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Lisa, Au Foin de la Rue : « 5000 assis, c’est des concerts, ce n’est pas un format festival comme on l’entend  ».

Au lendemain de la réunion avec la Ministre de la culture Roselyne Bachelot, qui a confirmé la possibilité de tenue des festivals cet été mais avec des conditions très handicapantes pour la plupart des équipes organisatrices, nous avons discuté avec Lisa Bélangeon, ‎Coordinatrice générale de l'association Au Foin De La Rue qui organise le festival. 

Au Foin de la Rue, un festival bien ancré dans le territoire mais déjà fragilisé par une baisse de fréquentation en 2019 qui ne lui a pas permis d’atteindre l’équilibre budgétaire. Alors qu'il s'appretait en 2020 à battre un record de fréquentation l'événement a dû être annulé comme tous les grands festivals de l'été pour cause d'épisemie de la Covid-19. La semaine dernière, l'association Au Foin de la Rue s'était mobilisée aux côtés de nombreuses associations de Saint-Denis-de-Gastines et d'Ernée pour alerter sur les conséquences catastrophiques de la crise sur les activités créatrices de lien social (photo). Hier, Lisa Bélangeon était invitée à participer aux côtés d'autres organisateurs de festivals, à la réunion avec la Ministre de la Culture qui annonçait la reprise des festivals en plein air cet été avec une jauge à 5000 personnes et... en format assis. 

 

Tous Les Festivals : Quel est votre sentiment après les annonces de la Ministre d'hier ? Est-ce que les réponses apportées vous permettent d'être au plus clair sur la tenue de votre événement cet été ?

Lisa : Je pense qu’on était plusieurs à redouter de ne pas avoir des réponses précises et au final on en a eu donc on ne peut ne peut pas reprocher à la Ministre de ne pas avoir entendu notre besoin d’éclaircissement. Sur cette partie là elle a joué son rôle. Après c’est la réponse qui reste déjà floue et pour laquelle on reste déçus. « 5000 assis » c’est des concerts, ce n’est pas un format festival comme on l’entend.

Comme on a commencé à se rencontrer fin janvier et que le ministère était vraiment à l’écoute des questionnements mais aussi des propositions qu’on pouvait faire, nous on plaidait pour maintenir coûte que coûte le debout parce que pour beaucoup de nos événements de musiques actuelles c’est déjà la forme de base et pour les esthétiques qu’on présente une adaptation assise semble vraiment compliquée, on est quasiment dans un autre projet. On a essayé de trouver des solutions qui pouvaient s’entendre aussi sanitairement pour maintenir la station debout. Contrôler les jauges, comme dans les commerces, être tant par mètre carré... Mais visiblement ça ne passe pas et c’est une déception. La Ministre ouvre la porte à ce que ce cadre évolue en fonction de l’évolution de la situation sanitaire mais ça ne nous donne peu de visibilité sur quand, comment… Ça laisse un fond d’espoir, mais comment on gère ça ? Est-ce qu’on continue à travailler sur des scénarii multiples ou est-ce qu’on finit par se résigner à faire quelque chose assis à moins de 5000 ou rien ? 

Ce matin on est déçu de la configuration même si on est satisfait d’avoir eu des réponses : le plus dur depuis un an c’est le flou – dont on n’est pas encore sortis - et le fait qu’on devait travailler sans savoir si nos cadres étaient réalistes donc c’était très important d’avoir une réponse claire du gouvernement pour avancer. On espère surtout un retour à la normale en 2022 puisque ce ne sera clairement pas une saison normale cet été.

Il y aura donc forcément un événement organisé par votre assoociation à Saint-Denis-de-Gastines (en Mayenne) cet été ?

Il est hors de question de ne rien faire, on l’a défendu et répété. Au niveau des organisateurs présents à la réunion, on n’a pas du tout les mêmes enjeux. Il y avait une grande compréhension pour dire que pour certains l’adaptation était impossible et que leur modèle ne leur permettait pas d’imaginer autre chose. Nous on a aussi un enjeu local et territorial, on est en zone rurale, quand on n’a pas lieu il ne se passe rien. Après quel format ça prendra, là au lendemain de la rencontre c’est vraiment trop tôt pour dire pour nous mais il faut qu’il se passe quelque chose.

Notre métier c’est aussi d’envisager toutes les possibilités. Par contre, jusqu’à présent, 5000 assis ça nous semblait totalement incompatible avec notre événement et le public qu’on accueille : nos festivaliers ont 25 ans de moyenne d’âge, ils sont là aussi pour se rencontrer, pour faire la fête, pour se croiser. On programme des artistes de dub, de rap, de la musique festive… Assis, pour nous, ça dénature complétement notre projet.

Pensez-vous être en mesure de proposer un événement plus long, qui permettrait à davantage de festivaliers d'en profiter ?

On va d’abord se fixer une date de décision : on est dans une commune avec une grosse vie associative. Même si tous les événements ne sont pas forcément culturels, il y a des événements qui jalonnent un peu tout l’été donc on a des problèmes de disponibilité de terrain, de disponibilité des bénévoles qui nous ont fait écarter aussi le fait d’allonger la durée de l’événement. Les annonces d’hier vont aussi donner des pistes sur ces événements-là : est-ce l’ensemble des associations ne vont pas réfléchir à faire quelque chose ensemble pour dynamiser et faire vivre le territoire tout au long de l’été ? Pourquoi pas…

Est-ce que la présence des bars et des points de restauration font partie de ces protocoles qui vont être affinés avec les organisateurs ?

