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Le Printemps de Bourges ouvre l'été des festivals

Évènement incontournable qui ouvre la saison estivale, le Printemps de Bourges devait une nouvelle fois faire fleurir des découvertes et enraciner des talents. Des bémols, des interrogations, mais six jours d’intense émulsion dans une ville qui se transforme au rythme de son festival. 

Jour 1. 15h04, installation à Bourges

“Notre train arrivera dans quelques instants à Bourges, Bourges 6 jours d’arrêt”. Pour une fois, les sacs de guitares font concurrence aux habituels BagPack, et débarquent à Bourges festivaliers et musiciens de tout poil : la ville s’apprête à vivre sans discontinuités son Printemps. Aucun camping mis à disposition, on s’installe chez un ami au coeur du centre historique : des bars éphémères ont pris place, les odeurs d’andouillettes et de frites envahissent les rues, “le Printemps dans la ville” (photo) verra des centaines de groupes se produirent gratuitement.    

Du côté du “vrai” festival, une grande partie est libre d’accès : plusieurs scènes, des stands nourritures et des bars à perte de vue, qui s’avancent jusqu’au lieu de concerts du festival. Le W, chapiteau principal avec les têtes d’affiches, le 22 avec la scène découverte des Inouies et soirées plus abordables, le Palais d’Auron, Théâtre et Palais Jacques Coeur pour des lives plus intimistes d’artistes prestigieux. Bref, il faudra faire des choix.  

19h54, Première soirée au W

Des pass “trois concerts” étaient proposés, avec petites réductions à l’appui : on pouvait se prendre trois soirées de suite pour le W autour des 32e la nuit, comme se faire plusieurs salles. Mais bon, vu que “toute sortie était définitive”, ça réduisait un peu les possibilités de vagabondage. Aucun bracelet ne donnait l’accès à l’ensemble des concerts. Il fallait être “pro” pour bénéficier de ce privilège.

La première soirée au W faisait place à la chanson. Après les ballades de Vianney, ce sont les deux blondes de Brigitte (photo) qui nous font entrer dans leur doux univers à double vocale sur rythme proche des tropiques. Un public nombreux, statique mais aux anges face aux deux demoiselles. Le duo suivant, Angus & Julia Stone, sera moins prolifique en sourires et bonne humeur, pour un rock très lent et peu enivrant. On restera sur la première moitié de Selah Sue, efficace et captivante sur ses premiers tubes, mais nous laissant sur notre faim sur des nouveautés devenues trop pop à notre goût.  

02h34, l’after dans la ville

On profite des derniers sons du 22, deux performances de qualité avec les DJ Thylacine et Worakls, dans deux petites salles à la chaleur redoutable mais la sonorisation impeccable, juxtaposées et labellisées “est” et ouest”.

Mais le final du Printemps de Bourges se situe avant tout dans la ville et ses rues, où l’on se promène au fil des rencontres musicales, entre rock musette et drum’n bass, et l’on se perd plus les dégrés d’alcool enivrent notre sang. C’est loin d’être une orgie, le tout s’assemble dans une joyeuse pagaille organisée, à vivre jusqu’à 5h du mat’.  

Jour 2, 15h34, la fête forraine s’invite au festival

La nuit fut longue, et dès le réveil les bars dans la rue en bas de chez nous s’activent pour la suite des évènements. On se dirige nous vers les allées des stands installées pour l’occasion. Ambiance fête forraine, musique de supermarché, barbe à papa et chichis pour des attractions remplacées par des scènes de musique.

On n’est pas vraiment sur le même public venant aux soirées payantes du festival, plus des habitants de la région venus faire un tour comme on se fait le week-end une sortie en famille ou entre amis. On y trouve des activités organisées par des sponsors style BlablaCar ou Time’s Up, des stands qui te vendent toutes sortes de vêtements entre t-shirt du beauf et sac de l’hipster, jusqu’à l’éternel kit du parfait fumeur d’origan couleur Jamaïque. Sympa de s’y promener pour manger un bout, boire un coup, tomber devant un groupe du coin, mais plutôt opressant d’être dans une atmosphère de sur-consommation et de pollution visuelle et publicitaire.

