On était à
Biches 2023, comme dans un cocon

Un corps de ferme dans un écrin de verdure normand, quelques pépites de la nouvelle scène française, des sourires et de la bonne humeur, bienvenue au Biches Festival. L’été commence ici ? Les orages annoncés n’ont pas entaché notre motivation : retour sur deux journées chill et bucoliques, mais pas moins festives.

Jour 1. Vendredi 9 juin, 18h02, lit de foin

A peine 1h20 de train depuis Paris, et nous voici à l’Aigle, au sud de la Normandie. On suit les panneaux « navette » pendant 10 minutes jusqu’au centre-ville. Puis, tel un groupe de rock, un minibus 9 places nous récupère et nous dépose pile à l’entrée de la Ferme du Rai, et son Biches Festival. Le camping est juste là, au milieu d’une verdoyante petite campagne, et les campements sont en cours de montage. On galère 30 minutes avec notre tonnelle, qu’on finira par enlever face au vent naissant. Des orages sont annoncés ce week-end, on prend pas de risque. L’orga non plus et tant mieux : du foin à été disposé partout sur le camping face aux pluies annoncées. 

19h32, bienvenue à la ferme 

Poncho en poche, direction le festival … à 1 minute à pied top chrono. L’entrée est efficace, accueillis par La Pop Lexomil, drag queen haute en couleurs et maîtresse de cérémonie du festival, ce qui contribue immédiatement à nous mettre à l’aise : la place est safe. 

Une grande ferme à colombage en vieilles pierres se dresse face à nous : d’un côté la grande scène, de l’autre la petite scène dans un recoin et un grand espace convivial avec foodtrucks et grande tablées. On se dirige tout naturellement vers le premier panneau bar aperçu pour prendre une bière. C’est la brasserie lyonnaise Ninkasi qui a le monopole sur le festival, mais les deux bars présents proposent également du cidre pression, des boissons pétillantes légèrement alcoolisées et des softs, dont du jus de pomme normand bien entendu. Les prix sont plutôt honnêtes à défaut d’être bon marché - 6€ la pinte de lager, 8 celle d’IPA - pour des breuvages de qualité. Qu’il est bon de vivre un festival sans la bière verte. On peut payer partout en CB ou en cashless via une carte qu’il est possible de recharger au niveau de l’accueil. 

19h45, paillettes pour tout.e.s

Pour le premier concert du week-end, on apprécie la pop rêveuse de Kids Return sur la grande scène, qui nous gratifie entre autres d’une superbe reprise de I will wait for you de Michel Legrand. On poursuit en technicolor sur le stand de make-up paillettes éco-responsables Si si la paillette (photo), stands stars des festivals. A peine le temps d’admirer nos traits rouges et argentés que la première drache normande du week-end s’abat sur nous. Trombe d’eau. La moitié du public se réfugie sous la petite tente, littéralement dans les paillettes. Heureusement cela ne dure pas bien longtemps, et on se prend à espérer un peu naïvement que la pluie ne revienne pas… Déni ?

20h26, à chacun sa technique de séduction

On reprend une pinte pour se remettre de nos émotions et on file voir Zaoui (photo) sur la petite scène, l’un des deux ex-Thérapie Taxi présent.e.s ce week-end. Il nous la joue toujours mauvais garçon, parfois sale, parfois gentleman, avec des textes et arrangements qui rappellent quelque peu le groupe d’origine. La fièvre monte rapidement dans un public acquis ou conquis, aidé par quelques rasades de rhum généreusement distribuées par l’artiste. La suite est sur la grande scène : pas besoin de se positionner tôt, il est toujours possible de trouver une bonne place. Amis agoraphobes, vous aussi êtes les bienvenus. Après quelques vannes drôlement douteuses, La Pop Lexomil fait pousser au public des cris de biches pour les désinhiber. Plus réservé, Flavien Berger n’en reste pas moins en grande forme. Il sait charmer et envoûter un public dissipé à coup de blagues pince-sans-rire et de compositions entêtantes. Une formule éprouvée mais qui fonctionne toujours aussi bien, d’autant plus que le son est particulièrement bon pour un festival en plein air. On se dandine joyeusement. 

