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Aurélie Hannedouche, SMA : « Il faut arrêter de mettre les structures dans des cases. »

Après les annonces d'Emmanuel Macron concernant le secteur culturel, Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des Musiques Actuelles qui réunit 150 festivals, fait le point sur la situation actuelle et les les défis qui attendent les festivals dans les mois qui viennent.

TLF : Pour commencer, vous pouvez nous présenter le Syndicat des Musiques Actuelles ?

Aurélie Hannedouche : Initialement le Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) a été créé par deux fédérations de salles de concert. À l'époque, c'était la Fédurok et la Fédération des Scènes de Jazz et de Musiques Improvisées (FSJ), qui ont fait le constat que les salles qu'elles représentaient en tant que fédérations n'avaient pas accès à un certain nombre d'instances. Elles ne participaient pas à la négociation des conventions collectives, à tout ce qui concerne la formation… Elles se sont dit qu'il fallait se montrer sous forme syndicale, qui est la seule solution pour pouvoir avoir accès à ces différentes instances. Historiquement, des tentatives de rapprochement d'autres syndicats existants n'ont pas abouti. Les deux fédérations ont donc fait le choix de créer leur propre syndicat.

C’est initialement un syndicat pour les salles de spectacles donc.

Au départ, on a plutôt été investi par les salles de concert puisqu'elles étaient à l'origine de la création du syndicat. Mais dès la création du SMA, le choix a été fait de construire un syndicat de filière pour regrouper l'ensemble des entreprises du secteur des musiques actuelles, donc, à savoir, bien sûr, les salles de concert, mais aussi des festivals, des producteurs de spectacles, des labels, des radios, des centres de formation, des réseaux et des fédérations. Les salles de concert ont massivement adhéré. Puis le travail a consisté à aller chercher les autres métiers pour qu'ils nous rejoignent et pour pouvoir vraiment constituer syndicat de filière. Ça a pris du temps.

Aujourd’hui cela représente combien d’adhérents ?

On représente 430 entreprises adhérentes. Il y a la quasi-totalité des SMAC pour les salles de concerts mais pas seulement. On a aussi 150 festivals qui sont adhérents, une centaine de producteurs de spectacles et 60 labels. Donc là, c'est pareil. Il y a pas mal de structures qui font du 360, qui produisent des tournées et des disques. On représente aussi une vingtaine de centres de formation, une dizaine de radios et une vingtaine de réseaux et fédérations.

Concernant les festivals, s'agit-il majoritairement des festivals indépendants et associatifs ?

Sur les 150 il a 149 festivals associatifs. La seule exception c’est le No Logo et son projet singulier qui s'organis sans subventions et partenariats privés. Il n'y a pas de répartition de profits. Tout est réinjecté dans le projet.

Suite aux différentes annonces d’interdictions de rassemblements, il est d’ailleurs beaucoup question des festivals. Vous êtes en lien avec les services de l’Etat pour évoquer le sujet ?

Nous sommes régulièrement associés aux discussions avec le ministère de la Culture. La semaine dernière, on a été conviés à une réunion avec des professionnels du secteur de la musique par le ministre, justement pour discuter de nos difficultés. Il faut savoir qu'au niveau de l'administration du ministère de la Culture, depuis le début de la crise, il y a des réunions quasiment hebdomadaires pour faire le point sur tous les dispositifs, sur le chômage partiel, sur les interdictions notamment des festivals. On a eu aussi une réunion avec le ministre de l'Economie Bruno Le Maire pour nous parler des mesures économiques d'accompagnement de notre secteur.

Et concernant les annonces de mercredi, vous avez été consulté ?

Non, c'est vraiment une démarche qui a été faite par l'Elysée. En revanche, on a pu se réunir en intersyndicale pour sortir un communiqué de presse avant les annonces.

Les annonces faites sont-elles satisfaisantes ?

Le président de la République s'est exprimé pour redire ce qui était indispensable à notre survie, à savoir la sauvegarde du régime de l'intermittence et le fait de décaler d’un an leurs droits. C’est un point crucial. C'est le préalable à toute autre décision. On se réjouit de cette décision.

Sur le déblocage d’un budget supplémentaire pour le Centre National de la Musique, c'est aussi quelque chose qui est positif. Il a besoin de moyens pour fonctionner et soutenir notre secteur. Sans cela, le CNM était mort-né.

Enfin autre mesure qui nous satisfait, c'est l'annonce de ce fonds de soutien au festival.

Qu’est-ce qu’il manque à ces annonces ?

Emmanuel Macron avait annoncé le 13 avril qu'il n'y aurait pas de grand bal au moins jusqu'à mi-juillet puis qu'il n'y aurait pas d'événement jusqu'à fin août. A ce jour il n’y a toujours aucun texte qui soit venu conforter ces annonces. Quasiment tous nos festivals ont annoncé leur annulation, sauf que concrètement ils ne peuvent pas annuler réellement avec leur assurance, avec leurs contractants, parce qu'ils n'ont pas de décret.

On va dire qu’on est plutôt satisfait des annonces, mais on va être très, très vigilant à ce qu'elles soient effectivement mises en place au niveau réglementaire. On va regarder aussi comment va se mettre en œuvre les dispositions pour les intermittents au niveau de l'Unédic. On doit veiller à ce que personne ne soit laissé sur le bord de la route.

Dans votre écueil Pour une nouvelle donne en faveur des musiques actuelles vous avez d’autres propositions…

Il y a des sujets, peut-être de moindre envergure. Mais on attend par exemple en ce qui concerne les festivals que les dons des mécènes puissent être défiscalisés à 100%. Ce sont pour la plupart des PME et TPE qui sont aussi touchées par la crise et accompagner les festivals ne sera peut-être plus leur priorité. On a des propositions sur les crédits d'impôt… On doit travailler ça avec les différents ministères dans les semaines qui viennent.

