On était à
AfroPunk Paris, le rendez-vous branché de la culture afro

Deux éditions dans un Trianon complet auront suffi pour que la version parisienne du festival déménage au Parc de la Villette. Né à Brooklyn, l’événement est dédié à l’autocélébration des artistes, créatifs et activistes afro-descendants. On vous raconte la 3ème édition d’AfroPunk Paris.

Jour 1. Samedi 15 juillet. 15h00, du jus d’hibiscus

C’est avec une jeune Afropéenne d’Amsterdam pour la première fois à Paris qui nous demandait son chemin depuis le métro que l’on arrive sur le site du festival à la Grande Halle de La Villette. En ce début d’après-midi, on compte plus de staff reconnaissable aux tshirts noirs “AfroPunk Army” que de festivaliers. On observe les derniers préparatifs des stands du village du festival en buvant une infusion de fleurs d’hibiscus au sucre de canne à 2,50 euros les 25 cl (photo). La scène musicale se trouve à l’intérieur de la Halle mais pour le running order, absolument rien n’est affiché sur le site ni communiqué sur internet, alors même que le festival s’est allié au géant Live Nation. Il fallait télécharger l’application mobile pour savoir que les concerts s’enchaîneraient de 15h30 à minuit sur deux scènes en alternance avec une programmation diversifiée, “punk” désignant davantage un esprit alternatif qu’un style musical.

16h10, quand le son de Kinshasa rencontre l’electro

En lieu et place de deux scènes, l’unique scène est compartimentée en deux moitiés. Pendant qu’un set se tient sur une moitié de scène, l’autre est mise en place pour le set suivant. Très bonne surprise, Sandra Nkaké et Aline Afanoukoé s’occuperont de nous pendant le festival : l’énergie de ces deux superbes maîtresses de cérémonie lookées s’avère indispensable pour motiver le public. La scénographie tient dans les messages de tolérance, contre toute forme de haine, affichés de part et d’autre de la scène. Vite, une bouteille d’eau (2 euros les 50cl), l’occasion de constater que la bière - logique - est une Brooklyn Lager à 8 euros la pinte en gobelet consigné. Après le Rn’B de EME, Belge originaire du Congo venue de Louvain avec ses supporters, place à Tshegue et sa chanteuse originaire de Kinshasa (photo) mêlant rock, electro et percus africaines. Son titre Muanapoto afro-electro est bien à notre goût, on valide.

16h40, un public majoritairement féminin

Le spectacle se joue plus dans le public, très majoritairement féminin et afro-descendant, que sur scène. A l’extérieur les filles prennent la pose, façon fashion week urbaine (photo). Les looks sont pointus et hyper travaillés, les coiffures toutes originales, les septum (piercing sur la cloison nasale) portés en parure, les visages ornés de paillettes. Au milieu des stands de stylistes et accessoiristes afro, le corner du sponsor Dr Martens propose du nail art gratuit. Les looks sont relayés sur les réseaux sociaux à coups de hashtag.

17h30, des festivalières venues d’Europe et des Etats-Unis

Sur un site finalement assez réduit, le marché est l’occasion de rencontres entre créatifs afro-descendants (photo) mais il est également envahi d’interviews-télé réalisées par des média internationaux. Le mouvement AfroPunk a pris de l’ampleur par la puissance des réseaux sociaux et on ressent clairement qu’une communauté s’est fédérée juste en interrogeant quelques festivalières sur leurs origines : Belgique, Pays-Bas, Londres, Los Angeles : “first time in Paris, we bought our tickets in April”, de Washington D.C… On entend clairement parler plus l’américain que le français.

18h50, un militantisme affiché sur la question du genre

Pendant ce temps à l’intérieur de la Halle s’enchaînent le rappeur Baloji qui ne retient pas notre attention, le groupe malien Songhoy Blues dont l’énergie scénique et les riffs de guitare électrique nous ramènent à l’écoute, puis le rap décousu de Sir The Baptist à la limite du supportable. Elle est où, “la programmation bien plus fat que l’année dernière” vantée par nos deux MC ? Au sous-sol de la Grande Halle tout le monde bloque, non pour aller aux WC mais devant une affiche tellement rare, véritable manifeste pour le respect de toutes les formes de différences (photo).

20h00, du fooding afro

Une file d’attente rédhibitoire patiente pour du poulet “afro-disiaque” devant le food truck SoulFood qui dégage des fumées de charbon de bois appétissantes. On se rabat sur un autre pour un tiep au poulet à 10 euros. Mauvais choix, il n’y a quasiment pas de poulet, on aurait mieux fait de patienter sur le premier, en tout cas l’énorme bol de riz rouge nous colmatera pour la nuit. Le village grouille lui des brouhahas des conversations (photo). On trouve un coin de banc pour manger près de trois jeunes filles black de 19 ans au tshirt “AfroPunk Army”. Bénévoles ? Non, en contrat après une annonce passée sur Facebook par l’organisation, les 20 premières ayant été sélectionnées. Hyper connectées, les festivalières comme le staff.

