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La Route du Rock: dans la boue, sous les étoiles

Rendez-vous annuel du 15 août au fort Saint-Père, à côté de Saint-Malo, la Route du Rock misait cette année autant sur des groupes au cuir bien tanné que sur des jeunes pousses en devenir. Pari réussi pour une 24e édition équilibrée, qui a attiré la foule malgré une météo pour le moins compliquée.

Jour 1. 18h20, arrivée au fort

La Route du Rock est une institution bien au-delà de la Bretagne. Elle draine un public fidèle et exigeant qui sait y trouver non seulement une programmation pointue et défricheuse, mais aussi un cadre et une identité propres. Chacun y a ses petites habitudes, du stand merchandising au bar à vin et champagne, des inévitables autocollants des Gérards aux étals des labels indépendants. Peu de modifications dans l'organisation des lieux cette année. La particularité vient du ciel, avec des torrents de pluie en ce jeudi après-midi qui annoncent un week-end détrempé. L'appréhension se confirme dès l'arrivée sur le parking et aux abords de l'entrée du site. Tout est noyé sous la boue et l'option sandales s'avère une très mauvaise idée.

18h32, ça promet !

La plaine centrale est un champ de boue. On ne peut s'empêcher de sourire à l'idée d'observer pendant plusieurs jours les trésors d'ingéniosité que déploieront les festivaliers pour rester au sec tout en restant cool comme tout bon indie de tout âge. Les plaques disposées pour traverser les rivières de flotte sont rapidement elles mêmes recouvertes et les quelques stands abrités sont pris d'assaut par quiconque n'est pas venu en poncho plastique intégral.

18h45, un ange sous la pluie

Et pourtant, ça démarre, avec le sourire. Un joli, en plus. Ce n'est déjà pas l'idéal de faire l'ouverture du festival, à une heure où les gens commencent tout juste à arriver, mais quand il s'agit de le faire sous une pluie battante, autant dire qu'il y a de quoi doucher les enthousiasmes sur scène. Mais Angel Olsen entame un set des plus convaincants, devant un public qui reste malgré l'averse. On pouvait craindre une prestation un brin tristoune, entre folk mélancolique et songwriting écorché. Nous en repartons séduits par une jeune américaine qui prend la situation avec le sourire, joue avec le public, et offre un répertoire bien écrit et lumineux. C'est toujours ça de pris et, tout compte fait, tout ne commence pas si mal...

19h30, War on drugs, ciel bas et lourd

Le premier concert de la grande scène est celui du groupe d'Adam Granduciel, The War on Drugs. Folkrock planant, tout en nuances et atmosphères subtiles, porté par une voix aux accents dylaniens indéniables, le tout dans un écrin classieux dont on regrette quand même qu'il ne fasse pas plus de vagues, et que le voyage auquel il convie ne connaisse pas davantage de heurts et de moments plus rêches. Quand on patauge dans la boue, on aimerait planer moins bas, moins calmement, et percer un peu la chape nuageuse. Ce sera pour plus tard.

20h02, entre marécage et sable mouvant

Alors que des camions citerne se relaient pour pomper l'eau d'un terrain qui ne peut plus rien absorber, le festivalier tente de faire comme si de rien n'était, en baguenaudant d'un espace à l'autre. On se réchauffe avec une pizza, une box de patates, un panini garni ou de la cuisine asiatique. Bref, on fait feu de tout bois dans cette ambiance bien fraîche. D'autres semblent considérer qu'il faut combattre le mal par le mal, opposant à ce trop plein d'eau des verres régulièrement remplis. Quand survient un arc en ciel au dessus de la scène, il devient évident que, même si manifestement le sol n'aura jamais le temps de sécher d'ici à la fin du festival, tout le monde est déterminé à profiter avec insouciance et légèreté.

20h52, Kurt Vile tout en simplicité

L'air de rien, débarque sur scène le nonchalant Kurt Vile et sa tignasse, sa dégaine d'ado et son talent. Sans la ramener, planqué derrière ses cheveux et ses compositions bien troussées entrecoupées de rapides « thank'you », le bonhomme livre un set nettement plus convaincant que ses prédécesseurs et néanmoins concitoyens philadelphiens.

21h59 : Real Estate, du soleil malgré tout

Comme d'habitude, dès que la foule commence à grossir en cours de soirée, le passage vers la scène des Remparts devient un goulot d'étranglement. En ce premier soir, ça reste encore humain. Demain, nous le savons, ce sera pire. Pour continuer sur cette lancée pour le moment 100 % américaine, nous partons baigner un peu dans les mélodies sucrées et ensoleillées de Real Estate. Visiblement contents d'être là, les cinq musiciens partagent une pop légère mais impliquée, on ne peut plus bienvenue.