Vous pointez aussi les risques de concentration.

On pointe en effet certains risques avec cette crise, dont des possibles rachats accrus à cause de la faiblesse du contexte économique et une concentration encore plus forte. Ce qui nous intéresse aussi dans les propos du président de la République, c'était qu'il a bien souligné l'impératif de préserver la diversité du tissu associatif et culturel. Il semble avoir en tête que des entreprises indépendantes sont celles qui sont les plus en difficulté. Et cela à l’échelle nationale, comme internationale. D'ailleurs, nos craintes ne se démontent hélas pas, on a vu Live Nation être recapitalisé par un fonds d'Arabie-Saoudite il y a quelques jours.

Entre les lettres ouvertes, les appels de toutes part, les communiqués… On a vraiment la sensation que le secteur est dispersé, que les structures subventionnées sont souvent mises en opposition aux autres…

Je trouve que c'est toujours assez caricatural et manichéen de dire qu'en gros il y a le noir et le blanc. Je pense qu'il faut arrêter de mettre les structures dans des cases entre ceux qui sont subventionnés, ceux qui ne le sont pas… On est dans une économie systémique, on ne peut pas dire qu’il n’y a que le privé qui ne touche pas de subventions. C'est faux. Il y a beaucoup d'entrepreneurs de spectacle qui bénéficient d'avantages fiscaux, par exemple liés au mécénat ou au crédit d'impôt. Je suis désolée, mais c'est de l'argent public ! Aujourd'hui beaucoup de structures bénéficient de l’activité partielle. C'est de l'argent public. Bruno Le Maire nous a dit que le secteur de la culture va pouvoir bénéficier d'exonérations de cotisations patronales pendant une certaine durée. C'est aussi de l'argent public.

Si je caricature, prenons un groupe qui va faire un long travail d'accompagnement, de création dans une SMAC, une structure qui est subventionnée donc, qui va lui permettre de peaufiner son travail à travers une résidence. Ce groupe va ensuite être signé par un producteur de spectacles et faire une tournée. Tout ce travail de maturation artistique est en partie financé par l'argent public. L'économie du secteur de la musique, c'est quelque chose de systémique. L'objectif, c'est qu'il puisse déclencher un effet de levier et que quand l'Etat ou les collectivités mettent un euro dans la filière derrière, ça a des répercussions pour dégager toute une économie qui va être vertueuse pour l'ensemble des acteurs économiques du secteur.

Comment se portent les festivals adhérents ?

On va s'en sortir. On va essayer de conserver un maximum de ressources entre les subventions des collectivités qu'on espère pouvoir garder pour acquises. On espère aussi que des gens accepteront de ne pas se faire rembourser pour pouvoir aider la structure. Il y aura peut-être des aides exceptionnelles de certaines collectivités. Certains mécènes acceptent de laisser leurs dons. Il y aura ce fameux fonds pour les festivals qui va se mettre en œuvre. Il y a CNM, qui repart avec 50 millions, qui va forcément aider, entre autres, les festivals. Et puis il y a les prêts garantis par l’Etat.

La grande interrogation n’est-elle pas l’année 2021 ?

En effet. Est-ce qu’il y aura un vaccin ? Est-ce qe l’on pourra encore faire des rassemblements ? Les collectivités qui vont clairement en prendre un coup vont forcément diminuer leurs aides au secteur culturel. Les mécènes ? Si rien n'est fait dans leur direction, ils auront certainement d'autres priorités. La plupart des festivals pensent qu’ils passeront cette crise malgré tout et qu’ils seront là l'an prochain.

Il y a des événements qui risquent de ne pas survivre ?

C'est ceux qui ont un impact fort sur le territoire qui devraient plus facilement s’en sortir. Quoi qu'il en coûte, les collectivités ne les abandonneront pas, ils sont trop importants au niveau territorial. Ceux qui sont, à mon avis les plus en difficulté, c'est des projets qui se trouvent sur un territoire où il y a pas mal d'autres festivals et qui ont des retombées économiques moindres. Pour l'instant, je n'ai pas encore eu d'adhérent qui a tiré la sonnette d'alarme en me disant "là, c'est cata, on est sur le point de déposer le bilan".

Concernant les rapports avec les artistes, les tourneurs… Comment cela se passe t-il ?

Le SMA représente aussi les producteurs de spectacle. Nous travaillons en bonne intelligence parce qu'on a tous besoin les uns des autres. On a appelé à une solidarité et une vraie transparence entre les acteurs. Les producteurs qui ont les reins suffisamment solides remboursent les acomptes. Et je sais que les festivals sont assez attentifs aux petits producteurs qui sont plutôt sur un échelon local ou régional. Certains festivals laissent les acomptes, on considère plutôt que c'est une espèce d'avance pour l'année prochaine. Jusqu’à maintenant on n'a eu aucune remontée de festivals ou de de producteur avec qui cela se serait mal passé.

Les cachets des artistes reviennent souvent. Cette crise va changer quelque chose ?

Il y a une bulle spéculative au niveau des prix, des contrats cession qui sont absolument délirants et de plus en plus délirants. Il va falloir revenir à des choses un petit peu plus raisonnables à partir de l'année prochaine. Tout le monde va devoir jouer le jeu. On est en train de tuer tous les acheteurs que sont les festivals. Mais si plus personne ne peut acheter les artistes, il n’y a plus de système.