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Lior Shoov : "J'aime quand les gens ne comprennent pas ce qu'il se passe"

Avec des premiers pas en tant qu’artiste de rue, Lior Shoov faisait partie de la sélection 2015 des Inouis du Printemps de Bourges. Après une performance mêlant musique et excentricité, rencontre avec cette artiste pleine d’idées qui transforme notre manière de percevoir la scène pour entrer dans son monde farfelu.

Tous les Festivals : Bonjour Lior. Tu as commencé ta route par jouer dans la rue. Du coup si tu avais le choix aujourd’hui entre jouer dans la rue et sur une scène, tu choisirais quoi ?

Lior Shoov : J'aime beaucoup la rue, mais ce que je fais demande beaucoup de silence, beaucoup d'attention. Du coup, ce serait à l'intérieur. Mais par contre si c'est moi qui choisis j’aimerais bien pouvoir jouer avec des gens autour de moi en demi-cercle. Il y aurait des coussins pour que le public puisse s'asseoir par terre. Quelque chose de très proche des gens.

Comme un concert en appartement finalement ?

Oui, sauf que là on serait 500. Si on arrive à trouver une intimité avec beaucoup de gens et du silence,  parce que j'ai besoin de silence, c'est génial. C’est très minimaliste ce que je fais.

Tu ne joues qu’avec des instruments acoustiques. Tu n'as jamais envisagé de mettre des loopers ou autres machines électroniques qui te feraient faire des boucles sur scène ?

Au début oui, j'avais une loop station mais je l'ai perdue, je l'ai laissée chez une amie à Toulouse. Entre temps je suis retournée chez moi, ça faisait deux ans que j'étais à Paris. Il était là-bas,moi j'étais ici... du coup maintenant je fais tout en acoustique. Mais si je l'avais c'est sûr que le festival aurait été différent. Je suis contente aujourd’hui de ne pas faire avec les boucles, de rester en acoustique, parce que ça reste nu. Pour moi en tout cas ça reste brut. Les boucles reviendront peut-être un jour, c'est un chouette jeu. Surtout pour moi qui joue plein d'instruments, je peux délirer avec ça, mais j'aime bien le côté fragile, quand t'as rien, que l'instant présent, ta voix, et ce que tu fais avec.

Est-ce qu'avant de faire un concert tu prévois les instruments que tu vas amener ou tu improvises ?

Non je prévois, quand même ! Mais j'aimerai bien oui. J'aime bien jouer quand j'ai 1h/1h20 devant moi parce que je peux improviser, prendre le temps d'être là, à rien faire. J'aime bien aussi ne rien faire. J'aime bien quand on ne s'installe pas, quand les gens se demandent ce qu’il se passe, qu’ils ne comprennent pas. Du coup quand j'ai plus de temps, je joue là-dessus aussi. J’aime bien quand ça ouvre vers le corps, la danse... J'aimerais bien avoir le courage de ne rien prévoir.

Et du coup ça serait quoi ton instrument fétiche ?

Ce serait soit le ukulélé parce que je l'aime bien quand même, c'est léger, c'est des cordes, tu peux faire des notes, faire tous les accords... ou alors je choisirai le sanza. C'est un instrument africain, un piano à pouce. Soit juste rien, comme ça , mon corps. Hop là ! (elle tape fait sur son corps des bruits avec ses mains et sa bouche).

J'ai beaucoup de choses mais je m'entraîne à jouer avec ce qui est là , du coup mes doigts seront là, il y aura toujours du bois, de la pierre, toujours des gens. Je peux jouer sur mon corps, je peux chanter, la voix est là. Alors même si je n’ai rien, même si c'est un peu nu, je pourrais me débrouiller. Je peux trouver deux bâtons, faire des petits rythmes, faire des notes avec des trucs en fers... En tout cas pour les instruments ça serait le ukulélé ou le sanza.

Si tu pouvais créer ton propre festival de musique, il serait comment ?

Il serait gratuit, payé au chapeau. Il y aurait une bonne ambiance, les gens seraient dans une perspective de solidarité parce qu’ils savent qu’il y a des choses qui coûtent de l’argent. Le festival serait autogéré dans ce sens-là. Il serait écologique, près de la nature, à côté d'une rivière. En même temps il y aurait deux petites caves pour faire des choses un peu plus intimes. Et ça serait multidisciplinaire bien sûr : des clowns, du théâtre, de la danse, de l'improvisation. Il y aurait des endroits de rencontre où les gens pourraient faire des expériences ensemble. Ça serait un bon moment de partage où l’on serait tous là à s'enrichir, à partager des choses, à apprendre . Et il y aurait un coin feu. Je sais que ça commence à faire un peu trop baba cool ! On pourrait jouer de la musique autour. Il y aurait des spectacles imprévisibles, imprévus. Il y aurait surtout un espace pour que les gens aient envie de faire des choses. Il y aurait la permission de faire des choses, de tenter des choses, d'être nu, de juste faire des choses pour le plaisir de les faire.

Il n’y aurait pas de scène du coup ?

Non, juste des espaces .On limiterait les espaces avec du fil, des feuilles. On marque un espace et c'est là que ça se passe. Les gens s'assoient autour, ou des fois on aurait un espace qui n'est pas un espace et quelqu’un commence à faire un truc et ça capte les gens et hop c'est maintenant que ça se passe . On créée l'espace ensemble. Pour moi l’espace scénique, pour que se soit un spectacle, c’est dès que quelqu'un te regarde. T'as pas besoin d'une scène. Une scène c'est pratique parce que quand t'as 500 personnes les gens peuvent te voir mais pour moi c'est tout. J'aime beaucoup jouer au même niveau que les gens, c'est ce que je préfère. Pour moi c'est un défi de jouer sur scène. J'aime bien jouer sur scène quand c'est au même niveau que les gens.

Tu as déjà fait des festivals en tant que festivalière ?

Oui, pas tant de festivals de musique. J'ai fait pas mal de festivals d'art de rue en fait : Châlon, Auriac, en Espagne, en Norvège j'ai joué aussi dans un festival de rue. C'est des festivals de tout, de spectacle vivant. C'est ça que j'aime. Sinon des festivals carrément écologiques qui n’ont rien à voir avec tout ça, où les gens sont là, on apprend comment faire des toilettes compost, faire du feu quand il pleut... j'aime beaucoup ça aussi.

Et si tu avais un festival à retenir/conseiller ?

Celui qui me vient c'est Reus, un festival d'art de rue à Catalunya, en Espagne, à côté de Barcelone. Il y aussi Valladolid, mais c'est des festivals de cirque, des festivals d'art de rue. Ce ne sont pas des festivals formels, plutôt des gens qui se groupent pour faire des rencontres humaines ensemble. Pour moi c'est ça l'idéal, des moments où on partage l'art et la vie . C'est dans ce genre de festival où les gens sont détendus et vraiment là pour rencontrer les autres. Pas loin de la rivière du coup dans l'idéal, mais ça peut se passer dans les villes aussi.

Il ne manque pas un petit feu ?

Avec un petit feu dans la ville  ça serait génial, oui !

Propos recueillis par Cécile Nougier
Photos par Morgan Canda