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Julien, Cabaret Vert : « L’annulation ne nous fait pas plaisir mais ça va nous permettre de travailler sur tout le reste. »

À Charleville-Mézières, depuis 2005, le festival Cabaret Vert anime et rythme les étés sur le territoire des Ardennes. Jusqu'à l'arrivée du Covid, et l'annulation de l'édition 2020, c'est fin août que 100 000 festivaliers s'y réunissaient pour 3 jours de concerts mais aussi de découvertes de BD, d'arts de rue, de théâtre burlesque et faisaient le plein de sensibilisation au développement durable. Après les dernières annonces du Ministère de la culture, limitant pour le moment les événements de l'été à un format "5000 assis", nous avons fait le point sur les projets 2021 et au-delà avec Julien Sauvage, directeur et fondateur du festival. 

Tous les festivals : Hello Julien, comment ça va ? 

Julien Sauvage : Très bien, merci ! Ce qu’il faut savoir c’est que moi je suis un optimiste de nature et que nous on est à contre-courant de tout ce qui se passe en ce moment. Déjà grâce à notre directeur artistique, on était déjà en train de travailler sur un plan B à 5000 en assis depuis quelques semaines. Nous le deuil on ne l’a pas fait dans la nuit. On l’avait déjà anticipé même si on caressait l’espoir de garder la version normale. Mais si on n’a pas mis les billets en vente en décembre comme on le fait habituellement, ce n’était pas pour rien. 

Pas trop remonté contre les dernières annonces du ministère de la culture ? 

Disons qu’en fait, dans l’absolu, c’est une mauvaise nouvelle. On était prêts, on devait faire une première annonce le 22 février. On avait une programmation de dingue, sur une base de 2020 mais vraiment agrémentée. Il y avait de nouvelles têtes d’affiche qui devaient arriver. Pour moi c’est la meilleure programmation qu’on ait jamais eu en termes de qualité et de notoriété. Maintenant, sincèrement, j’avais du mal à croire que la Ministre nous réunisse le 18 février pour nous dire : « Ne vous inquiétez pas, tout va bien ! Au mois de juin, juillet, août vous pourrez faire 20, 30, 40 mille personnes par jour sans aucune distanciation ». C’était de l’inconscience de croire à ça. On a bien poussé la ministre fin janvier en lui expliquant que notre situation n’était pas tenable. Je me doutais qu’elle n’amènerait pas toutes les réponses. Il y a encore énormément de points de flou encore aujourd’hui mais au moins elle amène un cadre. Il vaut ce qu’il vaut mais il va y avoir une revoyure régulière, au moins mensuellement, pour voir comment on va pouvoir faire évoluer les choses. L’annulation du Cabaret Vert ne nous fait pas plaisir, mais si on veut regarder le verre à moitié plein, ça va nous permettre de travailler sur tout le reste. 

Et comment allez-vous vous occuper d’ici la reprise ? 

Nous on est sur 5 ou 6 énormes projets en même temps à l’heure actuelle. Sans même parler de l’idée de retourner dans notre stade de foot de Sedan qui n’est pas loin de chez nous où on avait accueilli Johnny Halliday en 2016 qui est toujours là dans un coin de notre tête. On vient de créer un SAS avec une start-up et avec l’agglomération et on va implanter une centrale hydroélectrique en plein cœur du festival. On n’est pas sur un petit truc pour alimenter un transistor, ça va produire l’équivalent de la consommation de 50% de l’énergie du festival à peu près ou l’équivalent de la consommation de 100 ménages français à l’année. 

A côté de ça il y a un équipement musiques actuelles qui est en train de se créer, sur l’agglomération Ardennes Métropole dont Charleville-Mézières fait partie. Trois nouveaux sites pour être précis. Nous on est très associés à cet équipement là et on en sera l’un des futurs gestionnaires avec plusieurs autres associations. On veut développer le territoire, montrer que la mauvaise image des Ardennes est fausse. On veut redonner un peu de fierté aux Ardennais qui subissent toujours ces critiques dues à différentes périodes de l’histoire. En plus il y a une identité forte chez nous ! Alors certes on n’est pas les bretons mais une fois que vous avez retiré les bretons, les basques et les corses je pense qu’on est l’une de peuplades qui arrive en premier en termes d’identité ! Et puis enfin générer des retombées économiques car on est un département qui a beaucoup souffert économiquement donc si on peut amener notre pierre à l ‘édifice c’est tant mieux. Nous n’allons pas pouvoir faire ça tout seuls, c’est pour ça qu’on veut travailler avec les acteurs du département. 

