On était à
Jazz Sous Les Pommiers 2021, toujours autant d’amour

Avec une édition 2021 décalée du mois de mai à fin du mois d’août, juste avant la rentrée, soumise au protocole sanitaire et recentrée sur la programmation d’artistes installés en Europe, une question se posait sur la route menant à Coutances : allions-nous retrouver l’atmosphère vibrante et festive qui fait la signature du festival normand ? La réponse est … oui et l’on vous raconte trois jours de ce festival immanquable, l’un des trois plus grands événements de jazz en France, dont c’était la 40ème édition.

Jour 1. 14h30, une ouverture sous le soleil

Une fois installée à Coutances, chez nos hôtes qu'on a énormément de plaisir à revoir d’une année à l’autre, on part retirer au foyer du festival l’ensemble des billets de concerts retenus. C’est ici, avec en fond de décor la cathédrale sous le soleil, qu’est installé également le chapiteau de merchandising (photo). Le festival annonce à date un remplissage à 60% de la jauge maximale, avec 9.000 billets encore disponibles sur les cinq jours. Le retour de vacances et le beau temps devraient certainement contribuer à des ventes de billets de dernière minute. Etant hébergée en plein Coutances, on ne peut pas vous raconter les conditions d’accès en voiture – le point noir du festival – mais des améliorations sont annoncées, avec la mise en place d’un parking derrière la gare SNCF et de navettes allers-retours toutes les 15 minutes jusqu’au théâtre, le tout gratuit et jusque 2h du matin.

16h45, un orchestre aux pommes plein de saveurs

Séduite par le profil et par le parcours de deux « artistes qui montent » (ils ont tous deux reçu la Victoire du Jazz du même nom), le festival a fait le choix d’une double résidence de trois ans, en simultané : l’une est confiée au violoniste Théo Ceccaldi, l’autre au tromboniste Fidel Fourneyron, qui ont pour mission de livrer un certain nombre de créations. Pour sa première création en tant qu’artiste associé en résidence, Fidel a convié des musiciens issus de la scène jazz normande à former la Manzana Orquesta – littéralement « orchestre aux pommes » (photo). Le répertoire aux saveurs afro-cubaines et sud-américaines est constitué des créations personnelles de Fidel – de pièces qu’il a composées notamment pour ses projets Que Vola, la Fanfare au Carreau, et pour son autre création intitulé Bengue - et d’arrangements de standards de rumba ou encore de bolero. Il est interprété par ce tout nouvel orchestre, un brass band 100% normand avec ses partoches, dirigé par … « un normand du pied des Pyrénées », en la personne de Fidel. Pour débuter le festival, rien de tel que ce concert réjouissant.

18H15, la double file d’attente

Une fois par jour – et non pas une fois pour toute la durée du festival – il nous faut passer par la case « contrôle du pass sanitaire », avec remise d’un bracelet dont la couleur change chaque jour. Il est également possible de se faire tester, avec une réponse sous 30 minutes. Ensuite, pour chaque concert, un contrôle de billetterie s’applique. La succession de ces deux types de contrôles, donc deux files à subir pour le public, entraine des embouteillages place De Gaulle, aux abords de la Salle Marcel-Hélie, la salle à la plus grande jauge où sont programmées les têtes d’affiche (photo). On aurait pu imaginer des bénévoles « volants » pour contrôler les pass sanitaires le long d’une seule file d’attente de contrôle billetterie – à l’image du personnel « volant » qui fluidifiait efficacement la prise de commandes de boissons dans la file d’attente au festival Jazz à Vienne.