La ministre nous a répondu que ça lui semblait délicat de reprendre ces activités annexes-là si les bars et les restaurants restaient fermés. Nous, en termes de budget, on est autonomes à 80%, notamment par rapport aux recettes de bars et de la restauration donc ça poserait beaucoup de questions. Après il y a des fonds de compensation qui sont prévus, même si on doute que les 30 millions d’euros prévus qui sont valables pour toutes les esthétiques puissent couvrir toutes les pertes et adaptations. A un moment donné ça va faire juste et il n’y en aura pas pour tout le monde. Miser uniquement là-dessus, pour l’équilibre, ça semble risqué. Et puis il y a l’objet-même de ce qu’est un festival en fait : les gens se rencontrent, les gens passent du temps ensemble. Les festivals c’est la convivialité, c’est l’échange. Les gens sont aussi là longtemps, ce n’est pas un concert de une heure ou deux. Vous imaginez les gens assis pendant 6 à 8h sans pouvoir boire ni se restaurer ? Il y aura une saison de concerts, une saison culturelle cet été, une saison des festivals de musiques actuelles c’est plus difficile à affirmer.

Quelle est la deadline que vous vous fixez aujourd'hui pour prendre toutes ces décisions ?

Il y a des débats au sein même de l’organisation selon les corps de métiers, puisqu’on n’a pas tous les mêmes temporalités. On a appris l’année dernière de ne pas trop prendre de l’avance justement à cause de tous les risques actuels. Il y a aussi la préservation des équipes. Ça fait un an qu’on travaille sur des choses qui ne se réalisent pas, on a aussi la chance d’avoir d’autres événements dans l’année mais dont on a aussi subi les annulations donc il y a une fatigue de travailler sur des multi scenarii. On avait un plan à moins de 5000 qui commençait à être réfléchi et anticipé, donc on n’était pas en retard, mais c’était un format debout. Là, tout remettre sur les tapis pour réfléchir à la suite va prendre un peu de temps. Au printemps, mars-avril, il faudra une décision. Moi j’ai du mal à penser que les règles vont changer moins de 3 mois avant la tenue des événements puisque c’est aussi des périodes que la Ministre a entendu et on est obligés d’avoir un peu de visibilité sur le cadre. Rouvrir a plus de festivaliers, pourquoi pas, mais encore une fois si c’est en format assis ça veut dire des gradins, des sièges avec distanciation. Imaginez la place que ça prend déjà pour 5000 personnes alors augmenter tout d’un coup en dernière minute ça parait infaisable, à part si la règle de la distanciation tombe. Faire du placement sur siège comme dans certains théâtres ou cinémas quand ils ont eu la chance de rouvrir c’est pas du tout des choses qu’on a l’habitude de mettre en place. Ça change complètement notre type d’organisation. Nous on est une équipe majoritairement bénévole, tout est donc plus long à déclencher. Organiser des équipes et tout chambouler en dernière minute c’est impossible.  3 mois avant l’événement il faudra avoir pris une décision sur son format et on aura du mal à la faire évoluer.

Allez-vous revoir votre programmation pour mieux répondre à ces contraintes ?

En termes de programmation, les questions ne sont pas tranchées au sein de l’organisation. L’an dernier, suite à l’annulation du festival, on s’était engagés auprès des artistes à un report sur l’édition 2021 donc pour l’instant on est avec cette programmation et on voulait la défendre coûte que coûte quitte à adapter à 5000 et adapter les plages horaires. Changer complétement l’esthétique du festival, le projet de convivialité, de retrouvailles… au bout d’un moment ça ne s’appellera plus le festival Au Foin de la Rue. Ça peut être autre chose, ça peut être un autre format, un autre événement mais ce ne sera pas notre festival habituel.

Il y a des échanges réguliers entre les programmateurs et les productions que ce soit sur nos calendrier, nos réflexions en cours… Tout le monde a conscience de l’inconnue dans laquelle on est donc il n’y a pas de décision d’arrêtée. On veut être transparents auprès d’eux et préserver ces entreprises-là qui traversent également une période difficile et vont avoir du mal à s’adapter en assis et qui vont voir cette annonce de très mauvais augure et pour le développement de leurs artistes.

Les festivaliers sont globalement très remontées contre ces décisions... Comment faire pour répondre à leur déception ?

On a nos contraintes d’organisateurs mais il faut savoir que le festival est aussi organisé par des festivaliers, et c’est la force de notre événement. L’équipe orga, c’est des gens du territoire, des bénévoles. Nos présidents ont 25 et 30 ans respectivement, on a les mêmes profils que nos festivaliers. On cherchera toutes les solutions possibles pour proposer quelque chose qui redonne un peu d’air après une année compliquée. Nous ce qu’on aime voir au festival c’est les résidents de l’Ehpad qui viennent manger un bœuf bourguignon en regardant les jeunes qui fêtent leur bac. Puisque c’est ça l’ambiance de notre festival. Quoi qu’il arrive quand on devra prendre notre décision c’est ça qu’on aura à cœur de préserver, trouver des solutions pour proposer ça. On a réussi à en faire un peu à la rentrée et l'été dernier des événements en toute petite jauge et on se battra pour en refaire cet été.

 Propos recueillis par : Anja Dimitrijevic
Crédit photo : Facebook Au Foin de la Rue