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La Route du Rock 2022 : entre riffs, chenille et galette saucisse très bon marché

Nous voici de retour dans le Fort de Saint-Père pour 3 jours de programmation 100% rock indé. Pour sa 30ème édition “collection été”, le festival de la Route du Rock est audacieux et plus que pointu si on se réfère aux noms des groupes, peu de têtes d’affiche, beaucoup de formations en devenir. Les galettes saucisses les moins chères de festivals, les festivaliers parisiens en surnombre, les sanitaires qui sentent bon la javel et la chenille géante sur les Jaloux Saboteurs, nous vous racontons tout ici du festival le plus rock de Bretagne. 

Jour 1. Jeudi 18 août. 19h30, un festival sans bracelet

Nous arrivons tranquillement avec le flot des festivaliers sur le site du fort de Saint-Père-Marc-en-Poulet, et apprenons que pour cette édition du festival, les bracelets sont réservés aux “VIP”. À chacun donc de garder son code-barre sous la main pour pouvoir franchir les portes d’entrée. De plus, l’utilisation du bracelet cashless honni par beaucoup est enfin terminée, l’épidémie de Covid aidant, le paiement par carte sans contact s’étant grandement démocratisé.

On découvre le groupe jouant sur la scène principale par l’intermédiaire d’un écran situé au niveau de l’espace de restauration. L’ambiance est poétique et la musique douce. Black Country, New Road (photo) nous accueille tendrement sur un solo de la pianiste du groupe, May Kershaw, qui chante également. Le reste du groupe la rejoint sur le morceau suivant, et c’est cette fois la bassiste Tyler Hyde qui prend le lead vocal, en utilisant notamment un archet sur sa basse électrique.

Une mauvaise surprise nous prend lorsque les écrans se mettent à diffuser des publicités pour une glace ou pour une plateforme de streaming musical. Si la programmation du festival est très dense et fournie (et donc financièrement lourde à supporter), on se désole tout de même de voir qu’un festival arborant un sigle “à but non lucratif” soit réduit à l’utilisation de spots publicitaires pour fonctionner.

20h30, les anglaises mettent tout le monde d'accord

Les concerts s’enchaînent avec une rapidité impressionnante. Les deux scènes du festival (Grande Scène et Scène des Remparts) se font face et les concerts se font en alternance. Pas le temps de souffler donc, mais pas la possibilité non plus d’aller écouter autre chose.

Nous optons ce soir pour des galettes et quelle n’est pas notre surprise quand on voit le prix ! 3 euros la galette saucisse. À ce prix là, on ne va pas se priver d’en redemander. Un voisin de table n’a pas l’air bien. Il nous explique en avoir mangé 3 d’un seul coup et être en pleine overdose. C’est ça la fête en Bretagne.

Sur la grande scène nous attend le concert de Wet Leg (photo). Après une entrée sur scène accompagnée par la musique du Seigneur des Anneaux (la Comté), les anglaises en jupes longues et bobs tiennent leur engagement scénique de mettre le feu à la foule. Leurs mélodies pop travaillées, la légèreté dans la voix de la chanteuse et l'énergie qu’elles déploient nous ravissent. Elles finissent le concert par leur titre phare Chaise Longue que le public entonne dans l'allégresse générale. L’une des meilleures découvertes musicales pop rock de l’année portée par un groupe quasi exclusivement féminin. Nous constaterons d’ailleurs à plusieurs reprises avec bonheur que les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les formations musicales rock présentées.

22h05, tous les éléments rock sont réunis

On peut difficilement faire plus britannique que Yard Act qui commence son concert sur la Scène des Remparts. Le chanteur ne lâche pas son imper et se fend de long speechs que nous avons parfois du mal à comprendre. Il faut manifestement avoir fait une LV2 accent du Yorkshire pour comprendre. Les slams dans le public s’enchaînent alors que la météo n’avait pas prévu l’épisode de pluie de bière que nous traversons. Nous sommes bien dans un festival de rock.

Les dublinois de Fontaines DC (photo) commencent sur un rock progressif un peu planant pour presser le pas morceaux après morceaux. Le chanteur presse ses textes, plus rapidement que les instrumentistes, ce qui donne un aspect punk à ses déclamations. Le guitariste mélodique n’utilise pas moins de 4 guitares pendant le concert, le tout est magistralement réalisé. La foule en redemande.

