On était à
Les Transmusicales, énergies incandescentes au coeur de l'hiver

C’est la 38e édition, mais à vrai dire, on ne les compte plus. Les Trans sont un rendez-vous auquel on revient sans plus se poser de question, tant ce festival est installé comme une valeur sûre, mouvante, vibrante au rythme du monde venu se nicher dans la froideur rennaise du début décembre..

Jour 1. 20h23, arrivée sur les lieux

Cette année, on se cantonnera vraiment aux trois jours du Parc Expo. Mais plus que jamais les Trans débordent de cet épicentre, avec des concerts à l’Aire Libre, à l’Etage, à l’Ubu évidemment, mais aussi au théâtre du Vieux Saint-Etienne et ce, parfois dès 12h. Même en occultant le off pas dégueu des Bars en Trans, on rate nécessairement plein de choses, dont on entendra quelquefois, plus tard, à quel point elles étaient formidables. Mais bon, allez, on s’en remettra, d’autant mieux que la prog du Parc Expo, à elle seule, avec ses 4 halls (3 seulement ce premier soir), a de quoi faire saliver. On ne connaît aucun groupe ou presque, mais pour avoir déjà fréquenté l’événement on sait qu’on ne peut absolument pas prévoir les déceptions et les belles découvertes. Pour le moment, en ce premier soir et à cette heure précoce de la nuit, les grands espaces de béton, de métal et de musique sont largement ouverts et peu fréquentés. On charge sans grande attente notre bracelet cashless avant d’aller se boire une première bière à un tarif raisonnable en guise d’entrée en matière.

22h12, de l’Estonie à la Chine sans escale

Pas de pluie battante, mais des températures bien rudes quand on arpente les allées entre les halls. On se dépêche de rejoindre le hall 3 où débute le show des Estoniens de Trad.Attack : bonne présence scénique généreuse et souriante, mais une approche beaucoup trop pop et lisse pour enrober la musique traditionnelle, qui a dû perdre de son ADN en chemin. En revanche, les Chinois de Stolen (photo), au hall 8, emportent d’emblée la mise avec un concert complètement envoûtant, sur-impliqué, entre post-punk et grooves electro vintage minimalistes. Un animal rock aux références évidentes mais pas écrasantes, et et une belle identité sans forcer. Plus tard, de retour au hall3, les anglais de HMLTD font forte impression au début, avec un rock glam et teigneux, vociférant, des tenues et une attitude outrancières, mais déçoivent sur la longueur et on se demande vite où ils veulent en venir, en fait. Pas grave.

23h53, identités offertes tous azimuts

Pour la suite, trois concerts très différents, intéressants, sans être tout à fait excitants. D’abord la britannique Anna Meredith et sa musique défricheuse, inventive, concassée et altière, bricolée et élégante, fine et brutale. Rejjie Snow distille quant à lui un rap stylé et bien en place, avec de l’idée et de la musicalité à revendre, mais on regrettera malgré tout que ça ne décolle pas vraiment, sans en toucher vraiment du doigt la raison. Bonne prestation en revanche de Yuksek (photo), qui a su bien s’entourer pour un concert ultra dansant et classe, et où on notera au passage la courte mais électrisante contribution de la chanteuse Monika, belle découverte de l’an dernier.

00h36, pause au calme pour le premier soir

Avec quelques creux dans la rythme de la soirée, on prend le parti de baguenauder tranquillement, avant le rush probable des deux prochains jours : le festival affiche une fois de plus complet. On découvre un aménagement conforme à l’habitude,  qui habille joliment de grands espaces qui en deviennent aussi agréables que fonctionnels. Aux tables et au comptoir des restaurateurs, ce n’est pas encore la grande foule, mais on prend le temps de regarder la carte, variée et somme toute très abordable et ce, chez la quasi totalité des prestataires. On découvre même, au bout de la “place des fêtes” qui borde le hall 3 et où pendant trois nuits les gens viendront se réchauffer ou griller des chamallows autour d’un gros brasero, une cour (photo) discrètement nichée entre les deux camions de restauration. Là, autour d’un faux bassin, une grappe de petites niches confortables, joliment décorées, accueille les discussions et les pauses loin du bruit et de la foule.

