On était à
Jazz In Marciac, le village en or

Premier festival de jazz en France avec plus de 240.000 visiteurs, Jazz In Marciac - JIM pour les habitués - donne une notoriété mondiale à ce petit village de 1.350 habitants, enclavé dans le Gers et privé de transport public. Véritable outil d’aménagement du territoire, JIM génère 20 millions d’euros de retombées économiques par an et représente un projet exceptionnel de développement culturel dans un territoire qualifié d’hyper-rural. Découverte et infos pratiques : on vous raconte notre première fois à Marciac lors de la 41ème édition du festival.

Jour 1. Vendredi 3 août. 18h30, la place centrale du village

La première fois à JIM, le défi est d’arriver jusqu’au village sans être motorisé. Lorsqu’on arrive à la gare de Tarbes, il reste encore 40 km à parcourir et deux options : prendre un taxi à 80 euros prohibitif ou attendre sur place encore 3 heures et demie pour une unique navette bus Keolis qui nous amènera trop tard à Marciac. Coup de chance énorme, notre hôte marciacaise chez qui on a réservé un lit se trouve en virée shopping à Tarbes et nous rapatrie chez elle en voiture en moins d’une heure. Repérage du village : la vie s’organise autour de la place centrale entièrement bâchée par un velum (photo). Sous les arcades médiévales : la mairie, l’office de tourisme, une pharmacie, une seule supérette, un unique bureau de tabac presse. Au centre de la place, chaque mètre carré dont la commercialisation est sous-traitée par le festival est occupé par des bars, des restaus, des stands d’artisanat en tout genre et par le podium des concerts off du festival. Quatre voies principales prolongent les quatre côtés de cette place rectangulaire et des bannières indiquent les directions à suivre pour se rendre soit au Chapiteau soit à L’Astrada, les deux salles payantes du festival.

21h15, l'acoustique de L'Astrada

Ce soir on a choisi L’Astrada, la salle de 500 places dont la construction a été initiée en 2011 par l’association JIM. On y accède en traversant un ancien Couvent à l’entrée duquel les producteurs locaux de vins de Plaimont nous offrent une gorgée d’apéro (photo). Pas la peine de courir pour se placer ni d’arriver une heure et demie à l’avance comme dans les autres festivals de cette dimension : ici les fauteuils sont numérotés. L’acoustique parfaite de la salle nous fait redécouvrir dans des conditions idéales le Trio Aïrès à côté duquel on était complètement passé à Jazz à Saint-Germain-des-Prés, la faute au son ventilé façon puzzle de l’amphithéâtre de Paris Assas. Clarté, limpidité, musicalité : chacun des trois instruments se détache et le trio procure un pansement de beauté pure, une source d’apaisement. Aux côtés de Edouard Ferlet (piano) et Stéphane Kerecki (contrebasse), Geoffroy Tamisier remplace Airelle Besson empêchée. La rondeur, le velouté de la sonorité de ce dernier à la trompette constituent pour nous une sublime révélation.

00h30, dé-Folmériser du Daft Punk

Changement de plateau entre 22h30 et 23h après un dernier rappel du trio acclamé (photo). Le public se presse au bar de L’Astrada qui sert des bières bio, locales et artisanales brassées à Gimont, à l’initiative de la nouvelle directrice de la salle. On furète au stand de la librairie jazz où on s’achète un roman, tout en observant la flèche de pierre de l’Eglise du village illuminée à la nuit tombée. On continue en seconde partie avec la scène jazz française actuelle : Nicolas Folmer (trompette) livre son “point de vue sur Miles Davis”, entouré de Antoine Favennec (sax), Olivier Louvel (guitare), Laurent Coulondre (claviers), Julien Herné (basse), Yoann Serra (batterie). La virtuosité, la précision chirurgicale du leader trompettiste sont connues; dans son projet ce soir c’est son assise dans le groove terrien porté par Laurent Coulondre et Yoann Serra que l’on remarque. “Qu’est-ce que Miles aurait repris aujourd’hui comme morceau pop ? Je vous laisse le dé-Folmeriser et trouver de quel thème il s’agit”, s’amuse-t-il en guise de morceau final. La réponse ? c’est Get Lucky de Daft Punk.

