On était à
Fête de l’Huma pluvieuse, fête de l’Huma heureuse

Comme souvent, pluie et boue ont pris possession de la 80ème édition de la Fête de l’Humanité. Et pas qu’un peu. Cela ne nous a pas empéché de passer trois jours plein, au détour de centaines de stands, avec alcool et nourriture à perte de vue, concerts en tout genre, activités culturelles et fraternité ambiante. Voici notre week-end.

Jour 1. 13h50, dans la navette, direction la Fête

La gare du Bourget se remplit peu à peu. Bobs Cochonou et casquette de la Fête du Sandwich vissés sur la tête, sacs de couchage, tentes… aucun doute, ce sont les campeurs de la Fête de l’Huma qui débarquent. Il n’y a pas encore trop de monde, l’arrivée est progressive, et il n’y a pas d’attente pour embarquer dans le bus. L’ambiance y est joyeuse et rigolarde. Les rues du Bourget et de la Courneuve ne sont pas encore embouteillées, on ne mettra que 10 minutes pour rejoindre le parc Georges Valbon. Les allées de la Fête se peuplent au fur et à mesure. On entend du AC/DC par ci, du Louise Attaque par là. Les aubergistes commencent à user de la voix pour nous attirer dans leurs tavernes.

14h57, il va y avoir du sport

Un peu de sport pour bien commencer une Fête souvent synonyme d’excès en bouffe et en boisson, ça ne fait pas de mal. Cette année la Fédération Française de Hockey sur Glace a été invitée à l’espace sport. Des joueurs professionnels initient le public à la discipline de Roch Voisine. Gants trois fois trop grands, casque, coudières, crosse à la main, patins au pied, c’est parti pour 30 minutes de glisse sur une patinoire… en plastique ! Tirs au but, passes… sous le cagnard de La Courneuve - qui s’éclipsera vite malheureusement - on transpire avec tout ce barda. Une gaufre de Liège sera ensuite bien méritée, du côté du village du monde. C’est à l’Huma qu’on trouve les meilleures.

19h17, premier concert à la grande scène

Cette année, le premier concert sera celui de Youssoupha (photo) qui s’avèrera être le plus décevant. Les basses font trop de boum boum, et l’on ne comprend absolument pas ses paroles.  Pour son premier passage à la Fête il tente de mettre l’ambiance, mais encore faut-il aimer le rap. Notre premier vrai repas à la Fête sera ensuite au stand de la section locale du PCF du Nord-Essonne qui propose des tartines froides. L’assiette de 3 est à 6 euros : jambon cru, foie gras confiture de figues et saumon fumé crème, ils ne se sont pas moqués de nous. Le fond sonore est à la cacophonie : un peu de folk du stand d’en face et la voix de Clarys qui se produit non loin de là sur la scène Zebrock.

20h52, ils sont fous ces Fatals Picards  

Prévus à 21h, les Fatals Picards (photo) commencent en avance sur la P’tite Scène, l’ancienne scène du Nord qui s’est refait une beauté cette année. Ils commencent à capella avec La Ferme et Yvan le hareng en guise de première partie. Les Fatals ont pour ambition de faire twister l’Huma, et ça marche bien, ça danse devant la P’tite scène. Pour contrer Redman et Method Man, rappeurs de la Grande Scène, ils sortent leur Djembé Man juste après L’amour à la française, chanson avec laquelle ils ont représenté la France à l’Eurovision. Avec leur look de hipsters, difficile à croire au premier coup d’œil qu’ils sont engagés. Et pourtant, leur attendu Mon père était tellement de gauche résonnera dans tous les coeurs bien placés à gauche. Le groupe s’amuse, et le public s’éclate, même s’il est compliqué d’apprécier le show tant la scène est sur-peuplée, alors que les stands adjacents ne prennent pas la peine de couper leur musique. On n’a toujours pas compris ce qu’il faisait sur une si petite scène.

22h07, Les Innocents avant d’aller se coucher

En choisissant d’aller écouter Les Innocents plutôt que Shaka Ponk, on savait que notre soirée serait plus tranquille. Le début du set de JP Nataf et JC Urbain est très lent, avec des titres comme Un monde parfait, ou Les Philharmonies Martiennes, extraites de « Mandarine » leur dernier album sorti cette année. Tellement reposant que des spectateurs dorment allongés sur le bitume tandis que d’autres vident tranquillement leur litron de rouge. Il faudra attendre la fin du concert pour que ça bouge un peu plus avec « L’autre Finistère » que tout le monde reprend en chœur  et « Colore » qui fait un peu danser le public. Les Innocents font retomber la température après les Fatals Picards, c’est bien pour reprendre la route avant une deuxième journée.