19h45, la tête d’affiche et son invitée

Yaël Naim, la première des « têtes d’affiche » à être programmée, remplit les 1.500 places de la salle Marcel-Hélie. C’est à Coutances que l’auteure-compositrice-interprète franco-israélienne donne son seul concert cette année. Derrière son piano ou à la guitare, entourée d’un quartet de anches et de flûtes mené par le saxophoniste Christophe Panzani (« Révélation » aux Victoires du jazz 2020), avec Julien Pontvianne (saxophone, clarinette), Balthazar Naturel (saxophone, flûtes, clarinettes ) et Mayu Sato (flûte), Yaël Naim dévoile à ses fans des chansons inédites aux orchestrations d’inspiration classique. Après 1h30 d’un univers mélancolique, l’arrivée surprise de la chanteuse Célia Kameni (photo), conclut le spectacle par une touche de lumière que l’on trouve plus que bienvenue.

21h00, un village sous grilles

Deux heures plus tard, nous sommes de retour à la même place pour Manu Katché et ses invités : un set de jazz planant du trompettiste pieds nus Eric Truffaz, suivi par un récital de la « powerful » - dixit le batteur - chanteuse Sandra Nkaké. Deux têtes d’affiche « commerciales » coup sur coup le même soir, Yael Naïm puis Manu Katché, ce n’est pas ce qu’aurait souhaité le directeur du festival en termes de stratégie pour étaler l’affluence, mais il n’a pas eu le choix. Entre les deux concerts, un tour à l’extérieur nous a laissée perplexe sur les conséquences de l’application du protocole sanitaire. D’une part le square de l’évêché – où il fait bon d’habitude aller tendre une oreille vers la scène des amateurs tout en profitant du bar – n’est plus accessible cette année par le passage direct depuis le Théâtre. Sans son caractère traversant, l’espace se transforme en cul de sac et perd à nos yeux son attrait. D’autre part le village du festival, sur la place De Gaulle, se retrouve coincé entre de tristes grillages (photo), alors que les restaus en dur, qui bordent la place, demeurent eux accessibles à l’ensemble du public. Incompréhensible.

01h00, du jazz cosmique et de la sueur

La nuit venue, dans l’obscurité du Magic Mirrors de Coutances, on renoue avec notre premier concert debout depuis... on ne sait plus quand. Le saxophoniste Guillaume Perret (photo) met son sens de la dramaturgie – et ses pédales d’effets - au service d’un jazz cosmique, d’un voyage sensoriel que soulignent les jeux de lumières. Tel un architecte sonore, il construit et dirige son univers, du début à la fin. Un trip intersidéral d’où affleurent par moments des influences ethiojazz. Dans le noir, cinq danseurs et danseuses parmi le public, collés aux basses, exultent au son de ce programme intitulé « A Certain Trip ».

Jour 2. 14h00, un marathon de jazz français

Le temps est maussade aujourd’hui, à l’heure à laquelle on se dirige vers le même Magic Mirrors pour la première partie des « Jazz Export Days » : soutenus par le Centre national de la musique, des showcases de 30 minutes chacun, visent à mettre en lumière aux yeux programmateurs étrangers des groupes français. Au cours de la session de ce jour, on est captivée par la toile intensément vibrante que tisse Abdallah Abozekry (photo), joueur de saz du quintet de la saxophoniste Sophie Alour. A l’instar de la pièce « Songe en forme de palmier » le set est porté par les rythmes orientaux. Ensuite c’est la grâce inouïe de la chanteuse Marion Rampal en duo avec Pierre-François Blanchard au piano, qui impose l’attention et le calme. Leur format intime est au service d’un récital qui fait écho à l’universel, avec notamment le collage du spleen de Baudelaire et d’un blues chanté en créole louisianais. En quête de café à l’extérieur alors que le bar du Magic Mirrors restait désespérément fermé de 14h à 17h, on avoue toutefois avoir manqué pour partie les autres showcases.