22h15, la nuit tombe sur le fort

Désormais habitués à l'idée de rester humides toute la soirée et résignés à la perspective d'un rhume prochain, nous observons le ballet improbable des tenues plus ou moins cocasses improvisées face à la météo taquine. D'aucuns, prévoyants, ont opté pour les bottes en caoutchouc, quand d'autres scotchent des sacs poubelles autour de leurs malheureuses chaussures. Ici et là, quelques vétérans évoquent une édition déjà bien mouillée il y a quelques années.

22h55 : Thee Oh Sees, fièvre millésimée

Très attendu, le trio de San Francisco assène d'emblée une musique dont l'efficacité tient moins à des ficelles vues et revues qu'à une identité bien trempée et éprouvée sur scène depuis plus de 15 ans. Originale, simple et inventive à la fois, la démarche de Thee Oh Sees (photo) déploie une variété surprenante et une énergie implacable. Grosse impression de la soirée, haut la main.

00h30, FWF : WTF ?

Contrairement à ce qui était annoncé dans le descriptif du groupe, les Fat White Family ne sont manifestement pas « la réponse la plus radicale » à la question de savoir « si le rock peut toujours être dangereux et subversif aujourd'hui ». Ces Anglais, à la mauvaise réputation autoproclamée de petits branleurs provocateurs et peu fréquentables, s'avèrent cependant convaincants sur scène... pour le peu auquel on a eu droit. Car, partis au bout d'une demi heure au lieu des 45 minutes annoncées, ils laissent une impression de vraies qualités en devenir, mais disqualifiées par une posture un peu trop délibérée pour être spontanée. Dommage, mais à vrai dire on s'en remettra.

01h26, la transe mutante

Sachant d'ores et déjà que nous ne resterons pas jusqu'au set de Darkside, nous abordons néanmoins le prévisible virage électro de fin de soirée avec une curiosité qui ne sera pas déçue. La musique des Canadiens de Caribou est composite, empruntant tous azimuts des influences et des idées pour les distiller de façon cohérente et, il faut bien le reconnaître, assez séduisante. Originale, fraîche, dansante et évocatrice à la fois, elle convoque des impressions contradictoires mais pas irréconciliables.

01h50, premier départ nocturne

Avec une pensée émue pour ceux qui, maintenant ou plus tard, rejoindront leur tente au camping dans un état difficile à envisager de manière sereine, nous quittons le fort. Pour un premier soir, et malgré un début qui s'annonçait plombé par la pluie et les étendues de boue, la foule était là, l'ambiance aussi. Demain, forcément, ce sera mieux. En attendant, il s'agit de quitter les lieux en voiture sans s'embourber irrémédiablement.

Jour 2. 18h45, retour armé au front

Avec du retard à l'allumage, nous réalisons qu'en plus de rater la conférence (forcément enthousiasmante) de Christophe Brault sur le rock psychédélique à Saint-Malo, nous allons devoir aussi renoncer à la scène de la plage. Pourtant, la prog était cette année particulièrement émoustillante et le temps aujourd'hui revenu au beau fixe. Tant pis. Deuxième désillusion : ça va être chaud pour le premier concert, tant les embouteillages s'avèrent précoces sur la route du site. Effet Portishead assuré. Nous constatons en arrivant que les parkings de la veille, devenus assez impraticables, sont déménagés dans d'autres champs à proximité. Le beau temps du 15 août nous aurait presque fait hésiter à revenir en bottes en caoutchouc. Une fois sur place, on se rend compte bien vite qu'elles vont nous sauver la soirée.

19h52, no cheatahs, but still, mud, mud, mud !

Faute d'avoir découvert les Cheatahs qui ouvraient le bal ce soir, on arpente de nouveau un site qui sent désormais le poney, à la faveur des étendues de paille répandues essentiellement devant la grande scène. Dire que c'est suffisant à rendre les lieux moins boueux serait pour le moins exagéré. Néanmoins, les gens semblent avoir cette fois davantage anticipé, et le soleil aide à renouer avec l'insouciance qui va souvent de pair avec l'ambiance festivalière.

19h25, Anna Calvi, bonne entrée en matière

Elle nous avait déçu et un peu irrité à Malestroit un peu plus tôt cet été, l'heure était peut-être à la réconciliation avec Anna Calvi. Si le contraste entre l'effet « poupée » du look de la demoiselle et les déchirements sonores du répertoire apparaît un peu trop ostentatoire et travaillé pour être honnête, force est de constater que la prestation de l'Anglaise est cette fois bien plus convaincante qu'Au Pont du Rock.

20h27, Motor city martyrs

Protomartyr ou la première déflagration sonique de la soirée. Les quatre gars de Détroit prennent possession de la scène des remparts avec une décontraction dont on ne saura pas si elle est de façade. Mais ils dispensent une musique qui ne s'embarrasse pas de fioritures et de ronds de jambes. Le chanteur, particulièrement, peut bien siroter nonchalamment sa bière entre les morceaux, les mains dans les poches et l'air d'attendre que ça passe : avec une voix comme ça, le reste compte peu. Du reste, le public ne s'y trompe pas et s'enthousiasme pour un groupe qui rend bien sa violence à la ville qui l'a vue naître.