22h55, les pieds sous la table

Presque 23h, et nos ventres nous demandent pourquoi ils sont encore vides. Plusieurs choix s’offrent à nous : burgers, ramens, pizzas, crêpes, avec toujours plusieurs options végé. On opte pour une petite galette 3 fromages bien bonne à 5€. D’autres ont pris des burgers, pas donnés à 14€, sans frites, mais apparemment succulents. On se retrouve autour d’une grande tablée à discuter musique avec un groupe d’ami.e.s parisien.ne.s, espèce la plus en vogue à la ferme ce week-end. Pour le pipi, ça se passe du côté des toilettes sèches, avec des pissotières pour hommes et femmes, et 4 toilettes fermées, qui permettent une bonne fluidité. Pas d’attente pour attraper une bière comme pour soulager sa vessie, que demander de plus finalement ?

02h01, l’appel de la nuit 

On passe une tête au concert de Rendez-Vous, où les gros riffs de guitares détonnent avec le reste de la programmation. Le public répond présent, on aperçoit même une coiffure punk glisser sur le public. Avec un petit Club Maté salvateur pour se donner de l’énergie, on préfère s’ambiancer devant un petit camion qui balance des sons entraînements et fait danser le festival. Après quelquesmouvements de bassin avec Social Danse, le final sera puissant et lumineux avec Calling Marian (photo), que l’on avait découvert lors des Inouïs à Bourges en 2019. Sourire aux lèvres, regards vers le public, sa techno est joyeuse, ouverte et tonique. On apprécie une nouvelle fois son set alors que la température extérieure est descendue d’un cran. Il doit être presque 4 heures lorsqu’on rejoint notre tente pour une nuit bien méritée. 

Jour 2. Samedi 10 juin, 09h45, biche neuve

Le soleil vient frapper à la porte de la tente dès 8 heures tapantes. Le réveil est chaud, et il y a la queue face aux 4 toilettes sèches et l’unique lavabo. Un peu insuffisant même si le camping ne doit compter que 200 campeurs. On va profiter des douches collectives du gymnase mise à disposition à 10 minutes à pied. On sort tout propre direction le centre de Rai, village qui accueille le petit festival. Une pluie de sourires des habitants du coin nous accueille à l’épicerie-café-poste pour profiter d’un café et d’un croissant en terrasse. Ici, interdiction d’ouvrir sans avoir un joli jeu de mots : “la Rai-galade” pour la boucherie, “la RAI’serve” pour l’épicerie ou encore “Aux ciseaux do’RAI” pour le coiffeur. Vivement la Rai-volution !

11h53, le village se réveille 

Le festival ouvre ses portes à 10h. Une longue file d’attente de campeurs et campeuses en manque de café a mis le siège à la camionnette-delicatessen, seul food truck ouvert le matin, qui a troqué l’assiette apéro-rillettes de la veille contre une offre petit-déjeuner. Les places à l’ombre sont rares dans la cour de la ferme, sorte de “place du village” comme certain.es festivalier.es l’ont très justement rebaptisée. Seule une grande toile tendue, avec quelques coussins au sol, permet de trouver un peu de fraîcheur. Un cours de Yoga est lancé, en mode chien tête en bas. Nos téléphones sont pratiquement déchargés, et il n’y aucun endroit pour pouvoir les recharger : on s’arrange avec l’accueil qui nous branche gentillement nos objets addictifs. Sur les grandes tables en bois, le déjeuner s’ouvre petit à petit : on va prendre un verre de vin naturel à 5€, puis on opère une rencontre inédite entre gyozas veggies et frites normandes, quitte à y prendre quelques coups de soleil tout aussi improbables. À 14h, le duo féminin Cold Lemonade ouvre le bal avec une folk-pop adolescente et mélancolique. Pendant ce temps, cela bataille pour obtenir un transat : cela donne soif, et c’est l’heure de notre (première) Suze Tonic. 