20h45, de l’émotion brute à la Cathédrale

Un autre blues, celui chanté par Olivier Gotti qui s’accompagne à la guitare lapsteel – nous touche également droit au cœur. Il est 18h30, nous sommes assis dans l’obscurité du Cinéma de Coutances. Sur scène, Olivier Gotti est entouré du comédien Jérôme Imard et du dessinateur Benjamin Flao pour une adaptation très émouvante du roman Black Boy. La ségrégation, les humiliations et les injustices subies par le garçon noir sont projetées en mots, en musique et dessinées en direct. A 20h30 ensuite, dans le recueillement de la Cathédrale de Coutances, l’émotion nous étreint à nouveau - décidément c’est la soirée. Un incroyable violoncelliste néerlandais, Ernst Reijseger (photo), enveloppe de sonorités aériennes, éthérées, les polyphonies sardes de cinq chanteurs venus de la ville de Orosei. Main sur l’oreille gauche, ils chantent en cercle au niveau de l’autel, après avoir lentement remonté la nef. Lorsque leur chant se fait âpre, le violoncelliste se fait percussif et c’est absolument splendide. A l’instant suspendu, entre la dernière note et l’ovation qui retentit, on mesure toute la qualité d’écoute du public. 

21h45, le village du bas

Parmi les 279 bénévoles (qui s’ajoutent aux 144 salariés du festival, soyons précis), il y en a trois - Dominique, Elise et Max, absent cette année, - que l’on retrouve d’édition en édition avec plaisir pour échanger quelques mots en dînant. Nos vies s’écoulent, en parallèle, avec un point de contact annuel. Dom et Elise, toujours affectés au contrôle des billets à la salle Marcel-Hélie, vont se marier l’an prochain à Coutances, où ils se sont rencontrés il y a plus de sept ans. D’un commun avis, la signalétique pour diriger les festivaliers vers « le village du bas » – en contre-bas de la salle Marcel-Hélie – aurait gagné à être renforcée. C’est la première année que cet espace de restauration est aménagé, avec des tables de pique-nique à l’emplacement d’un parking. On ne l’avait pas repéré le premier jour et pourtant il est vaste et plutôt pas mal achalandé : dix food-trucks proposent un peu de tout, des sandwichs au camembert AOP de Normandie - aux couleurs du festival (photo) - des huîtres, des naans, bobuns, nouilles, croques, pizza, merguez…

23h45, les standing ovation pour les Résidents

Le concert inédit des dix résidents – actuels et passés – du festival, est annoncé comme l’évènement de cette édition du 40ème anniversaire. La salle Marcel-Hélie trépigne d’impatience et réclame sur scène à coups d’applaudissements les dix maestros : Franck Tortiller, Yves Rousseau, Bojan Z, Louis Winsberg, Andy Sheppard, Thomas de Pourquery, Airelle Besson, Anne Paceo, Fidel Fourneyron et Théo Ceccaldi. Chacun(e) a arrangé l’une de ses compositions, jouée par le tentet au complet avec une ferveur incroyable. De la musique unique et épique, à l’instar de la pièce « Zeus god of dogs » écrite par Théo, du nom de la boule de poils blanche sur pattes qui partage sa vie. Dix pièces pour un évènement copieux, magistral, mémorable (photo), dont un coup de cœur personnel pour la pièce portée par le contrebassiste Yves Rousseau : la chanson « Où va cet univers » (Léo Ferré), interprétée par Thomas de Pourquery.

Jour 3, 14h00, un marathon de jazz français, suite

Au troisième jour il fait froid à Coutances mais le soleil est de retour. La suite des « Jazz Export Days » nous permet d’écouter l’Orchestre National de Jazz (photo) et leur hommage à Ornette Coleman « considéré comme d’un abord difficile mais avec des mélodies évidentes », explique Frédéric Maurin, le directeur artistique. Un set dont la puissance n’est pas forcément appropriée à l’acoustique d’un format club de jazz comme celui du Magic Mirrors. On enchaîne avec la « digestion » du roi du jazz manouche dans la modernité et l’inspiration bouillonnante de Théo Ceccaldi – selon les mots introductifs du directeur du festival : intitulé Django, ce programme en trio avait été créé par le violoniste à Coutances en 2019. OZMA, ensuite, un quintet porté par le batteur Stéphane Scharlé, avec un son de groupe compact et une batterie prégnante, éclabousse le public conquis de ses grooves nerveux auxquels se mêlent les influences de voyages en Inde dans « Spleen party » et « Tuk-Tuk madness ». Enfin, Mathias Lévy et son trio Unis Vers développe un répertoire de jazz de chambre d’une grande élégance, lumineux et poétique.

