On était à
Festival d’Ile-de-France, la diversité comme credo

Le festival d’Ile-de-France fêtait cette année ses 40 ans. C’est dans des lieux répartis à travers toute la région francilienne qu’il proposait une panoplie de concerts : pas moins de 33 dates, misant sur la pluralité des styles musicaux entre septembre et octobre. On vous raconte la semaine de clôture.

Jour 1. 19h40, un festival dont vous êtes le héros

Comment ressentir l’expérience collective d’un festival lorsqu’il prend la forme d’une série de concerts de tous styles, disséminés sur 29 lieux sur plus d’un mois ? Voilà la problématique, à laquelle on a choisi de répondre en enchaînant quatre soirées d’affilée à Paris. Pas de Tshirt ni d’éco-cup souvenir, pas de débarbouillage à la lingette ni de file d’attente pour les toilettes sèches, mais une programmation, pile dans nos goûts musicaux, dont la richesse nous éclabousse d’emblée. C’est donc avec l’ambition de nous créer par nous-mêmes notre festival que l’on arrive à la Gaîté Lyrique, au centre de Paris, pour notre première soirée. Deux euros de vestiaire, quatre euros le verre de (bon) vin rouge bio dans le superbe foyer historique (photo), les disques des artistes du soir en vente… On retrouve un ami et on s’attarde un peu à bavarder avant d’entrer dans la salle.

20h20, le chant de la machine

La salle située au second étage de la Gaîté Lyrique est déjà complètement remplie lorsque l’on y entre, au son de l’électro mélodieuse d’Arnaud Rebotini et Christian Zanési (photo). En nous approchant peu à peu de la scène, on les découvre concentrés sur leurs machines, Rebotini sur son synthé analogique Korg et Zanési les yeux rivés à son Mac, dessinant des cercles de la main pour marquer les temps. L’expérience est tout autant visuelle que sonore avec une projection, sur des écrans à 360 degrés, d’images d’archives en noir et blanc des pionniers de la musique électronique. On a finalement à peine le temps de se dire que la mise en lumière de la salle est trop brutale que la séquence est déjà terminée. C’est passé vite.

21h40, sacré François !

Après le changement de plateau, place au bassiste et compositeur Fred Pallem (photo) qui, avec son big band Le Sacre du Tympan, rend hommage à la musique de François de Roubaix, compositeur de musiques de films décédé en 1975. On se colle à la scène et derrière nous sur au moins trois rangées, se concentre un public essentiellement masculin de trentenaires / quarantenaires. On sent les passionnés. Le groupe (trois claviers, tuba, trombone basse, sax alto) montre une grande cohésion : les lignes de basse funky répétées à l’infini par Fred Pallem forment l’ossature des bandes originales de films jouées et nous donnent envie de danser. On n’est beaucoup moins emballés par les deux chanteuses qu’il convoque par moments, certainement trop branchouilles pour nous, en revanche on ne quitte pas des yeux les extraits de films projetés: d’abord des choré de danseuses des 70s en pattes d’eph, puis, des images de plongeurs et d’épaves envahies de bancs de poissons, qui prennent leur sens en sachant que François de Roubaix est mort à 36 ans dans un accident de plongée sous-marine.

Jour 2. 19h42, atmosphère, atmosphère

Même lieu, le lendemain. Dans la file d’attente du contrôle des sacs, on sourit à l’écoute de plusieurs discussions, des concerts de jazz prometteurs de cet automne à ceux de l’été dernier à Jazz à Vienne. Sur scène, une jeune saxophoniste vêtue d’une espèce de pelisse nous tourne le dos. Accompagnée d’un pianiste, d’une violoncelliste et d’un violoniste, Mette Henriette (photo) - c’est le nom de la jeune Norvégienne - attend le silence du public pour se retourner vers nous. L’éclairage de la salle, brumeux, crépusculaire, renforce le caractère planant de ses compositions. Ce qu’elle joue ne ressemble à rien d’autre : c’est cotonneux, vaporeux, minimaliste. Des fragments de son.

21h26, a new conception of jazz

Lorsque l’on rentre à nouveau dans la salle, on distingue quatre anges blondes sur scène, respectivement aux tablas, au saxophone, à la batterie et à la guitare, et derrière ses machines et son piano, celui pour lequel on est venu : le Norvégien Bugge Wesseltoft (photo). Son album de future jazz, intemporel, date d’il y a 20 ans et manifestement le public majoritairement quarantenaire, attentif, hyper concentré et enthousiaste, est encore une fois connaisseur. On se sent entre passionnés. Bugge joue des extraits de cet album - You might say et le superbe Existence - tout en projetant des visuels graphiques. Il laisse aussi toute leur place aux solos de chacune des jeunes musiciennes. On est conquis par la vélocité de la joueuse de tablas, dont il annonce la sortie d’un album sur le label dont il s’occupe. Bugge est acclamé à en revenir saluer sur scène par trois fois. On aurait tous adoré que ça continue bien plus longtemps.