Et des projets pour le festival ? 

On est en train de travailler sur un projet d’extension du Cabaret Vert 2023-2026. On a un vrai problème de place. Aujourd’hui on exploite le moindre mètre carré, on a des ruses pour essayer de gagner en place, monter en étages mais là on arrive à la limite. Donc ça nous limite énormément pour développer de nouveaux projets, avoir de nouvelles idées. Et on a peur qu’à un moment donné aussi bien en interne que pour le public il y ait aussi moins d’excitation si tous les ans on refait le même festival. Sachant qu’on est en plein centre-ville, il y a deux côtés du festival qui sont occupés par des habitations et les deux autres côtés entourés par la Meuse, le fleuve. Donc on a eu pas mal de ruse, on va amener tout un tas de ponts sur la Meuse. On parle de 140 000m² de l’autre côté du fleuve et on a déjà obtenu tous les accords des propriétaires. Avoir un fleuve en plein milieu du festival, je pense que ça va être assez original ! 

Il y a une possibilité d’augmenter la jauge pour le Cabaret Vert 2023 qui serait alors de 160 000 personnes, avec cette notion d’amélioration du cadre de vie : qualité d’accueil, moins de densité au mètre carré pour le public, amélioration du modèle économique. On va essayer de faire en sorte à ce que la croissance ne s’oppose pas au développement durable mais que la décroissance n’ait rien à voir avec la récession. La turbine hydroélectrique est la première pierre d’une énorme ambition qui est tout juste en train de s’écrire. On vient de lancer une étude d’impact environnemental, on va lancer un bilan carbone sur la prochaine édition qui nous servira de base pour connaitre le réel impact du Cabaret Vert aujourd’hui et prendre le pari qu’en 2026 le bilan carbone du Cabaret Vert ne sera pas supérieur à celui d’aujourd’hui malgré l’agrandissement. Et essayer de devenir un labo européen du développement durable.

Et cette année, il se passera quelque chose à Charleville-Mézières ? 

C’est un peu douloureux de se réveiller en se disant qu’il n’y aura encore pas d’édition, mais faisons de cette contrainte un point positif, allons dans l’esprit de la résilience. On va travailler sur un projet de tiers-lieu éphémère hyper excitant avec l’agglomération et pas une mini version du Cabaret Vert qui serait encore plus petit que la première édition du festival et dont tout le monde serait déçu. Le Cabaret Vert c’est un tout, je n’envisage pas aujourd’hui un demi-Cabaret Vert. Autant partir sur quelque chose d’autre. On va faire 3, 4 grands temps festifs avec tous les marqueurs du Cabaret Vert, créer un lieu culturel éphémère avec de l’animation, des conférences sociétales, avec des acteurs culturels locaux… On devrait prendre la parole courant avril pour repréciser tout ça. 

On a aujourd’hui une occasion de rebond, qui n’est pas meilleure que ce qu’aurait été le Cabaret Vert, mais quelque chose d’hyper excitant et d’hyper cohérent qui pourra associer plein de gens qui sont sur le territoire, et qui ne soit pas juste un événement pour dire « on fait quelque chose juste pour éviter un autre été blanc ». Et peut-être qu’on va finir en debout à 7000 au moins d’août, pour le moment personne ne peut le dire ! 
On a un peu peur de certaines zones de flou par rapport aux annonces. Les buvettes par exemple, au de-là des recettes, au-delà de l’ambiance, on ne peut pas faire rester des gens sur un site pendant 6h sans qu’ils aient un verre d’eau, sans même parler de bière ! Pour parler aussi du montant du fond des festivals que la Ministre a annoncé, 30 millions d’euros… toutes esthétiques confondues on considère qu’il y a 6000 festivals en France. Si on fait le calcul, ça fait 5000 euros par festival. J’espère que c’est pour envoyer un message qu’ils seraient présents auprès des festivals et qu’ils sont conscients qu’il va y avoir des besoins. Je ne sais pas quel est le le protocole sanitaire auquel on sera mangé, mais malheureusement la situation est ce qu’elle est aujourd’hui et on part au plus urgent d’abord et ensuite on va annoncer le reste pas à pas. 

Propos recueillis par : Anja Dimitrijevic
Crédit photo : Dark Room