On était à
Scopitone : Shine a night

Dans la grande constellation des festivals lévite un ovni. Voyage spatio-sensoriel au cœur des cultures électroniques et de l’art numérique, Scopitone s’impose depuis 14 ans comme une expérience unique pour les yeux et les oreilles.  À l’affiche 2015, son nom de vieux jukebox et un look à mi-chemin entre art nouveau et SF laissaient présager une édition curieuse et magique. Pas manqué, cette année le festival avait choisi de revêtir Nantes de ses habits de lumière.

Vendredi, 14h : On a vu de la lumière, alors on est entré

Assis confortablement dans une navette qui file en direction de Nantes sous une pluie diluvienne, on sent poindre l’ironie du sort : pour une édition dédiée au thème de la lumière, le voyage commence mal. Mais la première prouesse technique du festival à laquelle nous assistons est l’installation d’un micro-climat sur la ville et c’est un soleil radieux qui nous accueille.  
Qu’à cela ne tienne, on profite de l’été indien inespéré dans lequel la ville semble encore plongée : une poignée de minutes plus tard et nous voilà installés dans Stereolux, QG du festival. Un écocup à la main (5,90€ la pinte en journée), nous feuilletons le programme, l’occasion de remarquer l’identité visuelle particulièrement soignée et riche de l’événement qui évoque tour à tour les photons de la lumière rentrant dans l’oeil, les univers de science-fiction à la Prometheus, un ensemble disco-magico-festif, la profondeur de l’univers… 

16h : Virée kaléido-scopitonesque 

Nos montres nous sortent de notre rêverie : avec plus de 15 installations d’art numérique en accès libre à découvrir dans la programmation “jour” du festival, le timing s’annonce serré. Direction les salles du Château des Ducs de Bretagne où trois dispositifs nous attendent. 
Grimpés en haut de l’une des tours, nous découvrons Wave Interference (photo) du canadien Robyn Moody qui fait dialoguer une sculpture ondulatoire de 88 néons et un orgue à la partition sonore infinie. Les idées fusent dans nos têtes : les ondes dans lesquelles nous baignons en permanence, l’opposition analogique/numérique, le débat ancien/contemporain...
À peine le temps de nous remettre de cette forte impression que les escaliers nous emmènent quelques étages plus bas à la découverte du travail du studio franco-japonais Nonotak (Noémi Schipfer et Takami Nakamoto) : Horizon et Parallels. Les deux installations sonores et visuelles viennent bouleverser notre perception de l’espace et de la lumière. D’un côté, un ballet lumineux composé de 64 tubes LED, 4 speakers et 64 micros, de l’autre 7 vidéo-projecteurs sculptant un chemin lumineux dans un espace de pénombre et de fumée. Au coeur de ces salles sombres, les yeux du public brillent dans le noir, surpris, attentifs, captivés. 

20h : Le crépuscule des idoles 

Le soleil couché, un morceau avalé et le centre ville traversé, nous rejoignons les Nefs de Stereolux sur l’Île où la programmation Nuit bat son plein : après la franco-mexicaine Andrea Balency, c’est The Shoes (photo) qui secoue les scopitoniens. Pour appuyer les tubes, un florilège de memes, gifs, fenêtres TextEdit et univers MacOS plonge le show dans les méandres des Internets. L’énergie des Rémois est stratosphérique et l’espace des Nefs permet de profiter à 100% du concert : tous les avantages d’une scène ouverte et ceux d’un espace couvert sont réunis. Les équipes techniques ont visiblement dû bénéficier de l’aide de la NASA pour assurer l’excellente acoustique d’un lieu à l’architecture industrielle aussi complexe à sonoriser qu’elle est atypique et majestueuse.

22h : Mapping sur château, le bon créneau

Pas encore doués du don d’ubiquité mais bien décidés à profiter de tout ce que le festival a à nous offrir, nous nous échappons le temps du changement de plateau pour savourer les talents d’Aurélien Lafrgue et 20syl (Hocus Pocus & C2C) (photo) aux manettes d’un mapping king size sur la façade du Château. La performance graphique et sonore tout en finesse emporte la foule présente au rendez-vous. Dans la ville, avec le miroir d’eau à l’arrêt, le tram stoppé dans sa course et l’éclairage public réduit au noir complet, le temps semble suspendu avec un public retenant son souffle. Une quinzaine de minutes plus tard (si court !), chacun reprend sa route des images plein la tête. 
La téléportation n’étant pas prévue avant 2020, nous rejoignons en hoverboard (oh, ça va) Django Django qui fait s’asseoir puis bondir le public jusqu’à Mars. Sous les Nefs, on est bien. 

