On était à
Jazz à Vienne, notre amour est éternel et pas artificiel

On n’a pas accepté par erreur son invitation, on ne s’est pas gourré dans l’heure, on ne s’est pas planté dans la saison. Non, c’est délibérément que l’on a pris nos quartiers pendant deux semaines parmi les 215.000 festivaliers du plus éclectique événement français de début d’été. Allez venez on vous emmène au vent, on vous emmène au-dessus des gens, tout en haut du Théâtre Antique pour la 38ème édition de Jazz à Vienne.

Jour 1. Lundi 2 juillet. 20h30, au soleil, s’exposer un peu plus au soleil

Au Théâtre Antique comme l’an passé les t-shirts jaunes du staff assurent le placement. Parmi les festivaliers, les uns avalent hot-dogs et glaces vendus sur place (photo), les autres, moins par réticence à passer au cashless que clairement par souci d’économie, déballent des tupperware maison. Car à Jazz à Vienne les pique-nique sont autorisés, comme les allers et venues d’un bout à l’autre de l’amphi pour recharger son gobelet en bière. Cette année encore on jette un oeil attendri sur les enfants galopant dans les allées et un oeil envieux vers le sommet de la colline où les habitants d’une propriété privée surplombant les 7.500 festivaliers, jouissent d’une vue unique sur le spectacle. Visiblement il y a eu extension du domaine des places achetées par les entreprises : des rangées situées sous la régie où l’on pouvait s’asseoir librement l’an dernier, sont désormais réservées aux entreprises. Le plateforme PMR a elle aussi gagné en superficie pour un festival encore plus ”handi inclusif”. Nos premiers verres de Seul en Scène, vin rouge local du vignoble de Seyssuel, ce n’est qu’à la nuit tombée qu’on se les accorde. Oui, on a oublié de préciser que la touffeur règne à Vienne. Une fournaise, un ressenti de 45 degrés en journée alors que l’on reste de glace, musicalement. Aucune émotion. Le rock ce n’est pas notre guerre. De Jeff Beck on retiendra juste qu’il débute par le Stratus de Billy Cobham, parce qu’on en reconnaît l’incipit que Massive Attack a samplé dans Safe From Harm. Quand on s’ennuie, faut bien se raccrocher à ses propres références.

Jour 2. Mardi 3 juillet. 21h00, toutes les femmes de ta vie, en toi réunies

La salle des fêtes de Vienne accueille l’expo de Brüno, le dessinateur de l’affiche 2018 du festival, et celle d’Erwann Gauthier qui projette par aplats de couleurs son ressenti à l’écoute des musiciens de jazz. On s‘arrête sur ses tableaux de Cécile McLorin Salvant (JAV 2016), Emile Parisien (JAV 2017), Gregory Porter et Thomas de Pourquery (photo) que l’on attend tous deux en fin de festival. La star du jour est Marcus Miller qui slappe à fond sur Papa was a rolling stone, remplaçant les paroles par le chant de sa guitare. De son nouvel album Laid Black avec lequel il est en tournée, on découvre Trip Trap, monstruosité de basses et de bidouille trap qui nous laisse perplexe, puis à 23h20 par une température enfin rafraîchie Preacher’s Kid avec un discours hommage à son père décédé. Le cagnard aurait-il carbonisé notre petit coeur, bûche de bois asséchée incapable d’émotion? Non, c’est juste que ces stars américaines aux shows calibrés nous laissent de marbre. Pourtant on a vérifié que notre palpitant était en état de marche lors du solo de Géraldine Laurent, acclamée en première partie de soirée. La saxophoniste sort ses tripes, les deux écrans encadrant la scène zooment sur ses yeux brillants d’engagement. Elle intervient au sein du Ladies All Stars, groupe de musiciennes françaises accompagnant Rhoda Scott, l’organiste dont le festival fête ce soir les 80 ans avec gâteau et bougies sur scène. Des femmes, rien que des femmes, Julie Saury à la batterie, Lisa Cat-Berro et Sophie Alour au sax. “Cherchez l’erreur”, sourit Rhoda Scott, “comme nous ne sommes pas sexistes, nous avons notre mascotte”: il s’agit du trompettiste Julien Alour envoyé en remplacement de Airelle Besson.

