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Jérôme, Vieilles Charrues : « Ca va être l’été des retrouvailles, ça ne va pas être un été silencieux. »

Alors que certains festivals annulent l'âme en peine leur édition 2021, se préparant ainsi à une deuxième année blanche, l'un des plus grands festivals de l'Hexagone se projette sur un projet adapté, plus long et entièrement repensé, qui promet de faire vivre le territoire breton dans quelques mois. Nous avons discuté avec Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues, qui garde un super moral en perspective de cet été. 

On a bien compris votre mood. Vous voulez rester positif. Pour vous, cet été ne sera pas un deuxième été blanc.

Jérôme Tréhorel : Le 17 février, on avait posé des questions et on attendait des réponses. Il y avait 3 scénarii possibles : un, les festivals sont interdits, parce que la situation sanitaire n’est pas sous contrôle et que la vaccination n’avance pas assez, vite. L’autre possibilité c’était « je ne peux pas vous donner de réponses pour le moment parce qu’on n’y voit pas assez clair sur l’évolution de la situation ». Ou c’était d’avoir des réponses et un cadre. Donc là on a eu un cadre précis qui est évolutif. La Ministre s’est aussi engagée à faire une réunion mensuelle, pour au regard de l’évolution de la situation sanitaire faire évoluer ce cadre-là. Le positif, c’est notre vision depuis le début. On sait que la pandémie n’est toujours pas sous contrôle et que c’est une perspective, on en a une. A nous de redonner un peu de musique, un peu de sourires. 

Vous aviez déjà réfléchi à un plan B avant les dernières annonces ?

On n’avait pas 50 plans parce que ça ne sert à rien. Assis, semi-assis, en fonction de la jauge, de la surface au sol… On peut tout inventer, tout imaginer, mais on y aurait perdu de l’énergie. On s’est basé sur ce qui avait été validé l’année dernière sur une année ‘pandémie’.  On pensait que le scénario 5000 assis c’était crédible. Mais nous, on sait faire 70 000 debout, 5000 pas du tout. L’idée c’était donc de commencer à réfléchir, d’occuper l’équipe et de donner une perspective.

Comme on l’avait annoncé depuis novembre dernier « on pense bien aux festivaliers, on les remercie pour leur soutien, on n’est pas à l’arrêt, on réfléchit ». Habituellement on ouvre la billetterie et on annonce la programmation en décembre, là on n’allait pas le faire parce qu’à l’époque on était confinés et beaucoup de secteurs étaient à l’arrêt. On ne souhaitait pas donner une perspective sans visibilité et sans maîtrise. On avait donné rendez-vous en février-mars en expliquant qu’en fonction des possibilités on s’adapterait, mais quoi qu’il arrive il y aurait un festival. Et on va tout faire pour tenir ces promesses mais ça ne va pas être simple. Ce n’est pas une simple adaptation pour le coup, c’est vraiment un nouveau projet, un nouveau format, un nouveau festival unique et éphémère. Il faut tout recréer en quelques mois mais on se doit de le faire, on en a l’envie, on en a besoin aussi pour l’équipe, pour le moral et on a le devoir vis-à-vis des festivaliers, des artistes… de tous ceux qui font le festival : les prestataires, les bénévoles, les fournisseurs, les intermittents, les partenaires mécènes… Ça donne une lueur d’espoir cette perspective joyeuse de se dire que ça va être l’été des retrouvailles, que ça ne va pas être un été silencieux.

C’est encore loupé pour Céline Dion cet été en revanche.

On n’aura pas Céline Dion cet été mais ce n’est pas une annulation ! On parle de report et ça c’est une bonne nouvelle. Une artiste comme a elle a des projets sur 3-4 ans. Jean-Jacques et Jeanne sont en train de travailler avec l’entourage de Céline Dion pour organiser, on l’espère, un report. C’est la piste du moment.

Quel sera le projet des Charrues pour cet été ?

Ça va être 10 soirées de concerts. Ce ne sera donc pas de grandes journées de festival mais plutôt 2-3 concerts par soir du 8 au 18 juillet. On aura un site avec une scène avec une jauge assise et des gradins. Ce sera là aussi une nouveauté parce qu’on voulait aussi marquer le coup et célébrer ces retrouvailles de manière un peu différentes et positives.

