On était à
Trois jours à la mode Art Rock

Comme tout organisme vivant voué à durer, le trentenaire Art Rock a dû muer. Que reste-t-il de son ADN d’origine, à la croisée des arts tous azimuts, entre arts de rue, musique, arts visuels et virtuels, théâtre, danse? Placée sous le signe de la mode, cette 32e édition a, en tout cas, confirmé la vitalité et la cohérence d’un festival bien dans sa ville, populaire et exigent.

Jour 1. 19h57, début de soirée avec Izia

Rien de tel que la perspective d’un début de festival en guise d’au revoir à sa semaine de boulot pour filer la frite un vendredi après-midi. Sitôt la journée bouclée, direction la mer ou juste à côté, et peu importe l’interminable queue qui serpente dans les rues de Saint-Brieuc jusqu’à l’entrée de l’espace Grande Scène, ça bouillonne déjà autour et les gens sont électriques. Il y a du gros son dans les rues, ça a manifestement déjà commencé ! En l’occurrence, VKNG sont déjà partis et on s’immerge dans la joyeuse foule agglutinée devant le show d’Izia (Photo). Plein d’énergie, porté par une voix et un tempérament, un peu lisse et consensuel mais généreux et quand même bien rock, le spectacle offert par la demoiselle constitue une entrée en matière bien venue. Première bière, premières discussions avec des inconnus souriants, on est bien.

21h22, The Dø au talent

La confiserie électrisante de la soirée sera la belle performance de The Dø (photo), impeccable et pleine de charme. Mélange improbable de candeur et d’obscurité, de froideur et de légèreté, d’énergie et d’élégance, la musique trouve dans le cadre XXL de la grande scène un espace étonnamment adapté, tant le groupe est sereinement porté par l’impressionnante présence de la chanteuse. Un répertoire à la fois intimiste et dansant, une grosse envie de partage, tout fonctionne. C’est beau, juste et surtout ça n’en fait pas trop. Ce qui, sur l’ensemble du week-end et particulièrement sur cette scène vouée au mainstream, s’avèrera assez rare. La classe.

22h50, Placebo massif

Bien entendu, la venue dans la cité briochine du groupe de Brian Molko était un des moments attendus du festival et, a fortiori, de la soirée. Grosse impression dès le début, gros son, show très maîtrisé dans les lumières comme les ambiances sonores. Et pourtant en dépit du plaisir à retrouver et entendre les titres du groupe, s’installe progressivement une lassitude légère mais tenace. Placebo (photo) a toujours fait du Placebo, la formule ne change pas. La voix de ce si singulier M. Molko, elle aussi, reste la même. Il restera de ce passage d’une heure et demi l’empreinte massive et bien reconnaissable d’un groupe important. Et sans doute ne devait on pas attendre plus encore.

00h25, galeries d’art sonique

Délaissant la grande scène pour le cadre plus chaleureux de La Passerelle, lieu emblématique de la culture à Saint-Brieuc, nous profitons d’une pause sonore pour découvrir dans la galerie (photo) deux propositions artistiques connectées à la thématique de la mode. Installation vidéo Paper Dolls par le collectif rennais l’Atranquille d’une part, et sélection soignée de pochettes de vinyls emblématiques et représentatives du rapport entre musique et accoutrement (pour certaines pochettes, on ne peut pas vraiment parler de vêtement…). Ludique, légère, madeleinedeproustienne, cette déambulation se révèle récréative avant d’en remettre un coup sur la scène du forum.

01h02, impromptu sauvage avec les Madcaps

Invités de dernière minute en remplacement surprise de Coely, forfait pour le match, les Bretons de Madcaps (photo) déboulent avec naturel et une belle énergie garage, bien en forme et contents d’être là. Dans ce cadre nettement plus chaleureux que les grandes scènes extérieures, on termine la soirée dans les rythmes rentre dedans et les mélodies accrocheuses d’un groupe bien rôdé et efficace. Nous serions bien restés continuer dans la foulée avec les américains de Wand, mais l’appel de la route à s’enquiller a eu le dernier mot.

Jour 2. 20h32, Lilly Wood sans fièvre excessive

De retour dans les rues de Saint-Brieuc ce samedi, nous filons un peu vite vers la grande scène, le temps de goûter les anglais de Citizens puis le folk frenchy de Lilly Wood and The Prick (photo), pour finalement se détacher d’une formule un peu trop convenue, qui en tout cas ne nous emmène pas. Contexte trop grand pour apprécier la musique du groupe, qui sait.

