On était à
Beauregard, une expérience sensorielle royale

Avec une programmation trois étoiles, des stands à foison pour se remplir la panse et un cadre princier, le festival Beauregard qui se déroulait le week-end dernier à Hérouville-Saint-Clair présentait un menu alléchant. Restait à savoir si l’organisation nous concocterait un accueil et des animations aux petits oignons. Récit de nos trois jours au château de Beauregard.

Jour 1. 20H44, déterminés

Nous arrivons sous un franc soleil à la gare de Caen - c’est suffisamment rare en terres normandes pour être signalé- prêts pour la vie de château… Et on découvre assez rapidement que ça se mérite : c’est un petit parcours du combattant pour arriver, entre tram, marche à pied de dix minutes, navette, puis re-marche à pied de dix minutes et recherche d’une entrée que l’on finit par trouver, prise d’assaut par une queue qui n’en finit pas et qui n’avance pas. On entend au loin les cris rauques et torturés de Benjamin Biolay sur scène et on partage sa douleur. On trépigne, mais on en veut, la fête n’aura pas lieu sans nous. Résultat des courses : 2h15 au total pour faire la rencontre de John Beauregard, qui a su se faire désirer.

21H32, on prend le rythme

Le site a une décoration assez épurée, avec des lanternes accrochées aux arbres et le château en arrière-plan qui en impose. On parcourt les nombreux stands alignés pour boire et se sustenter : bar à fruits de mer et à huitres, fromages locaux en dégustation gratuite, street-food qualitative, cidrerie et bars Heineken qui tient le marché de la bière ici… Il y a de quoi consommer vite et bien, avec des propositions variées et des touches d’originalités qui font plaisir. On se positionne avec notre John E-cash chargée pour un burrito normand au porc à la broche avec des frites à 9 € le tout, et une pinte de blonde à 6,40 €.  Les stands ne sont pas homogènes en ce qui concerne les modes de paiement, on peut payer à certains endroits et pas à d’autres en cashless, avec son smartphone, en espèces, en carte bleue et même en chèque (pourquoi pas en Louis d’Or tant qu’on y est ?), ce qui s’avère pratique mais un peu prise de tête pour jongler entre chacun. Après tant d’épreuves, on part bien équipés pour aller taper du pied devant la fin de Metronomy. Le groupe est généreux, l’ambiance est bon enfant. De quoi bien débuter les festivités.

00H20, see you at the bitter end

Les concerts de Metronomy et Midnight Oil sont sympathiques, mais nous on veut du son de furieux, du rock qui claque, qui saute, qui fait mal. Ça tombe bien, Placebo débarque pour fêter ses vingt ans de carrière comme il se doit. Le groupe est une bête de scène et déroule une partition bien maîtrisée à base de coups de guitares énervés. Ses plus grands titres y passent tous, le public est conquis d’avance et bouge du début à la fin. Léger goût de « bitter end » dans tous les sens du terme de notre côté, qui aurions aimé voir encore plus de folie, malgré le show à l’atmosphère chaotique qui nous a été offert.

01H41, heureux comme des enfants

Sans transition, la soirée se poursuit par le set de l’incontournable Møme, visiblement très, mais vraiment très content d’être là. Il balance sa machine à faire danser en même temps que ses nombreuses paroles de gratitude et ça marche. Le public est au rendez-vous, communie et tente même à plusieurs reprises des pogos plus ou moins réussis. C’est l’intention qui compte. Le public ou une partie seulement : le parti-pris de mettre deux scènes qui alternent l’une après l’autre a l’avantage de ne faire rater aucun concert, mais il ne donne pas de solution face au choix unique. Les amateurs de Placebo ne sont pas forcément les mêmes que les inconditionnels de Møme, alors faute d’alternative les premiers s’assoient dans le fond et attendent patiemment que ça passe. Pas sûr qu’ils trouvent davantage leur compte avec Boys Noize qui suit le concert de Møme et clôture cette première journée. Les fans en revanche ne s’y trompent pas, et déjà bien chauffés, ont bien du mal au moment de s’arrêter de danser. On file après ça au camping, repus et impatients pour la suite.

Jour 2. 15H23, pas vraiment l’ambiance carnaval

Le soleil est toujours là, on profite du calme d’un camping bien rempli, qui comme l’année dernière propose à disposition baby-foot, pétanque, molkky, jeux de cartes et petites animations pour relever un peu le niveau de l’ambiance pas franchement déchaînée. On s’enfile un burger et une bière bien installés à la buvette, puis on s’avance vers les scènes, curieux de voir le live d’Aerobrasil, gagnant du tremplin local John’s Session organisé par le festival. Le groupe joue devant un public encore parsemé mais propose une électro aérienne séduisante faite de beats modernes qui contrastent avec un fond vintage. Bonne surprise pour un début en douceur.