21h43, Rock’n beat, soirée électro incontournable

S’il y a un billet à prendre pour Bourges, quand on est jeune et amateur de sonorités électriques, c’est celui de la Rock’n beat. Palais d’Auron et W s’ouvre l’un et l’autre pour une soirée digne d’un de nos bons vieux festivals. On loupe Hyphen Hyphen pour arriver sur la fin du live de Fakear. Musicalement moins en forme que d'habitude, accompagné de musiciens totalement dans l'ombre, il est pourtant à fond pour s'amuser avec le public très jeune du soir. SBTRKT suivra, pour un set ultra pro, maîtrisé, mais plutôt incompris. Après un tour sur Odesza, on revient pour Rone qui claque ses morceaux comme d'hab, même s'il faudra attendre la moitié du concert pour être dedans.

Impossible alors de sortir pour toper à manger, le choix à l’intérieur de l’enceinte du W se réduit au trio kebab, hot-dog et bouffe thaïlandaise. On optera pour le houblon version nourissante. Le bordel viendra du Palais d'Auron, avec les motivés de The Subs, le chanteur se permettant de surfer sur le public. On restera pour l'un de nos coups de cœur des Trans, Boris Brejcha, préféré à Joris Delacroix ou Fritz Kalkbrznner. Il sait y faire pour nous tenir en haleine avec ses mixes étiquetées berlinois. Pas de dernier tour sur Jeff Mills, nos jambes appellant à être rangées dans leur étui.

Jour 3. 15h34, la pluie refroidit les esprits

Aux alentours du festival, les scènes extérieures sont gratuites et donnent le rythme toute la semaine malgré le mauvais temps du jour. La scène Berry, la scène Pression Live et la scène Printemps des Régions programment des petits groupes gagnant à être connus, proposent des scènes ouvertes à qui le veut bien, ou des groupes formés dans leur “grande école”.

Il y avait peu de monde devant ces scènes, en tout cas l’après-midi. Après un passage sur They Call Me Rico (photo), On arrive nous devant Erotic Market, groupe lyonnais que l’on vous avait présenté sur la petite scène. Malgré quelques problèmes techniques, le groupe tente de réchauffer les quelques courageux venus défier la pluie.

21h02, moustache, origan et MC

Une fois encore, c’est au W que nous continuons notre soirée. On arrive devant une des valeurs sures du reggae, Groundation, au milieu d’une armée de fumeur d’origan. Comme à son habitude, le groupe déroule son set agrémenté de quelques solos à rallonge. Mais le vrai concert “qui bouge” c’est Deluxe ! Le crew moustachu dépote sous la oulette de sa chanteuse toute de moustache vétue faisant danser le public à travers les désormais célèbres Superman, Pony et My Game.

Plus que chauffé par le groupe on s’attend à monter en pression avec le finish de la soirée : Chinese Man. Il n’en est rien, les djs passeront la soirée cachés derrière les Mc du soir, Taiwan et Youthstar pour un show bien trop mou. Après cet enchaînement de concert il se fait faim, et c’est vers un endroit peu fréquenté, à la sortie du W qu’on se fait plaisir, loin des stands de kebab ou saucisses autour du centre. On y dégustera un sandwich savoyard à la tomme fondue sous vos yeux, avant de se laisser tenter le lendemain par un sandwich agrémenté de son magret de canard grillé sous le nez. Un vrai plaisir pour les papilles !

Jour 4. 13h34, le Printemps bourgeonne de talents

Que serait le Printemps de Bourges sans ses Inouies ? Pour découvrir des groupes venus de tout horizon sans prise de tête, c’est là qu’il fallait être. Une quinzaine d’euros l’entrée par jour, pour 5 sessions avec 30 minutes données aux 32 artistes en piste. Le lundi, on aura jumper sur la puissance de Cotton Claw, déjà vainqueur du Prix Chorus. Le lendemain, au tour de Darjeeling Speech et Pira. TS (photo) de nous emmener dans leurs verbes teintés pour l’un de rock et l’autre de beats et flûte. En ce lundi, c’est Carré Court et son joli duo guitare-voix qui envoûte la salle du 22.