Jour 3, 20h00, Liban mon amour

Samedi soir à Pigalle, on court pour arriver à l’heure à La Cigale : Bachar Mar-Khalifé (photo) jouera à 20h00 pétantes vient d’indiquer la com’ du festival, qui donne chaque jour la timetable sur facebook. On vient pour lui, le pianiste franco-libanais. Le concert est annoncé complet depuis longtemps, la file est importante. Juste le temps de trouver une place en mezzanine pour observer la salle acclamer le groupe qui déroule d’une traite l’album Ya Balad (Leila, Balcoon, Layla, Ya Balad, Wolfpack, Lemon…). Comparé à Jazz à Vienne cet été, son jeu est beaucoup plus rock et electro que hypnotique. Son énergie est massive et sans même comprendre les paroles qu’il chante, on se prend en pleine face l’intensité émotionnelle de ses compositions et de ses passages au piano. On en a les larmes aux yeux. Tonnerre d’applaudissements, public qui tape des pieds et claque des mains. “Seigneur prends pitié, épargne nous et laisse nous tranquilles” : la phrase qu’il prononce à chaque concert sonne dans une salle remplie et conquise.

21h20, un autre Beyrouth

A l’inverse, nous ne connaissons pas du tout le groupe suivant, Mashrou’Leila (photo). D’abord déconcertés par le violoniste et le chanteur, exhibant biceps musclés et t-shirts pailletés, on se demande si l’on va rester. Et puis les ovations d’un public de 20/30 ans qui dégaine les smartphones nous intriguent : restons un peu pour découvrir cette rock star du Liban, dont on reconnaît le joli vibrato. En questionnant en anglais nos voisins, un couple de Palestiniens en vacances à Paris, on apprend qu’il s’agit d’un groupe gay, défenseur des libertés individuelles, un groupe star au Moyen-Orient. Ce n’est pas notre style de musique mais on part en ayant appris quelque chose.

Jour 4. 16h30, et bien dansez maintenant !

Pigalle à nouveau le lendemain, pour le bal-concert de clôture du festival au Trianon. Le format du dimanche après-midi attire aussi bien des seniors que des familles avec enfants que les animateurs du bal invitent au plus près de la scène. Trois heures durant, c’est chaude ambiance dans la fosse remplie du Trianon (photo), entre musiques africaines, rumba congolaise, chacha, salsa cubaine et ce qui surpasse tout à notre goût personnel : les reprises afrobeat de Fela Kuti (Buy Africa et Shakara). Onze musiciens sur scène jouant non stop, leur choriste dont nous retiendrons le nom (Kandy Guira), et une succession de guests qui enflamment du public : du Congo, Baloji, du Cameroun le doyen Manu Dibango, du Mali, Mamani Keita, et de Colombie, Yuri Buenaventura. On termine le festival avec une amie retrouvée dans le public sur un éclat de rire collectif, à la vue d’un des animateurs à l’élocution soudain traînante, ivre, chancelant sur scène. Il n’est que 19H30 : à nous d’attaquer l’apéro!

Le Bilan

Côté concerts

Accrocheuse
la basse de Fred Pallem

Communicatif
le bonheur visible de Bugge Wesseltoft

Energisante
la version live de l’album joué par Bachar Mar-Khalifé

Côté festival

On a aimé :
- la richesse de la programmation
- le site web et la brochure, très précis
- le timing des concerts respecté à la minute près, y compris changements de plateaux
- l’ambiance des concerts et le public passionné
- les bouchons d’oreille généreusement distribués

On a moins aimé :
- difficile de ressentir un véritable sentiment d’appartenance, au-delà de l’affichage du logo dans les salles de concerts et de l’accueil chaleureux par le staff que l’on retrouve jour après jour. Mais c’est déjà bien comme cela.

Conclusion

Avec sa programmation éclectique et les nombreux lieux qu’il investit, le Festival d’Ile-de-France permet le croisement de publics de tous âges. Que l’on parte aux quatre coins du territoire francilien ou que l’on reste à Paris intra muros comme on l’a fait, c’est chaque année l’occasion de picorer des concerts et de profiter de créations de qualité.

Récit et photos : Alice Leclercq