On était à
Vague de Jazz, le trésor caché des Sables

Des Sables d’Olonne, on connaît tous le Vendée Globe. Son festival de musique estival et gratuit reste lui confidentiel. Porté par un passionné, il met à la portée de tous les vacanciers quelques pépites du jazz français actuel, celui qui avance, qui stimule et enthousiasme. On vous raconte notre 15ème édition de Vague de Jazz.

Jour 1. Mercredi 26 juillet. 18h15, un trésor si on est un peu curieux

A peine le temps de déposer sa valise en sortant du TGV que le concert inaugural à 18h dans le musée de l’abbaye Sainte-Croix doit commencer. On découvrira la station balnéaire vendéenne plus tard. Un public familial accueilli par un jus d’orange s’assied par terre au milieu des sculptures en polypropylène coloré d’Anita Molinero (photo). Presque 300 personnes tout de même souligne Jacques-Henri Béchieau, le fondateur et programmateur du festival qui atteint sa 15ème année. 300 curieux car il en faut de la curiosité pour venir à la rencontre des quatre saxophonistes qui s’avancent des quatre coins du carré formé par les arcades du cloître.

19h00, un trésor qui ne se donne pas facilement

On est loin de la facilité avec ce premier concert. Le Quatuor Machaut (photo) porté par Quentin Biardeau recompose une messe baroque écrite à l’origine pour quatre voix d’hommes. De la musique exigeante qui laisse libre cours aussi à l’interprétation. Le lieu résonnant, l’acoustique, la réverbération deviennent le cinquième élément : les quatre musiciens se dispersent dans quatre axes laissant le charme - oups, la voûte - agir, puis s’assemblent en corolle au centre. Ancien et contemporain s’entremêlent : les saxophones, instruments de la modernité en jazz, jouent ici une pièce baroque, dans un site datant lui-même du 17ème siècle mais recouvert d’une voûte de fabrication contemporaine. Envoûtant.

21h30, un trésor qu’il faut savoir chercher

Impatients de saluer l’Océan Atlantique, on part pique-niquer face à lui. Le bord de mer est habillé de mâts décorés de grandes bannières au logo du festival (photo de couverture). La municipalité a tout misé sur ces drapeaux; en revanche pour savoir que le concert du soir en plein air serait délocalisé dans un auditorium excentré en raison de la pluie annoncée, mieux valait être un habitué ou être connecté aux annonces Facebook du fondateur. Pas d’annonce sur le site internet de la Mairie, pas de programme distribué… mais 250 personnes, récompensées par 1h30 de concert : le Synaesthetic Trip (photo) mené par le batteur extrêmement expressif Edward Perraud nous emporte avec ses compositions variées, d’une réinterprétation de JS Bach à un Captain Universe avec effets cosmiques électro. Bart Maris à la trompette et Daniel Erdmann au saxophone sont d’une classe folle. La pluie qui cingle le visage pendant le chemin du retour n’est finalement là que pour nous avoir fait profiter de l’acoustique de la salle.

Jour 2. Jeudi 27 juillet. 16h30, pas de grain de sable dans l’engrenage

Ravitaillement, pique-nique face à l’océan (photo), concert de mouettes, repeat. La municipalité des Sables, qui décide au jour le jour selon la météo, maintient le concert du soir en plein air, au Jardin du Tribunal à une des extrémités du remblai. On manque d’activités annexes dans la journée, on aurait aimé un festival à temps plein. A défaut on assiste aux balances en accès libre entrecoupées d’éclats de rire. On ne peut que tomber amoureux(se) de ce Tricollectif, une bande de jeunes musiciens épatants qui font leurs réglages un par un : Théo Ceccaldi au violon, Roberto Negro au piano, Quentin Biardeau au saxophone, Florian Satche à la batterie, Fidel Fourneyron au trombone et Valentin Ceccaldi au violoncelle que l'on avait vu en juillet Jazz à Vienne.

21H15, un trésor pêché dans des filets Tricotés avec amour

Dans l’enceinte du Jardin, on fait dos à l’Océan mais le vent souffle froid. Les musiciens sont en quête de pinces à linge pour maintenir leurs partitions tandis que les habitués superposent pull et doudoune. Pas de restauration mais des tarifs associatifs à la buvette (2 euros le vin) pour se réchauffer. D’amour il est question avec le Tribute to Lucienne Boyer porté par la chanteuse Angela Flahault en robe de mariée qui s’amuse des 10 musiciens du Tricollectif: “Je les essaie un par un”. De la chanson populaire qui vire au free jazz énervé, du bal rétro qui se fait rock avec pour fil directeur tricoté à 11 mains, l’amour. Des premiers émois aux désillusions avec Théo qui, touché par la balle de revolver d’un jaloux, écrase un stick de ketchup sur sa chemise. D’une parade avec le bel italien Roberto à qui Angela demande de lui jouer un air moito, liquido, humido…jusqu’à l’explosion de papillotes remplies de coeurs (photo). Un spectacle qui conquiert le public et captive les enfants assis par terre.

Jour 3. Vendredi 28 juillet. 14h00, laisse couler le Sablier

Le temps s’écoule aussi lentement que dans un sablier. Une partie des fidèles du festival n’arrive qu’en soirée de Longeville-sur-Mer, fief de l’association qui organisait le festival depuis 14 ans, avant son transfert cette année aux Sables d'Olonne. De notre côté c’est pique-nique face à la rumeur des vagues, coup d’oeil aux marché des halles à l’architecture façon pavillon Baltard, café dans les ruelles commerçantes, jusqu’à ce que l’on tombe sur une brocante (photo) où l’on chine plein de romans pour pas grand chose.