00h10, du rire aux larmes

Le concert suivant s’éloigne un peu du style général punk rock de la soirée pour mieux nous faire apprécier l’ensemble. La française Charlotte Adigéry & Boris Pupul (photo) viennent bousculer les oreilles et les corps en se donnant à 100% dans un show electro survitaminé. Adigéry passe littéralement du rire aux larmes, le tout en musique, dans son titre HAHA. Son acolyte Boris Pupul sur scène, aux manettes du son et à la guitare, la suit partout dans son imaginaire décalé à mi-chemin entre le français, le créole et l’anglais. Ses textes sont acerbes et engagés et la performance est impressionnante.

Côté toilettes en dur du festival nous constatons que l’état général à cette heure avancée de la soirée est plus que satisfaisant. Pas de queue, du papier et une voisine de WC pour s'exclamer “ça sent même l’eau de javel !”. Le constat de propreté et d’absence de queue est le même sur tout le festival.

01h00, dans la moiteur d’un club mythique de Manchester

Avant que la première soirée du festival ne touche à son but, il reste le concert du Working Men’s Club (photo) et les quatre youngsters ne sont pas là pour rire. Ils nous servent un mélange brut entre un rock de Manchester énervé et une techno indus saturée. Comme un avant-goût de l’ultime concert de l’édition, le chanteur et guitariste Sydney Minsky-Sargeant saute, s’agenouille sur le devant de la scène et hurle à plein poumons, tandis que ses comparses restent extrêmement fixes, créant un contraste saisissant.

Si la programmation de cette édition se tourne à nouveau vers un panel pointu du rock de nos jours, elle fait également place à trois DJs proposant trois styles différents, sur les trois soirs sur la scène de l’after, pas très loin de la sortie du festival. Ce soir, c’est la DJ Wunderbar qui régale en passant des titres rock à nous faire danser toute la nuit. 

Jour 2. Vendredi 19 août. 19h20, ça sent bon l'iode

Sur notre chemin, nous faisons un petit passage aux stands des huîtres près de la scène de l’after. Les fins gourmets peuvent déguster un plateau accoudé à une planche à repasser (oui, oui) (photo). À proximité immédiate, le tour bus d’Arte TV propose des animations (photomaton, jeux concours, distributions de stickers, de gourdes et de sacs). On tolère leur merchandising dans la bonne humeur mais uniquement parce que les réalisations de leurs enregistrements des concerts sont à couper le souffle. 

20h10, les dames de Brighton à l'honneur

Le premier concert auquel nous assistons ce soir est celui de Porridge Radio (photo), un quatuor à dominante féminine, qui nous propose un rock énergique aux timbres ciselés. Les pédales de saturation et fuzz du groupe ressortiront presque indemnes et on est ravis quand le groupe s’énerve finalement et balance un gros son.

Sous la tente, Kevin Morby, en veste à franges dorée, présente son dernier album dont le titre est écrit en gros en arrière scène : “This is a Photograph”. Il y a du Magritte dans l’air. Pour le morceau final, le saxophoniste se paye un grand solo explosif, et rattrape ainsi les longs moments de silence qu’il a observés précédemment.

22h15, extravaganza

Le jour ayant fait place à la nuit, la fraîcheur commence à s’installer sur le site. La foule se fait un peu plus compacte, mais on ne sait pas si c’est pour se réchauffer ou pour saluer la qualité musicale de DIIV, le quatuor New-Yorkais qui fête les 10 ans de son premier album. Si le set commence par une ambiance assez contemplative avec un rock psyché assez planant, l’énergie va crescendo jusqu’aux derniers titres. Ceux-là sont issus justement de leur premier album, et la célébration se fait avec un son qui se rapproche un peu plus du hard rock.

Sur la grande scène s’installe ensuite Baxter Dury (photo) et ses extravagances. Son show propose une grande variété stylistique, passant de la pop britannique aux productions flirtant avec la house. De même, ses tenues de scène alternent, du marcel blanc au manteau rouge de Père Noël brodé au nom d’une de ses chansons The Prince of Tears. Toutefois, sa voix reste inchangée, et plus qu’il ne chante, il déclame, même quand il ne présente parmi ses musiciens que sa choriste. Le fils du chanteur punk, Ian Dury, fait une sortie de scène en nous lançant “you love me, admit it!” (“vous m’aimez, admettez-le !”) qui reçoit un accueil du public assez mitigé…

00h25, le pouvoir du grand chamane

Une fois le dandy en coulisses, la foule reprend sa transhumance vers l’autre côté de la grande cour du fort Saint-Père. Ce sont les Londoniens de Snapped Ankles, vêtus de tenues de camouflage et armés d’instruments plus ou moins artisanaux, qui prennent place. Tout ou presque dans leur show contraste avec les autres groupes du festival, tant cela semble original - et ce n’est pas pour nous déplaire ! Ceux qui se définissent comme peuple de la forêt descendant des arbres nous envoient une musique vigoureuse et débordante qui rappelle tant le post-punk électronique que le tumulte des congolais de KOKOKO!. On se laisse entraîner sur les rythmiques tribales ponctuées de balayages harmoniques de leurs synthétiseurs faisant penser à une guimbarde new-age.