21h40, Rock’n’Toques, dégustation au village

Du coup, nous prenons le temps de découvrir un peu plus la manière dont le festival s’insère dans la ville. Le “village” installé sur la place qui borde La Passerelle est un point de ralliement qui propose des concerts gratuits dès l’après midi, et sous une vaste tente accueille les tablées affamées d’un public familial. Ici, on peut aussi goûter le dispositif Rock’n’Toques, “la street food revisitée par de grands chefs”, avec plusieurs menus différents chaque jour, inventifs et alléchants, pour des prix sommes toutes raisonnables, y compris pour les boissons. Une des belles initiatives du festival. Dommage qu’il n’y ait pas eu de proposition végétarienne.

21h53, MoJa, un des spots Artbist’rock du samedi

Plus d’une quinzaine de bars accueillent ici pendant trois jours des concerts dans les rues des environs du village. Derrière la Poste, les passants s’agglutinent ainsi devant l’Arbalaise où prend place ce soir un “reggae corner” avec notamment le groupe MoJa (photo), qui balance une musique de bonne facture empreinte de soul et de rythmes jamaïcains dopés en énergies positives. Moment convivial et familial, populaire et festif.

22h06, C.A.R. et la scène B

Dans l’espace payant dévolu à la grande scène, on trouve, en parallèle des gros blockbusters alignés chaque soir, une scène en lisière qui propose une programmation avec de belles découvertes. Comme il est impossible de tout faire, nous en aurons raté la majeure partie, mais le cadre en tout cas est une alternative bienvenue à celui de la grande scène, énorme et massif tant au niveau son qu’en termes de densité de population. La programmation très électro pop trouve ce soir une illustration notamment avec le projet C.A.R. (photo) de l’anglaise Chloé Raunet, aux accents eighties assumés et revisités.

22h33, le sacre de la reine Christine

C'est peu dire que Christine et ses Queens (photo) étaient attendues en ce samedi soir sur la grand place. Le concert, porté par la présence et la personnalité pétillante de mam’Christine, a viré à la célébration collective. Dès lors, la demoiselle a pu déployer son univers et ses envies comme à la maison, très à l’aise et un brin cabotine. Scénographie très maîtrisée, voix et répertoire indéniablement emprunts d’une vraie identité, la sensation de saison a remporté un succès assez joué d’avance mais néanmoins mérité, même si on aurait aimé être davantage bousculé et surpris.

23h55, dans l’arène avec Grand Blanc

Délaissant la perspective de profiter de Yelle et de son épi de maïs géant dans un set qui promettait de tourner au retour festif de la locale de l’étape, nous filons au forum de la Passerelle où a déjà commencé le concert de Grand Blanc  (photo). Le groupe, déjà repéré lors de son passage aux dernières Transmusicales de Rennes et aux Nouvelle(s) Scène(s) à Niort, s’offre ce soir dans un contexte moins grand, au plus près du public, venu en nombre découvrir ce que l’animal a dans le ventre. Et force est de constater que la première impression produite à l’automne se trouve confirmée. Ce groupe promet décidément de faire parler de lui. Fascinant d’équilibre entre ambiances de plomb et invitation à la danse, d’ambiances polaires et de paysages lunaires, Grand Blanc vous met dans sa bulle vibrante, touche et remue, avec un charme flou et une vraie implication.

00h30, fièvre nocturne de ces sauvages de Too Many Zooz

Autre bon souvenir des Trans, les New-Yorkais Too Many Zooz (photo) ont débarqué dans la ville briochine pour y mettre la fièvre tribale et obsédante de leur trio explosif. Après avoir joué à la gare dans l’après-midi, les voila sous la tente du Village pour enflammer une nuit déjà bien commencée. Et ça marche du feu de Dieu. Debout sur les chaises, ou à slammer, c’est un public déchaîné qui s’enthousiasme pour les Zooz. Décidément un claque minimaliste et animale qui fonctionne terriblement bien.