Jour 2. Samedi 4 août. 18h00, un Chapiteau hors échelle

“Je multiplie par quatre mon chiffre d’affaires quotidien” nous répond le patron du Carrefour City sous les arcades de la place centrale, quand on l’interroge sur l’impact de JIM. Un coefficient multiplicateur conforme au changement d’échelle dont on fait l’expérience en passant la soirée au Chapiteau, qui occupe la totalité du stade de rugby. 6.000 ou 7.000 places, c’est l’équivalent de 5 fois la population du village, ou du Théâtre antique de Jazz à Vienne qui serait déployé à l’horizontale. Mais autant la sous-préfecture de l’Isère est desservie en train à 2h30 de Paris, autant la bastide du Gers est enclavée, ce qui explique qu'autour de nous on entende parler de galère de stationnement sur les parkings et de souvenirs de voitures engluées dans la boue des champs les nuits d’orage. Le Chapiteau se révèle être un véritable hangar d’avion où les places les plus éloignées sont obligées de suivre sur écran géant, et où il ne faut pas craindre de scotcher ses fesses sur des chaises en plastique chauffées. En guise de hall d'embarquement, un espace bar où Heineken détient le monopole de la bière, des restaus (photo), du merchandising. La différence énorme avec Jazz à Vienne et Jazz Sous les Pommiers, trio de tête des festivals de jazz, est qu’ici les places - oui, les 6.000 places - sont numérotées. Pas d’heures de file d’attente à endurer, pas de stress, pas de course pour se placer, l’ambiance est considérablement plus détendue.

20h30, les Brigades Vertes

Autres bons points : les brumisateurs suspendus à l’entrée du site diffusent des gouttes bienfaisantes en pleine canicule. Et puis surtout l’engagement écologique du festival s’affiche jusque sur les portes des WC. Vingt bénévoles venus de neuf pays du monde, forment depuis deux ans les Brigades Vertes en partenariat avec le réseau éducatif mondial de bénévoles United World Colleges, nous explique un jeune responsable. Il montre l’exemple en écrasant son mégot dans un des points de collecte recyclé, confectionné à partir de conserves. Il nous invite à dessiner sur la banderole participative “Je choisis de ne pas ignorer mes responsabilités écologiques” (photo). Chaque matin l’équipe assure le nettoyage du chapiteau et le tri des déchets en doubles conteneurs. Elle ramasse le compost destiné aux jardins partagés du village et récupère les bouchons en plastique qui doivent être retirés “pour raison de sécurité” avant d’entrer sur le site. On imagine mal les jazz fans sexagénaires balancer leurs bouchons sur scène, l’image est plutôt cocasse, mais après tout, leur collecte est destinée à une bonne cause.

00h00, le maître du oud en majesté

Un peu assommée par la taille hors norme du Chapiteau (photo), on met du temps à nous faire à l’environnement, aux brouhahas, aux déplacements du public. On a donc du mal à rentrer dans le concert de Chick Corea, le légendaire pianiste ici en trio avec John Patitucci (contrebasse) et Dave Weckl (batterie). C’est leur rappel à la nuit tombée, avec le solo du pianiste sur une sonate de Scarlatti puis le trio sur You & The Night & The Music, qui retient finalement notre attention. Mais on se rattrape en termes de concentration maximale, faisant abstraction de l’environnement, pour Anouar Brahem en quartet. Il faut dire qu’on est venu à Marciac pour lui, pour ce concert rare du oudiste tunisien qu’on adore. Notre voisin de chaise en plastique, un bénévole affecté au service d’un des restaus du Chapiteau, partage ce même engouement. Dans le répertoire de ce soir, The Astounding Eyes of Rita, le maître du oud est entouré d’un clarinettiste basse allemand, d’un bassiste suédois et d’un percussionniste libanais aux derbouka et bendir. Pendant plus d’une heure on plonge avec délice dans la rythmique d’un ailleurs. Celle de la procession d’une caravane dans un désert où souffle un vent chaud que nous donne à entendre la clarinette basse.

