On était à
Nouvelle(s) Scène(s), la grande classe des inclassables

A force de repousser les frontières musicales depuis pas loin de 10 ans, le festival s’est taillé une belle réputation : papier dans Le Monde, soirée d’ouverture parrainée par Etienne Daho... ça donne. Sauf que l’événement brille surtout pour ce qu’il a de moins connu : des voix et des sonorités nouvelles, insituables dans le panorama musical. Du moins pour aujourd’hui, car toutes promettent de résonner dès demain dans toutes les (bonnes) salles de l’Hexagone.

Jour 1. 20h01, Chien noir montre patte blanche

La fin de la semaine a sonné, et avec elle le début du weekend de la neuvième édition du festival niortais. La petite sauterie a commencé bien plus tôt dans le mois de mars : workshops dans les collèges, petit déjeuner des champions (comprendre, avec huîtres et vin blanc) sur le parvis des Halles, ciné-mix, projections et même quelques concerts ont chauffé la ville avant le grand raout. On rejoint le train musical en marche et on monte en douceur dans la programmation du weekend : du côté du Pilori, on se frotte la douce patte de Chien Noir (photo) et à ses chansons d’amour, dans la lignée de Voyou et Ô découverts ici-même les années passées.

21h54, Adam Nass, l’envol du Corbeau

La nuit tombant aussi vite que les degrés, on s’envoie une pizza dans un resto du centre ville avant de découvrir que les foodtrucks du festival ont, eux, bravé la météo pour régaler les papilles des festivaliers. On retrouve avec plaisir la Scène Nationale transformée en club qui nous avait déjà charmés l’an passé. Sur scène, c’est Adam Naas (photo), alias Le Corbeau, petit prodige des premières parties de AaRON. Son surnom, il ne porte bien, puisqu’il déploie ses ailes d’un bout à l’autre de son incroyable éventail vocal. De baryton à alto, de gospel à hip hop, de crooner à lover, il se métamorphose d’une chanson à l’autre, ne gardant de stable que cette mise à nu permanente de tout, à commencer celle de son propre style.

00h04, Lézarder au soleil avec L’impératrice

Aux douze coups de minuit, le club se transforme en cocotier. Les transats de la Nef attenante (photo) à la salle de concert du Moulin du Roc résonnent avec l’ambiance tropicale et le souffle chaud de L’impératrice. Palmiers in, palmiers out. Les sons senteur monoï viennent trébucher sur les festivaliers réchauffés. Les musiciens donnent tout et personne ne pourrait dire sans le savoir que l’album n’est sorti qu’il y a trois semaines tant le live est maîtrisé. Les boules disco s’alignent : chaud must go on!

01h30, Chloé et ses oiseaux de nuit

Nouveauté 2018 : un bar associatif a été installé à l’intérieur de la salle de concert, offrant l’occasion de se désoiffer en faisant une bonne action pour l’Asso organisatrice du festival. On attrape une bière Riègle à 3 euros et on se jette dans le live de Chloé (photo). Pour Endless Revisions, son nouveau projet, elle a pensé une scénographie originale à base de papier et de mapping lumière. Petit à petit dans la salle le public familial laisse sa place aux oiseaux de nuit et la soirée passe en mode club techno. Avant de laisser la main à Maud Geffrey, DJ Noky (Dig or Die) passe aux commandes pour des transitions à base de DJ set savamment huilées. Alors qu’on s’éclipse un peu avant la fin, on croise des festivaliers qui accourent pour savourer les quelques dernières minutes de la soirée.

Jour 2. 18h11, A Chevalrex donné, on ne regarde pas (la monture)

On le regrettera plus tard, mais on s’éloigne du live de Cabaret Contemporain installé dans le cloître de l’hôpital pour camper près du Temple Protestant en attendant celui de Lubomyr Melnyk. Pas de chance, la prestation du virtuose ukrainien du piano néo-classique est annulée. On troque notre découverte musicale par une gastronomique en goûtant la Jack Beer, bière locale brassée à Cognac chez les Gabariers. On ne peut pas avoir le live et l’argent du live : rançon du succès de la gratuité de la plupart des concerts, ils sont plein à craquer. C’est le cas des concerts installés dans le Pilori, ainsi que de celui de Chevalrex (photo… ou pas) niché au premier étage de la Librairie des Halles. Impossible d’atteindre un spot avec vue sur le set, mais de ce qu’on entend, si son plumage se rapporte à son ramage, on peut aisément dire qu’il est le Phoenix de la librairie.

