Interviews
Vaudou Game : «Notre musique, c'est une prise de conscience»

Prêt pour un voyage dans l’esprit vaudou ? Peter Solo est le meneur du groupe funk Vaudou Game, formé avec des musiciens lyonnais. Il nous raconte sa philosophie venue du Togo qu’il transmet à travers sa musique au service de l’humain et la nature.

Pour commencer, est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de Vaudou Game, comment cette rencontre entre toi et ces musiciens lyonnais s’est faite ?

Vaudou Game c’est une prise de conscience grâce à des musiciens. A un moment donné il faut revenir aux choses vraies. On est des artistes, on fait de la musique, il faut aussi qu’on véhicule des valeurs humaines. On a la chance d’avoir un public devant nous qui vient écouter notre message. L’idée est de repartir à la source de ma culture, je viens du Togo, là où est né le vaudou. Dans le vaudou il y a trois dimensions : une dimension spirituelle, une dimension initiatique et une dimension culturelle. Moi je me situe dans cette dimension culturelle, c'est les valeurs du vaudou que j’ai apprises au Togo, au Bénin, au Nigéria. Mais cette philosophie a été vue comme quelque chose de maléfique, comme quelque chose de sombre, quelque chose de satanique, de diabolique, de mystique qui n’appartenait qu’à l’Afrique. Cette prise de conscience comme artiste à l’intérieur de mon pays a été de remettre à sa place les vraies valeurs du vaudou, que je trouve positives et universelles. Le but est d’adapter l’harmonie du vaudou à l’univers moderne. Chez moi il n’y avait que le chant, pas d’instruments. Amener et valoriser cette musique avec des instruments modernes avec les gammes du vaudou, c’est Vaudou Game.

Sur scène, comment tu arrives à transmettre cette culture vaudou à un public pour la plupart non initié ? Le but c’est de créer un choc et d’y aller par petites doses ?

Ca se fait naturellement parce que je vis ça. Le vaudou, ce n’est pas juste une pratique dans un coin. Il faut avoir du monde, des percussions, du chant, de la danse, pour que des personnes entrent en transe, celle qui apporte des révélations. Le public voit qu’il y a une énergie sur scène. Et on ne fait pas une musique qui dort : on fait du vaudou funk ! Le funk c’est une musique qui se partage, c’est pas juste un spectacle. Notre public ressent cette énergie là, à travers les paroles qu’on chante. J’essaye aussi de leur parler entre les chansons. J’explique ses valeurs : il y a la terre, l’eau, le feu et l’air qu’on respire. Ces quatre éléments sont partout dans le monde, pas seulement en Afrique. Le public se voit dans cette mouvance là, cette prise de conscience. Il faut parler au public, lui dire que ce n’est pas maléfique. C’est une pratique qui veut protéger et guérir la nature, la terre vit et vibre, l’océan a des larmes, l’océan a des yeux, l’océan a des oreilles, l’océan pleure quand on lui fait du mal, la terre saigne quand on lui fait du mal. Il faut préserver et protéger ces éléments. Les gens se reconnaissent dans cela, car on est tous dans le même monde.

Justement en festival de musique, en extérieur, où les gens viennent quatre jours dans une énergie positive, c’est un vrai terrain de jeu pour le Vaudou Game ...

Bien sûr c’est un partage, c’est là où la communion se fait. On joue du funk, ça pulse. Il y a une assise, des rythmiques de fou. On joue en plein air comme ça, souvent dans la nuit car cela correspond à notre musique, la communion se fait naturellement et immédiatement

Et tu retrouves plus facilement l’énergie des éléments dont tu parlais lorsque tu joues en extérieur ?

Non, parce que mon énergie je la puise dans les éléments. Quand je te parle de l’air, de la terre, c’est parler à l’air, à la nature, tu fais face à la nature, à l’océan. Il y a quelque chose qu’on ne comprend pas, même les scientifiques. Ce n’est pas juste des éléments de décor. C’est quelque chose de spirituel. Ca se retrouve sur scène, et les gens le voient. Et même si on joue à l’intérieur, je ne vois pas l’eau, la terre, je vois l’humain devant moi. L’humain fait partie de ces éléments là. Je sens la nature à travers lui. On est né un jour, on va repartir. L’humain, la nature et la mort, cela fait un. A l’intérieur, à l’extérieur, je m’adapte, il y a une énergie positive et communicative.

Justement on est ici au Chorus, au coeur du plus grand quartier de finance française La Défense, comment tu te sens à jouer au milieu de toutes ces tours, où se trouve l’humain ?

(rires) Comme mon papa me dit souvent, le président des prêtres vaudou du Togo, le vaudou doit être modernisé. Il dit que la parole du vaudou doit être apportée partout où il y a l’humain, pour qu’il prenne conscience. Moi je l’appelle vaudou, toi tu peux l’appeler comme tu veux. La pratique du vaudou aide l’homme dans sa confrontation avec le monde moderne. Tu peux y faire vraiment face, tu peux accepter la mort comme quelque chose de normal. En étant ici, dans un monde qui est un peu … (silence) Je m’accroche à l’humain, dans ces tours, ces endroits là, je m’accroche à l’humain … on oublie tout ces gros immeubles qui nous entourent, ce qu’il s’y passe, parce qu’il y a l’humain. Il y a toujours moyen de parler et de communiquer. On a juste un petit moment à vivre ici, et le vaudou nous dit de nous en servir pour transmettre des bonnes choses, pour la bonne cause. Quand je me retrouve dans ces endroits dénaturés, je me raccroche à l’humain, à des gens comme toi, à ce bon moment à discuter.

On ne connaît pas beaucoup de festivals de musique en Afrique. Tu pourrais nous en parler ?

Cela commence à beaucoup arriver. Il y a beaucoup de Togolais qui sont allés à l’étranger et qui maintenant reviennent pour créer des festivals. Il y a pas mal de belles choses, notamment des festivals de jazz, et ils invitent des groupes européens, pour que ce ne soit pas seulement un festival qui s’adresse à l’Afrique.

Dernière question, est-ce que si l’attaquant togolais Emmanuel Adebayor marque plein de buts c’est parce qu’il a le vaudou ?

(rires) Il est bien entouré aussi, sa mère est très très forte. Elle vient du Nigéria, c’est puissant. Si lui-même n’est pas un pratiquant, sa mère l’a beaucoup protégé. Dans le vaudou, tu n’as pas besoin d’être toi même pratiquant. Pour Adebayor, pour qu’il joue bien, qu’il marque plein de buts, quelqu’un va aller chez le guérisseur pour faire passer ce message. Et des fois, le gardien va voir trois ballons, il va être le seul à le voir. Ca aussi c’est la force de la nature. Le mot même vaudou, qui veut dire consulter. Consulter quoi ? La nature. Ceux qui étaient là avant nous. Comme quand tu vas devant un arbre qui a 300 ou 400 ans, il a des choses à te dire. Si tu parles à mes musiciens qui sont blancs, ils vont te parler comme je te parle. Tu sais, le vaudou, il peut s’appeler Francis, Antoine, Roger ou Claudette.

Propos recueillis par Morgan Canda
Photos par Nicolas Hours - Festival Chorus 2015