Jour 3. Mercredi 4 juillet. 00h30, en apesanteur

Hors des gros shows au Théâtre antique, c’est en fait sur la scène gratuite de Cybèle qu’il faut savoir dénicher des émotions jazz, parmi les sets de 45 minutes qui émaillent chaque journée, les plus intéressants étant les sets de 17h et 19h. Ainsi le quartet de Wolfgang Haffner (photo) nous emporte avec ses Sketches of Spain alternant mélodies portées par la paire piano vibraphone, démonstration rythmique par le génial batteur allemand et son contrebassiste, et pépites de paso doble jazz. A 20h30 au Théâtre, les quatre Canadiens de Badbadnotgood régulièrement programmés en festivals electro attirent une fosse bien plus jeune que la veille, pas pour leur charisme individuel mais pour l’atmosphère de leurs morceaux, sous un ciel de plus en plus menaçant. Nos voisins du soir sont Mélanie, jeune enseignante en arts plastiques, qui dessine les concerts dans un carnet de croquis et son copain qui bosse pour la boîte qui fournit synthé et batteries au festival. Il nous apprend que pour la sécurité du matériel, l’organisation est reliée en direct à Météo France et que l’orage est annoncé avec certitude. A 22h prenez une fosse clairsemée, jettez-lui Stayin’ Alive par Cory Henry & The Funk Apostles, l’effet waou est garanti. Cory Henry, Denise et Tiffany - ses choristes aux super pouvoirs en coups de bassin - blindent et font danser la fosse en deux secondes. Leur set list est identique au dernier Jazz Sous Les Pommiers mais ils ajoutent en reprise finale Controversy de Prince et leur show est plus puissant en vocalises. Enfin le power group américain R+R=Now mené par Robert Glasper et Christian Scott nous scotche pendant une heure en continu, en apesanteur, ultra fluide. Ponchos de pluie dégainés, la pluie qui nous balaie le visage ne nous fera pas perdre une miette du voyage. Il fallait entendre à minuit trente résonner notre longue ovation collective.

Jour 4. Jeudi 5 juillet. 23h20, bouge de là

Les jeunes pousses du jour se trouvent à Cybèle à 17h30 : le trio Nox.3 accompagné de la chanteuse Linda Olah dans un set à la fois instrumental et electro, à la fois planant et nerveux. On les aime, on les suit. Le public n’aura rien su de la galère que Nicolas Fox expliquait le jour même sur Facebook, la perte de ses cymbales par Air France. La chanteuse Lou Tavano leur succède avec des chansons qu’elle nous dit tester pour la première fois, en trio de chambre violoncelle piano. Mélancoliques sans maniérisme donc on valide. Alerte à la pluie : au Théâtre à 20h30, les tshirts jaunes dispersés dans les allées et à l’entrée des vomitoirs se sont mués en ponchos jaunes (photo). L’élégance, c’est sur scène qu’elle se trouve avec le trio de Ron Carter tel un récital Salle Pleyel transposé au grand air. L’élégance du touché respectif du contrebassiste, du pianiste et du guitariste, d’une infinie douceur et suavité. Et puis soudain c’est le drame : le contrebassiste Avishai Cohen en seconde partie s’embourbe dans un mix indigeste de variétoche et électro orientale. Faire du Sting sans en avoir la voix, copier-coller du Bachar Mar-Khalifé sans en avoir l’épaisseur émotionnelle : c’est une cata alors à 23h20, on bouge de là. On se paie à manger en chemin et on s’installe au balcon du petit théâtre de Vienne pour sauver la soirée avec le jazz-mix de minuit. Mais Cotonete le groupe de funk mené par Florian Pellissier et leur guest Di Melo gagneraient à mettre le turbo, à supprimer les temps morts. Et pourquoi des gamines sur scène, débutantes en danse ?