Jour 3. Dimanche 5 août. 14h30, le Jazz au Coeur des bénévoles

Ce qui est frappant dans les rues du village c’est le nombre de badgés que l’on croise. Ils sont partout, les bénévoles, plusieurs centaines par semaine pendant 3 semaines, et près de 800 au total nous indique-t-on. Nourris, logés au camping, ils profitent de l’accès aux concerts. Une proportion significative au regard de l’effectif de 12 salariés et 200 emplois temporaires de JIM. Chaque jour une des équipes rédige le JAC, le Jazz Au Coeur (photo), un format A4 de quatre pages qui dresse un report forcément bienveillant des concerts de la veille et annonce la suite du programme. Il est distribué en version papier et relayé sur la page Facebook de JIM. Parmi les bénévoles également, 40 chauffeurs pour les artistes disposent d’une flotte d’une vingtaine de véhicules. Notre hôte marciacaise elle-même donne 4 heures de son temps par jour comme bénévole en assurant le service au bar de la place centrale. D’autres jeunes bénévoles sont affectés à tous types de postes au Chapiteau : vendeurs ambulants d’esquimaux (2,50 euros) pendant l’entracte, vendeuses à la criée du programme complet du festival qui, à la différence de Jazz à Vienne, est ici payant (4 euros), et même madames-pipi, distributrices de feuilles de papier.

17h30, les saveurs de Gascogne

Partout sont mis en valeur les produits locaux, les saveurs de Gascogne, pas seulement aux bars du Chapiteau et de L’Astrada où l’AOP des Vins de Saint-Mont partenaire du festival est devenue notre nouvelle amie. Sous les arcades, la boutique des producteurs Excellence Gers nous fait goûter une gorgée de son vin IGP Côtes de Gascogne et un lichette de fromage de chèvre (photo). Cela fait 15 ans que ces producteurs de foie gras de canard, miel, armagnac et floc de Gascogne, engagés dans une démarche d’accueil à la ferme et de vente directe, sont associés à JIM qui leur donne cette vitrine sur la place centrale, lucrative aux dires de la patronne. Sur le site de L’Astrada c’est l’Ambassadeur du Porc Noir de Bigorre AOP qui met le paquet : une expo de portraits de producteurs, un restaurant, des ateliers M6-compatibles “Initiez-vous à l’art de la coupe du jambon avec nos maîtres coupeurs” et une com’ piquée d’humour avec un magazine intitulé Plouk dont les articles ont pour titre Road Tripes ou encore Le Magicien d’Os. A quelques mètres de là, d’autres producteurs de Côtes de Gascogne proposent eux une démarche solidaire, leur cuvée Via Sahel est vendue 4,50 euros dont 1 euro reversé aux agriculteurs du Mali.

19h30, l'Apéro des Livres

Nourritures terrestres à foison mais aussi quelques nourritures pour l’esprit : outre les exposants de peintures et les stands de disques un peu partout, un chapiteau-librairie est installé sous le clocher de l’ancien Couvent, à l’entrée du site de L’Astrada. C’est là que se tient chaque jour à 19h30 l’Apéro des Livres : un petit concert du off anime l’espace pendant que l’on boit une gorgée de blanc ou de rosé de Saint-Mont offerte par les producteurs. Ce soir une jeune marciacaise nous fait sourire lorsqu’elle chante sur une mélodie jazzy son passé parisien : “quatorze mètres carrés pour habiter à côté de chez toi”. Cet Apéro des Livres est l’occasion pour nous de discuter avec l’équipe de la Librairie du Voyageur (photo) qui promeut une dizaine de maisons d’éditions sur le thème de l’ailleurs. Partenaires depuis deux ans de JIM, ça marche fort, nous disent-ils. La preuve, pour nous c’est craquage garanti : nous voilà chargée d’un sac de livres des éditions Intervalles pour aller aux concerts du soir à L’Astrada.

