Interviews
Youssoupha : « Ce n’est pas normal qu’en France il n’y ait pas un festival majeur de hip-hop »

Youssoupha est connu depuis longtemps des amateurs de hip-hop mais ce n’est vraiment qu’en 2012 - avec le succès de son album Noir Désir - qu’il est devenu l’un des artistes incontournables du rap français. Ce changement de popularité lui a permis de remplir les salles un peu partout et d’être programmé dans des festivals comme le Rolling Saône. On a profité de l’événement pour discuter de musique avec lui, ainsi que de la représentation du rap en festival.

Tous les festivals : Salut Youssoupha ! Tu as tourné dans toutes les salles de France et tu es aujourd’hui à Gray, au festival Rolling Saône. Est-ce que tu es programmé souvent dans ce genre d’événement ?

Youssoupha : Je peux pas me plaindre depuis mes deux derniers albums (Ndlr : Noir Désir et Négritude) j’ai le sentiment d’être présent en festival. Avant c’était un peu plus compliqué. J’en parlais d’ailleurs avec mon tourneur et je me suis rendu compte que malgré le succès qui a pu être le mien ou même celui d’autres avant moi, le rap pouvait rester marginalisé dans la manière d’être programmé dans les festivals…

La question de la représentation du rap en festival se pose effectivement. Quel est ton regard sur ça ?  

Si tu parles de moi, Bigflo & Oli ou Iam ça passe pas trop mal. Après par rapport aux ventes et à la popularité du rap c’est encore quelque chose d’étouffé. Par exemple un mec comme Jul il cartonne en ce moment, c’est bizarre de jamais le voir en festival, même pas à quelques-uns.

Tu penses qu’il y a un manque de reconnaissance ?

Après, nous les rappeurs on n’a peut-être pas entretenu la culture « festival » non plus et inversement. Il y a quelque chose de mieux à faire à ce niveau-là, ça se fera petit à petit.  Personnellement je suis très heureux d’être programmé mais je n’aime pas servir d’alibi et qu’on dise ensuite: « nous on fait du rap, t’as vu, on a programmé Youssoupha ». Ca suffit pas ! C’est comme si on disait « on fait de la chanson on a programmé Bernard Lavilliers ».

Tu n’as pas envie d’être le rappeur de service en fait ?

Exactement ! Ni moi, ni un autre. Le but c’est d’ouvrir la porte à d’autres et surtout à ceux qui vont me suivre derrière.

Tu es un rappeur « populaire », on te voit régulièrement t’exprimer dans les médias, tu es même intervenu dans l’émission On N’est Pas Couché de Laurent Ruquier, juste après les attentats de novembre dernier. Est-ce que tu n’avais pas peur qu’on te colle davantage cette étiquette de rappeur de service ?

C’est bien que tu parles de ça parce que c’est vrai que j’ai eu peur. Je suis sorti de la règle que je me donne habituellement par rapport aux médias même si ça se passe plutôt bien quand on m’invite. Habituellement quand je viens c’est pour parler d’une chanson ou de mes albums, je ne veux pas que les gens se souviennent de moi comme celui qui vient pour discuter d’une polémique, de faits d’actualités ou pour mettre un alibi autour de la culture urbaine. Au départ, j’avais refusé l’émission parce que c’était le lendemain des attentats. Je sortais tout juste d’un concert et ce soir là deux membres de mon groupe ont perdu des gens qu’ils connaissaient au Bataclan. Notre tournée était donc endeuillée et finalement je me suis dit que ça pouvait être bien d’en parler… du coup j’y suis allé et heureusement ça s’est bien passé, en plus on n’est pas trop censuré chez Ruquier.

A part Urban Peace auquel tu as déjà participé, je ne vois pas trop d’événements majeurs représentant le rap en France. Tu ne penses pas qu’il y a un gros manque à ce niveau-là ?

Si, si ! Et tu vois en plus Urban Peace ce n’est pas un festival ! En termes d’événement ce n’est même pas régulier ! C’est tous les 8 ans ou tous les 3 ans. En Suisse ils ont l’Openair Frauenfeld et le Royal Arena…

Tu parles d’ailleurs du Festival de Montreux dans ton morceau « Le Score » (« La juge m'accorde un non-lieu, les rageux bavent, oh mon Dieu/Pendant qu'ils ragent, je rappe au Jazz Festival de Montreux »). C’est une fierté pour toi ?

…oui bien sûr c’est une fierté de ouf ! Mais tu as aussi la Belgique qui propose les Inc’Rock avec des programmations exclusives hip-hop. Ce n’est pas normal qu’en France, qui est quand même un pays où ce style de musique est très populaire, il n’y ait pas un festival majeur de hip-hop. Faudrait y travailler.

Toujours dans le cadre des festivals, est-ce que tu as une anecdote à partager ?

J’en ai une dont je parle souvent et dont j’ai fait un morceau. C’était aux Vieilles Charrues, c’est quand même le plus gros festival de France et j’avais voulu faire les choses bien pour l’occasion, on avait foutu une ambiance de malade, il y avait beaucoup de bruit et c’était excellent, j’étais vraiment content. En sortant, de scène je croise un agent de sécurité qui me dit : « C’est vous Youssoupha ? C’est à cause de vous que les gens ont fait du bruit ? » Un peu flatté, je lui réponds que : « Non c’est grâce à moi ! » mais lui me rétorque direct « Non, non c’est A CAUSE de vous, il y a des alarmes qui ont pété et des vitres qui ont été éclaté pendant votre prestation », enfin bref je ne le croyais pas. Et le lendemain dans Ouest France je lis un truc du genre : « Grosse ambiance au concert de Youssoupha mais on déplore des trucs qui ont explosé etc etc… ». Je me suis dit « Ouah donc c’est vraiment à cause de moi ! » (rires) J’ai donc fait une chanson qui s’appelle «  A cause de moi » car effectivement à mes concerts le public fait vraiment «  du bruit à cause de moi ».

Propos recueillis par Thomas Josselin
Crédit photo : Fifou - festival d'énergies