Jour 5. Vendredi 6 juillet. 19h30, la victime est si belle et le crime est si gai

Le quart de finale n’est pas terminé mais la France mène l’Uruguay 2 - 0, annonce la présentatrice qui introduit Electric Vocuhila (photo) à 17h30. Punch en pleine face, leur combinaison de transe afro et d'énervement free jazz, pulsée par le batteur Etienne Ziemniak, secoue Cybèle. On se tasse sous les feuillages le temps de l’averse sans perdre une miette de ce projet si enthousiasmant. Autre groupe bien en place, Pat Kalla et le Super Mojo Band, donne la tentation de danser à tout le parterre par son groove généreux afro-disco et le charisme du chanteur qui s’amuse de la poésie du site : “Est-ce que la nuit est Cybèle ? Vous êtes Cybèle et si beaux". Au Théâtre Antique en revanche il faut le vouloir pour faire abstraction des brouhahas et entrer dans l’éthio-jazz d’un Mulatu Astatke très fatigué au vibraphone. Le concert ne vaut pas pour sa piètre performance mais pour son collectif de musiciens dont Tom Skinner (la moitié des Sons of Kemet), il se conclut avec un échantillon de Yegelle Tezeta. Avec nos deux voisines viennoises venues elles pour Youssou N’Dour programmé à 23h30, on parle des robes en wax et tenues de gala des jeunes femmes africaines dans un public d’une mixité inégalée avec les autres soirées. Rokia Traoré remporte une ovation pour son show rock mandingue, sa voix grave et coupante. On quitte le Théâtre pour aller prendre la température à Cybèle où Raphaël Macler un Dj lyonnais mixe des 45 tours d’afro-funk. La pépite de la nuit se trouve au petit théâtre du jazz-mix: Ruby Rushton, le trio britannique mené par Tenderlonious, a gagné en épaisseur depuis qu’on l’avait écouté en festival parisien en novembre dernier. Démonstration à 1h du matin avec leur version de Butterfly : suavité de la flûte, rythmes sculptés, on adore.

Jour 6. Samedi 7 juillet. 12h30, parce qu’on vient de loin

A Jazz à Vienne, trois-quarts des animations sont gratuites. C’est le cas de Lettres Sur Cour, le festival dans le festival, auquel on consacre la journée. Il suffit d’entrer dans la Cour de la Cure Saint-Maurice pour profiter des lectures musicales. A 12h, on écoute Naomi Fontaine, ses fragments recomposés de vie dans une réserve amérindienne au Canada, ses phrases dures et épurées soulignées par les notes spirituelles d’une flûtiste et d’un percussionniste au djudju (collier de noix). Son combat d’enseignante contre les préjugés assignés à la communauté Innue, les statistiques relatives aux populations autochtones et pire encore, contre la résignation des jeunes Innus à la fatalité de la misère et de l’alcoolisme. A 17h, Marc Alexandre Oho Bambe, poète slameur né au Cameroun, capture l’écoute par son phrasé syn/co/pé : “Je suis venu aux mots / à cause d’un poème de René Char / et de la perte d’un être cher”. Capitaine Alexandre c’est le nom qu’il a pris en hommage au nom de guerre de René Char. Sa religion fait résonance en nous : “Je ne crois qu’en ce qui transperce mon coeur”. A 19h, Alain Larribet à la flûte traditionnelle et à l’harmonium installe un moment hors du temps, en ajoutant son chant voilé, sa tessiture d’une grande ampleur, à la lecture de poèmes par Marc Alexandre (photo). Lettres Sur Cour c’est la parenthèse en plein festival qui élargit nos horizons, ouvre vers des ailleurs et nous fait repartir avec les livres achetés à la librairie Lucioles.