01h34, Marta Ren pour finir idéalement

Bon, ça tire un peu et on se lève tôt le lendemain - il n’y a que pour les étudiants rennais que le week-end commence le jeudi soir…-, mais on veut profiter au moins un peu de la belle promesse musicale que semble être la venue de la portugaise Marta Ren (photo). De fait, on passe un bon moment en sa compagnie, baignés dans une soul impeccablement servie par un groupe sobre et efficace, le classicisme en la matière n’étant pas un problème tant la voix et la présence de la chanteuse embrasent le set sans en faire trop pour autant. Bref, on repart sans grosse claque de cette première soirée, mais déjà plein de découvertes tous azimuts. Bonne nuit, Marta et les autres, hein, y en a qui bossent.

Jour 2. 22h31, Con Brio, première claque brûlante

La programmation de soirée commençant tranquillement peu avant 21h, nous prenons le temps d’arriver et de butiner de la musique ici et là en attendant les choses sérieuses. C’est le cas avec Fai Baba et son répertoire empreint d’onirisme et de grands espaces, comme ce sera aussi le cas avec le set “dark-orientalisant-mais-pas-que” du duo roumain Khidja vers 23h, dans la greenroom dévolue à l’électro et la techno. Mais la grosse baffe qu’on attendait, la première sensation de “ceux là je m’en souviendrai et on risque d‘en entendre parler” viendra des Américains de Con Brio. Dans l’énorme hall 9 qui ouvrait à partir de ce soir, on découvre un groupe très en place, incisif et énergique, portant une soul matinée notamment de funk et de rock. On rencontre surtout un chanteur à la voix exactement comme elle devrait être, vibrante et sensuelle, claquante à la James Brown et lupine à la Prince, et un performer impressionnant de présence et d’énergie. Un très bon moment, qui aurait été encore plus marquant si on n’avait pas senti un son bridé, en manque de puissance.

00h23, niño de elche, le flamenco onirique

A partir de là, on pouvait raisonnablement considérer que la soirée était faite, le reste ne pouvait être que du bonus. Belle impression néanmoins avec le flamenco dynamité et la poésie fiévreuse de Niño de Elche, le trio espagnol assumant parfaitement une approche probablement irritante pour certains, envoûtante pour les autres. Peu d’enthousiasme en revanche devant les jeunes anglais de The Jacques, et un brin de déception devant la grosse machine Tiggs Da Author, malgré une sacrée voix et un potentiel indéniable. Pas grave, c’est les Trans, les gens viennent faire leur culture en furetant, en fréquentant même juste un peu des approches et des propositions dont on n’attend pas forcément qu’elle abassourdissent de talent, mais composent un tableau d’ensemble sur le week-end. 

00h45, les barberettes

La sucrerie attendue de la soirée est incontestablement la venue des Barberettes, ce trio de poupées coréennes en mode rock vintage. On n’en attendait pas forcément quoi que ce soit, du coup on se laisse tranquillement séduire par les harmonies vocales et le sens de la mélodie de vraies chanteuses, par la reprise agréable de standards comme le Be my baby des Ronettes ou le Barbara-Ann des Beach Boys, bref une parenthèse sucrée et insouciante qui dépasse le simple hommage pittoresque.

01h54, jumelles on the loose

Mais bon, la deuxième grosse claque de la soirée viendra du hall 3, avec les Nova Twins. Un batteur et deux frangines, basse guitare chant pour un mélange de rap et de punk bien teigneux, avec un gros son bien frappé. Premier pogo du festival, ça fait du bien. Au delà de l’aspect “barbie punkette” et du caractère parfois redondant des constructions de morceaux, ça reste un vrai gros moment brutal comme il faut, sec et sans gras. On vient, on brûle tout et on repart, au revoir merci messieurs dames. Rien à redire. Autant préciser tout de suite que le set des No Zu qui suivait était plutôt pas mal mais pas dément, et qu’il aurait sans doute fallu ça pour y être complètement réceptif. On a préféré, au bout du compte, ne pas jouer les prolongations et garder un peu de poil pour le samedi. Après avoir dû choisir entre le stand prévention/éthylotest et un dernier passage au bar, on quitte le parc expo dans le si sympathique froid de décembre.