20h47, Naïm et Thiéfaine nous surprennent

On aurait aimé découvrir le théâtre Jacques Coeur ce soir, qui accueillait Nach, Hindi Zahra et Camélia Jordana. Complet ! On aura quand même vu quelques notes de la première lors d’un showcase un peu plus tôt à la Fnac. On se rabat sur le W, qui possède plus ce soir les allures d’un club de bridge qu’une soirée festival.  

Douce et pétillante, Yaël Naïm nous séduit par ses ballades. On ne s’attendait pas non plus à être absorbé près d’1h30 par les tranches de vie chantées par Hubert-Félix Thiéfaine (photo), à la fois classe, touchant et prenant aux tripes. On aura plus de mal avec Asaf Avidan, et notamment par sa voix proche d’un vélociraptor à l’agonie dans Jurassic Park II. On aura également eu le temps de faire quelques tours au 22, d’abord sur la rappeuse Sianna, puis sur le final avec Guts, dont le leader du groupe, sosie officiel de Gilles Lellouche, aura gagné la palme d’or du touriste en bermuda sur scène. N’empêche, on le kiffe et son groupe aussi qui saura nous faire danser tard dans la nuit.

Jour 5. 17h21, un festival taillé pour les pro

Par beaucoup d’aspects, le Printemps de Bourges reste un festival de professionnels. Conférences, rendez-vous professionnels, ici les directeurs de salles de concerts et de festivals se croisent avec les managers, les artistes et les attachés de presse. Bref, un festival dans le festival réservé aux “badgés”. On en profite d’ailleurs pour se faufiler à la conférence de presse de la Sacem/ CNV et Irma sur le bilan des festivals 2014. Autre endroit blindé de pros, le 22 pendant les Inouis. Certains viennent faire leur marché, d’autres soutenir leurs groupes locaux. Un avantage : tous ces artistes en devenir se faufileront dans les salles à travers la France. Un inconvénient : les spectateurs jugent, sont attentifs, mais rentrent très peu dans l’ambiance live.

18h23, une sensation de calme ?

Ce soir, on teste l’option les fesses au chaud. On fait d’abord un tour à l’Auditorium, avec le groupe Minuit en ouverture. Ambiance feutrée, sièges dignes d’un cinéma, on serait presque tenté par un petit somme. Mais parmi les événements du festival, la création live autour de l’hommage à Nina Simone (photo) était l’un des évènements du Printemps à ne pas manquer. On s’installe au Palais d’Auron, et on se laisse porter par les voix de Yael Naîm, Ben l’Oncle Soul ou Camelia Jordana reprenant les standards de la chanteuse américaine. Malheureusement, les basses de Black M empêcheront aux spectateurs de profiter à fond de la parfaite harmonie jazz.

En parlant de lui, allons donc faire un tour sur son show. La salle est blindée, avec un public de 13-15 ans accompagné de leurs parents : on se croirait aux plus grandes heures de la tournée “ Meilleure Amie” de Lorie en 2000. La tentation du billet facile pour le Printemps, reniant ses attaches musicales pour de la soupe commerciale. On aura pu au moins mettre un peu de cérumen musicale dans nos oreilles, avec Too Many Zooz et Chill Bump sur la scène pression live, et Rival Sons dans la salle surchauffé du 22.

Jour 6. 12h34, dernier round d’Inouies pour verdict final

Pour ce dernier jour à Bourges, le Printemps dans la ville a remballé ses bourgeons pour retrouver son calme naturel et accueillir un doux soleil d’été. Un soleil qui se lie très bien aux Inouies avec les joyeux créoles de Troptico. Iltika nous aura lui raconté ses belles histoires et ses rencontres, accompagné de quelques violons. Lior Shoov nous surprendra, avec ses multiples instruments et ses sourires.

Après un tour de chansons avec Nicolas Michaux, et un WTF personnage voulant repeupler le monde avec un masque de lapin, Gontard!, c'est Radio Elvis (photo) qui conclue la session avec force rock et présence remarquée. Il faudra attendre 19h pour les résultats, pour couronner Radio Elvis prix du jury et Last Train prix du Printemps.

16h43, Gréco s’expose

Le premier jour du festival ouvrait avec le début de la tournée d’adieu d’une grande dame de la chanson française, Juliette Gréco. On profite du calme de cette fin d’aprem pour aller jeter un oeil à l’exposition (photo) consacrée à sa carrière, passant par Boris Vian, Serge Gainsbourg jusqu’à NTM et Abd Al Malik. Les allées du festival ne dégorgent pas, avec des enfants glace à la main un peu partout.