Quand le concert des Limiñanas (photo) commence, on sait déjà que le spectacle va être visuellement intéressant. Les 7 musiciens sur scène nous proposent une musique orchestrale de psyché rock qui emprunte au trip hop et à l’univers du cinéma. Sur l’écran derrière eux défilent des scènes de films à toutes vitesses, le thème central étant le regard et les yeux dans des films cultes comme Psycho ou Shining. S’ajoute à cela la très bonne captation du concert. Nous sommes captivés même si la musique n’est pas aussi dynamique que l’on voudrait.

À la fin du concert nous allons jeter un œil à l’after qui a du mal à démarrer dû à un problème son. C’est dommage car la sélection electro de Jabba 2.3 aux platines semble alléchante. Nous allons nous coucher en laissant les courageux attendre le retour du son.

Jour 3. Samedi 20 août. 19h00, la parade noire

Au loin commence le concert de Vanishing Twins que nous regardons sur un écran avec curiosité (photo). Le duo principal du groupe est de noir vetu. Dos à nous, la chanteuse porte un masque blanc et un grand chapeau. Le premier morceau est pour le moins expérimental, nous ne sommes pas convaincus par l'esthétique visuelle et musicale. Si on reconnaît bien la voix de Cathys Lucas, on a un peu plus de mal avec le style barré de ce début, mais les morceaux suivants nous ramènent à ce que l’on connaît plus du groupe, de la pop psychédélique lunaire mais mélodieuse. 

20h30, l'invasion britannique continue

Ce soir, nous optons pour le food truck avec le moins de queue. Grave erreur car il s’agit de simples bagels à plus de 14 euros dont les ingrédients sont bons mais le prix est plus qu’exagéré pour la dose. Au loin, la musique de Wu-Lu pour le moins monocorde dans le genre sombre mais sans beaucoup d’énergie ne nous satisfait pas plus.

Beak> (photo) vont, eux, agréablement nous surprendre. Les trois anglais (encore eux !) ne paraissent pas être des bêtes de scène au premier regard. Deux d'entre eux feront d’ailleurs le concert assis. Mais ils nous emmènent avec eux dans une folle découverte toute instrumentale à la croisée entre le punk, le rock et l’electro ambiant. Et tout ça avec une simple basse, une batterie et un vieux clavier ! À la fin du concert, ils en profitent pour lancer un coup de gueule contre le Brexit, alors que le batteur arbore un gros sticker sur un de ses toms suggérant qu’un certain Boris est raciste. 

22h10, Ditz is hard punk rock

On revient sur la petite scène des Remparts vers un style hard punk plus marqué avec Ditz (photo). Le chanteur, roux coupe au bol, n’hésite pas à hurler dans son micro, il en perd même une chaussure. Il se fend pour nous de quelques phrases choisies en français: “Bonjour la Route du Rock. J’adore la bière. J’adore la clope”. Si on avait pas compris qu’il y avait un esprit rock anglais dans l’air, nous voilà fixé. Dans la foule il n’y a pas de drapeaux bretons (il faut dire que les bretons sont à domicile), mais on voit depuis plusieurs concerts déjà un pack de bière locale brandi à bout de bras par un groupe pour se repérer.

Le californien Ty Segall est l’une des têtes d’affiches du festival. Il est maintenant un artiste de la scène rock confirmée (depuis 2008 quand même!). Son style a beaucoup évolué depuis ses débuts très garage rock. Il alterne aujourd’hui plus facilement les morceaux énervés et ceux acoustique à la guitare. Il n’a rien perdu de son sens du show et s’essaye même à un concours de qui criera le plus fort entre lui et la foule. Concours qui se termine en match nul.

00h05, je suis allée à la Route du Rock, j’ai trop souffert

Pas le temps de se remettre de nos émotions que résonnent les premières notes joyeuses de la musique Jaloux Saboteurs de Maître Gazonga. C’est le signal pour le début de la chenille, grand classique du festival, annoncée dans le programme, même si on ne savait pas quelle serait la musique. La procession est pour le moins impressionnante devant la grande scène. (photo) Des départs de chenille se croisent et se rejoignent, ceux qui restent sur le côté finissent par se faire happer fatalement par le mouvement général de ceux qui les pressent de faire partie de la fête et les bières valsent.