21h10, slowdive très attendu et convaincant

C'est devant une foule bien compacte et qui manifestement les attendait que les vétérans de Slowdive sont entrés en scène. De fait, très en forme et heureux sur scène, généreux, les Anglais ont su montrer à quel point leur répertoire avait bien vieilli et, mieux, avait valeur de classiques, tant il est apparu cohérent sans être redondant, mélodique et écrit sans être complaisant. Dans des compositions toutes en nuances qui prenaient le temps de déployer tout leur propos, le groupe a clairement manifesté une fraîcheur et une cohésion que beaucoup de jeunes formations leur envieraient.

22h50, Portishead sensation de la soirée

Bon, et puis voila. On peut toujours ergoter sur les mérites des uns et des autres. Quoi qu'on en dise, la grosse sensation de la programmation en termes de retrouvailles était indéniablement le retour de Portishead (photo). Avec toujours l'incertitude de savoir si la déception serait au rendez-vous. Les bons échos du festival de Beauregard n'ont pas été démentis. Quelle claque ! Un concert énorme de Beth Gibbons et ses acolytes, tout en sobriété et en puissance contenue, énorme d'émotion véhiculée et de présence sans artifices. Il y aurait beaucoup à en dire. Comme l'année dernière avec Nick Cave et Godspeed You Black Emperor !, s'est dégagée l'impression que dans la prog il y avait ce groupe d'un côté, et le reste de l'autre côté. Hors concours, au dessus de la mêlée, pour une prestation qui à elle seule valait le déplacement, la boue et le rhume. Et quelle simplicité, quelle humanité perceptible dans les quelques mots et moments partagés en fin de concert.

00h05, On n'ira pas jusqu'à Metz ce soir, mec...

Bon, comment dire...après ça, on est un peu groggy, et on aimerait faire une pause pour avoir un sas de décompression, avant d'être de nouveau disponible pour apprécier d'autres démarches artistiques. Quand on ajoute à ça la foule énorme qui se pressait scène des remparts et rendait hasardeuse toute tentative de rapprochement vers le show des Canadiens de Metz, on comprendra peut-être qu'on a renoncé à y goûter autrement que de loin. Pendant ce temps-là, comme du reste pendant tout le festival, les bénévoles du stand merchandising ne chômaient pas.

01h15, la ménagerie alien des Liars

Dernier concert avant de plier les gaules, Liars attisait une curiosité qui n'a pas complètement trouvé de réponse ce soir. Déjanté, sauvage, à nul autre pareil, avec une très grosse présence physique et une énergie infatigable, le groupe nous laisse un peu perplexe, tellement hors cadre qu'on peine à avoir un avis. A revoir, sans aucun doute.

01h43, deuxième départ nocturne

Alors que la foule ne désemplit pas et que manifestement la soirée va continuer pleinement jusqu'à la prestation de Moderat, on se résigne à rentrer. Le lendemain, en plus de rater les concerts de Perfect Pussy, Mac Demarco et Temples, on se privera de la joie inespérée d'un sol de nouveau...sec. En attendant, on se contente avec gratitude d'apprécier la facilité retrouvée à quitter un parking moins boueux que celui de la veille.

Côté scène

Le plus magistral
Portishead, incroyable de justesse.

La bête de scène
Thee Oh Sees, l'expérience au service de l'énergie.

Le gros brutal qui fait du bien
Protomatyr, efficaces et débraillés.

Les découvertes :
Kurt Vile & the Violators et Angel Olsen, mélange de fraîcheur et de maturité qui ne la ramène pas.

La valeur sûre
Slowdive, atemporel et envoûtant.

Côté festival 

On a aimé:

- le pari réussi d'une cohabitation entre groupes anciens et nouveaux, découvertes et redécouvertes ;
- l'organisation bien huilée, et notamment l'adaptation au contexte pluvieux, l'accès au site... ;
- l'identité bien marquée du festival, qui garde ses lettres de noblesse ;

On a moins aimé :

- la présentation du programme, pas franchement commode pour s'y retrouver entre les scènes et les horaires ;
- la bière plus chère que dans d'autres festivals et pourtant tout aussi médiocre qu'ailleurs ;
- comme tous les ans, l'engorgement de la scène des remparts aux moments les plus forts de la soirée, pénible pour profiter vraiment des concerts

Conclusion

Ce n'est pas une petite averse qui va nous ruiner un festival comme la Route du Rock, ma petite dame. Les années passent et l'identité bien à part de l'événement ne se dément ni en qualité proposée ni en succès auprès du public. Un rendez-vous du 15 août, unique en son genre, qui a donc vraisemblablement encore de belles années devant lui.

Récit et photos : Matthieu Lebreton