Jour 2. 11h28, Envie de pipi

La pluie tombée pendant la nuit n’a pas découragé les festoyeurs. Les allées sont déjà pas mal remplies. Quand certains petit-déjeunent, d’autres sont déjà au sandwich merguez. C’est dans la halle Nina Simone que se trouvent les plus belles toilettes de la Fête, les seules avec savon et sèche-mains. Du coup, elles sont prises d’assaut et c’est le retour du problème de la queue aux toilettes avec leurs 20 minutes d’attente. Juste devant, des coussins géants rouges bien moelleux promettent d’agréables siestes. On en profite ensuite pour découvrir l’une des expositions proposées : elle s’intéresse aux Roms, dans une série de clichés saisissants, allant de la Roumanie à la France. A côté, l’ex émission de France Inter “Là bas si j’y suis” a pris ses quartiers, tout comme des espaces débats, tourisme ou cinéma, et 250 auteurs venus signer leurs livres et discuter avec leur public.

13h16, Viêt Nam, Laos ou Cambodge mon ami ?

Quelques douceurs asiatiques pour se sustenter. Direction le village du monde qui rassemble des stands des différents partis communistes venus du monde entier. Le stand du Viêt Nam est lui bondé. On choisit d’y déguster bo buns, nems au poulet, porc au caramel et poulet à la citronnelle. C’est très bon mais servi trop froid. Plus chauds, ça aurait été encore meilleur. Tant pis, ce n’est pas encore ça qui nous réchauffera de ce temps maussade. Non loin de là, on peut se prendre une bouteille de bière allemande, un bon falafel libanais voire des plats typiquement africains.  

14h09, et si on jouait un peu ?

Retour à la Halle Nina Simone qui abrite plein d’espaces différents dont une Planète Numérique et un Fab lab cette année. Les bénévoles de Firefox présente leur navigateur destiné aux téléphones mobiles, la Quadrature du net distribue des autocollants « we make data porn ». On peut tester les lunettes de réalité virtuelle Oculus qui simulent un tour de manège. Et il y a surtout des bornes d’arcade avec plusieurs jeux dont un de baston à la Street Fighter qui nous fait retomber en enfance. Autre nouveauté de cette 80ème Fête, le stand Guitar Hero Live. Le jeu fraîchement sorti sur Playstation 4 a investi les allées avec son grand stand doté d’un toit terrasse, inutile en cas de pluie comme aujourd’hui. A l’intérieur, les joueurs grattent frénétiquement les guitares en plastoc dans un silence de maître. Chaque guitariste amateur a son casque vissé sur les oreilles.  

15h52, la grande messe du Soviet Suprem

Il est temps d’aller faire vibrer nos oreilles. John Lénine et Sylvester Staline, les 2 membres du Soviet Suprem (photo) entament leur messe sur la Grande Scène. Uniformes soviétiques sur le dos, toutes les références à l’URSS sont les bienvenues dans ce duo autant comique que musical. Mélange de rap, hip hop et beats des Balkans, tantôt accompagnés de violons, tantôt accompagnés de cuivres, les titres du Soviet font danser la foule qui peine à se réchauffer tant l’air est humide. Entre chaque titre, les chanteurs prennent parole à la façon des grands meetings de l’époque soviétique. Le final est explosif avec la venue du président du Groland Salengro, des festivaliers qui dansent en ronde sur scène. Le Soviet a réchauffé l’atmosphère.

17h18, ouvrez les frontières du magret

Le reggae de Tiken Jah Fakoly réconforte un peu mais pas suffisamment. Après quelques chansons, une pluie battante tombe de plus belle et nous force à abdiquer pour mieux nous abriter. C’est dans le stand du Bas-Rhin qu’on trouve refuge. Les petites Alsaciennes avec leur nœud noir dans les cheveux attirent les chalands et font le service. Une tablée chante l’Internationale tandis que l’odeur des flammekueches qui sortent du four emplit le stand. Rien de tel qu’un repas chaud par ce temps de chien. Les spécialités du sud-ouest servies par le stand du 20ème arrondissement de Paris nous tentent bien. Ce sera magret de canard à la plancha et confit de canard (8 euros chaque) accompagnés de pommes de terre à la sarladaise et arrosés de bière. Le stand est plein à craquer, difficile d’y trouver une place à table pour manger. Le brouhaha est infernal. Le canard à peine englouti, il faut partir et laisser la place aux mangeurs suivants. Dans les allées, la foule se dirige déjà vers la Grande Scène, histoire de trouver une place pour Manu Chao, plusieurs heures à l’avance.