20h30, une fusion afrobeat new wave

Sur scène Petite Noir (photo) nous surprend par sa fusion afrobeat - new wave, mélange sombre et planant autant que rythmé, comme sa réinterprétation de You’re the one that I want du film Grease. On cherche un coin pour reposer nos pieds pendant que Fantastic Negrito joue du rock’n’roll sixties et c’est alors qu’une Afro-américaine originaire de New-York mais installée aux Pays-Bas entame la discussion. Incroyable ! Passionnées de festivals de jazz & soul, on tombe d’accord sur la médiocrité musicale de la programmation de ce samedi : "it’s always the same bullshit". Elle nous explique la différence de dimension par rapport à l’édition du festival à Brooklyn en regrettant que la scène ne se soit pas dressée en plein air dans le Parc de la Villette, mais en saluant le fait qu’on ne soit pas dans la revendication politique de type Black Lives Matter. On reste encore pour le fameux Barbès de FFF mais ce qui nous monte à la tête, ce n’est pas Barbès mais la violence du son.

01h00, une after réconfortante

On quitte l’enceinte du festival en restant à La Villette pour l’after en accès libre organisé par un label de jazz anglais à la Petite Halle. Besoin de nous réparer les tympans avec de la musique enfin chargée d’âme avant de rentrer. Kokoroko premier des groupes londoniens programmés, nous colle le premier vrai sourire musical et les premiers pas de danse avec son pur afrobeat porté par une section de cuivres féminine (photo). Un DJ set de qualité plus tard avec ô joie du Jordan Rakei joué dedans, on termine la soirée avec la nu soul / électro jazz de Native Dancer.

Jour 2. Dimanche 16 juillet. 19h10, le succès du merchandising

Le lendemain on se dispense du dispensable, c’est-à-dire qu’on arrive directement pour les artistes qui rendent la programmation plus enthousiasmante. Beaucoup plus de monde que la veille, avec beaucoup plus d’hommes qui affichent eux aussi leur singularité vestimentaire, des capes rouges, des combinaisons lamées, des looks “extravertis” (photo). Le merchandising de la marque AfroPunk fonctionne à plein, le tote-bag vendu 10 euros et le tshirt à 20 euros pullulent parmi les festivaliers.

20h20, enfin un coup de coeur Soul

Lookée aussi, la chanteuse britannique Laura Mvula (photo) est perchée sur des escarpins compensés de 15 cm de talon de couleur verte comme son crâne rasé. Son violoncelliste à l’instrument électrique stylisé instaure une atmosphère éthérée, recueillie, sur Sing it to the moon and the stars will shine. On sent Laura sincèrement dans le don au public, ses yeux brillent d’émotion sur Kiss my feet “I”ve been praying for someone like you”. Son calme, sa sobriété entre les morceaux maintiennent une atmosphère de paix. Ses textes nous touchent. On est conquis. Le set bien trop court du coup se finit sur le rythmé Greengarden.

21h10, strike a pose, vogue

On prend l’air quelques minutes en observant les filles prenant la pose pour photographes et bloggeurs à l’entrée du site entre deux affiches AfroPunk (photo). A l’entrée de la salle surchauffée un cercle se forme autour du voguing de danseurs américains torse nu. On reste en admiration devant la fluidité de leurs arabesques, tandis que Faada Freddy fait …du Faada Freddy : il fait jumper la salle avec sa version percussions humaines de l’irrésistible Pump it des Black Eyed Peas puis s’égare dans une espèce de dance.

23h10, le beau final hip-hop jazz

Le final attendu par la foule ce soir repose sur la formation Robert Glasper Experiment, un mélange de jazz, de hip-hop et de sonorités électriques porté par le pianiste texan (sur la gauche de la photo) et son saxophoniste dont les sonorités se parent d’effets métalliques par le truchement d’un vocodeur : la fusion ainsi créée est saisissante. Les ambiances planantes s’étirent sur les titres Cherish The Day puis No One Like You. Find you ramène un son très électrique. Un véritable public de fans est venu et on ne peut s’empêcher de penser au déséquilibre dans la qualité de la programmation musicale entre les deux jours. Très applaudi, Yasiin Bey (Mos Def) se joint au groupe et fait scander A Love Supreme à la salle. Surprise, De La Soul apparaît sur scène. Et c’est ainsi que se conclut la 3ème édition parisienne du festival.

Le bilan

Côté concerts

Coup de coeur soul
L'aura et la soul réellement habitée de la chanteuse britannique Laura Mvula

Coup de coeur Afro-electro
La chanteuse de Kinshasa et ses percussionnistes du groupe Tshegue

Coup de coeur Afrobeat
La section de cuivres féminine du groupe londonien Kokoroko, programmé à l’after pas sur la scène du festival

Côté festival

On a aimé :
- les deux maîtresses de cérémonie Sandra Nkaké et Aline Afanoukoé indispensables pour entretenir la motivation du public
- la surreprésentation féminine
- les idéaux de tolérance affichés
- les mises en lumières de la scène

On a moins aimé :
- la communication insuffisante : pas de programme distribué, des changements de line-up non communiqués (pas de Tyler the Creator ni de Big Freedia), pas de timetable disponible sur place
- le son difficilement supportable et mal réparti du fait de la scission de la scène en deux
- l’absence de prévention auditive, est-ce sérieux pour un festival ?
- la taille finalement assez réduite du village

Conclusion

Le mouvement AfroPunk développe son influence - et sa marque ? - à Paris en s’étendant sur un site plus vaste mais pas encore suffisamment dimensionné au regard des attentes des festivalières américaines présentes en force. Le festival porteur de messages de tolérance, vraie célébration et non pas revendication, a des marges de progrès pour mettre l’expérience musicale pleinement en qualité. Son expansion dans les prochaines éditions parisiennes sera sans nul doute passionnante à observer.

Récit et photos d'Alice Leclercq