01h20, les fantômes de JCDC

Parrain ou figure tutélaire de la thématique “yeah!!! la mode” de cette édition, JC de Castelbajac a produit, outre l’affiche et les visuels du festival, une collaboration avec le DJ Mr Nô en forme de performance hybride (photo), un spectacle mêlant défilé de mode arty et voyage technoïde. Hypnotique, porteur de tout ce qui a fait l’identité de créateur de JC/DC, “fantômes” s’avère plutôt convaincant, malgré des longueurs et des faiblesses. Nous étions sceptiques avant d’assister à cette création, mais l’ensemble a de beaux moments et termine cette soirée sur une approche esthétique ambitieuse et originale.

Jour 3. 14h40, après-midi bien rempli

L’invitation dominicale était particulièrement dense et intense, donc difficile à résumer. Commencée dès 15h dans le cadre humain et proche du théâtre de la Passerelle, elle a offert successivement les belles voix et percussions des jeunes soeurs d’Ibeyi, la beauté sereine, rèche et rock d’un Dominique A plus maître de son art que jamais, avant de s’enflammer dehors sur la grande scène avec les passages de Vaudou Game et de Ky Mani Marley. En attendant Selah Sue, nous avons baguenaudé à la recherche de nourriture dans l’espace entre grande scène et scène B (photo), découvrant une offre de restauration à la fois diverse et à un peu tous les prix. Le tout dans un cadre calme et convivial, régulièrement nettoyé par des bénévoles discrets.

23h35, la furie Shaka Ponk bouscule tout

En termes de grosse machinerie, Shaka Ponk (photo) ne lésine sur rien. Et on est bien obligé de prendre acte de l’efficacité terrible du groupe. Déboulant comme un typhon sur la grande scène face à une foule hystérique, ils explosent de partout, avec une énergie et une maîtrise assez sidérantes. Si l’environnement multimédia à outrance, le côté tout à fond tout le temps et la machine bien rôdée et limite trop profesionnelle sourdent parfois pour en faire presque trop, restent une incroyable implication physique et une redoutable efficacité scénique.

00h45, le retour de l’ange Shamir

Troisièmes retrouvailles des révélations des Transmusicales, où décidément les programmateurs viennent faire leur marché, la présence du jeune américain Shamir (photo) à Saint-Brieuc avait de quoi exciter. Une foule particulièrement dense vient écouter et danser sur la musique débridée du jeune homme, au point qu’on refoule des gens à l’entrée. Et cette attente n’est pas déçue, tant le set est enthousiasmant, mutant, avec cette voix incomparable et cette belle présence qu’on sera ravi de retrouver dans une semaine aux 3 Eléphants.

02h11, les bulles psychédéliques de Moodoïd

Quel meilleur clap de fin que l’univers psychédélique et glam des Moodoïd ? Emmenant d’emblée le public dans une bulle sensuelle et épaisse, le groupe fardé et bien barré prend possession des lieux en cette fin de soirée et de festival avec simplicité et confiance, développant des ambiances et des constructions poétiques, oniriques, en grand format. Avec une élégance et une nonchalance qui terminent idéalement cette édition très mode du festival briochin.

Côté concert

La découverte
Ibeyi, fraîches, touchantes et justes.

La claque scénique
Shaka Ponk, machine de guerre indubitable.

Nos bonnes retrouvailles des Trans
Grand Blanc et Shamir, à égalité

L'élégance
Dominique A, toujours impérial sur scène.

Côté  festival

Ce qu'on a aimé

- l'organisation parfaitement rôdée, l’efficacité des bénévoles
- la qualité et la diversité de la programmation, même si ça impliquait de ne pas tout voir
- le caractère populaire du festival, bien inscrit dans la ville 
- l’offre diversifiée, de qualité et abordable pour tout ce qui est restauration;
- la disposition des lieux et la palette d’espaces qui accueillent les différents artistes

Ce qu'on a moins aimé :

- l’engorgement à l’entrée en une interminable file d’attente, tous les soirs;
la frustration de ne pas tout voir

Conclusion

D’un festival marqué par ses années “arts de rue” avec des compagnies comme Royal de Luxe ou la Fura del Baus à un événement resserré autour de la musique mais toujours aussi pétri des autres formes d’arts, Art Rock continue son chemin en gardant un ancrage très fort dans la ville, propose des expériences et des rencontres qu’on ne voit qu’ici, et en cela garde la patte d’un événement avec une forte identité, et dont les choix paient. Cette année encore 75000 festivaliers sont venus plébisciter une formule équilibrée et ambitieuse à la fois. L’année prochaine, la mode laissera la place à la peinture comme fil rouge, et on s’enthousiasme déjà sur les formes originales que pourra prendre la programmation.