20h03 Texas, et patatra dans la boue

Au fond de la Grande Scène, une marée géante de boue s’est formée. La colline est tout aussi glissante, ce qui provoque pas mal de gadins dont le notre. Texas ce sera de loin pour nous, au fond (et couverts de gadoue), sur du bitume, histoire d’éviter une chute supplémentaire. Les Ecossais de Texas commencent par leur récent titre The Conversation. La leadeuse du groupe, l’emblématique Sharleen Spiteri, s’efforce de parler français entre chaque chanson. Elle harangue les foules mais malgré ses efforts, la mayonnaise a du mal à prendre. Pourtant le groupe se donne de la peine. Il faudra attendre la deuxième moitié du set et le tube I don’t want a lover pour que l’ambiance décolle. Ce qui sera chose faite avec Black eyed boy ; Summer Son et sa belle réorchestration teintée de cuivres qui fait danser et chanter l’assistance ;  et Inner Smile. Point positif du show : les très belles lumières qui ont accompagné chaque titre.

21h45, tchao Manu et bonjour la fête

La pluie s’est arrêtée depuis quelques heures, et la fête est bondée. Comme un samedi soir. Normal, Manu Chao pointe le bout de son sourire. Il avait déjà retourné la grande scène en 2009. Cela sera plus compliqué cette fois, tant nos pieds sont figés dans les marres de boue présentes. Difficile d’en profiter si l’on n’est pas face à la scène, l’énergie du groupe ayant du mal à venir jusqu’à nous, tout comme le son de la Grande Scène. On restera un peu sur notre faim. Mais la nuit est loin d’être terminée : après un passage au stand de l’Yonne pour une bouteille de Pinot et quelques escargots, c’est une bouteille de blanc et une tartine de munster qui nous attendent à la brasserie alsacienne du Haut-Rhin. On voguera ensuite d’un concert au Kremlin-Bicêtre d’une soirée arrosée à Amiens, jusqu’au stand débordant du Calvados. Les Corons de Pierre Bachelet et l'Internationale seront reprises en coeur. Il est 2h du mat’, et alors que tous les stands ont fermé leurs portes, on continuera à refaire le monde qui nous entoure jusqu’au petit matin.

Jour 3. 13h04, réveil intellectuel à l’agora

Les intempéries de la veille en ont finalement découragé plus d’un. L’ambiance est morose, le parking des 2 roues est quasiment vide. Sous l’agora, une grande tente dédiée aux débats, on parle du pluralisme et de l’indépendance de la presse menacés par la mainmise des financiers. Les exemples fusent, de Dassault propriétaire du Figaro  à Bolloré qui “révolutionne” Canal +. Etre sous l’agora c’est aussi se protéger de la pluie qui continue de tomber et admirer les dessins de presse exposés sous le chapiteau. Le tout en mangeant un sandwich au foie gras acheté en passant devant l’auberge du Gers. Un autre invité de marque prendra place pour le débat suivant : Yanis Varoufakis, ancien ministre des finances de la Grèce.

14h08, vous avez dit Johnny ?

Lui c’est Johnny Montreuil, il est accompagné par 4 musiciens, les Narvalo City Rockerz. Le public devant Zebrock est très clairsemé et encore crotté de la veille. Un vrai défilé de bottes en caoutchouc. Johnny Monteruil joue de la contrebasse, ses musiciens du violon, de l’harmonica… pour un résultat très séduisant aux accents blues, folks et aux paroles militantes. On tente de manger une tartiflette mais elle refroidit vite et n’est pas très bonne, William Saurin aurait fait mieux, et tout ça pour 7,50 euros. Par contre, la bière corse Pietra à deux pas d’ici est une bien meilleure affaire. Pour avoir une chance de goûter à beaucoup de spécialités, il faut bien mélanger les genres.  