02h: 2015, l’Odyssée de l’espace

Aux douze coups de minuit, l’heure de la relève a sonné et la soirée continue indoor, entre les murs des salles Maxi et Micro de Stereolux. Après les têtes d’affiches de début de soirée, on avance maintenant en terre moins connue, et pour cause, la majorité des artistes programmés par le festival n’a pas enregistré d’album. Sans attendre et sans attentes, on s’engouffre dans l’antre de la grande salle. 
Devant nous se dresse alors un monolithe blanc, cerclé d’une foule en transe. Vidéo-projection et jeux de lumière y laissent deviner Madben (photo), aux commandes d’un show monumental et kubrickien. Du côté de la salle Micro, c’est au tour de Mugwump de brouiller nos repères en mêlant platines et instruments traditionnels, sonorités électroniques et guitares sombres. Nôze achève le tout en osant un virage maîtrisé entre électro-house aux basses lourdes et reggae-dub chanté. 

03h30: Dans l’espace, tout le monde vous entendra crier

Quelques allers-retours Maxi-Micro plus tard, nous opérons une manoeuvre orbitale qui nous dirige sur les hauteurs du balcon de la grande salle, où des dizaines de festivaliers savourent le concert et les lasers de Boris Brejcha. Un verre échangé avec nos voisins et nous plions bagages. 

4h30 : La lumière au bout du tunnel ?

Quittant au radar la foule fébrile de Stereolux pour rejoindre les bras de Morphée, on est soudain saisi par une lumière inhabituelle. Celle de Raster (photo), création in situ jour/nuit de Guillaume Marmin pour la toute nouvelle Maison Bergeron. L’édifice prend vie sous la lune : une boule de lumière semble vouloir s’échapper à tout prix de cette forteresse semi-opaque. On regagne notre lit, des lumières plein les paupières.

Samedi, 14h : Faire la lumière pour mieux réfléchir 

En ouvrant l’oeil le lendemain, on a hâte de retrouver le côté Jour du festival. Comme attirés par sa gravité, nous retournons au Château pour vérifier que la Force opère toujours du côté des installations découvertes la veille. On y découvre au passage l’oeuvre Archimèdes (photo) de Emmanuel Biard et David Leonar, confondante de simplicité et de mystère : captant l’environnement qui l’entoure, la structure réagit à nos déplacements et chamboule notre perception de l’espace.   
L’exploration de la ville se poursuit dans le Passage Sainte Croix qui abrite Hyperlight du français Thomas Pachoud : une installation de laser art dont le comportement évolue en fonction de la chaleur et des déplacements du public pour figurer les trois états de la matière : liquide, gazeux, solide. Complètement meta. 

16h : Ludique in the sky with diamonds

Grand écart citadin et retour sur l’Île pour explorer les trésors cachés dans la Cale 2 Créateurs. Ici, les illusions d’optique Light Wave de teamVOID, les mandalas Patterns of Harmony de Gaspar Battha et les cubes interactifs d’Augmented Shadow (photo) de Joon Moon nous rappellent qu’en plus d’être magique, le numérique est aussi (ré)créatif. 
Synchronisation des montres, il est l’heure de survoler à nouveau Nantes pour attraper la séance de 19h au Cinématographe. Au programme, un ciné-concert par Gratuit, alias Antoine Bellanger, sur le film Arbres de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil. On s’étonne à première vue de ce nouveau venu dans la programmation, avant de finalement vivre un moment tout à fait déroutant entre musique électronique et organique, appuyé sur un film poétique, léger et lumineux. 

21h30 : Astro-Nefs parés au décollage

Revenus à la vitesse de la lumière pour ne pas manquer le début de William Rezé, alias Thylacine (photo) annoncé à 20h15, c’est seulement à 21h30 que le jeune prodige démarre son live galactique. Visiblement en terrain connu, l’Angevin n’a besoin que de quelques minutes pour chauffer les réacteurs et propulser la foule dans son univers. Le VJing est plus propre que jamais, assuré par Laeticia Bely en régie, et Thylacine prouve à nouveau ses talents de chef d’orchestre en gardant une totale maîtrise de chacune de ses boucles. 

