Interviews
Fatals Picards : « On vient de voir un mec se balader en slip là, on est d'accord ? »

C’était il y a presque un an, dans les loges du Festival sur les Pointes, nous échangions avec Laurent Honel dit « Billy » et Paul Léger, respectivement guitariste et chanteur des Fatals Picards, groupe de rock/chanson française drôle et engagé, écumant les festivals depuis plus de 20 ans, venus défendre sur scène leur dernier album Espèces Menacées. Autant dire qu’il y avait matière à parler. Une interview à leur image, drôle, décalée et pas dénuée de fond.

Tous Les Festivals : Vous allez jouer ce soir sous le grand chapiteau du Festival sur les Pointes, comment on aborde un concert en festival par rapport à une scène « traditionnelle » en salle ?

Paul Léger : Il y a une différence dans le sens où tu joues souvent moins longtemps en festoche, les gens ne viennent pas que pour toi, donc tu dois bien sélectionner tes morceaux, mettre pas mal de classiques, faire une tracklist punchy et puis tu prends moins ton temps pour parler aux gens, tu ne vas pas partir dans un délire de 20 minutes de tchatche comme ça peut m’arriver parfois en salle.

TLF : Sinon vous êtes festivaliers dans l’âme ?

Paul Léger : Plus jeune oui, là je t’avoue qu’avec mon âge avancé j’y vais moins. Mais il y avait pas tant de gros festivals à l’époque...

Billy : Il y avait pas une culture du festival autour duquel tu pouvais organiser tes vacances, tes déplacements, etc… 

Paul Léger : Moi j’ai fait la Fête de l’Huma c’est tout ! Bon après j’ai fait des petits festivals dans des MJC.

Billy : En fait, on a découvert les festivals en tant que musiciens. Ca fait 20 ans qu’on en fait et on a pu les voir grandir, se développer… La France maintenant ça doit être le premier pays au monde en terme d’organisation de festivals !

TLF : C’est vrai qu’il y en a beaucoup

Billy : Il y en a des tonnes. Il y a aussi l’émergence des festivals éco-responsables, l’apparition des toilettes sèches…

Paul Léger : Ca c’est pas la meilleure invention pour les artistes, les toilettes sèches. C’est pas le truc qu’on préfère surtout quand c’est les mêmes pour les artistes et les festivaliers ! (rires)

TLF : Pour revenir sur votre dernier album Espèces Menacées, il y a 2 titres qui m’ont particulièrement interpellé : "Dans un Ciel de premier mai" et "Mon Arbre", qui parlent respectivement de désillusion politique et du mal-être paysan. C’est ça pour vous les « Espèces Menacées » ?

Paul Léger : Effectivement, t’en parles bien, les agriculteurs c’est effectivement une espèce menacée. Il y a également la chanson "Angela" qui fait référence à Angela Merkel, qui renvoie aux élections européennes (ndlr : qui ont eu lieu le même week-end que le festival) et à l’Europe, qui est une espèce menacée, on parle de ce bon vieux dictateur coréen Kim, qui on espère est une espèce menacée ou encore "Morflé" qui parle des couples qui durent, qui sont des espèces menacées…

Billy : Avec les Fatals Picards, tout ce qui est idéologie ou monothéisme de la pensée ça nous gave. On essaye de sauvegarder des idées auxquelles on croit. Dans "Mon Arbre", on considère qu’un agriculteur qui se suicide parce qu’il n’arrive pas à gagner sa vie est insupportable. Dans nos chansons on fait le portrait d’une société qu’on imagine différente. On est d’une époque qui avait imaginé un futur meilleur, et plus le temps passe plus tu te dis qu’il y a une régression au niveau idéologique, spirituel, politique, intellectuel…

Paul Léger : Au niveau législatif aussi !

Billy : Ça nous semblait pas possible quand on était gamins, on est d’une culture où l’on côtoie des profs, des artistes, des gens de théâtre, des gens qui nous ont inculqué qu’on allait vers un développement de l’esprit critique vers une amélioration de nos conditions de vie. 

Paul Léger : Qu’on allait avoir de plus en plus de Lumières ! Mais en fait non…

Billy : Il y a de plus en plus de lumières mais de plus en plus d’interrupteurs. 

Dans l’album on retrouve bien le côté parodique mais aussi poétique et mélancolique notamment dans les chansons qu’on vient d’évoquer. Ce qui me permet de revenir sur la désillusion politique avec "Dans un Ciel de Premier Mai", qui me rappelle beaucoup "Mon Père était tellement de Gauche", un de vos classiques. Mais ce morceau parait encore plus désespéré. 