18h10, du lard ou du cochon ?

Après avoir déambulé et cédé à l’appel des churros, on se positionne devant la scène John pour assister au one-man show du phénomène Vald. Avant son arrivée, les fans bien au rendez-vous sont déjà chauds-bouillants, scandent des V-A-L-D, brandissent des pancartes, s’impatientent. La caméra qui les suit et retransmet le concert sur trois écrans autour de la scène s’en amuse et crée de l’émulation. Le rappeur finit par jaillir, et c’est l’explosion de joie pour le public très jeune qui n’attendait que son idole. Fidèle à lui-même, il est très à l’aise dans sa présence scénique, interagit avec son audience et la troll entre deux chansons. Difficile de démêler le vrai du faux, l’ironie de l’authentique, mais le public devant la scène ne se pose pas de questions. Il saute, lève les mains, crie, se lance dans des pogos à répétition, reprend les paroles, en extase devant une prestation largement à la hauteur de leurs attentes.

22H03, dans la jungle

La soirée bat son plein et les choses deviennent sérieuses devant la scène Beauregard avec l’arrivée d’Iggy Pop. Le domaine du château est plein à craquer, à tel point qu’il devient difficile de se frayer un chemin jusqu’à la scène. Pendant une heure et demi, l’infatiguable iguane assure en se montrant sauvage, énergique à souhait et provocant, à deux doigts de se foutre à oilpé à tous les instants, visiblement pas mis au courant de l’esprit familial du festival. Tout son répertoire y passe avec la même intensité, mais le public bien que conquis est un peu mollasson, pas franchement sur la même branche que l’animal. Qu’importe, Iggy fait du Iggy, et ça fait toujours du bien à voir. « Respect puissance douze mille », comme le dit notre voisin.

23H24, ensorcelés

Changement d’ambiance total devant Ibrahim Maalouf qui nous enchante et nous met la plus belle claque du festival. Le génial trompettiste offre un concert aux accents résolument modernes avec des morceaux qui alternent clavier et trompette sur un léger fond d’électro. Avec générosité et une vraie volonté de rendre la foule co-interprète des compositions jouées, le musicien, un peu bavard, veut rendre sa prestation vivante et unique. Cerise sur le gâteau, ses solos de trompette nous envoûtent. On est prêts à le suivre aveuglément dans tout ce qu’il propose et on reste comme des orphelins lorsqu’arrive la fin.

00H16, show must go on

La soirée continue de plus belle avec Phoenix qui fait son grand retour après trois ans d’absence. Nous l’attendions avec peut-être trop d’impatience, mais nous sommes très déçus par ce que nous voyons et entendons. Les classiques et à peine quelques nouveaux titres défilent les uns après les autres, ça ne sort pas des sentiers battus, et on se demanderait presque si on est pas en train d’écouter un enregistrement studio si les fausses notes du chanteur ne venaient pas nous rassurer de ce point de vue-là. On trouve le temps long, on s’assoupit. Mais c’est peut-être aussi imputable à la claque qu’on vient de prendre juste avant qui nous a mis K-O.

2H31, monte le son !

Ennui mortel, épisode 2, avec Echo & The Bunnymen. Ce n’est pas que le groupe a démérité, loin de là. Mais les chansons sont lentes, trouvent peu d’écho dans le public, et nous on a qu’une envie, c’est danser, se défouler à ne plus avoir de pieds. En bref, on veut du Synapson. On est déjà dans les starting blocks quand le duo finit par arriver, et nous donne exactement ce qu’on voulait. Le show est bien rodé, on sent que la tournée a été longue et que tout est parfaitement maîtrisé. Mais c’est très efficace, on danse, le public enchaîne des pogos (remixés à toutes les sauces, ils seront devenus la marque de fabrique de cette édition), et on finit cette deuxième journée très éclectique dans les choix de programmation de la plus belle des manières.

Jour 3. 16H30, immersion dans l’univers de John

Dernier jour sous le soleil, on se pose devant Fai Baba, révélé en 2016 aux Trans Musicales de Rennes, mélange des genres entre blues, pop et rock, agréable pour flâner au soleil. Puis on enchaîne avec les maliens de Tinariwen et leur blues touareg qui ne nous convainc pas vraiment. On décide rapidement de passer notre tour et d’aller explorer le John’s World, chapiteau où nous attendent des animations sensorielles autour de l’univers de John Beauregard. Avec des yeux aux murs qui nous suivent du regard, des jeux de lumières qui suit nos pas, un mur qui balance des bulles selon la pression de notre poing qui s’enfonce et un photomaton avec un rendu en origami pour redorer la galerie du château, l’expérience s’avère originale, marrante et bien pensée. Une vraie valeur ajoutée par rapport au peu d’animations l’année passée.