15h10, surprise partie

Ce samedi, le festival est gratuit jusqu’à 18h : on voit plusieurs familles venir profiter de l’espace. Nous, on se demandait bien ce qu’on allait faire de notre après-midi lorsque … Un bingo ! (photo) Le Biches festival nous prend par surprise avec une animation qui n’était pas annoncée. On est bien une centaine avec chacun notre petit grille de numéros, prêt à gagner des shots d’alcool et des goodies. On poursuit les activités du côté de la grande scène, près de laquelle une tente accueille le fameux stand paillettes mais aussi, un espace lecture autour de la culture queer, une mini friperie ainsi qu’un atelier créatif de dessin / patchwork où l’on aperçoit quelques enfants. On reprend tranquillement les concerts avec un groupe plus atypique Tomi Marx (photo de couverture), dont on apprécie autant l’étude des looks que l’énergie déployée sur scène. On aurait presque envie de les rejoindre et de chanter nous aussi, comme dans notre cuisine, à l’aide d’une cuillère en bois.

19h05, tempête sur la ferme 

On commence à être chaud, et la farandole de live made in scène française peut repartir. C’est d’abord le trio Nelick, avec un rap à la cool, qui prend les commandes de la grande scène. Ça parle de guacamole et de pâtes au ketchup, le DJ porte un tablier. Décidément, on est très cuisine cet après-midi. On sera charmé ensuite par Claude sur la petite scène, à la fois timide et charmeur, au phrasé lent mais entraînant, accompagné de sonorité techno pop, dans la lignée d’un Pierre de Maere. Une belle découverte. On fait une petite pause fraîcheur, avec Yoa au loin. Toujours pas d’orage à l’horizon pour notre plus grand bonheur. En tout cas dans le ciel. La tempête arrive finalement sur scène, avec Zaho de Sagazan (photo). Après sa prestation convaincante au Chorus festival en avril, elle prend une dimension encore plus puissante dans un festival d’été, en extérieur. Entourée de deux musiciens aux manettes de gros synthés modulaires, ses textes d’amour résonnent avec force et sincérité, sur des sonorités techno, et prennent rapidement aux tripes, entre émotion et lâcher prise. La scène est à elle, on peine à croire qu’elle n’a que 23 ans. 

21h46, démence nocturne

On laisse PPJ de côté pour suivre une proposition bien plus alléchante : un gin tonic tout droit sorti du coffre de la voiture de notre groupe d’ami.e.s retrouvés hier, garée à deux pas sur le parking. Moins frais mais plus intense que la Suze, on va dire. La dernière entrée sur le festival est à minuit, on peut donc facilement faire des allers-retours à sa tente ou sa voiture.

Retour sur la grande scène. En attendant la tête d’affiche, ça chante Désanchantée de Mylène Farmer dans les premiers rangs. Notre Queen Biche locale relance quelques cris pour chauffer les troupes. Clope au bec non stop, Flora Fishbach (photo) apparaît et part très vite en roue libre. Elle ne chante pas tous les couplets de ses chansons, part dans des impros et des discours aux idées noires, sans finalement perdre une certaine prestance, dans une posture céleste entre ombre et lumière de la scène. On a connu des artistes bourrés sur scène, mais là ce n’est pas le cas. On ne sait pas trop si elle surjoue son mystérieux personnage ou s’ouvre à nous à l’instinct au cœur de la nuit. Heureusement, ses musiciens assurent, entre pop électronique et sonorité 80’s, et rendent ce moment - qui aurait pu être désastreux - en un concert atypique et lunaire, un peu dément, musicalement stylé, comme un OVNI bienvenu dans ce monde si calibré. 