Paul Léger : On est dans la même veine, mais ce n’est pas qu’il n y a plus d’espoir, c’est un constat. Si t’es dans un constat objectif sur le monde ouvrier ou agricole et ben c’est glauque en fait. Malheureusement on ne peut pas chanter là-dessus avec la même insouciance qu’il y a 20 ou 30 ans.

Billy : De toute façon quand tu fais de l’art, enfin de la chanson comme on fait, tu as trois postulats : soit dénoncer frontalement; soit fuir et rien dénoncer; soit botter en touche. Nous on botte en touche en faisant de l’humour. On essaye de trouver l’équilibre car la réalité est trop dure à accepter telle quelle. L’humour permet de maintenir un engagement sans être dupes…

Paul Léger : Avec un poil de recul…

Billy : Et puis ça fait marrer les gens, ils rigolent sur une chanson contre les violences faites aux femmes par exemple, et en même temps la chanson reste et fait aussi un peu réfléchir… ou pas d’ailleurs.

Revenons à la chanson, vous savez comme 99% des français que Johnny est mort…

Paul Léger : Oui, l’info a dû nous parvenir à un moment, on en a entendu parler.

TLF : Est-ce que du coup vous avez eu des retours au sujet de votre morceau "Le Jour de la Mort de Johnny"  ?

Paul Léger : Oui forcément t’as un petit coup de projecteur, après c’est pas toujours à bon escient…

Billy : Finalement le côté drôle de la chanson s’efface devant quelque chose de plus nostalgique je trouve. Et puis ce qu’on a dit c’est pas tout à fait faux. Bon on s’est trompé sur l’enterrement à Notre Dame c’était à la Madeleine. « Dans les allées de Notre Dame, une meute de Harley Davidson traversera un cercle de feu ». Feu, Notre Dame…

Paul Léger : Johnny…

Billy : Johnny…

Paul Léger : C’est Johnny qu’a allumer le feu ! (rires)

Billy : Exactement !

TLF : Tout est lié !

Paul Léger : C’est pile-poil avec ce type de chanson que tu vas voir ceux qui comprennent l’humour et l’idée générale et ceux qui vont pas du tout piger et qui vont dire : « Ouais bande de salauds vous vous moquez de Johnny… »

Billy : Avec Paul on aime bien l’humour car c’est un bon filtre à cons. Enfin c’est méchant ce que je dis, car certains n’ont pas les clés pour comprendre et ce n’est pas leur faute.

TLF : Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter en tant qu’artistes de festival ou en tant que festivaliers ?

Paul Léger : Ça fait 20 ans qu’on est dans le métier, des anecdotes je peux te dire qu’il y en a des vertes et des pas mûres ! Et les plus marrantes on ne peut pas les raconter, car t’imagines bien qu’elles restent entre-nous.

Billy : Ha si ! On avait fait un festival il y a quelques temps où il y avait Michel Fugain…Bref, Paul était pas tout à fait frais on l’a perdu dans la foule. Il y avait des gitans et des punks et, à un moment, on a pas trop compris ce qui se passait mais un gitan a balancé un seau d’urine sur une punkette ou l’inverse, après ça s’est envoyé des parpaings il y a eu une grosse bagarre et Paul était au milieu de tout ça. C’est notre ancien éclairagiste qui a été récupéré Paul dans la foule…

Paul Léger : J’étais paumé et tout seul au milieu de la bagarre, c’était un peu comme dans Braveheart il y avait 50 personnes qui arrivaient en courant chacun de leur côté ! Je me suis fait attraper par le colback pour me sortir de là, ça s’est joué à 30 secondes.

Billy : Il y en a plein des anecdotes ! Regarde là on est dans les loges du Festival sur les Pointes, la loge est divisée en 2, il a plu, de l’eau coule au milieu de la loge, le néon clignote... Limite Claude François aurait plus de chances de survivre dans sa baignoire qu’ici…

Paul Léger : C’est vrai !

Billy : Il y a des punks à chiens qui trainent…on vient de voir un mec se balader en slip là, on est d’accord ?

TLF : Moi je me rappelle d’un de vos passages au Aymon Folk Festival dans les Ardennes…

Billy : Oui ! Avec le mec qui a eu sa bagnole tombée dans la falaise ?

TLF : Ha non c’était pas ça dont je voulais parler j’étais pas au courant !

Billy : Ça c’était le lendemain, t’as pas su ! Ce qui s’est passé lors du concert c’est qu’il a draché comme c’était pas permis, on a dû jouer dans une petite guitoune à la place de la Grande Scène…

Paul Léger : Tu te rappelles quand c’est arrivé ? On était en haut des montagnes, on a vu le ciel…

Billy : C’était le Mordor !

Paul Léger : Mais c’était sympa car du coup on a fait un petit concert.