19h30, entre chien et loup avec Novorama

Histoire de plutôt voir le verre à moitié plein que vide, on s’en jette un ou deux en terrasse du Bar du Marché. Parisiens, à 10 euros les trois verres de bon blanc, voilà un argument de plus pour vous extirper de la capitale le temps d’un weekend. Heureusement à partir de la tombée du jour, les concerts se chevauchent pour offrir plus de confort et de choix aux festivaliers. Mis en appétit par ces amuses bouches musicaux, nous traversons la Sèvre Niortaise direction Les Planches où Novorama propose un DJ set parfaitement dosé. Disques de qualité, volume au poil : la terrasse est pleine malgré l’heure et le froid. On attrape une planche (étonnant !), quelques frites et de quoi se sustenter : juste de quoi pour que le temps se suspende pendant les deux heures du set. On s’en lèche les platines.

22h02, Ariel Ariel, artiste caméléon

Notre ping pong musical continue et nous re-parcourons la ville en sens inverse pour retrouver Ariel Ariel (photo) au Pilori. Comme ne l’indique pas forcément son nom, ni son passé musical en groupe avec Babe et Pendentif, il est aujourd’hui seul sur scène. S’il est au départ difficile de cerner son style, on se laisse petit à petit gagner par son énergie. Avec ses samples lancés du bout des doigts, son piano qu’il adore, et sa voix cristalline qu’il pousse parfois a capella, il fait rapidement se dandiner le public qui finir par en redemander

22h45, bêtes de scène venues de sous-terre

Il ne faudra attendre que quelques minutes pour que Mohamed Lamouri (photo) s’installe sur scène. Il faut dire qu’il ne vient pas avec grand chose. Celui que l’on croisait il n’y a encore pas si longtemps dans les rames du métro de la ligne 2 n’a avec lui que sa voix et son orgue électronique en étendard (plutôt en bandoulière en l'occurrence). Repéré par la Souterraine, comme Chien Noir d’ailleurs, il est aujourd’hui seul sur scène, avec seulement 4 accords, ou presque, et son raï profond, grave et intense, il met rapidement tout le monde d’accord. Si le public n’était pas déjà debout, il aurait très probablement le droit à une standing ovation en bonne et dûe forme. A la place, la foule le rappelle sur scène pour prolonger le moment d’une dernière chanson.

00h07, Golan, espèce inclassable

Il faut attendre le samedi soir pour descendre dans la gueule du Camji, le lieu auto-nommé “amplificateur de musiques actuelles” de la ville. Sur scène, Calling Marian a mis une telle ambiance que la transition avec le raï romantique de Mohamed Lamouri est un peu rude. Quand on sait que la DJ a d’abord fait ses armes avec son luth et sa chorale médiévale, ça calme. Le temps de se remettre de nos émotions (comprendre, autour d’une bière), et nous retrouvons la scène remplie par les 5 gaillards de Golan (photo). Leur set est un mélange aussi savant qu’incongru de jazz, hip hop, house et pop. Les instruments à cuivre se mêlent étrangement bien aux beats : on en ressort tous béats.

02h03, les animaux nocturnes sont de sortie

Comment expliquer la foule devant l’Arrosoir alors que le DJ set d’El Vidocq a finit deux heures plus tôt ? Il semblerait tout simplement que Niort débriefe (ou se remette de ses émotions comme nous) après ces quelques jours de découvertes. L’occasion d’admirer la palette des profils du festival : des jeunes clubbers, des retraités, des parents et leurs kids, des artistes, des marginaux, des enseignants, des barmans, etc. Preuve encore, s’il en fallait, que Nouvelle(s) Scène(s) ne décloisonne pas que les styles musicaux.

Le bilan

Côté concert 

Les Animaux fantastiques
Golan, unis dans l’expérimental comme les cinq doigts de la main

L’homme qui murmurait à l’oreille de son piano
Mohamed Lamouri, et son raï romantique loin de filer le bourdon

L’envolée sauvage
Adam Naas, un talent aux ailes grandes déployées

Le live de la jungle
L’Impératrice, une troupe à l’énergie caniculaire

Côté festival 

On a aimé :
- Les bénévoles et les agents de sécu plein d’énergie et de sourires
- Le fanzine quotidien qui dévoile les coulisses du festival
- Le bar associatif avec ses bières à 3€, et son vin et softs à 2€

On a moins aimé :
- Peu de concerts en simultané avant 19h

Infos pratiques

Prix de la bière
3€ le demi au bar associatif & prix variables selon les bars

Prix de la nourriture
9€ les burgers du foodtruck Saveurs Bouchères et une option végé avec le foodtruck indien Anjali

Prix festival
Une majorité de concerts gratuits, quelques concerts payants (3€ à 20€)

​Transports
Une grande partie praticable à pieds, le reste avec les bus gratuits de la Ville

Conclusion 

A force de remonter à contre-courant des styles musicaux les plus consensuels, le festival deux-sévrien commence à sacrément maîtriser son crawl. On reviendra bien volontiers prendre la température l’année prochaine pour les 10 ans de Nouvelle(s) Scènes, que ce soit pour y tremper un orteil, ou carrément s’immerger en eaux inconnues.

Récit : Millie Servant
Photos : Millie Servant & Benjamin Pottier