01h20, si nous n’étions pas d’ici, nous serions l’infini

Au Théâtre Antique la soirée hip-hop nous laisse d’abord perplexe : ça crache afro-punk avec Tank and the Bangas qui balance même du Nirvana, ça enchaîne de façon improbable avec le show mainstream de Guts. Entouré de rappeurs et de musiciens de Cotonete y compris Florian Pellissier au clavier, Guts recourt aux vieilles ficelles : allez Vienne j’entends rien, tout le monde à droite, toute le monde à gauche et on jumpe. Le bpm nous paraît bien trop lent, ringard. On passe le temps en observant le coucher de soleil par-dessus la toiture de la scène (photo). On trouve enfin notre compte à minuit dans la rencontre entre Mos Def, Talib Kweli et les huits frères de l’Hypnotic Brass Ensemble tous vêtus de blanc, qui attaquent par leur puissant Kryptonite. Le mélange fonctionne mais aurait pu être bien plus explosif. Alors cette nuit encore c’est au petit théâtre du jazz-mix qu’on part trouver notre bonheur de jazz-fan. Notre choc du festival, même. Parce que les anglais de Ill Considered, se révèlent, en live par rapport à leurs albums, des montres de basses. Roulis continu des percussions et de la batterie, ligne de basse qui prend l’ascendant, saxophone ultra brûlant : le quartet nous fait partir dans un infini, et nous ramène en même temps au bercement matriciel, à la chaleur d’un utérus nourricier. Il nous lave l’âme et le corps de sa flamme crépitante. On n’oubliera pas les cris du public ébahi de vivre une expérience d’une telle intensité, à 1h20 du matin.

Jour 7. Dimanche 8 juillet. 21h45, c’est normal !

En après-midi à Cybèle un kiosque d’activités ludiques pour enfants fonctionne à plein (photo). Une crèche gratuite est aussi organisée jusqu’à 1h30 chaque soir : on ignore si la formule attire mais Jazz à Vienne fait fort pour inclure les trentenaires en concerts. Après le jazz années 60 du Charles Trudel Quartet, jeunes Québécois désarmants de naturel et de prévenance envers le public, de jeunes pousses nous conquièrent sous le nom de Sarab. Un projet hybride entre l'énergie du rock, la lumière et la sérénité d’une chanteuse syrienne, des polyphonies limpides et le trombone dont on découvre qu’il se fond dans ce registre oriental. On ressent une sincérité dans la démarche. On est captés, on va les suivre. Au Théâtre Antique avec le groupe brésilien mené par Hermeto Pascoal, on trouve la vélocité qui nous avait manqué les soirs précédents. Dans une espèce de célébration de tous les arts, un spectacle d’une seule traite incluant de superbes interventions d’une danseuse contemporaine acrobate. C’est la première fois qu’on voit cette figure légendaire alors évidemment sa façon de jouer d’un arrosoir en fer rempli d’eau ou de presser cochons et poulets en caoutchouc pendant le solo de son joueur de cowbells, revêt un côté hallucinant. Mais avec de sorcier de 82 ans comme le chanteraient Areski et Brigitte Fontaine, c’est normal ! parce que tout est musique pour lui. Par comparaison le spectacle de Gilberto Gil à la voix faiblarde se traîne en longueur, jusqu’au boost rythmique par Mayra Andrade qui chante son “petit pays” du Cap-Vert sur Compasso Pilon. Et une dimension politique inattendue avec des “Lula Libre!” criés dans le public.

Jour 8. Lundi 9 juillet. 22h30, sans un regard, reine de Saba

Attirée par leur palmarès de lauréates du Cosmojazz festival, on découvre à 16h Selkies, trois chanteuses dont Cynthia Abraham au cajon et au djudju (photo). Des vocalises, des onomatopées, c’est frais, c’est néo-soul et pop. Le Théâtre Antique est complet pour la première des trois dates mondiales de la création Queen of Sheba d’Ibrahim Maalouf avec l’Orchestre des Pays de Savoie. Pour le vivre dès 19h15 le surbooking est monstrueux, les conditions de placement infernales. A 20h, les tshirts jaunes reçoivent feu vert pour nous bourrer y compris sur chaque marche d’escalier, chaque étroit rebord contre les barrières et allée de circulation. Adieu règles de sécurité. Dans ces conditions chaotiques, la quiétude installée par les premiers morceaux de Ambrose Akinmusire Quartet agit comme un pansement de l’âme. Le caractère centré du trompettiste, le placement de son souffle à tenir des notes à l’infini. Et puis le rouleau compresseur du free jazz - batterie contrebasse piano - sur lequel il souffle des larmes de silex à fendre les pierres du Théâtre. Coup de coeur du festival. Quant à Ibrahim Maalouf en chef d’orchestre, on trouve sa création plutôt réussie en catégorie musique de film. Elle croise musique classique et musique afro et repose entièrement sur Stéphane Galland l’exceptionnel batteur belge et Magatte sensationnel percussionniste sénégalais. Mais pour capter qu’il s’agit de sept énigmes posées par la Reine de Saba au Roi Salomon, il manque un livret avec la traduction des chants d’Angélique Kidjo, comme à l’opéra. Minuit passée on part vérifier au jazz-mix si la trompettiste britannique Yazz Ahmed entendue en festival parisien en novembre dernier a gagné en présence scénique. Elle manque encore d’incarnation. Le groupe reste replié sur lui-même et son jazz orientalisant pourtant séduisant.