21h20, un trésor comme un fruit furieusement défendu

C’est notre voisine ce soir qui le dit, une résidente des Sables qui a purement et simplement découvert le jazz depuis 15 ans grâce au festival : “quand on suit Vague de Jazz on comprend qu’il s’agit d’un jazz qui cherche; je suis admirative de cette jeunesse inventive”. Pas mieux pour qualifier le trio In Love With (photo). Sylvain Darrifourcq à la batterie, Théo Ceccaldi au violon et Valentin Ceccaldi au violoncelle nous emportent dans un continuum furieux, création dont nous avons l’exclusivité ce soir. C’est haletant, plein de ruptures de rythmes. Des ralentis auxquels succèdent des accélérations encore plus furieuses d’où peut-être l’intitulé de leur album Coitus Interruptus (rires du public). Une véritable performance.

22H35, une rose des Sables

Changement total d’ambiance, on entre ensuite avec Elise Caron (photo) dans un univers de chansons en français tristes et lucides mais allégées par les transitions humoristiques de la chanteuse le temps que Las Malenas, son ensemble féminin, raccroche les pinces à linge sur les partitions. Elise, une rose noire dont les textes mélancoliques parlent d’amour après l’orage “recueillir la fleur de ton coeur parmi les épines du chagrin de tes peurs”, de désillusion “mon enfant mon bébé ne te berce pas d’illusions, tu sauras qu’il n’y a de révolution qu’autour du soleil” et du temps qui passe.

Jour 4. Samedi 29 juillet. 14h00, mouettes et coquillages

Temps pluvieux tôt le matin, ciel couvert, mais les mouettes font tout autant les malines. Frissonnant à la vue des baigneurs pendant notre désormais rituel pique-nique sur le remblai, on marche jusqu’au port de pêche puis dans les ruelles typiques dites de l’Ile Penotte, aux façades recouvertes de mosaïques naïves de coquillages (photo) dont la bouche en forme de poisson dans laquelle on peut glisser une pièce. La page Facebook de Vague de Jazz assure toutefois que le concert du soir sera maintenu en plein air...

21h15, un précipité de jazz sous les précipitations

… mais c’est sous les bourrasques de pluie que jouent les quatre garçons de Post K tandis que les techniciens ajoutent un puis deux chapiteaux de fortune sur la scène pour tenter de les protéger (photo). L’effet comique est irrésistible : c’est comme s’ils couraient pour distancer la pluie en jouant des ragtime ultra rapides des années 1930. Matthieu Naulleau essuyant son piano avec une serviette éponge explique que Post K signifie Post Katrina c’est-à-dire de la musique de la Nouvelle-Orléans sur laquelle serait passé un ouragan. Question météo on est servis mais l’ouragan se trouve surtout dans le free jazz insufflé pour destructurer le jazz des années 1930.

22H45, la pluie n’est pas une fable d’Olonne

La pluie ne connaît pas de répit, les techniciens s’affairent pour scotcher un troisième chapiteau sur scène avant le final, Omar Sosa Quarteto AfroCubano (photo), et maintenir à quatre mains une bâche au-dessus de la régie. Le pianiste cubain tout de blanc vêtu introduit le concert par des nappes planantes avant que son saxophoniste, son bassiste et son batteur n’envoient le gros son. Puissance sonore contre tonnerre d’applaudissements. On vogue dans le jazz-rock avec une ligne de basse ultra dominante puis on nous ramène à bon port, celui des rythmes afro cubains qui font chalouper au milieu du public une danseuse cubaine certainement liée au groupe, tête nue et vêtue d’une simple robe, faisant fi des éléments.

Le bilan

Côté concerts

Le souffle baroque
Quatuor Machaut, les quatre saxophonistes qui font de la résonance un cinquième musicien.

La vague d’amour
Tribute to Lucienne Boyer, le spectacle de l’orchestre du Tricollectif porté par Florian Satche à la batterie et la piquante Angela Flahault au chant.

La déferlante qui prend par surprise
In Love With, le trio furieux de Sylvain Darrifourcq à la batterie, Théo Ceccaldi au violon et Valentin Ceccaldi au violoncelle.

Côté festival

On a aimé :
- la qualité et les exclusivités de la programmation reposant sur une sélection réalisée avec passion par le fondateur du festival.
- la solution de repli dans une salle en cas d’intempérie...quand elle est anticipée.
- le tarif associatif des verres à la buvette.

On a moins aimé :
- L’absence d’activités connexes en journée : pourquoi pas programmer des balades, expos, cinés, conférences … en rapport avec le thème.
- Pas assez de décoration dans la ville : le festival pourrait marquer son identité à d'autres endroits (améliorer les lumières, la scénographie, le confort, proposer une offre de restauration ...)
- l’insuffisance de la communication : programmes dédiés au festival et flyers seraient appréciés en plus des bannières bordant le remblai.

Conclusion

Festival ou pas, la station balnéaire des Sables d’Olonne fait de toute façon le plein chaque été et Vague de Jazz semble traitée comme une animation estivale parmi d’autres. Pourtant, parce qu’elle amène un public à devenir connaisseur d’une musique de création, elle mériterait une mise en valeur plus importante en termes de scénographie et d’activités afin de faire de cette pépite brute de programmation musicale une véritable expérience festivalière.

Récit et photos d'Alice Leclercq