23h : Il y a de la vie sur la planète R.One

C’est ensuite au tour de Rone (photo) de débarquer avec ses créatures miyazakiennes et son univers céleste. Déjà passé sur scène lors de précédentes éditions, il est ici comme chez lui et le fait sentir en emportant le public dans des crescendos crépusculaires. Un rappel explosif sur Ouija vient clôturer sa performance mi-organique mi-électronique et Erwan Castex quitte son cockpit pour aller saluer la foule, humble et heureux. 

00h : Silent party, sortez casqués

Le calme après la tempête. Voilà ce qui attend les Nantais que le passage de minuit aura cloué au lit. Le festival, lui, continue son voyage à travers la galaxie électro-techno. Quelques 5 000 homos scopitonus s’inventent alors cyborgs le temps de la nuit en jouant le jeu d’une silent party à ciel ouvert. C’est Silent Arena qui équipe ce soir, avec des milliers de casques distribués quelques heures plus tôt à l’entrée des Nefs. Pari osé pour organisateurs culottés ? Généreuse idée en tout cas, de vouloir libérer son public pour lui offrir un dancefloor extérieur magistral au coeur de la ville endormie. 

01h : Qui a dit que le son ne se propageait pas dans le vide ?

Les casques en main, on tâtonne, on expérimente, et il faut avouer qu’on n’est pas peu excités par cette nouvelle expérience. Une heure plus tard, le jeu des fréquences est adopté et chacun switche à loisir pour écouter la salle de son choix : Nefs, Maxi ou Micro, aux concerts simultanés. 
Auréolés par leurs casques à la couleur de la salle choisie, les danseurs s’interpellent, se regroupent, se rassemblent et s’observent. Sur la scène des Nefs, Maelström (photo) est précieusement préservé dans une cage en verre insonorisée.
On retrouve quelques dissidents sur le côté des Nefs pour nous brancher avec eux sur la fréquence de la salle Maxi où joue un Chilien déjanté répondant au nom de Matias Aguayo. On vit là notre première expérience de concert décentralisé et on se régale. 

2h : Vaisseau mère saturé et raréfaction de l’oxygène

Alors que Maelström assure une transition en douceur avec Boston Bun, on amorce une entrée dans Stereolux (photo) pour aller mettre une image sur notre son. Entre les murs du bâtiment, la température nous fait rapidement regretter le grand air des Nefs. Le temps d’arriver, le concert est fini, et l’autre salle saturée par le public de Christine. On sort reprendre des forces auprès d’un foodtruck à burgers bienvenu et d’un stand de spécialités égyptiennes et on finit la soirée à la belle étoile dans une expérience sonore à l’aveugle à la fois unique et mémorable. 

Dimanche, 15h : Non mais Halo quoi !

Dernier jour de festival, on passe le Portal du Lieu Unique. Après avoir enquêté du côté de Mind the Map de Time’s Up, narration physique, interactive et d’actualité explorant les phénomènes migratoires, c’est Ultima, le musée pop du jeu vidéo (photo) orchestré par Pierre Giner qui nous tend les bras : un temple dédié à leur histoire, une frise animée, des infographies, mais surtout, de nombreuses banquettes équipées de manettes et d’écrans géants suspendus. Le temps file. On regrette juste un peu de ne pas y trouver les nouveaux joujoux des gamers : Réalité virtuelle, Kinect, …

16h : Stargate 

Nos pas nous emmènent ensuite naturellement dans le Jardin des Plantes où se niche une nouvelle curiosité immersive de la constellation d’oeuvres parsemées dans la ville. Sans que l’on s’en aperçoive, on est guidé dans une serre tropicale au fond de laquelle une pièce abrite Light Leaks (photo) de Kyle McDonald et Jonas Jongejan. Immersion au coeur d’une galaxie de pixels née de la rencontre de cinquante boules à facettes et trois projecteurs, le dispositif crée un Big Bang audio-visuel savant et psychédélique. 

17h : Et la lumière fut !

On enfourche un Bicloo, le vélo local, pour rallier les deux dernières étapes de notre exploration. Dans le hall de Trempolino, siègent deux sculptures cinétiques baptisées Moza1que (photo) et signées par le Lab[au], tableaux vivants permettant de visualiser la diffraction de la lumière dans un mouvement quasi imperceptible. Face à ces canevas, on oscille entre repos des neurones et brainfuck complet. 
Quelques mètres plus loin, dans Stereolux, on croise les mutants à têtes d’iPad du Yamada Taro Project de Katsuki Nogami, avatars désingularisés propres à la réalité virtuelle, et on gravit le premier étage à la recherche de la pièce manquante à notre périple. 

