peu chaotique et peut-être trop pour nous en ce début de soirée.
Nous allons apprécier une bière au bar et profiter du jardin le temps de voir s’installer dans le hall un autre improbable duo féminin, celui américano-islandais de Bridget Ferril & Aslaug Magnusdottir. L’une a la voix énigmatique concentrée sur ses machines, l’autre avec sa harpe arbore un sourire timide cherchant le regard de sa comparse. Leur complicité est très particulière, nous avons la sensation de rester un peu sur le côté et de ne pas trop comprendre leur musique. Nous reprenons une bière.
21h15, entrée dans la transe
Le concert suivant se déroule en contre-jour derrière un paravent. La britannique Klein s’installe sur scène accompagnée de la saxophoniste Khush Jandu Quiney, mais nous n’apercevrons que leurs ombres projetées sur un écran entre elles et nous. La musique électronique est intense en volume et riche en saturations, et nous entraîne de façon presque surprenante dans une transe sonore. Agréablement éprouvés par cette expérience, nous abandonnons Farida Amadou à sa guitare basse pour retourner nous aérer dans le petit jardin de la Dynamo, après avoir retrouvé des connaissances faites durant la précédente édition.
La dernière performance de la soirée n’est autre que celle, attendue, de Love & Revenge (photo), trio formé par Rayess Bek aux machines sonores et visuelles, Mehdi Haddab au oud électrique et Julien Perrudeau aux claviers, et qui brode autour d’anciens films du monde arabe une bande son électrisante. Toute la salle se met à danser joyeusement, sur des séquences vidéo remontées dans lesquelles Farid El Atrache, Asmahan et autres stars du cinéma (et de la musique) du Moyen-Orient sont à l’honneur. Une soirée fort éclectique qui se termine donc royalement.
Jour 2. Mercredi 5 avril, 20h45, une brise venue du Mali
Nous avions déjà croisé “la rose de Bamako” à l’occasion du concert de clôture du festival l’an dernier, accompagnée de deux fantastiques choristes et du producteur Jacknife Lee. Cette fois-ci Rokia Koné collabore avec le multi instrumentiste barcelonais Raül Refree (photo) pour un concert beaucoup plus intimiste. C’est l’occasion pour nous d’apprécier sa voix puissante et pleine d’émotions mise en valeur par une musique très douce portée par quelques loops, riffs et notes de guitare ou/et de piano. Une exploration musicale agréable qui laisse toute sa profondeur au timbre de la voix de Rokia Koné. Son sourire radieux, son énergie à battre la mesure au son des balades pourtant plutôt mélancoliques, nous donnnent un sentiment de plénitude pour le moins revigorant. Le public réagit avec beaucoup d’enthousiasme à ses sollicitations. Le concert se termine par une longue ovation. Nous rentrons de Pantin l’esprit plus léger et le son de sa voix et des balades mandingues plein la têt
Jour 3. Mercredi 12 avril, 20h30, un duo de jazz surréaliste à la française…
La philosophe de la musique Lydia Goehr s'est interrogée sur la raison pour laquelle « les musiciens qui jouent une sonate de Beethoven commencent [...] par la première note et ne sentent [...] pas libres d'improviser autour de son thème central ». C'est une figure bien moins tutélaire que Beethoven, mais néanmoins célèbre, qui se trouve être le fond du projet d' I K I R U (photo) : Erik Satie. Le duo formé par le saxophoniste Fabrice Theuillon, membre fondateur du Surnatural Orchestra, et le pianiste Yvan Robilliard, s'est penché sur les extravagances musicales de ce compositeur français du début du XXème siècle, proche de Picasso et Cocteau, pour en donner des versions organiques. La salle de la Dynamo, en disposition assise, reçoit les deux musiciens dans une ambiance intime et poétique. L'inventivité et l'absurde sont au rendez-vous avec une version déjantée du premier des Véritables préludes flasques (pour un chien), la Sévère réprimande. Le concert se termine par un regard neuf sur une des pièces les plus célèbres du compositeur, sa première Gnossienne. On en retiendra particulièrement l'extrême précision et la délicatesse des timbres du piano sous les doigts d'Yvan Robillard.
22h, … et un quintette de l’onirisme norvégien
Après un entracte qui nous permet de profiter de la buvette et du mafé proposé dans le grand hall, nous retournons dans la salle pour écouter le projet inédit de Jan Bang. Cet habitué de Banlieues Bleues, avec qui il collabore dans le cadre de son propre festival Punkt en Norvège, nous propose ses nouvelles expériences intitulées "Reading the Air". Il est cette année au chant et piano qu'il sample et remodèle en live, accompagné au chant par Anneli Drecker, Eivind Aarset à la guitare et aux synthétiseurs, Audun Erlien à la basse et Anders Engen à la batterie. La sonorité du quintette est d'une grande douceur, et suggère les timbres des projets du trompettiste Jon Hassell, ou de l'album Cheerleaders du saxophoniste Pierrick Pedron. Cette musique onirique nous plonge dans une douce torpeur dont on s'extrait à regret pour ne pas rentrer trop tard en cette soirée de milieu de semaine.