18H22, la maison du bonheur

Un petit arrêt nécessaire se fait ressentir au bar à huîtres. On s’en voudrait de partir sans s’être laissé aller à quelques petits plaisirs gustatifs raffinés. On passe ensuite du chic au choc, avec le concert du mythique House of Pain. Les connaisseurs sont là, mais de jeunes curieux ne sont pas en reste pour bouger et s’enflammer au son hip-hop mixé du groupe reconstitué. Impossible de ne pas balancer la tête et de ne pas lever les bras, et les pogos désormais parfaitement maîtrisés s’enchainent. L’apogée arrive aux premières notes de Jump Around, hymne explosif dans l’histoire du hip-hop des 90’s. On est dedans, et on se voit comme des gangsters à L.A. au volant d’une voiture volée à tout écraser sur notre passage. Les vrais comprendront.

19H10, l’accalmie

Petit temps morts entre deux concerts, juste le temps qu’il nous faut pour constater que le tri sélectif est mis à l’honneur cette année, avec deux types de poubelles un peu partout sur le site et des messages incitatifs pour y penser diffusés sur les écrans. Belle amélioration. Sur ces belles pensées débute le concert du prometteur Michael Kiwanuka. Il annonce la couleur avec une lente et douce introduction instrumental de quasiment dix minutes, puis enchaîne les titres entre blues et groove, avec une voix qui le porte au sommet. Gros changement d’ambiance avec le concert précédent, mais salvateur après toute l’intensité vécue jusque-là. Le public écoute religieusement, absorbé par ce qu’il entend, et qui commence sans doute à fatiguer un peu aussi.

21H34, Foals sans folie

Le festival arrive pour nous à sa fin, on termine en fanfare avec le show de Foals. Le public se réveille et donne ce qui lui reste d’énergie pour danser devant le groupe qui fait le job. Bien que plus sage que d’habitude, l’exercice est bien maîtrisé et il alterne entre rythmiques énergiques et ballades tranquilles, avec intelligence. Les tubes de leurs quatre albums sont quasiment tous là, on est dans la cadence et on en perd pas une miette. Même si on aurait aimé voir les cinq garçons un peu moins blasés, on s’en va bien rassasiés et l’esprit léger.

Le bilan

Côté concerts

L’anniversaire
Placebo, pas de confettis et de serpentins mais un concert des grands jours à l’atmosphère de fin du monde

La messe
Vald, attendu et accueilli comme le messie son show était une vraie communion avec ses fans

Le récital
Ibrahim Maalouf, tout en maîtrise de ses instruments la prestation était de très haute volée

L’enterrement
Phoenix, ce devait être un retour en grande pompe, le groupe est arrivé les pieds devant

Le road trip
House of Pain, mythique voyage dans le hip-hop US des années 90.

Côté festival

On a aimé :

-La prog éclectique, il y en a pour tous les genres et donc pour tous les goûts.
- La légende construite autour de John Beauregard, qui donne au festival une vraie identité propre
- Le choix et la qualité des produits proposés aux stands pour boire et manger
- Le soleil ! Pas de couchers de nuages cette année, ça fait du bien à nos petits cœurs fondant comme des fromages normands

On a moins aimé :

- L’attente à l’entrée. Poireauter au soleil pendant 1h30 à 2h00 pour entrer alors que le chemin pour venir a déjà été long et tortueux pour les piétons, c’est comme un tacle par derrière les deux pieds décollés, c’est carton rouge direct
- La politique du choix unique. Éclectisme ne veut pas dire qu’on aime tout, on veut de l’alternative en festival !
- La programmation du dimanche, clairement plus faible par rapport aux deux premiers jours
- Le cashless qui ne s’assume pas

Conclusion

Cette édition a cette année encore été d’une grande richesse, entre le faste des stands, la programmation composée quasiment exclusivement de têtes d’affiches, des prestations de grande qualité, et une légende de plus en plus interactive autour de John Beauregard qui ancre l’identité du festival. Convivial, familial, agréable à vivre, on a passé trois jours royaux. Sa folie des grandeurs a parfois provoqué une mauvaise gestion en terme de flux et d’heures/jours des passages des artistes mais John semble avoir toutes les cartes en main pour aller encore plus loin et continuer à imposer son festival comme un évènement majeur pendant de nombreuses années.

Récit et photos : Anna Cortese