Concernant la programmation, c’est le travail de Jeanne et Jean-Jacques (ndlr : Jeanne Rucet et Jean-Jacques Toux, les deux programmateurs des Vieilles Charrues) qui étaient déjà en contact régulier avec tous les tourneurs et les boites de prod avant les dernières annonces. Vu qu’on a eu le cadre il y a quelques semaines, dès le lendemain matin ils ont échangé avec les différents tourneurs. L’objectif est de savoir quel artiste va tourner cet été, est-ce que certains vont adapter leur tournée, leur format, est-ce que d’autres vont dire que ce n’est pas possible... Par défaut on va proposer aux artistes qu’on avait initialement prévu dans la programmation, et si certains ne peuvent pas tourner pour x ou y raison, même si j’ai bon espoir qu’une majorité des artistes puissent organiser ces retrouvailles, on avancera en fonction. On veut laisser le temps à chacun de pouvoir réfléchir et travailler à des adaptations et j’espère qu’on pourra courant avril ou mai annoncer la programmation avec des découvertes mais aussi des talents plus confirmés. Une vraie programmation à l’image des Charrues.

De nombreux festivaliers estiment qu’un festival assis n’est pas envisageable pourtant…

Honnêtement, personnellement je préfère ça plutôt qu’on nous annonce que les festivals sont encore interdits l’été prochain. Deux années de suite ce serait dramatique. Quand on va voir des concerts dans des zéniths, il y a une partie debout et une partie assise. Et quand les gens sont sur les côtés dans les gradins, ils sont debout devant leur chaise et ça ne les empêche pas de danser et de profiter des concerts. C’est peut-être une fois, dans un été, dans une vie qu’on va nous dire « voilà, c’est comme ça cet été ». Après ceux qui ne veulent pas venir, on ne va pas les obliger à venir mais compte tenu des jauges limitées, je pense qu’on va plutôt avoir un problème de forte demande qu’on ne pourra pas satisfaire quand on ouvrira la billetterie.

Comment est-ce que ce nouveau projet pourra faire (re)vivre votre territoire ?

On va faire en sorte de travailler, comme d’habitude, avec les acteurs et les forces vives du territoire. Nos fournisseurs, prestataires, partenaires, pour la grande majorité sont du Centre-Bretagne ou de Bretagne. On va refaire travailler toutes ces équipes, resolliciter les associations qui viennent donner un coup de main sur le festival et à qui on verse des dons. Mais on va travailler ensemble sans se précipiter parce que c’est un nouveau format et qu’il y a beaucoup d’inconnues encore. S’agissant du public, au regard du format, ça va être vraisemblablement un public beaucoup plus local. On sera très limités en place par rapport à d’habitude. Et au regard du contexte sanitaire, il n’y aura pas de camping. On l’a déjà annoncé parce que sur le territoire de Carhaix il y a des offres existantes qui fonctionnent au moment du festival : il y a le camping municipal, quelques hôtels, il y a l’hébergement chez les habitants qui est aussi quelque chose qui marche fort depuis quelques années… Le but du jeu c’est que du fait de la reprise de l’organisation du festival, on puisse impliquer le maximum d’acteurs et de personnes qui le souhaitent.

Et comment se passent les échanges entre les festivals ?

Déjà avant la crise on échangeait beaucoup entre festivals. Ce n’est pas la première crise qu’on affronte, même si celle-ci est particulièrement costaud. On a eu beaucoup de travail et de réflexion après les attentats en 2015 où il a fallu repenser nos manières d’accueillir le public, repenser la sécurité. On échange habituellement sur plein de sujets : programmation, déco, cashless… Au moment du premier confinement ça s’est un peu accéléré parce qu’on était tous à l’arrêt, un arrêt brutal. Et une fois passée la sidération il a fallu tout de suite réagir pour protéger nos structures et protéger les emplois. L’année dernière on avait pour le coup déjà engagé de l’argent, ce qui est moins le cas cette année. On a partagé nos réflexions pour prendre les meilleures décisions selon nos modèles d’organisation respectifs. Et là on va continuer à se filer tous des tuyaux sur l’aménagement du site, l’aménagement de la restauration et des bars, le fonctionnement de la billetterie… 50 000 questions qui se posent et on partage nos réflexions pour tous gagner du temps.

L’assis va poser de vrais problèmes pour représenter les différentes esthétiques musicales : on sait que pour le hip-hop, le rap, le metal… ça va être compliqué. Certains artistes vont peut-être décider de ne pas jouer, ne pas tourner et certains festivals de pas organiser d’événement parce que le format ne le permet pas ou que leur esthétique ne le permet pas. L’espoir qu’on a c’est que la situation sanitaire s’améliore afin que les différentes esthétiques artistiques puissent vivre. Et cette question du debout qui va être déterminante... On espère vraiment que ça pourra être autorisé d’ici l’été et même avant pour les festivals de printemps.

Et en 2022 ?

J’espère que la situation sera sous contrôle, que la vaccination aura plus qu’avancé, qu’on arrivera à cette fameuse immunité collective, afin de reprendre une vie normale, la vie d’avant pour tous les cinémas, les théâtres, les concerts, les vacances… D’ici là il faut qu’on soit très prudents.

Photo de couverture : Nico M, Facebook Vieilles Charrues
Propos recueillis par : Anja Dimitrijevic