Jour 9. Mardi 10 juillet. 20h50, des formes et des rondeurs, ça sert à réchauffer les coeurs

Journée du Blues à Vienne. Journée des costauds, des colosses. Journée des chanteurs qui en ont, du coffre et de l’âme pour nous emplir la carcasse. On ne parle pas là de Aymeric Maini, un jeune poids plume nantais dont on découvre le blues funk carré mais de Toronzo Cannon qui lui succède en après-midi à Cybèle et dont la guitare chante autant que la voix. Mais surtout de Marquise Knox qui ouvre la soirée au Théâtre Antique d’un “isn’t that right to hold you in my arms”. Là on aimerait se glisser entre les plis accueillants de sa voix, on aimerait être l’impact entre sa bouche et son harmonica. Et puis de Sugaray Rayford dont le saxophoniste et la trompettiste viennent du backing band d’Amy Winehouse nous dit-il. En plein dans le raw funk il transpire au sens propre la Soul. A 130 kilos faciles, ses coups de bassin et déhanchés sont à se damner.

Journée des Bleus à Vienne comme partout en France. Rien n’est prévu sur les écrans du Théâtre Antique mais les festivaliers suivent sur leur smartphone le match de demi-finale (photo). Et lorsqu’on quitte les gradins, fuyant le rock agressif du backing band de Lucky Peterson, c’est pour tomber sur le concert de klaxons des voitures en bord de Rhône à 23h30.

Jour 10. Mercredi 11 juillet. 21h15, mais toujours le poing levé

“Bonsoir à toi peuple de la rocaille”. Avec l’acoustique unique du Théâtre Antique, Thomas de Pourquery & Supersonic sont au sommet de leur tournée et on les sent ce soir ultra concentrés, ancrés. Les aigus chair de poule de Thomas de Pourquery et la superbe intro étirée par Fabrice Martinez et Frédéric Galiay sur Slow Down. Leurs poings levés sur le titre éponyme de l’album Sons of Love en chantant “Fist in the sky”. Le talent de Thomas pour relancer le chant du public sur Simple Forces. La débauche d’énergie de Edward Perraud sur Give the money back. On vibre intensément, debout avec tout le public pour les ovationner car on sait qu’on a assisté là à du très grand Supersonic. A 22h ce peuple de la rocaille constitué d’adorateurs de Christian Vander entre en religion devant Magma. Dès 17h30 lors de la conférence de presse publique donnée par le gourou (photo) on a compris que les fans arborant tshirts et casquettes à l’effigie de leur groupe culte des années 70, ont fait le déplacement pour cette date unique de l’été. Comme Marc et son épouse, un sympathique couple de venu de Fréjus pour leur idole et qui ont initié leur fils “du même âge que nous” à ce jazz-rock mélangé à du chant choral. On a envie de demander à nos parents s’ils en avaient entendu parler dans les années 70 et aux collègues reporters s’ils les ont vus au Hellfest 2016 puisque que Stella Vander raconte que ce fut leur concert le plus extraordinaire. Sur scène, ça donne deux heures non stop d’une épopée inintelligible puisqu’ils chantent dans leur propre langue sonnant germanique, “le kobaïen”, une sorte de liturgie martiale. Jazz à Vienne 2018, pour cette soirée-là on ne t’oubliera jamais. Tellement tourneboulée par cette tectonique des plaques musicale que l’on n’a pas envie de changer de registre, pas envie de mélanger les émotions, donc on renonce au jazz-mix du trio britannique Mammal Hands qu’on adore pourtant.