17h30 : Voyage au coeur du vortex

Devant nous, les seize bras robotiques de Parsec (photo) de Joris Strijbos et Daan Johan s’élancent en boucles lumineuses et sonores à la manière d’une créature tout droit sortie d’un film de SF. L’ensemble a l’attitude d’un insecte, la précision d’un robot et un vacarme digne d’une fusée. L’effet est frappant, inquiétant et la lumière s’imprime sur notre rétine. Parfois, la vitesse et le son se désynchronisent, rendant l’expérience synesthésique encore plus troublante. 

18h : DJ Volant Non identifié

Comment clôturer cet immense bal lunaire ? La mission a été confiée à Ben Frost et Marcel Weber alias MFO. Ensemble, ils emportent le public à des années lumière avec A U R O R A (photo) : dans la salle Maxi, on navigue à vue, au rythme des éclairs et projections de lumière, dans un ensemble voluteux. Le son est plus puissant que jamais et on en prend plein les sens. Chacun s’approprie la performance : ascension à travers la pénombre, vers la lumière, exploration sensorielle, apocalypse, renouveau, chaos… 
Trop expérimental pour une journée de clôture de festival adressée aux familles ? Peut-être. En attendant, le public répond présent, oreilles et yeux à l'affût, prêt à recevoir la programmation éclairée du festival, prêt à expérimenter avec lui et à voir le monde sous une autre lumière. 

19h30 : Vers l’infini et au delà

On s’éloigne avec la sensation de fermer une parenthèse. Sans s’encombrer de considérations temporelles, politiques ou sociétales, le festival nous a maintenu dans une apesanteur doucereuse, une euphorie insouciante, hors temps, hors lieu. Plus exactement, Scopitone a touché à tous les sujets sensibles : tous ceux que nous voulions bien mettre dans notre interprétation personnelle de ce que nos yeux et oreilles ont pu capter. Enfin un vrai champ libre, où l’expérimentation est partout et les regards pluriels. Ne jamais prendre le festivalier par la main, mais l’inviter à se perdre et à trouver son chemin : telle semble la loi du système Scopitone. 

Côté Scène et Installations

E.T
Boston Bun, une performance sans surprise, un peu téléphonée

Korben et Liloo
Noémi et Takami de Nonotak - Aziz, lumière ! 

Albator
Rone - Le pirate de l’espace et son Arche de créatures

Neo & Morpheus
The Shoes - Aucun bug dans leur matrice

Les zinzins de l’espace
Matias Aguayo - Seul sur scène, mais forcément plusieurs dans sa tête

HAL9000
Madben - It’s a mad, mad world!

Doc et Marty
Joris Strijbos et Daan Johan avec Parsec - Leur convecteur spatio-temporel a fait imploser notre réalité 

Les Jedis
Kyle McDonald et Jonas Jongejan avec Light Leaks - Leur guerre des étoiles n’a pas d’égale

Côté festival 

On a aimé

- Accéder gratuitement et simplement aux installations d’art numérique
- Découvrir de nouveaux lieux à chaque édition
- Danser à 3h du matin sous les Nefs 
- Découvrir de nombreux projets en “Premières françaises”
- Suivre la lumière comme seul but, avec des oeuvres a priori sans morale ni sens imposé
- Retrouver la prog’ jour en guise de scénographie pendant les concerts du soir
- Briller sous la disco-déco et ses boules à facettes 
- Découvrir un programme d’ateliers et événements dédiés aux kids et aux pros

On a moins aimé

- Ne jamais savoir à l’avance si on aura de quoi s’alimenter pendant les concerts
- Réaliser que l’univers numérico-techno est un monde d’hommes : Wonder women de tous pays, réveillez-vous!
- Les 15min de mapping sur le Château des Ducs : une Échappée trop belle pour être si brève

Conclusion

Vos yeux ne vont pas en croire leurs oreilles. Ou l’inverse... bref, Scopitone, c’est 7 jours et 6 nuits pour vous en faire entendre de toutes les couleurs. Chaque année, l’événement prend le pouls de la création électronique et numérique et emporte ses festivaliers dans un tourbillon somnambulique où les rêves côtoient le réel. Magie, synesthésie, voyage atemporel qui passe le mur du son à la vitesse de la lumière, le festival brouille les pistes tout en ouvrant le champ des possibles. On en ressort le continuum tout chamboulé, comme secoué d’un périple singulier et audacieux à travers l’art et la science. 


Texte : Millie Servant
Photos : Millie et Benjamin Bartholet