A propos de rap, une belle soirée était organisée au Palais d’Auron ce soir, entre Gradur, Joke ou Kaaris. Tous des cousins de Booba, on aime ou on aime pas, mais on est heureux de voir des noms de cette scène sur une affiche de festivals.

20h15, trois impératrices pour un trône de scène

Direction le W pour la dernière page de l’histoire 2015. Un public enfin divers, de toutes générations qui découvre le groupe Isaac Delusion, petite perle sur scène de ce début d’année. Mais cette dernière soirée sera marquée par la force féminine qui animera l’âme du Printemps. D’abord Izia, encore plus déchaînée qu’à Strasbourg, court un 100 mètres à la minute et surfe entre tubes rock et douceurs pop. Puis vient The Do (photo), porté vers le succès par une mise en scène rouge futuriste autour de leur dernier album Shake Shook Shake, et par l’énergie magnifique et troublante d’Olivia Merilahti. Nous voilà dans une atmosphère rock teintée clavier qui ne retombera qu’au salut final.

La soirée a pris 30 minutes de retard mais aucun soucis, la salle est pleine à craquer pour l’arrivée de la reine Christine. Sans surprise, elle cartonne. Quand elle ne s’amuse pas à faire danser le public sur du R’n’b, elle entre dans des mouvements endiablées parfaitement calibrées avec ses danseurs ou balancent les watts avec des solos vocales. Christine and The Queens sera sans nul doute l’attraction de l’été. Elle plaira, elle enivrera, elle scintillera. Mais arrivera-t-elle à nous faire oublier Stromae ?

Côté concert

La claque
Chrisitne and The Queens, qui emportera tout sur son passage cet été

La maîtrise envoûtante
The Do, emporté de A à Z par leur concert

Violence version belge
The Subs, ils continuent de fracasser leur public à coup de basses 

Le gars sûr
Boris Brejcha, toujours au top de la techno made in Germany

La recette magique
Deluxe, une formule dynamitante qui marche à tout les coups

L’emploi fictif
Guts, qui vient en touriste sur scène mais qui est tellement bon qu’on adore et qu’on en redemmande

Le coup de coeur
Hubert-Félix Thiéfaine, des histoires à raconter pour un live tout en émotion

Les découvertes des Inouies qui vont cartonner
Cotton Claw / Darjeeling Speech / Pira. TS / Carré Court / Radio Elvis, retenez ces noms, ils vont cartonner !

La déception
Chinese Man, trop de MC pas assez d'eux-même

Côté festival

On a aimé :
Une ville qui vit au rythme du festival, avec la musique qui continue dans ses rues tous les soirs dans une ambiance féroce mais détendue.
Prix des conso et de la nourriture acceptables, surtout dans la ville, même si la bière principale reste de la Kro
Les salles du 22 et les découvertes par dizaine des Inouies, là où se joue l’avenir de la musique.

On a moins aimé :
Un festival fait pour les “pros”. Ce sont les seuls à pouvoir aller d’une salle à l’autre et vivre le festival comme de “vrais” festivaliers. Il n’y pas de pass proposé pour tout le festival, et des prix très élevés pour la grande scène (entre 35 et 40€).
Si ce n’est le dernier soir, pas de mélange des générations ni des genres musicaux dans la salle principale.
Pas de visuel 2015 pour le festival. Quel dommage !
Les allées gratuites trop ambiance fête forraine et finalement peu chaleureuses.
Un festival du vendredi au mercredi, et une effervescence qui retombe dès le lundi.

Conclusion

Festivaliers, on vient picorer à Bourges quand le Printemps arrive. Un coup de découverte aux Inouies, une grande scène pour voir ses artistes stars, et une ballade musicale au coeur de la ville. Mais quand on fait les comptes, le festival s’adresse à tous mais peine à rassembler chacun dans un même élan. Le Printemps de Bourges tout de même reste indéboulonable : direction la 40ème rugissante pour 2016 avec un festival qui retrouvera son créneau habituel.

Récit : Morgan Canda et Quentin Thomé
Photos : Morgan Canda