TLF : Vous aviez joué environ 45 minutes sur cette petite scène sans retour et pas du tout adaptée, mais vu les conditions météo, les gens étaient contents de cette solution de repli.

Billy : On a voulu assurer le show, les gens font quand même de la route exprès… Pour revenir à cette fameuse histoire, ce qui est drôle c’est que le lendemain le régisseur du festival avait oublié de mettre le frein à main de sa bagnole…qui est tombée dans la falaise.

Paul Léger : Le mec a fermé son coffre, la bagnole a descendue 2 kilomètres et c'est explosée en bas !

Billy : C’est notre ingé son qui était resté sur place qui nous a raconté ça : « Les gars vous aller pas le croire, après la pluie d’hier, le mec a perdu sa bagnole dans la falaise !  On a fait aussi le Festival de la Chanson Française de Tadoussac au Canada. On a passé une semaine dans un état second, entre le décalage horaire et la multiplication à outrance des microbrasseries dans le milieu québecois…

Paul Léger : Les drogues !

Billy : Les drogues dures, douces, molles, liquides, toutes !

Paul Léger : On jouait dans une sorte de grande crique où les baleines viennent se reproduire. Tu te mettais sur la plage et tu voyais des baleines qui baisaient…c’était énorme !

TLF : Si vous deviez faire votre propre festival vous feriez quoi ?

Paul Léger : Si je devais programmer j’aimerais qu’il y ait plein de trucs différents au niveau musical. Le plus difficile serait d’agencer ça pour que ce soit logique dans le déroulement de la soirée. 

Billy : Ça serait bien de surprendre les gens sur le chapitre de la bouffe et la boisson de qualité et pas méga chère.

Paul Léger : C’est beau, c’est bon et il y a de la bonne zik' !

Billy : Et que les gens se disent des trucs du genre : « Ah tiens j’aime pas le jazz ou le punk mais eux je les trouve super cools ! » Qu’il y ait une sorte d’ouverture d’esprit, de la musique africaine, du psychobilly, du jazz…

Paul Léger : Souvent les festoches sont trop genrés, nous les Fatals on chante en français, on est politisés on se retrouve toujours sur les festivals éco-responsables avec des groupes comme Percubaba, Babylon Circus etc…Et c’est ça que j’aime pas : c’est toujours les mêmes gens, qui ont toujours les mêmes fringues, avec toujours les mêmes groupes, toujours le même genre de buvettes, toujours la même bouffe, en fait t’arrives et tu sais ce que tu vas trouver.

Billy : On est rarement surpris en festival, ça veut pas dire que c’est pas bien mais c’est souvent très cloisonné. Moi il y a des artistes dont je suis fan et je ne les vois jamais programmés sur les festivals où on joue et inversement. C’est con.

TLF : Et d’autres groupes que l’on voit partout…

Paul Léger : Comme pour la musique il y a deux créneaux pour les festivals. T’as Les Vieilles Charrues et compagnie et puis d’autres festoches plus modestes qui sont dans une ambiance plus roots, moins mainstream. Shaka Ponk quand ils ont explosé ils étaient partout ! Et le mec qui va aller au Vieilles Charrues, à deux trois exceptions près, il aura le même line-up aux Papillons de Nuit, au Solidays, aux Eurockéennes... Si t’en fais qu’un après pourquoi pas. 

Billy : Après on va être honnêtes, ce qui nous intéresserait c’était de faire comme Shaka Ponk, au moins une année. D’être dans tous les gros festivals. Mais bon comme on l’a pas fait en 20 ans on aurait pas l’impression d’être dans un courant mainstream.

Paul Léger : T’es dans des créneaux où les mecs ça les intéresse pas. Celui des Vieilles Charrues il nous veut pas, pourquoi ? Je sais pas. Après tu as des positionnements de programmateurs, certains ne programment pas toujours ce qui leur fait plaisir car il faut que ça tourne et qu’il y en ait pour tout le monde. Et tu en as d’autres sur les gros festoches, qui sont seuls à choisir, qui s’en branlent et qui préfèrent choisir Bigflo et Oli.

TLF : Un petit mot pour les festivaliers pour conclure ?

Paul Léger : Et bien j’espère que vous avez pris des bottes ! Normalement un vrai festivalier a des bottes, des rangeos , un poncho …Merci aux gens qui font le déplacement et qui sont parfois dans des conditions un peu à la roots, franchement c’est appréciable. Bon avec l’âge nous on s’est un peu embourgeoisés. D’ailleurs, l’autre jour quand je suis allé au Hellfest j’ai compris ma douleur (rires).

Propos recueillis par Josselin Thomas et Fanny Frémy