23h00, du jazz from scandinavia

Le projet Noir Lac, que l’on découvre à 17h30 au Théâtre, met en miroir les vibrations d’un joueur de balafon malien, d’un vibraphoniste de jazz, d’un chœur classique et d’une chanteuse à l’élégance trip-hop. On aurait envie que le Théâtre de Coutances se transforme en abbaye pour que le son soit spatialisé et nous enveloppe davantage. Toujours au Théâtre, à 21h30, c’est avec le trio scandinave RYMDEN (« l’espace » en suédois) que l’on s’achemine vers la fin de nos trois jours de festival. Bugge Wesseltoft littéralement habité au piano et Fender Rhodes, Dan Berglund à la contrebasse et Magnus Öström en capitaine de vaisseau, à la batterie, interprètent des pièces issues de leur deuxième album Space Sailors. Leurs formes sonores sophistiquées servent un onirisme puissant, magnifiquement mis en lumière (photo). Deux rappels concluent le concert.

Conclusion

Déplacée exceptionnellement à la fin du mois d’août, la 40ème édition de Jazz Sous Les Pommiers s’achève sur une réussite, avec 17 500 billets édités pour les concerts de la programmation payante soit 70% de taux de remplissage, et près de 25 000 spectateurs sur les 5 jours en cumulant les concerts payants et les spectacles gratuits. L’engouement pour le festival normand ne se dément pas. Les standing ovation témoignent des belles retrouvailles entre le public et les artistes.

Bilan

Côté concerts

Le concert jubilatoire :
le concert des Résidents.

Les épopées :
Guillaume Perret, et le trio RYMDEN.

La bonne surprise :
OZMA.

La grâce :
le duo Marion Rampal - Pierre-François Blanchard.

Les objets musicaux non identifiés :
Noir Lac, d’une part, et le violoncelliste Ernst Reijseger avec les cinq chanteurs venus de Orosei, d’autre part.

Côté festival :

On a aimé :

- La qualité et l’exigence de la programmation.
Les concerts inédits en France.
La mise en lumières du Théâtre et de la Salle Marcel-Hélie.
Le public qui ne boude pas son plaisir.
La discrétion des zones « VIP » éventuelles, par rapport à d’autres festivals de jazz.
L’installation du nouvel espace de restauration dit « Village du bas », place Duhamel.
- Nos hôtes toujours aussi épatants à Coutances.

On a moins aimé : 

- La fermeture du bar du Magic Mirrors durant les deux après-midis des Jazz Export Days. Pas pratique pour se ravitailler en café entre 14h et 17h.
Le manque de signalétique pour le Village du bas. 
La clôture du Square de l’Evêché en raison du protocole sanitaire, qui transforme l’espace en cul de sac.
La double file pour la Salle Marcel-Hélie : file sanitaire puis file d’attente. Pourquoi ne pas prévoir des bénévoles « volants » contrôlant les pass sanitaires tandis que le public n’aurait qu’une file à faire.

Infos pratiques : 

- Prix du festival : abonnement individuel 20€ puis billet de 6 à 24€ par concert.

- Prix des boissons : bière - 6€ la pinte de bière Coq Hardi, vin - 2,5€, cidre - 3€ + 1€ de gobelet consigné. 

- Prix de la nourriture : sandwich au camembert - 3€, croque au chèvre - 3€, pizza - 8€, bobun - 7€, naan 2,5€, huitres 6€ les 6.

- Transport : Depuis Paris, presque 4 heures de train avec un changement (Paris Saint-Lazare / Caen / Coutances, ou Paris Montparnasse / Granville / Coutances).

 

Récit et photos Alice Leclercq