Jour 11. Jeudi 12 juillet. 23h30, papaoutai

Une journée à attendre Gregory Porter et l’Orchestre National de Lyon. En passant l’après-midi à Cybèle avec une sélection de big bands universitaires américains (Kansas City et Glenelg dans le Maryland), en furetant au stand des librairies Lucioles et Passerelles dans le Théâtre Antique (photo), en y patientant deux heures tartinée d’indice 50 sous un cagnard qui fait fondre le vernis à ongles, puis en observant attristée un Roy Hargrove toujours ombre de lui-même et sauvé par ses quatre musiciens. Et finalement les voilà, les cordes tant attendues, les arrangements luxuriants de l’Orchestre sur le répertoire de l’album Nat King Cole & Me chanté par le baryton star. C’est somptueux et la qualité du son est exceptionnelle. Ce qui nous marque dans ce concert grand format c’est la place du père du Gregory Porter. Une place en creux puisque tout au long du concert le chanteur nous parle en anglais de l’absence de son père à l’âge de 6 ans, et de l’encouragement qu’il a trouvé par substitution dans les paroles de Nat King Cole dès l’enfance. Pour chaque chanson il tisse le lien avec son propre manque de père : dans Nature Boy “The greatest thing we learn is to love and be loved in return”. Dans Pick yourself up “Take a deep breath, start all over again”. Dans ses propres morceaux qu’il intercale avec ceux de Nat King Cole : There is a very quiet boy, they call the lonely one. Jusqu’au pic d’émotion dans I wonder who my daddy is, I’ll wonder until I die, qui fait éclater en sanglots la jeune fille assise à côté de nous. Les histoires de papa, ça remue.

Le bilan

Côté concerts

Le groupe au sommet de sa tournée
Thomas de Pourquery & Supersonic dont le Sons of Love est magnifié par le cadre et l’acoustique

L'événement du passage au live
R+R= Now, on a vécu une des trois dates en France du super groupe américain et découvert en live leur album Collegically Speaking

Les valeurs sûres
Cory Henry & The Funk Apostles, pour Denise et Tiffany et la vraie place qui leur est donnée dans le show

La découverte choc
Ill Considered,  entre transe et jazz spirituel, un monstre de basses en live

Le pur moment
Ambrose Akinmusire Quartet, centré et free

La découverte Blues
Marquise Knox, voilà c’est malin on est encore tombée amoureuse

Côté festival

On a aimé :
La complétude des informations pratiques y compris l’horaire du TER d’après-concert pour les festivaliers qui rentrent sur Lyon.
- La quantité de concerts gratuits : en-dehors des soirées payantes au Théâtre Antique, on peut se faire un festival gratuit entre Cybèle en journée et le petit théâtre du jazz-mix à minuit.

On a moins aimé :
Comme chaque année passer ses soirées à se prendre la fumée des fumeurs en pleine face.

Infos pratiques

Prix de la bière
5 euros les 40 cl de Heineken, 6 euros les 40 cl de Desperados

Prix de la nourriture
de 8 à 10 euros le burger

Mode de paiement
Cashless

Prix du festival
Pass 7 concerts au Théâtre Antique 180 euros. Cybèle et Jazz-mix gratuits

Transports
En train à 17 minutes de Lyon avec un TER chaque soir après les concerts. En voiture : parking-relais et navette gratuite aller-retour jusqu’au Théâtre Antique.

Conclusion

Choisir cette année de partir deux semaines à Jazz à Vienne représentait pour nous un investissement conséquent : réserver des mois à l’avance un hébergement sans même connaître la programmation, claquer autant de jours de congés, parier sur la météo. On ne regrette pas. On en revient nourri par les émotions qui rendent cette édition inoubliable.

Récit et photos Alice Leclercq