Jour 4. Vendredi 14 avril, 21h, La Flèche d’Or en feu
Notre arrivée à la salle de la Flèche d’Or à Paris annonce une soirée de danse et de déhanchés collés-serrés à la mesure du collectif de DJs invité. La soirée est déjà complète mais dans la queue certains tentent encore de trouver des places (en vain). Le programme est pour le moins alléchant puisque le collectif Principe qui vient de Lisbonne met en lumière les voix de ceux qu’on n’entend que trop rarement, les habitants portuguais afro-descendants des banlieues de la capitale qui viennent montrer tout leur savoir-faire et surtout leur originalité musicale. Leurs influences sont incroyablement riches, des sons dancehall à la techno en passant par la trap et la bossa. Ils nous régalent sans interruption et nous ne voyons pas le temps passer.
Se succèdent sur scène DJ Narciso, DJ Nigga Fox et DJ Marfox. Nous avons du mal à reprendre notre souffle tant nous sommes emportés par la danse dans l’ambiance joyeuse et super inclusive de la Flèche d’Or. Nous prenons quand même quelques pauses pour commander les verres de vins les moins chers de Paris et pour savourer d’excellents sandwiches véganes.
Jour 5. Jeudi 20 avril, 21h15, instant chavirant avec Baba Commandant
C’est parti pour notre dernière soirée Banlieues Bleues qui est aussi notre première soirée dans le cadre du festival Les Instants Chavirés à Montreuil. Les deux festivals ont joint leurs forces pour présenter le plus pétillant représentant de l’afro-funk du continent africain. Dans la petite salle des Instants Chavirés, le public connaît bien les rendez-vous musicaux aux petits oignons et les grands écarts de genre du festival. Les oreilles sont bien tendues quand Baba Commandant, son kamélé n’goni à la main (instrument de la famille des harpes d’Afrique de l’Ouest) et son crew The Mandingo Band arrivent sur scène (photo). C’est une explosion rythmique qui nous transporte loin, très loin de la grisaille de Montreuil, et qui nous enveloppe. Un savant mélange funk mandingue qui fait danser les corps. Baba Commandant a une énergie incroyable sur scène et la voix de son chant a des airs d’incantations mystiques. Ses paroles sont porteuses de beaux messages d’amour, de tolérance et d’ode à la liberté. Il nous confie être très heureux de représenter la diaspora du Burkina Faso mais est surtout fier de cette musique que lui et ses magnifiques musiciens font vivre sur scène.
Le bilan
Côté concerts
La scène électro la plus cool de Lisbonne
Les DJ du label Principe, qui nous font danser comme des diables
La musique burkinabè dans le texte
Baba Commandant et ses musiciens au poil
La douce rencontre de Satie et du jazz
Ikiru, et l’époustouflant jeu du pianiste Yvan Robillard
Côté festival
On a aimé :
- La diversité des salles de concert et des publics
- La programmation qui reste pointue et défricheuse
- Les nouveaux lieux proposés par le festival, pour toujours plus de salles et de publics !
- Le partenariat avec l’autre incontournable festival du 93 : Les Instants Chavirés
- La bienveillance des équipes d’accueil dans tous les lieux (mention spécial à la Dynamo et à la Flèche d’Or).
On a moins aimé
- Le choix de passage des groupes qui a parfois fait partir le public
Infos pratiques
Prix des boissons (à la Dynamo) : 6 euros pour une bonne bière en bouteille, 4 euros le demi, 7 euros la pinte de bière locale, entre 4 et 5 euros le verre de vin, 2 euros la bouteille d’eau
Prix de la nourriture (à la Dynamo) : assiette de crudités avec tarte à 8 euros, wraps entre 6,5 et 7,5 euros, part de gâteau à 4 euros
Prix du festival : Entre 20 et 16 euros par concert en tarif plein (beaucoup de tarifs réduits), à partir de 4 concerts (pack festival), les concerts sont à 14 euros.
Transports : Beaucoup de salles accessibles en tramway, métro (5, 7, 9, 4) ou en RER (B ou C)
Conclusion
Fêter les 40 ans de Banlieues Bleues était un véritable honneur. Quand un festival a autant d’histoire et de solides attaches dans un territoire comme la Seine-Saint-Denis, le voir continuer à se déployer et se réinventer en laissant toujours les portes ouvertes aux jeunes artistes venus de tous les horizons, c’est autant de preuves de la réussite du projet de départ. Oui, le festival a bien changé tout comme son public, mais cela n’est que le fidèle reflet des changements de notre époque et du territoire qu’il occupe. Quoi qu’il se passe, quoi que l’on pense de certains concerts, n’importe où il faudrait se rendre pour les écouter, nous ne manquerons jamais ce rendez-vous incontournable du printemps qui nous a tant appris et fait découvrir.
Récit et photos : Fanny Salmon et Georges Ledoux Lanvin