01h00, la folie en direct sur les écrans

Les remplaçants des King Gizzard and the Lizzard Wizard ont du pain sur la planche, le groupe américain dont le concert a été annulé faisait en effet partie des grandes têtes d’affiches. C’est Fat White Family (photo) qui s’y colle. Et le chanteur ne va pas cesser de nous surprendre alors que toutes les caméras de la grande scène sont tournées dans sa direction. Premier morceau, on l’entend mais on ne le voit pas sur scène. La caméra plonge alors dans le public pour le retrouver allongé par terre au milieu des festivaliers. Après un long bain de foule, pendant lequel il s’arrête boire un bière, le chanteur, torse nu et leggings couleur chair, accepte de remonter sur scène. Ça ne dure pas longtemps avant qu’il saute à nouveau dans le public pour slamer. Les festivaliers sont en transe, à l'inverse des agents de sécurité et du technicien son qui tient son fil de micro et qui semblent déjà à bout après deux morceaux. On retiendra quand même sa tentative d’avaler le micro après l’avoir copieusement léché. Comme le précisait le programme, le groupe de rock énervé est clairement infréquentable mais pour notre plus grand plaisir.

Le bilan 

Côté concerts

Le groupe entêtant
Wet Leg, parce qu'on connaît maintenant par coeur le refrain

La folie communicative
Charlotte Adigéry et Boris Pupul, une collaboration remarquable

Une fête d’anniversaire réussie
Diiv, et leur rétrospective de dix années de shoegaze

Le souffle et les chevilles coupées
Snapped Ankles, te met en transe

L’ovni sans limite avec le public
Fat White Family, et le chanteur dans tous ses états

La douce colère rock “motorik” 
Beak>, des Anglais contre le Brexit mais surtout pour l'alliance du post-punk et de l'électro dissonant.

Côté festival

On a aimé :

- L’enchaînement parfait des groupes entre les deux scènes, le travail incroyable des ingés son et techniciens plateaux
- Le vrai plus des concerts filmés sur la grande scène (avec une réalisation adaptée et captivante)
- Le bar à eau et de façon générale l’accès à l’eau partout sur le site
- Les galettes saucisses à un prix imbattable
- L’harmonie visuelle, les stickers du collectif local “les gérards” hilarants et le logo présent un peu partout dans le festival
- La bonne ambiance dans le public (slam à tous les concerts) et toujours de l’espace pour danser !

On a moins aimé :

- Les publicités complètement hors sujet sur les écrans (trop nombreux !) à chaque temps mort
- Le fait qu’il ait qu’une seule proposition de concert en même temps (c’est un peu le but avec deux scènes qui se font face mais parfois on aurait aimé des alternatives musicales…)
- Le prix parfois un peu exagéré des stands de restauration (rapport quantité prix)

Infos pratiques

Prix des boissons : 
Bière en pinte: entre 6 et 8 euros (IPA, Blanche, Blonde ou Ambrée) / Vin : entre 4 et 6 euros / Champagne : 7 euros / Cocktail (type moscow mule) : 7 euros / Soft en pinte: 4 euros 

Prix de la nourriture : 
Galette saucisse à 3 euros / Pizza à 10 euros / Formule burger à 14,50 euros

Prix du festival : 
50 euros la journée / 125 euros les trois jours

Camping : 
Formule camping à 10 euros pour les 3 jours, 5 euros la journée et gratuit la nuit du mercredi

Transport : 
En voiture : A 15 minutes de Saint-Malo, 40 minutes de Rennes, 55 min. de Saint-Brieuc et 1h45 de Caen/Nantes. En train jusqu’à la gare de Saint-Malo. En navette gratuite mise en place toute la journée et la nuit depuis la gare de Saint-Malo, le centre ville et la gare maritime

Conclusion 

La Route du Rock nous a régalé musicalement avec une belle énergie scénique de la plupart des groupes mais aussi visuellement grâce au dispositif des concerts filmés et a tenu ses promesses en termes d'exigence festivalière avec des conditions optimales pour faire la fête : jamais de queue au bar et aux toilettes, propreté du site et efficacité du dispositif de sécurité. On déplore quand même un manque de spontanéité et d’entrain dans le public. Les nombreuses traditions comme la plus grande chenille du monde, les concerts sur la plage, les stickers décalés, le logo original, sont là pour témoigner de la belle notoriété du festival dans la région et nous reviendrons avec plaisir vous parler de la collection hiver en début d’année prochaine !

Récit et photos : Fanny Salmon et Georges Ledoux