00h59, marguerite et arc-en-ciel

Au camion à pizza, les commandes s'enchaînent. Les Pipo et Mario locaux n’arrêtent pas une seconde, roulette et pelle à pizza en main, et sont les derniers à fermer chaque soir. Ici, on dit “Marguerite”, et pas margarita. On y est revenu 3 fois en 2 jours, car elle était bien délicieuse. Chapeau pour la qualité de la proposition culinaire, locale et veggie friendly, pas toujours à la hauteur sur ce type d'événement. Avec les désormais classiques toilettes sèches, poubelles de recyclage ou éco-cup, les décors et installations 100% “DIY”, on est bien “green” ici. Un vert qui se mélange à l’arc-en-ciel du public présent : on s’habille et on se coiffe comme on veut, on est qui on veut. Sur la grande scène, on va lâcher nos dernières forces sur Ouai Stéphane, DJ à la cool en t-shirt qui ressemble plus à ton pote comptable qu’au roi de la nuit. On s’amuse aux sons de ses “Ouai” par centaines, de ses petites phrases remixées, on danse et on saute sur quelques boom boom bien manié, entre techno et drum’n bass. Alors que Toxic Avenger avait annulé sa venue pour raisons de santé pour clôturer la soirée, on se permet un retour à notre campement. 

Jour 3. Dimanche 11 juin. 10h30, c’est déjà dimanche 

Il fait plus frais, ce qui permet d’apprécier une presque grasse mat’. Le camping est silencieux, les yeux encore dans la brume. Après un café dans le festival, on remballe tranquillement notre campement pour repartir sur l’Aigle en petite navette, et se poser à la terrasse d’un café pour déjeuner en attendant notre train. Les stands du marché ferment leurs portes, la ville papillonne, alors que l’on suit Djokovic devenir le GOAT du tennis mondial. On sèche la dernière journée pour repartir chez nous plus tôt. Et oui, passé 30 ans, on doit lancer une lessive le dimanche, et se mettre en condition pour le lundi matin. L’après-midi, ce seront Adé, Les Clopes ou encore Braxe+Falcon qui squatteront la scène et compléteront cette programmation bien ficelée. 

Le bilan

La claque

Zaho de Sagazan, poétesse sensible et puissante 

La force tranquille

Flavien Berger, la nonchalance à la française

La découverte

Claude, attachant et prometteur

La puissance

Calling Marian, un set qui donne des bonnes vibes

On a aimé :

- Le lieu : une ferme bucolique à la campagne.

- Un festival qui s’affiche inclusif, et qui l’est. 

- L'organisation bien rodée, pas de temps d’attente, pas de sentiment d’étouffement. Et le camping était préparé aux orages. 

- La proposition culinaire en partie végétarienne par des entreprises locales

- L'entrée gratuite le samedi après-midi qui permet d’attirer la population locale

On a moins aimé : 

- Le manque de point d’eau potable pour boire ou se laver les mains sur le festival comme le camping. 

- L'absence d’endroit pour recharger son téléphone au camping ni sur le festival

Infos pratiques : 

Prix du festival :

35€ la journée, 75€ le pass 3 jours

Prix d’une bière :

6€ la pinte de blonde, 8€ la pinte d’IPA, 4,5€ le demi. 6,5€ le suze tonic. 

Prix du vin :

5€ le verre de vin naturel

Prix du soft :

4,5€ le 33 cl

Prix de la nourriture :

3,5€ la barquette de frites, 5€ la crêpe, à partir de 11€ la pizza, 14€ le burger 

Transports : 

En voiture, 1h de route d’Alençon, d’Evreux, environ 1h30-1h45 de route de Caen, Chartres, Le Mans ou Rouen, 2h de Paris. 

En train depuis Paris, 1h10 à 1h30 avec le train Nom’ad jusqu’à l’Aigle, puis 5 minutes de navette gratuite. 

Conclusion 

C’est toujours un plaisir de découvrir de nouveaux festivals, surtout quand ils sont de qualités. Le Biches festival propose un vrai cocon pour quelques jours : un lieu superbe, de l’espace, peu d’attente, une proximité avec les artistes, et on s’y sent bien peu importe qui nous sommes. Il a tout pour tracer tranquillement sa route et tirer son épingle du jeu dans l’offre pléthorique des festivals de juin.  

Un récit d’Arthur Emile et Morgan Canda

Photos de Morgan Canda