Jour 3. 20h32, restauration pour bien commencer la soirée

Le samedi aussi, la programmation commence tranquille, donc autant profiter de l’affluence encore relative à cette heure pour se remplir le ventre. Il y en a pour tous les goûts, chef étoilé ou bar à huîtres, restau végétarien ou barquettes de frites, le plus souvent pour un tarif pas révoltant. Et il faut aussi reconnaître que le hall 5 est bien aménagé. Pendant ces trois soirs, même en période de grosse densité de population, il y aura toujours une table ici ou là à laquelle s’asseoir pour manger tranquillement, discuter ou boire un coup, parfois les trois à la fois. Et mine de rien, ça joue sur l’ambiance très zen des lieux, les gens ont le sourire, et même bien saoul ça reste bon enfant. Pour les concerts, on démarre avec les Finlandais de Talmud Beach, et c’est plutôt bon. Guitares folk blues, compositions bien ficelées, on en ressort en se disant qu’on ira réécouter ça après le festival. Mais l’appel du groove est là, rendez-vous au hall 8.

23h11, Lucky chops, fièvre cuivrée

Tous les gens qui ont pu voir et entendre Too Many Zooz aux Trans il y a deux ans (ou à Art Rock, par exemple, dans la foulée) en gardent sans doute un souvenir assez fort. Voir revenir l’un des trois gars avec une formule quintet de choc cuivrée à souhait était une perspective des plus excitantes. Et bon sang, pas de déception au rendez-vous. Un poil moins primaire et débridé que le trio du métro new-yorkais, Lucky Chops a pour autant tout écrasé sur son passage, récoltant un accueil fiévreux et mérité du public. Trombone, soubassophone, trompette, sax et sax baryton efficacement servis par un batteur excellent, la formation déploie un répertoire survitaminé, plein d’un groove féroce et d’une énergie sans limite, sans temps mort. Les gars donnent, se passent le relais, relancent, en font de trop juste ce qu’il faut. Eux, c’est pareil, on va probablement être amenés à les revoir traîner dans le coin.

23h39, aventures soniques en terrain hostile

Pendant ce temps, dans le hall 9, c’est l’enfer. Venus découvrir l’iranien Ash Koosha puis la Suisso-Népalaise Aïsha Devi, nous en ressortons à chaque fois à cause du son beaucoup trop fort. Même avec des bouchons d’oreilles, c’est limite douloureux dès lors qu’on s’approche un peu. Dommage, notamment pour la deuxième, dont l’univers psychédélico-mystique semble suffisamment barré et foisonnant pour mériter une plongée plus soutenue. Une autre fois… En tout cas nous ne remettrons plus les pieds de la soirée dans le hall 9, dont même de l’extérieur on entend les parois vibrer sous les assauts des basses. Après un petit passage par la case Cabo San Roque, intéressante mais pas trépidante, on opte pour un détour loin de tout ça avec des amis.

00h40, déambulation picolatoire en guise de parenthèse pré-Bcuc

Ce soir encore plus que la veille, il y a du monde, partout, ça brasse braz dans les allées du Parc Expo, mais globalement c’est vraiment dans une ambiance souriante et décontractée que tout ça se passe. Bienvenue en Bretagne, quoi. On se pose dans un coin, loin des concerts. On picole, on parle fort, on rit fort et puis on va voir un peu les Sud-Africains de Bcuc, quand même. On découvre une musique hybride, entre rythmes traditionnels et métissages issus des cultures urbaines actuelles, mais des morceaux parfois un peu longs et sans véritable embrasement, ou alors c’était la fatigue qui nous rendait déjà moins disponible. A revoir pour se faire un avis.