15h34, Lénine et Renaud chez Zebrock

A défaut d’avoir ressuscité Lénine et sorti Renaud de sa retraite, l’Huma a programmé Lénine Renaud, rencontre d’un ancien des VRP et d’un ancien de Marcel et son Orchestre pour former un duo de six musiciens. En chemises zébrées, ils jouent de l’accordéon, de la contrebasse, de l’harmonica, du banjo pour un rendu très joyeux et drôle. Même si le public est plus nombreux, l’ambiance n’est pas au rendez-vous. Ça danse très peu alors que la musique s’y prête, mais les spectateurs semblent quelque peu moroses. Pourtant, sur scène, les joyeux lurons s’en donnent à cœur joie, mimant un crabe mort !

16h42, promenade sonore et gourmande

L’heure du goûter se faisant, il est temps d’arpenter les allées à la recherche de victuailles. La pluie a cessé et entre 2 nuages, le soleil fait même quelques brèves apparitions. Pour commencer, ce sera du cidre à 50 centimes le verre au stand de la section de Gisors, puis un cannelé maison à 2 euros, dégoté à quelques pas. Certains stands commencent déjà à brader leurs dernières denrées, comme un homard proposée à emporter pour 15 euros, tandis que dans d’autres la fête bat encore son plein. Dans le stand du Limousin, trois jeunes gens se déhanchent sur la bande originale des « Bronzés font du ski ». Pendant le meeting, on circule mieux dans les allées, mais l’ambiance n’y est pas à son paroxysme. La pluie a fini par avoir raison de la bonne humeur. Le Maine-et-Loire propose d’excellentes pizzas maison à 5 euros aux noms communistes. Pour nous ce sera la steakanovitz à la viande hachée. Le pizzaïolo d’un jour fait tourner la pâte en l’air pour épater la galerie. Puis direction le bar à punch de Goussainville. Mojito au basilic, punch à la cerise, à l’ananas, au citron, à la coco… il y en a pour tous les goûts. Pierrot à la moustache blanche accompagne cet apéritif au son de sa guitare et des Copains d’abord de Brassens. Un passage furtif à la scène Jazz Huma nous laisse à entendre l’hymne Communiste de Cyril Mokaiesh, seul sur scène avec sa guitare.

18h29, Léo hurle du Mano Solo

La  boue de la Grande Scène nous a dissuadé d’écouter la famille Chedid. Notre dernier concert sera donc celui des Hurlements d’Léo (photo), sur le bitume de la P’tite Scène. Le groupe de rock est venu présenter son dernier album dans lequel il rend hommage à Mano Solo, décédé il y a 5 ans. Sur scène, Les Hurlements d’Léo sont accompagnés par Napo Romero, ancien guitariste et chanteur des Frères Misère, groupe dont Mano Solo était aussi membre. Outre les titres mélancoliques solo de Mano, ils reprennent aussi des titres des Frères Misère,  « Je me suis fait du mal » et « Nous partirons », des chansons qui apportent une touche keuponne au concert. On repartira tranquillement en navette vers le Bourget, épuisés mais heureux.  

Côté concerts

La confirmation
Soviet Suprem, un groupe décidément taillé pour la scène

La déception
Youssoupha, une mauvaise sonorisation qui nous a empêché d’entendre ses textes

Les revenants
Les Innocents, qui ont reconnu chanter pour un public de vieux

Les ambianceurs
Les Fatals Picards, c’est le concert où ça a le plus remué

Côté festival 

On a aimé :
- Toujours pas de fouille des sacs à l’entrée, ça va bien plus vite.
- La variété impressionnante des stands pour manger et boire
- Nouveauté 2015 : la grande roue

On a moins aimé :
- La P’tite scène, trop petite pour accueillir des artistes comme les Fatals Picards. D’autant plus que les stands à proximité ne coupent pas leur musique pendant les concerts.
- Deux jours de pluie. Et ni paille ni sable n’ont été déversés pour absorber tout ça comme c’est le cas parfois.
- Le son de la Grande Scène. Il serait temps de l’améliorer !

Conclusion

Malgré la pluie et la gadoue, quelque 600.000 personnes ont répondu présents ce week-end à La Courneuve. Cette 80ème édition de la Fête de l’Huma est fidèle aux autres : des concerts pour tous les goûts, des débats, de la politique ou encore du sport. L’Huma reste le rendez-vous incontournable de la rentrée. Après le soleil et la chaleur de l’année dernière, la pluie a repris son droit. On espère que l’année prochaine le temps sera plus clément.

Un récit de Laura Bruneau. 
Photos d'Alain Maillard.