22h55, le pari de la transe à L'Astrada

Conseil pratique : emporter de quoi se couvrir, le contraste entre la canicule extérieure et la clim de L’Astrada étant significatif, vous êtes prévenus. Neuf jeunes musiciens de la Région, c’est-à-dire des écoles de musique de Toulouse et Tarbes, forment l’Orchestre de JIM. Sous la direction de Baptiste Trotignon, ils proposent leurs propres compositions, fruit d'une année de résidence à L’Astrada. On est capté par la création écrite par le pianiste Amaury Faye “Yosémite”, par celle du contrebassiste Emmanuel Forster “Gaspard”, et celle du batteur Guillaume Prevost. En seconde partie, on quitte le premier rang pour les gradins du fond parce qu’on connaît déjà BCUC, leurs lourdes frappes aux tambours, leurs sifflets, la ligne de basse et les chants puissants à nous décoller les tympans. Posté tout en haut, on observe à quelle vitesse de propagation leur transe va mettre la salle à genoux, comme dans tous les festivals où on a vu le groupe. Et ce sont les jeunes bénévoles qui les premiers danseront frénétiquement sur les côtés, en parfait respect des spectateurs restés assis - c'est un pari de programmer BCUC dans une salle assise - et qui finiront par envahir la scène. A 1 heure du mat, on retraverse la place centrale qui continue aussi de festoyer : ici des amateurs ambiancent un restau au son des Négresses Vertes, là des food trucks de glaces, churros et crêpes au Nutella assouvissent les fringales sucrées nocturnes (photo).

Le bilan

Côté concerts

Le concert magistral

Anouar Brahem dans le répertoire de The Astounding Eyes of Rita tutoie le sublime.

La révélation

On ne connaissait pas encore le trompettiste Geoffroy Tamisier. Manque de culture réparé, on est impressionnée par sa sonorité moelleuse.

Côté festival

On a aimé

- Deux festivals en un, deux expériences différentes au Chapiteau et à L’Astrada.
- A L’Astrada : le confort et l’acoustique parfaite.
- Au Chapiteau : la gestion des flux avec la numérotation des places et la beauté des jeux de lumières.
- L’engagement écologique.
- La mise en valeur des produits locaux.

On a moins aimé

- Les concerts commencent et finissent trop tard; tous les festivaliers avec lesquels on a échangé partagent cet avis; il faudrait avancer de 30 minutes l’heure de début.
- L’insuffisance cruelle de navettes bus entre Tarbes et Marciac.
- L’absence de stand de prévention auditive sur le site du Chapiteau.

Infos pratiques

Prix de la bière : A L’Astrada 4 euros les 33cl de bière artisanale bio locale. Au Chapiteau 4,50 euros les 50 cl de Heineken. Gobelet consigné à 1,20 euros sur les deux sites.
Prix du vin : A L’Astrada 3 euros les 12 cl de vin local AOC Saint-Mont. Au Chapiteau : le même à 2,50 euros.
Prix de la nourriture : à partir de 5 euros le sandwich, 2,50 euros la glace.
Prix du festival : A L’Astrada 30 euros le concert. Au Chapiteau : 58/ 48/ 38/ 28 euros le concert selon la catégorie des places.
Transports : à 40 km de Tarbes en voiture.

Conclusion

On savait déjà par la médiatisation dont jouit JIM que la bastide gersoise constituait un village en or pour tout le département, en dépit de son enclavement dans le territoire. On a découvert, en nous y rendant pour la première fois, un engagement écologique, une mise en valeur de produits locaux, et deux expériences musicales radicalement différentes au sein d’un même festival. D’un côté le caractère hors normes du Chapiteau de 7000 places ; de l’autre le confort d’écoute de L’Astrada, la salle de 500 places. Dans les deux cas, une ambiance particulièrement détendue, remarquable pour un festival de cette dimension, certainement liée en grande partie à la numérotation des places.

Récit et photos Alice Leclercq