00h59, l’Auvergne c’est du lourd

Il y a du monde en ce coeur de soirée dans le hall 3 pour découvrir la “musique psychédélique du massif central” que prodiguent les quatre gars de Super Parquet. On avait déjà eu du banjo l’année dernière avec les Steve‘N'Seagulls, mais cette fois c’est pas pareil. Banjo, donc. Et cabrette. Oui, aux Transmusicales. Parce que même avec des machines et des engins hybrides à base de vielle à roue, le fond de tout ça, ça reste la musique traditionnelle auvergnate. Le groove des bourrées est là, on emprunte juste d’autres chemins pour atteindre la transe. Parce que c’est quand même de ça qu’il s’agit. Et pour tous les gens à qui tout ça paraît loin, codifié, inaccessible (ou ringard, dérisoire et sans intérêt), ça redevient ici une évidence. Danse trad ou pas, on est tous dans une grosse bulle sonore, à vibrer hors du temps dans la boucle, et ça fonctionne du feu de Dieu, à en juger par l’accueil tonitruant qui est réservé au groupe. Et si on pariait sur le fait que les programmateurs finissent par aller regarder sans a priori ce qui se passe de créatif et d’excitant dans les nouvelles musiques traditionnelles? Qu’on ne nous dise plus, en tout cas, que ça ne peut pas parler aux non initiés.

02h40, final aiguisé avec sauropod

La sensation attendue suivante, les rappeuses islandaises de Reykjavikurdaetur, fera flop. Passés les premiers moments de découverte, la fraîcheur des jeunes filles et l’effet nombre sur scène, l’enthousiasme initial mollit, et on ira davantage se faire happer par des conversations impromptues avec des gens à l’alcoolémie grimpante que de persister devant la scène. Meilleure impression avec Sauropod, des Norvégiens qui assurent un rock décomplexé et revêche, référencé sans que ça plombe l’identité du groupe. Bref, une bonne manière de clôturer les découvertes musicales du soir. Avalés par des discussions et des moments de sociabilité qui composent aussi le sel de ces soirées-là, on ratera lamentablement le passage de Meute, la fanfare allemande technoïde acoustique, dont on entendra parler dès le lendemain. Mais bon, décidément, ce n’est pas humainement possible de ne rien rater aux Transmusicales. Et tant pis, ou tant mieux, l’important est ailleurs.

Le bilan

Côté concert

La séduction improbable
Stolen, parce que la transe chinoise, c’est possible!

La dose de sueur teigneuse
Nova Twins, la friandise punk du week-end

Le show impeccable qui met tout le monde d’accord
Con Brio, à surveiller de près dans les mois à venir dans les programmations de festival

Le groove auvergnat qui bastonne
Super Parquet, parce que la world musique c’est aussi dans les régions

Le groupe festif qui grooove sa mère
Lucky Chops, indomptables

Côté festival

On a aimé :
- Le système Cashless, tellement pratique
- Le public cool et ouvert
- Une offre de restauration et boissons accessible et très diversifiée
- Une programmation toujours aussi excitante et curieuse, ouverte
- Les navettes vers le centre ville jusqu’au petit matin (et même plus...7h30! avec un départ toutes les 5 minutes)

On a moins aimé :
- L’insuffisance persistante de sanitaires
- La saturation sonore du Hall 9 le samedi soir
- La frustration énorme de rater des concerts tout le temps, en journée, sur certains sites… (on aura notamment beaucoup entendu parler des prestations de Fishbach et Hyperculte)

Conclusion

Festival improbable, à nul autre pareil, impossible peut-être à transposer ailleurs, les Transmusicales continuent à tracer leur route sans regarder le compteur. Animées par la même curiosité qui s’affranchit des formats et formatages, elles auront donné cette année encore le tournis, et le goût des belles choses. La frustration réelle de rater des concerts probablement importants n’enlève rien à l’excitation de découvrir des artistes qu’on n’aurait souvent jamais vus sinon. Réaliser que ce genre d’événements continue à attirer un public nombreux fait du bien et rend optimiste pour l’avenir.

Un récit de Matthieu Lebreton
Photos de Bruno Bambé